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Date : 20050603

Dossier : IMM-5288-04

Référence neutre : 2005 CF 807

Toronto (Ontario), le 3 juin 2005

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE MACTAVISH

ENTRE :

CLEMENTE CARRILLO GARCIA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                Clemente Carrillo Garcia est citoyen du Mexique. La Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a accepté la version de M. Garcia suivant laquelle il a fait l'objet de violence verbale et sexuelle aux mains de la police de la ville de Ruiz, son lieu de résidence, en raison de son orientation sexuelle. La Commission a également accepté le fait que, lorsqu'il vivait à Puerto Vallarta, deux agents de police lui extorquait de l'argent de façon régulière parce qu'il est homosexuel. La Commission a toutefois rejeté la revendication du statut de réfugié de M. Garcia, concluant qu'il avait une possibilité de refuge intérieur (PRI) à Mexico.

   

[2]         M. Garcia avance plusieurs arguments au soutien de sa prétention selon laquelle la Commission a commis une erreur dans le traitement de la question de la PRI. Toutefois, il est inutile de traiter de chacun d'eux, car je suis convaincue que la Commission a omis, à tort, de tenir compte de la preuve pertinente relative à l'existence d'une PRI à Mexico pour les hommes affichant ouvertement leur homosexualité.

La décision de la Commission

[3]         La décision de la Commission s'articule autour de l'existence d'une PRI pour M. Garcia, à Mexico. À cet égard, la Commission reconnaît que l'information dont elle dispose sur la situation au pays indique clairement une intolérance généralisée à l'égard des homosexuels au Mexique. Toutefois le président d'audience fait observer que, selon les plus récents rapports, les gais et les lesbiennes semblaient être de plus en plus acceptés dans la ville de Mexico.   

[4]         À titre d'exemple, la Commission a noté que le président du Mexique avait approuvé, en 2003, une loi interdisant toute forme de discrimination fondée sur l'orientation sexuelle. Plusieurs défilés de la fierté gaie et d'autres événements de même nature se sont déroulés, sans incident, à Mexico et ont attiré des foules importantes.   


[5]         La Commission en a conclu que la ville de Mexico était une PRI possible pour M. Garcia et elle a rejeté sa revendication du statut de réfugié.

Le rapport de la commission des citoyens contre les crimes haineux homophobes

[6]         La décision de la Commission ne le mentionne pas, mais M. Garcia a produit un rapport préparé en 1998 par la commission des citoyens contre les crimes haineux homophobes. Selon des reportages diffusés par les médias, ce rapport examine la fréquence des assassinats attribuables à l'homophobie commis entre 1995 et 1998.    

[7]         L'étude emploie des critères clairement définis afin d'identifier les meurtres motivés par l'homophobie. Se fondant sur ces critères, les auteurs de l'étude ont conclu qu'il y avait eu, au cours de la période en question, 125 meurtres au Mexique dont toutes les victimes sauf cinq étaient des homosexuels. Soixante cinq de ces meurtres sont survenus à Mexico.

[8]         Toujours selon ce rapport, la grande majorité des victimes ont été assassinées avec une violence extrême et cruelle, ce qui permet de conclure que les auteurs de ces crimes voulaient non seulement tuer leurs victimes, mais aussi leur infliger un châtiment et des souffrances en raison de leur orientation sexuelle.


[9]         Le rapport souligne que la couverture médiatique de ces incidents avait tendance à réduire l'importance des meurtres et employait souvent un ton méprisant. À titre d'exemple, les auteurs font mention de manchettes telles « Meurtre de pédés » ou « Pédé trituré à coups de couteaux » .

[10]       M. Garcia avait également déposé devant la Commission deux autres articles publiés dans des journaux mexicains portant sur le traitement des homosexuels à Mexico. Un article de 2001 fait mention du fait que la police avait fermé plusieurs bars gais de Mexico en raison de prétendues irrégularités de leur permis d'exploitation. Selon un article de 2003, les services de sécurité du métro de Mexico ont reçu l'ordre d'interdire l'accès du métro aux gais, parce qu'ils auraient fait un usage inapproprié des équipements. Aucun de ces articles n'a été mentionné dans la décision de la Commission.

Analyse

[11]       Il est bien établi que la Commission est présumée avoir pris en considération toute la preuve produite : Woolaston c. Canada (Ministre de la Main d'oeuvre et de l'Immigration), [1973] R.C.S. 102. La Commission n'est pas tenue d'examiner toute la preuve qui est contraire aux conclusions de la Commission :Cepeda-Gutierrez c. Canada (MCI) (1998), 157 F.T.R. 35.


[12]       Toutefois, lorsqu'il existe une preuve importante qui va directement à l'encontre de la conclusion de la Commission sur une question fondamentale, la Commission a l'obligation de l'analyser et d'expliquer la raison pour laquelle elle préfère l'autre preuve sur la question en litige.

[13]       Dans la décision Cepeda-Gutierrez, le juge Evans écrit ce qui suit :

[...] [P]lus la preuve qui n'a pas été mentionnée expressément ni analysée dans les motifs de l'organisme est importante, et plus une cour de justice sera disposée à inférer de ce silence que l'organisme a tiré une conclusion de fait erronée « sans tenir compte des éléments dont il [disposait] » : Bains c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (C.F. 1re inst.). Autrement dit, l'obligation de fournir une explication augmente en fonction de la pertinence de la preuve en question au regard des faits contestés. Ainsi, une déclaration générale affirmant que l'organisme a examiné l'ensemble de la preuve ne suffit pas lorsque les éléments de preuve dont elle n'a pas discuté dans ses motifs semblent carrément contredire sa conclusion. Qui plus est, quand l'organisme fait référence de façon assez détaillée à des éléments de preuve appuyant sa conclusion, mais qu'elle passe sous silence des éléments de preuve qui tendent à prouver le contraire, il peut être plus facile d'inférer que l'organisme n'a pas examinéla preuve contradictoire pour en arriver à sa conclusion de fait.

[14]       En l'espèce, le défendeur soutient que la Commission n'était pas tenue de se reporter au rapport de la commission des citoyens contre les crimes haineux homophobes, car le rapport vise la période allant de 1995 à 1998. Selon le défendeur, étant donné que l'analyse de la revendication du statut de réfugié est prospective, il était raisonnable pour la Commission de limiter son analyse à la documentation plus actuelle qui fait état d'une évolution des valeurs sociales dans tout le Mexique.

[15]       Je ne suis pas d'accord.


[16]       La preuve sur laquelle la Commission s'est fondée n'aborde pas directement l'incidence des crimes de violence dont les gais et les lesbiennes sont victimes à Mexico en raison de leur orientation sexuelle. En l'espèce, la question fondamentale consiste à savoir si, étant donné qu'il affiche ouvertement son orientation sexuelle gaie, M. Garcia pourrait vivre en sécurité à Mexico. À ce titre, la preuve portant sur les crimes homophobes dont les homosexuels de cette ville sont victimes aurait dû susciter une inquiétude extrême chez la Commission.   

[17]       Bien que la Commission puisse avoir eu toute latitude pour déterminer l'importance à accorder au rapport, vu qu'il précédait de six ans l'audition de la revendication du statut de réfugié de M. Garcia et compte tenu de toutes les circonstances, la Commission ne pouvait simplement se contenter d'en faire abstraction.

Conclusion

[18]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est accueillie.

Certification

[19]       Aucune des parties n'a proposé de question à certifier, et aucune s'y prête.


ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.          que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie et que l'affaire soit renvoyée devant un tribunal différemment constitué pour que celui-ci statue à nouveau sur l'affaire.

2.          Aucune question grave de portée générale n'est certifiée.

          « A. Mactavish »            

Juge

Traduction certifiée conforme

Michèle Ali


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-5288-04   

INTITULÉ :                                                    CLEMENTE CARRILLO GARCIA

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 2 JUIN 2005

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE                

ET ORDONNANCE :                                    LA JUGE MACTAVISH

DATE DES MOTIFS :                                   LE 3 JUIN 2005

COMPARUTIONS :

Ameena Sultan                                                 POUR LE DEMANDEUR       

Mary Matthews                                                POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Ameena Sultan

Toronto (Ontario)                                              POUR LE DEMANDEUR

John H. Sims, c.r.

Sous-procureur général du Canada                   POUR LE DÉFENDEUR

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