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Date : 19990115


Dossier : IMM-1605-98

OTTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 15 JANVIER 1999.

EN PRÉSENCE DE : MONSIEUR LE JUGE TEITELBAUM

ENTRE :

    

Muneer DARVESH,

Farida BANO,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION DU CANADA,


défendeur.

     ORDONNANCE

     Pour les motifs exposés dans les motifs de l'ordonnance, la demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission datée du 13 mars 1998 est annulée et l'affaire est renvoyée à une Commission différemment constituée pour que celle-ci statue de nouveau sur l'affaire.

                             " Max M. Teitelbaum "

                        

                                 J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.


     Date : 19990115

     Dossier : IMM-1605-98

ENTRE :


Muneer DARVESH,

Farida BANO,


demandeurs,


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION DU CANADA,


défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

INTRODUCTION

[1]      La présente demande de contrôle judiciaire vise la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) a conclu, le 13 mars 1998, que les demandeurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention conformément à la Loi sur l'immigration (la Loi).



FAITS (établis dans la décision de la Commission)

[2]      Les demandeurs, qui sont mari et femme, sont tous les deux citoyens du Pakistan. Ils sont arrivés au Canada le 11 juin 1996 et ont revendiqué le statut de réfugié le 3 juillet 1996. Ils ont un fils de cinq ans qui vit en Angleterre avec les parents de la demanderesse. Ils ont une fille âgée d'un an qui est née au Canada.

[3]      Les demandeurs ont habité à Dubaï de 1992 à 1996, c'est-à-dire, jusqu'à ce qu'ils arrivent au Canada. En février 1996, le demandeur est retourné au Pakistan afin d'aider son frère qui s'y était fait arrêté, en septembre 1995, sous de fausses accusations pour sa participation au MQM, un parti politique du Pakistan.

[4]      En versant des pots-de-vin, le demandeur a pu obtenir la libération conditionnelle de son frère en mai 1996. Après avoir vécu caché, le frère du demandeur a fui le Pakistan en décembre 1996 sans s'être présenté en cour.

[5]      Les demandeurs ont prétendu au moment de l'audience que la police pakistanaise et d'autres personnes au pouvoir ainsi que des membres du MQM Haqiqi les persécuteraient à cause de leur nationalité, de leur race, de leur opinion politique, ainsi que du groupe social auquel ils appartiennent. Le demandeur craint d'être persécuté parce qu'il est un Mahjair et que son frère a quitté le Pakistan en 1996 après s'y être fait arrêté et emprisonné. Le défendeur allègue que s'il était tenu de retourner au Pakistan, on l'arrêterait et on le maltraiterait afin de contraindre son frère à retourner dans ce pays.

[6]      Les demandeurs ont vécu au Pakistan de 1986 à 1992 et à Dubaï de 1992 à 1996. En mars 1996, les demandeurs ont dû quitter les Émirats arabes unis parce qu'ils n'ont pas pu renouveler leur permis de séjour.

LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[7]      La Commission a conclu que les demandeurs n'étaient pas des réfugiés au sens de la Convention pour deux motifs : l'absence d'une crainte d'être persécuté et la possibilité de refuge intérieur (PRI).

[8]      À l'audience, le défendeur ne nie pas que la Commission a commis une erreur en concluant que les demandeurs ne craignaient pas d'être persécutés s'ils devaient retourner à Karachi, Pakistan, d'où ils viennent. Le défendeur soutient que la Commission avait raison de dire que les demandeurs avaient une PRI.

[9]      La Commission déclare :

         [TRADUCTION] Le tribunal décide que les revendicateurs ne sont pas des réfugiés au sens de la Convention.                 
         Le tribunal reconnaît que le revendicateur a une crainte subjective de persécution, mais le témoignage et la preuve documentaire ne l'incitent pas à croire que le demandeur a une crainte fondée et objective de persécution. En outre, le tribunal a jugé que même si le revendicateur avait raison de craindre d'être persécuté à Karachi, il existe une possibilité de refuge intérieur pour les revendicateurs au Pakistan.                 
         Possibilité de refuge intérieur (PRI)                 
         Le tribunal a décidé que même si le revendicateur avait raison de craindre d'être persécuté à Karachi, il pourrait aller ailleurs au Pakistan et vivre dans une relative sécurité. La jurisprudence établit un critère en deux volets relatif à la possibilité de refuge intérieur :                 
         (1)      (...) La Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le revendicateur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où elle croit qu'il existe une PRI.                         
         (2)      En outre, la situation dans la partie du pays envisagée comme une PRI doit être telle qu'il ne serait pas déraisonnable, compte tenu de toutes les circonstances, y compris celles particulières au revendicateur, que ce dernier y cherche refuge.                         
         Étant donné qu'il n'y a pas de mandat d'arrestation pour le revendicateur, le tribunal est d'avis que le revendicateur n'a pas de risque grave d'être persécuté ailleurs au Pakistan. Le tribunal reconnaît qu'il existe de la discrimination à l'endroit des Mohajirs dans de nombreuses régions du Pakistan, mais que ce n'est pas de la persécution. Quand on a demandé au revendicateur ce qu'il pensait du fait de vivre ailleurs au Pakistan, les réponses qu'il a données étaient que les difficultés auxquelles il aurait à faire face seraient principalement liées à des questions socio-économiques. Étant donné que le revendicateur a déjà vécu à Jedda, en Arabie saoudite, pendant quatre ans et à Dubaï, aux É.A.U., pendant quatre ans, le tribunal ne croit pas qu'il est déraisonnable de s'attendre à ce que le revendicateur puisse s'adapter à un autre milieu culturel ailleurs au Pakistan.                 
                         

[10]      Il est important de signaler de ce qui précède que la Commission est d'avis qu'il existe une PRI, dans la présente affaire, parce qu'elle a conclu, en se fondant sur les réponses du demandeur, que les difficultés auxquelles ce dernier aurait à faire face à l'extérieur de Karachi seraient principalement liées à des questions socio-économiques.

[11]      Je suis convaincu que la Commission a commis une erreur grave en tirant cette conclusion.

DISCUSSION

[12]      Dans l'affaire Nagesu Kandiah et al. c. M.C.I., IMM-4310-97, 31 août 1998, C.F. 1re inst., le juge Gibson a fait les remarques suivantes, à la page 3, relativement au critère relatif à la PRI :

         Dans la décision Rasaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), Monsieur le juge Mahoney a dit ceci, à la page 711 :                 
             À mon avis, en concluant à l'existence d'une possibilité de refuge, la Commission se devait d'être convaincue, selon la prépondérance des probabilités, que l'appelant ne risquait pas sérieusement d'être persécuté à Colombo et que, compte tenu de toutes les circonstances, dont celles lui étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour l'appelant d'y chercher refuge.                         
         Il est donc maintenant établi que, pour conclure à l'existence d'une PRI, un critère à deux volets doit être satisfait. Compte tenu des faits de l'espèce, je ne puis constater l'existence d'aucune erreur susceptible de révision de la part de la SSR lorsqu'elle a conclu qu'elle était convaincue :                 
             [TRADUCTION]                 
             [...] selon la prépondérance des probabilités, que les [demandeurs] ne risquaient pas sérieusement d'être persécutés à Colombo [...]                         
         J'arrive à une conclusion différente en ce qui concerne la conclusion de la SSR selon laquelle :                 
             [TRADUCTION]                         
             [...] compte tenu de toutes les circonstances dont celles leur étant particulières, la situation à Colombo était telle qu'il ne serait pas déraisonnable pour les [demandeurs] d'y chercher refuge.                         
         Dans la décision Thirunavukkarasu c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), Monsieur le juge Linden a fait les remarques suivantes au sujet du second volet du critère relatif à la PRI :                 
             La possibilité de refuge dans une autre partie du même pays ne peut pas être seulement supposée ou théorique; elle doit être une option réaliste et abordable. Essentiellement, cela veut dire que l'autre partie plus sûre du même pays doit être réalistement accessible au demandeur. S'il y a des obstacles qui pourraient se dresser entre lui et cette autre partie de son pays, le demandeur devrait raisonnablement pouvoir les surmonter.                         

[13]      Le témoignage que le demandeur a fait relativement à une PRI figure aux pages 331 à 337 de la transcription de l'audience.

[14]      Le demandeur a déclaré qu'il ne pouvait pas vivre ailleurs qu'à Karachi parce qu'il vient de Karachi (page 331) et que s'il devait aller ailleurs au Pakistan, par exemple à Punjab, sa carte d'identité serait vérifiée et [TRADUCTION] " le gouvernement a dit que les gens qui arrivent dans une ville en provenance d'une autre devraient être renvoyés dans leur ville " (page 332).

[15]      En outre, il a été dit, aux pages 332 et 333 :

         [TRADUCTION] LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE (à la personne concernée)             
         Q.      Pardon monsieur. Savez-vous s'il existe des documents qui attestent l'allégation que des gens sont renvoyés dans une autre ville?                     
         R.      Non, je n'ai aucun document à ce sujet.                     
         -      D'accord.

         L'AVOCAT (à la personne concernée)

         Q.      Pas si vous avez des documents. Est-ce que vous savez s'il existe des documents disant que des gens qui viennent d'une autre ville doivent y être renvoyés?                     
         R.      Cette fois-là les déclarations étaient publiées dans le journal et le gouvernement le faisait.                     
         LE PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE (à la personne concernée)             
         -      D'accord. (inaudible) au tribunal sait qu'il est possible que vous ayez à donner votre identité et que, par la suite, votre identité puisse être attestée de votre ville natale, mais franchement je ne me rappelle pas avoir vu un document indiquant que vous pourriez être contraint de retourner dans votre ville natale.                     

[16]      Il est manifeste compte tenu de l'échange qui précède que le demandeur affirme avoir vu des déclarations provenant du gouvernement et publiées dans les journaux, selon lesquelles des personnes seraient renvoyées dans la ville d'où elles viennent, même si le président de l'audience ne se rappelle pas "avoir vu un document indiquant que vous pourriez être contraint de retourner dans votre ville natale".

[17]      Le fait que le président de l'audience ne se rappelle pas avoir vu des documents à ce sujet ne signifie pas que de tels documents existent, ni qu'ils n'existent pas.

[18]      Je suis convaincu que la Commission a commis une erreur manifeste quand elle a déclaré dans sa décision que la crainte des demandeurs en cherchant une PRI est essentiellement socio-économique.

[19]      J'ai pris connaissance du témoignage du demandeur qui déclare que sa principale crainte est d'être renvoyé à Karachi, en plus des questions socio-économiques.

[20]      Il appert que la crédibilité du demandeur n'est pas en jeu (voir page 346). Il faut donc considérer que ce que le demandeur a déclaré sous serment est exact.

[21]      Par conséquent, je ne comprends pas pourquoi la Commission n'a pas admis le fait que les demandeurs peuvent être renvoyés à Karachi si on se rendait compte qu'ils sont de Karachi.

[22]      Si, selon la prépondérance des probabilités, les demandeurs étaient renvoyés à Karachi, où il appert que le défendeur reconnaît qu'ils seraient persécutés, alors, compte tenu des éléments de preuve, il paraîtrait possible que les demandeurs n'aient pas de PRI. C'est ce qu'aura à trancher une Commission différemment constituée en tenant compte de la preuve dont elle disposera.

CONCLUSION

[23]      La demande de contrôle judiciaire est accueillie. La décision de la Commission, en date du 13 mars 1998, est annulée et l'affaire est renvoyée à une Commission différemment constituée pour que celle-ci statue de nouveau sur l'affaire.

[24]      Aucune des parties n'a présenté de question aux fins de la certification.

         

                             " Max M. Teitelbaum "

                        

                                 J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

Le 15 janvier 1999.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :                  IMM-1605-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :          Muneer Darvesh et al. c. Le ministre de la
                         Citoyenneté et de l'Immigration
LIEU DE L'AUDIENCE :              Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :              le 7 janvier 1999
MOTIFS DE L'ORDONNANCE :          Monsieur le juge Teitelbaum
EN DATE DU :                  15 janvier 1999

ONT COMPARU :

Me Rachel Benaroch                  POUR LE DEMANDEUR
Me Édith Savard                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Rachel Benaroch                  POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

M. Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

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