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Date : 20000831

Dossier : IMM-5331-99

OTTAWA (ONTARIO), LE 31 AOÛT 2000

EN PRÉSENCE DE Mme LE JUGE TREMBLAY-LAMER

ENTRE :

                       SHAMIM NEWAZ, SAMINA NEWAZ

                       SHAKIL NEWAZ et SHEENA NEWAZ

                                                                                  demandeurs

                                                    et

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                       défendeur

                                        ORDONNANCE

La demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un agent de révision des revendications refusées différent, pour qu'il rende une nouvelle décision conforme aux présents motifs.

L'avocate des demandeurs a demandé la certification de la question suivante :


En l'absence d'une nouvelle preuve et de nouveaux arguments, un agent de révision des revendications refusées (ARRR) peut-il, lorsqu'un demandeur sollicite le droit d'établissement en qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC), réexaminer et infirmer des conclusions de fait portant sur le risque auquel serait soumis le demandeur, que la Section du statut de réfugié a tirées après avoir tenu une audience complète sur la revendication?

Je suis convaincue qu'il s'agit d'une question de portée générale sur le rôle du processus d'examen par un ARRR. Je certifierai donc la question proposée.

                                                             Danièle Tremblay-Lamer

JUGE

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


Date : 20000831

Dossier : IMM-5331-99

ENTRE :

                       SHAMIM NEWAZ, SAMINA NEWAZ

                       SHAKIL NEWAZ et SHEENA NEWAZ

                                                                                  demandeurs

                                                    et

    LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                       défendeur

                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TREMBLAY-LAMER

[1]                 Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision datée du 15 octobre 1999, par laquelle une agente de révision des revendications refusées (ARRR), Maria Bilucaglia, a statué que les demandeurs ne sont pas admissibles en qualité de demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada (DNRSRC).


[2]    Le demandeur principal, Shamin Newaz, son épouse Samina, et leurs enfants, Shakil et Sheena, sont citoyens du Bangladesh. Ils ont quitté le Bangladesh le 26 janvier 1996 et ils ont revendiqué le statut de réfugié à leur arrivée au Canada le 29 janvier 1996.

[3]    En mars 1999, la Section du statut de réfugié a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention. Les membres de la formation sont arrivés à la conclusion que le demandeur principal veut échapper à des poursuites, plutôt qu'à une persécution.

[4]    La revendication des demandeurs s'appuie sur une crainte fondée de persécution par suite de leurs opinions politiques.

[5]    Le demandeur principal a rejoint les rangs du Parti Jatiyo en juin 1991. Plus tard, il est devenu membre du comité Ghatak Dalal Nirmul. Il déclare avoir été agressé par des hommes de main du Parti national du Bangladesh (PNB), en avril et en juillet 1992.

[6]    En mai 1993, le demandeur principal a été élu secrétaire à la publicité.


[7]                En juin 1993, il a été arrêté en vertu de la Loi sur les pouvoirs spéciaux (LPS) alors qu'il participait à une manifestation. Il a été soumis à des sévices corporels. Libéré de prison en octobre 1993, il a été arrêté à nouveau et emprisonné jusqu'en février 1994. Par la suite, il a continué à avoir une activité politique.

[8]                En mars 1995, le demandeur principal a été menacé de mort. Le jour suivant, il a participé à une protestation au siège de Dhaka. Craignant d'être arrêté par la police, il est alors passé dans la clandestinité. Les policiers, ainsi que les hommes de main du PNB, ont cherché à le trouver à son domicile et à son lieu de travail.

[9]                Après neuf mois dans la clandestinité et ne pouvant obtenir une caution par l'entremise de son avocat, le demandeur principal a décidé de quitter le Bangladesh avec sa famille en janvier 1996 pour venir se réfugier au Canada.

[10]            Suite à la décision défavorable de la Section du statut de réfugié, les demandeurs ont cherché à être admis en qualité de DNRSRC. Le 15 octobre 1999, l'ARRR a décidé que les demandeurs ne réunissaient pas les qualités requises pour être membres de la catégorie des DNRSRC.


[11]            L'ARRR a statué qu'il n'existait pas de risque objectivement identifiable pour les demandeurs s'ils retournaient au Bangladesh.

[12]            Au début de ses motifs, l'ARRR a fait remarquer que nonobstant la décision négative de la SSR, elle devait [traduction] « examiner le dossier des demandeurs afin de déterminer s'il existait un risque que leurs vies soient menacées, ou qu'ils fassent l'objet de sanctions excessives ou de traitements inhumains, au sens donné à ces termes par le Règlement » [1].

[13]            L'ARRR s'est appuyé sur plusieurs facteurs pour prendre sa décision.

[14]            Premièrement, l'agente d'immigration a conclu que les circonstances entourant les événements ayant mené au départ des demandeurs du Bangladesh n'étaient pas plausibles, notamment le fait que le demandeur principal était recherché par la police ou par les hommes de main du PNB suite à sa participation à la manifestation de mars 1995.


[15]            À ce sujet, l'ARRR a conclu qu'il n'était pas plausible que l'avocat du demandeur principal a cherché à obtenir une caution pour lui alors que les autorités ne l'avaient même pas arrêté. L'agente d'immigration a aussi conclu qu'il n'y avait aucune preuve indiquant que le demandeur principal était recherché par la police ou qu'on avait instruit une affaire à son sujet. De plus, l'agente d'immigration a pris note du fait que ni les policiers, ni les hommes de main du PNB, n'avaient cherché à trouver le demandeur principal chez les parents de son épouse, lieu où son épouse et ses enfants résidaient alors qu'il était dans la clandestinité.

[16]            De plus, l'agente d'immigration a fait remarquer qu'il n'y avait pas de preuve démontrant que les familles des demandeurs avaient eu des difficultés avec les policiers ou avec les hommes de main du PNB par suite de leurs liens avec le demandeur principal.

[17]            Deuxièmement, l'ARRR a fait état du U.S. Country Report de 1998, qui indique que le gouvernement du Bangladesh continue à utiliser la Loi sur les pouvoirs spéciaux, qui autorise le harcèlement des opposants politiques par leur arrestation arbitraire et leur détention préventive. Toutefois, elle a fait remarquer que le rapport indique aussi qu'il y a eu une diminution considérable du nombre de personnes emprisonnées en vertu de ces dispositions.


[18]            De plus, l'ARRR a souligné qu'aux dires du Country Profile on Bangladesh préparé par la Refugees, Immigration and Asylum Section du ministère des Affaires étrangères et du Commerce de l'Australie, daté de juillet 1994, il est peu probable que les membres ordinaires du PJ qui reviennent au Bangladesh après une période passée à l'étranger soient persécutés, à moins qu'ils participent dès leur arrivée à la vie politique et posent une menace sérieuse pour le gouvernement.

[19]            De plus, un article daté du 3 juillet 1996 indique que le PJ serait le parti d'un seul homme et qu'il n'a pas d'avenir politique, suite à la défection de plusieurs de ses chefs locaux et nationaux.

[20]            Au vu de cette preuve, l'ARRR a statué que le risque en provenance des partis politiques adverses, qu'il s'exerce par l'entremise des policiers ou des hommes de main, ne visait plus le demandeur principal.

[21]            En conséquence, l'ARRR a conclu que les demandeurs n'avaient pas à faire face à un risque pour leur vie, non plus qu'à celui d'être soumis à un traitement inhumain ou à des sanctions excessives à leur retour au Bangladesh.


[22]            L'avocate des demandeurs soutient que la demande pour obtenir la qualité de DNRSRC a été rejetée parce que l'ARRR a conclu qu'il n'y avait pas [traduction] « de preuve qu'il était recherché par la police ou qu'on avait instruit une affaire à son sujet » . Elle souligne aussi le fait que la Section du statut de réfugié semble avoir accepté qu'en mars 1995, le demandeur principal était recherché en vue de son arrestation en vertu de la Loi sur les pouvoirs spéciaux et qu'une audience de cautionnement a été tenue suite aux gestes qu'il avait posés en participant à une manifestation politique.

[23]            Par conséquent, l'avocate soutient que comme ce fait était avéré aux yeux de la Section du statut de réfugié, après qu'elle eut entendu le demandeur, l'ARRR ne pouvait conclure différemment. Bien que l'ARRR qui est chargé d'examiner une demande de statut de DNRSRC ne soit pas, techniquement, lié par les conclusions de la Section du statut de réfugié, l'avocate insiste pour dire que ce principe ne doit pas jouer en défaveur du demandeur ni être appliqué de façon à déformer la nature de quasi-appel du processus d'attribution de la qualité de DNRSRC.

[24]            En d'autres mots, les demandeurs soutiennent qu'étant donné que les faits avaient été établis par la Section du statut de réfugié, l'ARRR n'avait pas compétence pour leur substituer ses propres conclusions de fait.


[25]            Pour sa part, le défendeur soutient que les prétentions des demandeurs sont mal fondées. L'avocat soutient que dans le cadre du processus d'attribution de la qualité de DNRSRC, l'ARRR doit examiner si les demandeurs sont membres de la catégorie des DNRSRC. Par conséquent, l'ARRR doit procéder à une évaluation indépendante de la crédibilité de la preuve, examiner tous les éléments de preuve, en tirer des conclusions et accorder une valeur probante à la preuve produite devant elle (Atapour c. M.C.I.[2]).

[26]            Dans une affaire semblable où les arguments étaient à peu près les mêmes (Ali Ahmed et autres c. M.C.I.[3]), j'ai statué que l'ARRR commet une erreur ouvrant droit à l'intervention de la Cour si elle exerce son pouvoir discrétionnaire à des fins non autorisées. Pour les motifs énoncés dans Ali Ahmed, je suis d'avis que l'ARRR a outrepassé sa compétence en analysant à nouveau la revendication du demandeur pour obtenir le statut de réfugié, plutôt que de procéder à une analyse du risque comme elle doit le faire dans le cadre d'une demande pour obtenir la qualité de DNRSRC.

[27]          En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. L'affaire est renvoyée à un agent de révision des revendications refusées différent, pour qu'il rende une nouvelle décision conforme aux présents motifs.


[28]            L'avocate des demandeurs a demandé la certification de la question suivante :

En l'absence d'une nouvelle preuve et de nouveaux arguments, un agent de révision des revendications refusées (ARRR) peut-il, lorsqu'un demandeur sollicite le droit d'établissement en qualité de demandeur non reconnu du statut de réfugié au Canada (DNRSRC), réexaminer et infirmer des conclusions de fait portant sur le risque auquel serait soumis le demandeur, que la Section du statut de réfugié a tirées après avoir tenu une audience complète sur la revendication?

[29]            Je suis convaincue qu'il s'agit d'une question de portée générale sur le rôle du processus d'examen par un ARRR. Je certifierai donc la question proposée.

                                                                      Danièle Tremblay-Lamer

JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 31 août 2000

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                                IMM-5331-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                SHAMIM NEWAZ ET AUTRES

c.

MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :                     MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                   LE 16 AOÛT 2000

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE Mme LE JUGE TREMBLAY-LAMER

EN DATE DU :                                     31 AOÛT 2000

ONT COMPARU

Mme PIA ZAMBELLI                                                               POUR LES DEMANDEURS

M. DANIEL LATULIPPE                                                        POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

Mme PIA ZAMBELLI                                                               POUR LES DEMANDEURS

M. Morris Rosenberg                                                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



     [1]Notes de l'ARRR au dossier, dossier certifié du tribunal, p. 4.

     [2](1999) 172 FTR 129; (30 juin 1999), IMM-794-98 (C.F. 1re Inst.).

     [3](31 août 2000), IMM-5330-99 (C.F. 1re Inst.).

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