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Date : 20041125

Dossier : T-1805-98

Référence : 2004 CF 1656

Ottawa (Ontario), le 25 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE HENEGHAN                         

ENTRE :

             RÉVÉREND FRÈRE WALTER A. TUCKER ET

                                   RÉVÉREND FRÈRE MICHAEL J. BALDASARO

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                      défenderesse

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Le Révérend Frère Walter A. Tucker et le Révérend Frère Michael J. Baldasaro (les demandeurs) ont déposé le 18 novembre 2004 un avis de requête dans lequel ils sollicitent, en vertu des Règles de la Cour fédérale (1998), DORS/98-106 (les Règles), une ordonnance répondant à la question de droit suivante :


[TRADUCTION]

a.              Est-il loisible à la Cour, au procès, d'admettre en preuve les affidavits et/ou les affirmations solennelles des demandeurs qui ont été jugés invalides et qui avaient antérieurement été déposés à l'appui des éléments de preuve relatifs aux questions exposées dans la déclaration et dans les requêtes qui ont déjà instruites et tranchées par la Cour depuis l'introduction de l'instance?

b.              Dans la négative, les demandeurs sollicitent la suspension de leur déclaration, sous réserve de leurs droits contre la défenderesse, qu'ils demandent à la Cour de condamner aux dépens.

c.              L'affidavit des documents, le dossier des requêtes et les requêtes des demandeurs doivent-ils tous être annulés au motif qu'ils ne sont pas conformes aux règles régissant les dossiers de requête, les affidavits de documents et les affirmations solennelles?

d.              Dans ces conditions, la Cour a-t-elle compétence pour poursuivre la procédure préparatoire au procès et le procès alors qu'aucune des conditions préalables n'a été valablement remplie?

[2]                Aux termes de la directive qu'elle a donnée le 19 novembre 2004, la Cour a enjoint aux demandeurs et à Sa Majesté la Reine (la défenderesse), représentée par son avocat, de participer, par voie de conférence téléphonique, à l'instruction de la requête à Ottawa le 23 novembre 2004.

[3]                Les demandeurs ont soulevé plusieurs questions lors de l'instruction de la requête.


[4]                À l'ouverture de l'audience, les demandeurs ont demandé à la Cour de leur accorder la permission d'apporter un magnétophone dans la salle d'audience pour enregistrer les débats afin de compléter les notes qu'ils prendraient à l'audience. Les demandeurs s'autorisaient de la Loi sur les tribunaux judiciaires, L.R.O. 1990, ch. C.43, modifiée, et de leur expérience devant les tribunaux ontariens où ils avaient été autorisés en partie à procéder à ce genre d'enregistrements sur bande magnétique.

[5]                Même si l'avocat de la défenderesse ne s'est d'abord pas opposé à cette requête, la Cour a suspendu l'audience pour une brève période pour permettre un examen plus approfondi de la question. Par la suite, l'avocat de la défenderesse a expliqué que la Cour devait rejeter cette requête au motif que, comme un sténographe judiciaire serait présent, la transcription officielle des débats serait mise à la disposition des parties. L'avocat de la défenderesse a accepté de demander d'urgence l'établissement de la transcription et d'en fournir une copie aux demandeurs sans frais.

[6]                Exerçant mon pouvoir discrétionnaire et tenant compte de l'article 4 des Règles, j'ai rejeté la requête présentée par les demandeurs en vue d'être autorisés à enregistrer les débats sur bande magnétique. Les demandeurs n'ont cité aucune disposition précise de la Loi sur les tribunaux judiciaires, précitée, de l'Ontario. L'article 4 des Règles accorde à notre Cour toute latitude pour s'inspirer de la pratique des cours supérieures provinciales pour régler les questions qui ne sont pas expressément abordées par les Règles de notre Cour. Voici le texte de l'article 4 :


4. En cas de silence des présentes règles ou des lois fédérales, la Cour peut, sur requête, déterminer la procédure applicable par analogie avec les présentes règles ou par renvoi à la pratique de la cour supérieure de la province qui est la plus pertinente en l'espèce.

4. On motion, the Court may provide for any procedural matter not provided for in these Rules or in an Act of Parliament by analogy to these Rules or by reference to the practice of the superior court of the province to which the subject-matter of the proceeding most closely relates.


[7]                Il est évident que cet article accorde à la Cour toute la latitude voulue pour s'inspirer de la pratique des cours de justice de l'Ontario. Faute de preuve quant à une telle pratique, j'ai refusé d'exercer mon pouvoir discrétionnaire de manière favorable, d'autant plus qu'un sténographe judiciaire sera présent et qu'une copie de la transcription sera mise à la disposition des demandeurs.

[8]                Quant à la requête informelle des demandeurs au sujet de la consultation de la transcription des débats qui ont eu lieu le 7 octobre 2004, lors de la conférence sur la gestion de l'instance, et le 12 novembre 2004, lors de l'instruction de la requête préalable en suspension de l'audience présentée par le demandeur, le Révérend Frère Tucker, j'ai informé les parties qu'à la suite de la demande adressée au greffe par les demandeurs, la transcription des débats serait mise à la disposition des parties.

[9]                Les demandeurs ont soulevé une autre question préliminaire. Ils affirment qu'ils n'ont pas régulièrement reçu signification des pièces produites par la défenderesse en réponse à la présente requête parce que les pièces qui leur ont été adressées ne mentionnent pas leur titre de « Révérend » ou de « Frère » . Les demandeurs sont revenus à plusieurs reprises sur une lettre écrite le 14 janvier 2004 par l'avocat de la défenderesse dans laquelle cette dernière adopte le point de vue que la mention de ces titres porte préjudice à des points soulevés dans sa défense à l'action des demandeurs.

[10]            La lettre du 14 janvier 2004 faisait partie de la réponse de la défenderesse à la requête en suspension d'audience qui a été débattue le 12 novembre 2004. La Cour a tranché cette requête par l'ordonnance et les motifs qu'elle a prononcés le 15 novembre 2004. La requête dont la Cour est maintenant saisie ne traite pas de cette question. Je ne vais donc pas l'aborder, sauf pour signaler que la qualité des demandeurs en tant que ministres du culte est bel et bien précisée dans leur déclaration.

[11]            Dans sa défense, la défenderesse nie tous les faits allégués par les demandeurs. La qualité de ministres du culte des demandeurs est carrément mise en litige dans la défense qui a été déposée dans la présente action. Pour cette raison, il est loisible aux deux parties d'aborder cette question au procès si elles jugent bon de le faire.

[12]            Les demandeurs s'opposent aussi à la directive par laquelle la Cour a ordonné que l'affaire soit instruite dans le cadre d'une audience au lieu d'être jugée sur dossier. Ils signalent qu'ils ont réclamé la protection de la Cour pour qu'elle défende leur dignité et qu'ils ont cherché à obtenir les lumières de la loi en ce qui concerne l'examen des questions soulevées dans le présent procès. Ils expliquent qu'on ne leur a pas offert l'aide de la Cour sous forme de gestion de la présente instance. Ils ajoutent que les dépens qui ont été adjugés à la défenderesse à la suite de l'instruction de la requête en suspension de l'audience trahissent un parti pris de la part de la Cour.

[13]            C'est à la Cour qu'il appartient, dans l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, de déterminer comment elle entend juger une requête (voir le jugement Olson c. Canada, [1993] 1 C.F. 32 (C.A.)). Compte tenu du fait que la présente requête a été déposée onze (11) jours avant la date prévue de l'ouverture du procès, les principes directeurs énoncés à l'article 3 des Règles militent fortement en faveur d'un jugement rapide de la requête.

[14]            Quant aux observations des demandeurs au sujet des lumières qu'ils ont sollicitées et de l'absence de gestion de l'instance de la Cour, je constate que la présente instance n'a pas fait l'objet d'une gestion formelle. Il ressort toutefois d'un examen sommaire du dossier que la présente action a fait l'objet d'une grande attention de la part des protonotaires et des juges de notre Cour depuis son introduction. Le dossier du procès établi par la défenderesse fait par ailleurs état d'ordonnances prononcées par neuf juges différents de notre Cour entre janvier 1999 et août 2003.

[15]            Les demandeurs accusent la Cour de partialité, compte tenu des dépens qu'elle a adjugés à la défenderesse dans son ordonnance du 15 novembre 2004. Il s'agit là d'un argument spécieux. Le paragraphe 400(1) des Règles confère à la Cour toute latitude en matière d'adjudication de dépens.


[16]            Pour ce qui est du fond de la présente requête, les demandeurs font valoir que la valeur des affidavits qu'ils ont jusqu'ici versés au dossier revêt une importance critique en ce qui concerne la poursuite de la présente instance. Ils expliquent en particulier que la présente demande repose sur leur affidavit de documents et que cet affidavit n'a pas été régulièrement souscrit, comme l'affirme la défenderesse. Ils soutiennent que ce document n'a pas été régulièrement soumis à la Cour et que, pour cette raison, l'action ne peut être instruite.

[17]            Les demandeurs expriment sous forme de questions de droit leurs préoccupations au sujet de la valeur des divers affidavits qu'ils ont déposés dans le cadre de la présente instance. Ils soulèvent une question subsidiaire au sujet de l'utilisation de ces affidavits en preuve au procès.

[18]            La défenderesse affirme qu'il n'est pas nécessaire que la Cour se prononce sur la valeur des affidavits des demandeurs avant le procès parce que la preuve qui sera présentée au procès sera une preuve orale, et non une preuve par affidavit.

[19]            Le paragraphe 220(1) des Règles permet à la Cour de rendre une décision préliminaire sur des points de droit. En voici le texte :


220. (1) Une partie peut, par voie de requête présentée avant l'instruction, demander à la Cour de statuer sur :

a) tout point de droit qui peut être pertinent dans l'action;

b) tout point concernant l'admissibilité d'un document, d'une pièce ou de tout autre élément de preuve;

c) les points litigieux que les parties ont exposés dans un mémoire spécial avant l'instruction de l'action ou en remplacement de celle-ci.

220. (1) A party may bring a motion before trial to request that the Court determine

(a) a question of law that may be relevant to an action;

(b) a question as to the admissibility of any document, exhibit or other evidence; or

(c) questions stated by the parties in the form of a special case before, or in lieu of, the trial of the action.


[20]            À mon avis, la requête des demandeurs ne soulève pas un point de droit qui devrait être tranché dans le cadre d'une requête interlocutoire présentée peu de temps avant l'ouverture du procès. Suivant le jugement Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) c. Obodzinsky, (2002), 224 F.T.R. 161, avant de statuer sur un point de droit avant le procès, la Cour doit d'abord être convaincue que les questions proposées sont de véritables questions de droit. Or, je n'en suis pas convaincue. À mon avis, les questions soulevées par les demandeurs se rapportent à l'admission d'éléments de preuve au procès et c'est l'article 282 des Règles qui règle cette question :


282. (1) Sauf ordonnance contraire de la Cour, les témoins à l'instruction sont interrogés oralement, en séance publique.

(2) Les témoins déposent sous serment.

282. (1) Unless the Court orders otherwise, witnesses at trial shall be examined orally and in open court.

(2) All witnesses shall testify under oath.


[21]            Je me réfère à la définition du mot « serment » à l'article 2 :


2. Les définitions qui suivent s'appliquent aux présentes règles.

« _serment_ » Est assimilée au serment l'affirmation solennelle visée au paragraphe 14(1) de la Loi sur la preuve au Canada. (oath)

2. The following definitions apply in these Rules.

"oath" includes a solemn affirmation within the meaning of subsection 14(1) of the Canada Evidence Act. (serment)


Les demandeurs peuvent donc témoigner en faisant une affirmation solennelle au lieu de prêter serment.

[22]            Les articles 222 et 232 et le paragraphe 223(1) des Règles répondent aux préoccupations des demandeurs au sujet de l' « admissibilité » de leur affidavit de documents. En voici le texte :



222. (1) Pour l'application des règles 223 à 232 et 295, est assimilée à un document toute information enregistrée ou mise en mémoire sur un support, y compris un enregistrement sonore, un enregistrement vidéo, un film, une photographie, un diagramme, un graphique, une carte, un plan, un relevé, un registre comptable et une disquette.

(2) Pour l'application des règles 223 à 232 et 295, un document d'une partie est pertinent si la partie entend l'invoquer ou si le document est susceptible d'être préjudiciable à sa cause ou d'appuyer la cause d'une autre partie.

223. (1) Chaque partie signifie un affidavit de documents aux autres parties dans les 30 jours suivant la clôture des actes de procédure.

232. (1) À moins que la Cour n'en ordonne autrement ou que les parties n'aient renoncé à leur droit d'obtenir communication des documents, un document ne peut être invoqué en preuve que dans l'un des cas suivant : [mes soulignés]

a) il est mentionné dans l'affidavit de documents de la partie et, selon celui-ci, aucun privilège de non-divulgation n'est revendiqué;

b) il a été produit par l'une des parties ou par une personne interrogée pour le compte de celle-ci pour examen, pendant ou après les interrogatoires préalables;

c) il a été produit par un témoin qui, de l'avis de la Cour, n'est pas sous le contrôle de la partie.

(2) Le paragraphe (1) ne s'applique pas aux documents qui sont utilisés uniquement comme fondement ou partie d'une question posée à un contre-interrogatoire ou à un nouvel interrogatoire                          

222. (1) In rules 223 to 232 and 295, "document" includes an audio recording, video recording, film, photograph, chart, graph, map, plan, survey, book of account, computer diskette and any other device on which information is recorded or stored.

(2) For the purposes of rules 223 to 232 and 295, a document of a party is relevant if the party intends to rely on it or if the document tends to adversely affect the party's case or to support another party's case.

223. (1) Every party shall serve an affidavit of documents on every other party within 30 days after the close of pleadings.

232. (1) Unless the Court orders otherwise or discovery of documents has been waived by the parties, no document shall be used in evidence unless it has been [Emphasis added]

(a) disclosed on a party's affidavit of documents as a document for which no privilege has been claimed;

(b) produced for inspection by a party, or a person examined on behalf of one of the parties, on or subsequent to examinations for discovery; or

(c) produced by a witness who is not, in the opinion of the Court, under control of the party.

(2) Subsection (1) does not apply to a document that is used solely as a foundation for, or as a part of a question in, cross-examination or re-examination.


[23]            En résumé, le défaut d'une partie de divulguer un document pertinent en conformité avec les Règles l'expose au risque d'être incapable de produire ce document en preuve au procès. En principe, l'affidavit de documents ne constitue pas une pièce admissible. De fait, un affidavit ne peut être déposé en preuve au procès sans l'autorisation de la Cour. À ce propos, je me réfère au paragraphe 53(1) de la Loi sur les Cours fédérales, L.R.C. 1985, ch. F-7, modifiée :



53. (1) La déposition d'un témoin peut, par ordonnance de la Cour d'appel fédérale ou de la Cour fédérale, selon le cas, et sous réserve de toute règle ou ordonnance applicable en la matière, être recueillie soit par commission rogatoire, soit lors d'un interrogatoire, soit par affidavit.

53. (1) The evidence of any witness may by order of the Federal Court of Appeal or the Federal Court be taken, subject to any rule or order that may relate to the matter, on commission, on examination or by affidavit.                        


[24]            Je songe également à l'article 285 des Règles, qui dispose :


285. La Cour peut ordonner qu'un fait particulier soit prouvé par affidavit ou que l'affidavit d'un témoin soit lu à l'instruction.                                                              

285. The Court may, at any time, order that any fact be proven by affidavit or that the affidavit of a witness be read at trial.


[25]            Il me semble donc que les demandeurs ne saisissent pas bien comment la preuve est administrée dans les procès intentés devant notre Cour. Les affidavits qui ont été déposés jusqu'ici dans les diverses procédures interlocutoires ne revêtent pas une importance cruciale pour le déroulement du procès. L'admission des affidavits devant les tribunaux ontariens, y compris l'instance en habeas corpus qui s'est déroulée devant le juge Borkovich, n'a aucune incidence sur le déroulement de la présente instance. Au procès, la preuve sera communiquée oralement par des témoins qui prendront la parole à la barre des témoins.

[26]            La requête des demandeurs est rejetée. L'adjudication des dépens de la présente requête est reportée jusqu'au prononcé du jugement à l'issue du procès.


                                        ORDONNANCE

La requête des demandeurs est rejetée. L'adjudication des dépens de la présente requête est reportée jusqu'au prononcé du jugement à l'issue du procès.

                                                                                   « E. Heneghan »

                                                                                                     Juge

Traduction certifiée conforme

Richard Jacques, LL.L.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                T-1805-98

INTITULÉ :               RÉVÉREND FRÈRE WALTER A. TUCKER et

RÉVÉREND FRÈRE MICHAEL J. BALDASARO

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

                                                     

LIEU DE L'AUDIENCE :                              OTTAWA et TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 23 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE : MADAME LA JUGE HENEGHAN

DATE DES MOTIFS :                                   LE 25 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

Révérend Frère Walter A. Tucker                                  LE DEMANDEUR

(agissant pour son propre compte)

Révérend Frère Michael J. Baldasaro                 LE DEMANDEUR

(agissant pour son propre compte)

James Gorham                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Révérend Frère Walter A. Tucker                                  LE DEMANDEUR

Hamilton                                                            (agissant pour son propre compte)

Révérend Frère Michael J. Baldasaro                 LE DEMANDEUR

Hamilton                                                            (agissant pour son propre compte)

Morris Rosenberg                                              POUR LA DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada                   

Toronto


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