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Date : 20001116


Dossier : IMM-1422-99

Entre:

     MWANA KABENGELE

     Demandeur

Et:

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

     Défendeur



     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU


[1]      Cette demande de contrôle judiciaire a été déposée à l'encontre d'une décision de la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (ci-après la "section du statut"), rendue le 18 février 1999, selon laquelle le demandeur n'est pas réfugié au sens de la Convention.

[2]      Le demandeur est originaire du Kasaï-oriental et demeurait à Kinshasa, dans la République Démocratique du Congo. Il ne s'est jamais intéressé à la politique, préférant les activités commerciales. Son père, Justin Kabengele-Ba Mwamba est un homme politique et commerçant à Kinshasa. Celui-ci était très riche et avait beaucoup d'amis dans le sillage de l'ex-président Mobutu et de ses ministres. Il était considéré comme dignitaire sous le régime de Mobutu, avant la prise de pouvoir par Larent-Désiré Kabila.

[3]      Dans sa réponse à la question 37 de son formulaire de renseignements personnels, le demandeur a indiqué qu'il fuyait son pays en raison du sort qui était réservé par l'administration Kabila aux ex-dignitaires du régime Mobutu ainsi qu'aux membres de leurs familles.

[4]      La section du statut a déterminé que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Elle a indiqué qu'un document plus récent que ceux présentés par le demandeur indiquait que les haut dignitaires qui avaient été arrêtés par l'administration Kabila avaient été remis en liberté et placés en résidence surveillée. De plus, une réponse de la Direction des Recherches de la Commission du statut de réfugié d'Ottawa indiquait qu'il n'y avait pas de documentation quant au traitement des membres de la famille de personnes recherchées par le gouvernement.

[5]      La section du statut a de plus trouvé invraisemblable qu'après que le demandeur ait cherché refuge au Congo-Brazzaville pendant près de cinq mois, il soit retourné en République Démocratique Congolaise pendant plus d'un mois et ce, en dépit du fait qu'un mandat d'arrestation avait été émis contre lui. De plus, le demandeur a écrit, dans son formulaire de renseignements personnels, avoir résidé à Bangui, en République Centrafricaine, de février 1998 à mars 1998. Or, il a indiqué un peu plus loin s'être trouvé au Zaïre durant cette période et qu'il ne s'était trouvé en République Centrafricaine que pour cinq jours, au mois de mars 1998. Ces contradictions ont, d'après la section du statut, miné la crédibilité du demandeur.

[6]      La section du statut a également noté que les soeurs du demandeur, en exil au Congo-Brazzaville, sont retournées en République Démocratique Congolaise au mois d'avril ou mai 1998. Le demandeur a indiqué à l'audience que ses soeurs avaient la vie dure au niveau financier et pensaient qu'en retournant dans leur pays, elles ne subiraient plus de répression.

[7]      La section du statut a retenu un article du journal "Le Compatriote", daté du 12 juin 1998, qui faisait état de l'irruption de trois hommes armés chez la soeur du demandeur. La section du statut a noté que l'article traitait de "banditisme" et ne faisait pas mention que la cause des problèmes était qu'elle était la fille d'un proche de Mobutu.

[8]      Le même article faisait état d'un incident antérieur similaire chez les parents du demandeur, sans pour autant mentionner que le père du demandeur avait été arrêté. La section du statut indique qu'un document déposé en preuve indique bien que la résidence du père du demandeur avait été pillée de fond en comble en pleine journée du 5 juillet 1997, mais aucun document ne fait état de l'arrestation de cet homme.

[9]      La section du statut n'a pas accordé foi au témoignage du demandeur à l'audience, lorsque celui-ci leur a dit craindre de retourner dans son pays à cause de son origine ethnique, puisque celui-ci n'avait pas fait état de cet élément dans son formulaire de renseignements personnels. Interrogé à cet effet, le demandeur a répondu « qu'il voulait prendre moins de place, qu'il avait écrit en "grosses lignes", (selon ses termes) et qu'il avait tendance à réduire à cause de sa formation académique » . Puisque le demandeur avait affirmé avoir 14 ans de scolarité, la section du statut a trouvé ses réponses tout à fait insatisfaisantes.

Arguments des parties

[10]      Le demandeur soutient d'abord que son droit à une défense pleine et entière a été violé en raison du fait que la pièce P-3 à laquelle la section du statut fait référence dans sa décision, ne lui a pas été communiquée et ne fait pas partie du dossier. Pour sa part, le défendeur soutient que la "Réponse à la demande d'information RDC29348.E", sur laquelle s'est appuyée la section du statut pour déterminer que les hauts dignitaires étaient en sécurité en République Démocratique du Congo, a clairement été déposée par l'agent chargé de la revendication lors de l'audition comme pièce A-3 et qu'elle fait non seulement partie de la liste des pièces déposées par l'agent chargé de la revendication mais en plus, le dossier de la section du statut en contient une copie complète. Le défendeur admet cependant que la section du statut, en référant à la pièce P-3, a commis une erreur cléricale sans conséquence, puisque la section du statut a repris l'extrait pertinent dans le texte de sa décision. Je partage l'opinion du défendeur, ce qui dispose dès lors de ce premier point.

[11]      Le demandeur prétend que la section du statut ne pouvait conclure raisonnablement que les circonstances dans le pays d'origine du demandeur avaient à ce point changé que le demandeur ne pouvait plus objectivement craindre d'être persécuté. Le demandeur juge que le changement politique à l'endroit des dignitaires de l'ancien gouvernement n'était pas significatif, effectif et durable. Le demandeur soutient que la section du statut n'aurait pas dû écarter le document qui provenait du Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés et qui était intitulé "Guidelines for Refugee and Asylum Seekers from the Democratic Republic of Congo". Selon le demandeur, la section du statut n'aurait aucunement évalué l'impact réel du changement politique, si tant est qu'il y en ait un, sur sa situation personnelle.

[12]      Le défendeur indique que depuis le départ du demandeur de la République Démocratique du Congo, la situation n'est plus telle qu'il l'a décrite lors de l'audition et tel que la preuve documentaire sur laquelle il s'est appuyé pourrait le laisser croire à première vue. L'appréciation de l'évolution de la situation dans un pays est une question de fait et le critère applicable dans le cadre d'une demande de statut reste celui décrit dans les décisions Adjei c. Canada (M.E.I.) [1989], 2 C.F. 680, et Mileva c. Canada (M.E.I.), 3 C.F. 398, soit la présence d'une crainte raisonnable de persécution au jour de l'audition. L'évaluation de la valeur probante des éléments de preuve relève de la discrétion de la section du statut, de sorte que seule une conclusion absurde, arbitraire ou déraisonnable permet l'intervention de cette Cour. De plus, dans la mesure où la section du statut a considéré que le demandeur n'avait même pas démontré que son père avait été arrêté en tant que haut dignitaire, à supposer que la preuve documentaire ne démontre pas de façon absolue que les hauts dignitaires sont en sécurité en République Démocratique du Congo, cela ne cause aucun préjudice au demandeur et ne saurait permettre à la Cour d'intervenir pour ce motif.

[13]      Le demandeur prétend que la section du statut a erré en rejetant ses arguments relatifs à sa crainte en raison de son origine ethnique pour le motif que cet élément n'apparaissait pas dans son formulaire de renseignements personnels. De même, la section du statut a également erré en ne traitant pas de sa crainte de persécution en raison de ses activités de négociant, alors que plusieurs éléments démontraient qu'il était à risque. Le défendeur prétend que la section du statut a évalué le témoignage du demandeur et l'ensemble de la preuve déposée au dossier. Dans son évaluation de la crédibilité, la section du statut était en droit d'accorder plus de poids à la preuve documentaire qui faisait échec au témoignage du demandeur. Même si cette Cour avait évalué différemment certains éléments de preuve documentaire ou en était venue à des conclusions différentes, elle ne pourrait pas intervenir pour cette seule raison. En ce qui concerne la prétendue crainte de persécution en raison de l'origine ethnique du demandeur, le demandeur croit qu'il était raisonnable pour la section du statut de conclure à l'absence de crédibilité du demandeur en raison de cette omission fondamentale dans son formulaire de renseignements personnels. De plus, le reproche qu'adresse le demandeur à la section du statut pour avoir omis de se prononcer sur la crainte de persécution qu'il aurait eue en tant que membre du groupe social des commerçants serait mal fondé, puisque le demandeur ne s'est pas déchargé de son fardeau de prouver ses prétentions. Il ne suffisait pas de déposer de la preuve générale sur la situation dans son pays. Encore fallait-il qu'il établisse un lien entre sa revendication et cette preuve, ce qui n'a pas été fait. Les notes sténographiques démontrent clairement que le demandeur n'a jamais parlé de cet élément essentiel de sa revendication ni durant l'audience ni dans son formulaire de renseignements personnels. Cet élément n'a été mentionné que durant la plaidoirie du demandeur et ce, de façon très prudente.

[14]      Le demandeur estime que la section du statut a mal interprété la portée de l'article du journal "Le Compatriote", qu'elle a choisi de retenir pour conclure que le père du demandeur n'avait pas été arrêté par les autorités, en ne tenant pas compte des explications du demandeur quant à la censure que subissaient les journalistes en République Démocratique du Congo. Selon le demandeur, la section du statut s'est livrée à une analyse parcellaire et superficielle de l'ensemble de la preuve.

[15]      Le demandeur estime que, compte tenu des circonstances, notamment ses nombreux voyages dans une période assez courte, l'erreur relevée par la section du statut quant aux dates référant à ses lieux de résidence pour le mois de mars 1998 en République Centrafricaine n'aurait pas dû préjudicier sa revendication, d'autant plus qu'il avait averti les commissaires du fait que les dates étaient approximatives.

[16]      Le demandeur prétend que le fait qu'il soit retourné dans son pays après un séjour de cinq mois au Congo-Brazzaville et en dépit de l'existence d'un mandat d'arrestation à son encontre, n'est pas une raison valide pour douter de sa crédibilité. Le demandeur allègue que la section du statut n'a pas tenu compte du fait qu'un passeport n'était pas nécessaire pour traverser la frontière, non gardée, des deux États, que le Zaïre se trouvait dans un état d'anarchie à l'époque pertinente et que lui-même était demeuré caché à son retour. Le défendeur soutient plutôt qu'il était tout à fait approprié pour la section du statut de tenir compte, dans l'appréciation de la crainte subjective du demandeur, du comportement de celui-ci.

[17]      Le demandeur estime que la norme de contrôle à appliquer pour les erreurs de droit est celle de la décision correcte. Quant à celle applicable pour les erreurs de fait et mixtes de droit et de fait, la norme applicable serait celle de la décision raisonnable simpliciter. Même s'il s'agissait de la norme de la décision manifestement déraisonnable, les erreurs relevées remplissent les conditions du test. Il propose de certifier une question à cet effet. Le défendeur prétend que pour renverser une conclusion de fait de la section du statut, le demandeur doit toujours démontrer le caractère manifestement déraisonnable de celle-ci. Même si la norme de contrôle était celle de la conclusion déraisonnable ou raisonnable simpliciter, la décision sous étude passerait également ce dernier test.

[18]      Le demandeur soutient que le renvoi dans son pays où sa vie est menacée violerait son droit à la vie et à la sécurité de sa personne, ainsi que celui de ne pas être soumis à des peines ou traitements cruels ou inusités. Ces droits énoncés dans la Charte canadienne et les conventions internationales doivent impérativement recevoir application à toutes les étapes du processus de détermination du statut de réfugié, puisque les recours après un refus de la section du statut étant presqu'inexistants, l'effet d'un tel refus est à toutes fins pratiques un renvoi automatique du demandeur vers son pays. Le défendeur croit que cet argument est prématuré, puisque la décision de la section du statut, comme telle, ne constitue aucunement un traitement cruel et inusité, ni ne porte atteinte aux droits à la vie, la liberté et la sécurité du demandeur.

[19]      Le demandeur prétend enfin que la pratique de la section du statut de verser les transcriptions de l'audition de la décision qui a fait l'objet d'un contrôle judiciaire accueilli au nouveau dossier devant la section du statut à moins d'une ordonnance à l'effet contraire rend tout à fait illusoire la seconde audition des revendicateurs et viole les principes de justice fondamentale. Quant au dépôt des notes sténographiques, le défendeur rappelle que la Cour n'impose jamais de conditions à l'utilisation de ces notes devant la section du statut lors d'une re-détermination.

Analyse

[20]      À la suite d'une revue attentive du dossier, je constate que le demandeur conteste en grande partie les conclusions de la section du statut qui ont trait à sa crédibilité et à l'appréciation des faits. Compte tenu des nombreux arguments soulevés, je les commenterai, par souci de clarté, sous des rubriques séparées.

Norme de contrôle

[21]      Il appartient à la section du statut à titre de tribunal spécialisé d'apprécier la crédibilité des témoins et de la preuve présentée. En l'absence d'une démonstration par le demandeur que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient raisonnablement l'être, l'intervention de cette Cour ne saurait être justifiée. Ces principes ont été repris par la Cour dans l'affaire Kabeya c. M.C.I., IMM-47-99, 28 janvier 2000 (J. Lemieux), en ces termes:

     "Tel que réitéré à de nombreuses reprises par mes collègues, la norme de contrôle d'une décision de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié dont les motifs sont fondés sur une absence de crédibilité du revendicateur et ce, vu les implausibilités et invraisemblances, tirées raisonnablement et appuyées sur la preuve ou en raison de la confusion engendrée par les réponses de ce dernier est celle déterminée par la Cour d'appel fédérale, dans Aguebor c. Canada par le juge Décary:
         Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. Dans Giron, la Cour n'a fait que constater que dans le domaine de la plausibilité, le caractère déraisonnable d'une décision peut être davantage palpable, donc plus facilement identifiable, puisque le récit apparaît à la face même du dossier. Giron, à notre avis, ne diminue en rien le fardeau d'un appelant de démontrer que les inférences tirées par le tribunal ne pouvaient pas raisonnablement l'être. L'appelant, en l'espèce ne s'est pas déchargé de ce fardeau.
     Cette conclusion est en concordance avec la décision de la Cour suprême du Canada dans Syndicat canadien de la fonction publique, section local 301 c. Ville de Montréal, dans laquelle, Madame la juge L'Heureux-Dubé fit la remarque suivante à la page 844:
         Nous devons nous souvenir que la norme quant à la révision des conclusions de fait d'un tribunal administratif exige une extrême retenue: Ross c. Conseil scolaire du district no 15 du Nouveau-Brunswick, [1996] 1 R.C.S. 825, le juge La Forest aux pp. 849 et 852. Les cours de justice ne doivent pas revoir les faits ou apprécier la preuve. Ce n'est que lorsque la preuve, examinée raisonnablement, ne peut servir de fondement aux conclusions du tribunal qu'une conclusion de fait sera manifestement déraisonnable, par exemple, en l'espèce, l'allégation suivant laquelle un élément important de la décision du tribunal ne se fondait sur aucune preuve; voir également: Conseil de l'éducation de Toronto, précité, au par. 48, le juge Cory; Lester, précité, le juge McLachlin à la p. 669. La décision peut très bien être rendue sans examen approfondi du dossier: National Corn Growers Assn. c. Canada (Tribunal des importations), [1990] 2 R.C.S. 1324, le juge Gonthier à la p. 1370." (Voir aussi: Mostajelin c. M.E.I., A-122-90, 15 janvier 1993, (C.A.F.))

[22]      Il y a lieu d'appliquer ces principes en l'espèce, et la certification d'une question à cet effet ne s'avère pas nécessaire.

Changement dans les circonstances du pays

[23]      Malgré sa conclusion négative quant à la crédibilité du demandeur, la section du statut a conclu que le demandeur n'avait plus de crainte objective de persécution en raison d'un changement dans la situation politique en République Démocratique Congolaise.

[24]      Le demandeur avait fondé sa revendication sur le passage suivant d'un document intitulé « Guidelines for Refugee and Asylum Seekers from the Democratic Republic of Congo » , rédigé par le Haut Commissariat des Nations-Unies pour les réfugiés et daté du 5 janvier 1998. La section pertinente se lit comme suit:

     « B. Members of Political Parties and Mobutu's Close Relatives, Ministers and Ambassadors
     16.1 Leading and active members of MPR and its allies of the Forces Politiques du Conclave and other pro-Mobutu parties (created at the time of the National Conference on Mobutu's initiative and with his financial assistance) might legitimately seek political asylum or refugee status in Europe or Africa, as the political activities are usually banned in the Democratic Republic of Congo and former MPR leaders who have not fled from the country are being gdetained and ill-treated. This first category of close relatives does include political allies and Mobutu's family members as well as his close collaborators, especially those from Ngbandi tribe or Equateur region, as most of them are being looked for by AFDL regime, simply because of their political relationship or ties of blood with the former President. They, in principle, deserve international protection. »

[25]      Depuis l'arrêt Yusuf c. Canada (M.E.I.), (1995) 179 N.R. 11 (C.A.F.), il est établi que l'appréciation de l'évolution de la situation dans un pays est une question de fait et que le critère applicable dans le cadre d'une demande de statut reste celui décrit dans les affaires Adjei et Mileva, précitées, soit la présence d'une crainte raisonnable de persécution au jour de l'audition:

     « We would add that the issue of so-called "changed circumstances" seems to be in danger of being elevated, wrongly in our view, into a question of law when it is, at bottom, simply one of fact. A change in the political situation in a claimant's country of origin is only relevant if it may help in determining whether or not there is, at the date of the hearing, a reasonable and objectively foreseeable possibility that the claimant will be persecuted in the event of return there. That is an issue for factual determination and there is no separate legal "test" by which any alleged change in circumstances must be measured. The use of words such as "meaningful" "effective" or "durable" is only helpful if one keeps clearly in mind that the only question, and therefore the only test, is that derived from the definition of Convention Refugee in s. 2 of the Act: does the claimant now have a well founded fear of persecution? Since there was in this case evidence to support the Board's negative finding on this issue, we would not intervene" »

     De plus:

     « La Commission n'est pas tenue d'évoquer en détail toutes les preuves produites (V. Hassan c. M.E.I., numéro de greffe A-831-90, 22 octobre 1992, non publié (C.A.F.)). Elle est une commission dont l'expertise est reconnue dans son domaine, et à moins que ses conclusions sur les faits, tirés à la lumière de toutes les preuves produites, ne soient jugées abusives ou arbitraires, cette Cour ne peut intervenir dans sa décision. (...)
     En règle générale, la valeur à accorder aux éléments de preuve relève de l'appréciation discrétionnaire légitime du tribunal administratif compétent. À moins que l'exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne soit jugé déraisonnable, cette Cour n'interviendra pas. » (Tawfik c. M.E.I., 26 Imm. L.R. (2d) 148)


[26]      En l'espèce, la section du statut a conclu que la situation politique dans le pays du demandeur n'était plus la même que lorsqu'il l'avait quitté. Elle s'est basée sur la preuve au dossier, nommément la pièce A-4, une « Réponse à une demande d'information RDC 29268.F » , datée du 4 mai 1998. Dans ce document, on peut lire:

     « ...L'information disponible sur les dignitaires du régime Mobutu a été fournie dans la Réponse à la demande d'information RDC 28505.F du 20 janvier 1998. Cependant dans son rapport annuel 1997, l'Association zaïroise de défense des droits de l'homme (AZADHO) signale que les dignitaires du régime Mobutu, dont la plupart ont été arrêtés et détenus dans le centre pénitentier et de rééducation de Kinshasa, avaient "des dossiers à charge quasiment vides" (AZADHO, févr. 1998, 11). On peut cependant lire dans le même rapport que "les anciens dignitaires du régime Mobutu pour lesquels des magistrats avaient ouvert des dossiers de poursuite pour crimes économiques, se sont mis à recouvrer un à un leur liberté et la fin des poursuites en négociant directement avec le chef de l'État le prix de l'extinction des accusations portées contre eux" (ibid., 7)... Selon AFP, 26 dignitaires du régime Mobutu incarcérés pour "détournement de biens publics" ont été remis en liberté et placés en résidence surveillée (19 févr. 1998)... »


[27]      La section du statut s'est également appuyée sur la pièce A-3 (qu'elle a erronément cotée P-3, tel que discuté précédemment) qui consiste également en une réponse de la direction des recherches de la Commission du statut de réfugié d'Ottawa à une demande d'information. On y lit:

     « ... There are no reports of family members of persons wanted by the Kabila government (RDC) in the sources consulted by the Research Directorate. »


[28]      Le demandeur, dans son argumentation, propose essentiellement une interprétation différente du document du 4 mai 1998. La Cour ne saurait être justifiée d'évaluer à nouveau la preuve présentée. La décision de la section du statut est fondée sur certains des éléments du dossier et, en l'absence d'une démonstration que ses conclusions ne pouvaient pas raisonnablement s'inférer des documents retenus, je ne vois pas en quoi cette Cour pourrait intervenir. En l'espèce, je crois qu'il était raisonnable pour la section du statut de conclure que le demandeur n'avait pas prouvé qu'il avait une crainte raisonnable de persécution au moment de l'audition.

[29]      Je souligne au passage l'existence de la décision du juge McGillis dans l'affaire Sampassa c. Canada (M.C.I.), IMM-964-98, 13 janvier 1999), qui concernait une revendication du statut de réfugié par des zaïrois également issus d'une famille d'ex-dignitaires de l'ancien régime de Mobutu. Je ne crois pas que cette décision soit applicable au présent cas. En effet, il est bien établi que la revendication du statut de réfugié doit être étudiée selon les circonstances particulières de chaque cas. De plus, dans la décision Sampassa, les revendicateurs avaient été jugés crédibles, ce qui n'est pas le cas ici.

Crainte de persécution en raison de l'origine ethnique

[30]      La section du statut a jugé invraisemblable que le demandeur craigne d'être persécuté dès son retour au pays en raison de son origine ethnique. Le demandeur n'a pas fait mention de ce motif de crainte dans son formulaire de renseignements personnels. Une lecture attentive de sa réponse à la question 37, qui contient ses motifs de crainte de persécution, montre bien que le motif que le demandeur faisait valoir était une crainte de persécution en raison de son lien familial avec son père, un haut dignitaire du régime de Mobutu, ce qui est loin d'être synonyme d'origine ethnique. Le demandeur a tenté de justifier cette lacune à l'audience en plaidant qu'il voulait prendre le moins de place possible sur son formulaire et qu'il avait décrit son récit « en grosses lignes » en raison de la tendance qu'il avait à réduire, compte tenu de sa formation académique. Le demandeur a 14 années de scolarité.

[31]      Le demandeur a omis de mentionner, dans son formulaire de renseignements personnels, un élément fondamental de sa revendication. Il est bien établi qu'une telle omission peut fonder une conclusion négative quant à la crédibilité (voir la décision du juge Nadon dans Sanchez c. M.E.I., IMM-2631-99, 20 avril 2000; voir aussi Oduro c. M.E.I., IMM-903-93, 24 décembre 1993). De plus, la formation académique du demandeur, bien que non concluante, était absolument pertinente aux fins de déterminer son niveau de compréhension des questions du formulaire. La question 37 du formulaire indique d'ailleurs clairement que le demandeur doit relater tous les incidents important qui l'ont amené à chercher la protection à l'extérieur de son pays et de faire mention des mesures prises contre lui, contre les membres de sa famille ou d'autres personnes se trouvant dans une situation analogue.

Crainte de persécution en raison de ses activités économiques

[32]      Le demandeur a fait grand état du défaut de la section du statut de traiter de la crainte de persécution que le demandeur pouvait entretenir en raison de ses activités de commerçant. Encore une fois, le dossier du tribunal et les notes sténographiques démontrent clairement que le demandeur n'a jamais clairement mentionné qu'il considérait cet élément comme essentiel à sa revendication. Le demandeur n'a jamais apporté de modifications à son formulaire de renseignements personnels, alors qu'on lui a donné l'occasion de le faire, afin de mentionner qu'il considérait cet élément comme un motif de crainte. Bien que son procureur l'ait interrogé sur le fondement de sa crainte de retour, jamais le demandeur n'a fait état de sa crainte en tant que membre du groupe social des commerçants. En fait, le sujet n'a été abordé qu'une seule fois, lors de la plaidoirie finale du procureur du demandeur. Celui-ci s'est d'ailleurs montré fort conscient que l'élément n'avait pas été soulevé dans le formulaire de renseignements personnels et a tenté de justifier l'oubli en mentionnant l'habitude du demandeur de faire les choses le plus court possible.

[33]      Il est bien établi que c'est le demandeur qui a le fardeau de démontrer une crainte objective et subjective de persécution. Il n'est pas suffisant de simplement déposer une preuve documentaire. Le demandeur devait démontrer que lui-même avait une crainte bien fondée de persécution (Voir Sinora c. M.E.I. (1993), 66 F.T.R. 113, (C.A.F.)).

[34]      À mon avis, il n'était certes pas déraisonnable pour la section du statut de ne pas traiter de cet élément qui, de toute évidence, était considéré comme secondaire par le demandeur au moment du dépôt de sa demande.

Arrestation du père du demandeur et importance de l'article du journal « Le Compatriote »

[35]      L'article de journal en question ne faisait nullement état de l'arrestation du père du demandeur et n'indiquait pas que la cause du vol était que la famille était celle d'un proche de Mobutu. Le demandeur plaide que la section du statut ne pouvait pas conclure de la sorte compte tenu de la censure et des pressions que subissent les journalistes.

[36]      Il appert que la section du statut a préféré s'en remettre à la preuve documentaire qu'au témoignage du demandeur, ce qu'elle était totalement en droit de faire (Zhou c. M.E.I., A-492-91, 18 juillet 1994). De plus, même si la Cour avait évalué différemment certains éléments de preuve documentaire ou en était venue à une conclusion différente, elle ne pourrait intervenir pour cette seule raison. À ce sujet, le juge MacKay exprimait ce qui suit dans la décision Pehtereva c. M.C.I., IMM-4078-94, 7 novembre 1995:

     « Even if the reviewing court might have assigned different weight or reached other conclusions that provides no basis for the reviewing court to intervene where it is not established that the tribunal has been perverse or capricious or its conclusions are not reasonably supported by the evidence. I am not persuaded that the tribunal's conclusions can be so classified in this case. »

[37]      La question est donc de savoir s'il était raisonnable pour la section du statut de préférer la preuve documentaire au témoignage du demandeur. À mon avis, la réponse est oui. La crédibilité du demandeur était déjà entachée par d'autres contradictions. Rien n'indique que la section du statut n'a pas tenu compte du fait que les journalistes de la République Démocratique du Congo sont soumis à des pressions de la part de l'administration publique. Des coupures de presse indiquent d'ailleurs que le muselage de la presse est chose courante en RDC. Rien ne prouve, cependant, que l'article de journal aurait eu un contenu différent, n'eût été de ces prétendues pressions. En définitive, le demandeur demande à cette Cour de se prononcer sur le poids qui aurait dû être accordé à cet article de journal. Il s'agit là d'un exercice qui relève de la section du statut. La Cour ne devrait pas spéculer sur le contenu éventuel d'un article de journal.

Erreurs quant aux dates de résidence

[38]      À la question 22 du formulaire de renseignements personnels du demandeur, celui-ci a répondu qu'il avait résidé à Bangui, en République Centrafricaine, de février à mars 1998. À la question 31, cependant, le demandeur a écrit qu'il était au Zaïre durant cette période et qu'il n'avait été en République Centrafricaine que durant 5 jours au mois de mars 1998. Pour expliquer cette contradiction apparente, le demandeur a précisé à la section du statut que les dates étaient approximatives, compte tenu du fait que durant la période en question, il avait été en transit dans divers pays.

[39]      Cette question relève entièrement de la section du statut, qui a eu l'occasion d'entendre les prétentions du demandeur, de même que ses justifications. Le demandeur ne réussit pas à me convaincre que la section du statut a erré et que sa conclusion est déraisonnable.

Comportement du demandeur

[40]      La section du statut a considéré que le fait que le demandeur soit retourné volontairement et assez longuement dans le pays où il craint d'être persécuté et où un mandat d'arrestation était toujours en vigueur contre lui rendait peu probable l'existence d'une crainte raisonnable de persécution chez le demandeur. Je suis entièrement d'accord.

[41]      Il est tout à fait approprié pour la section du statut de tenir compte, dans l'appréciation de la crainte subjective du demandeur, du comportement de celui-ci. Il est raisonnable pour elle de conclure que le fait de retourner dans le pays où le demandeur craignait d'être persécuté rendait l'existence d'une telle crainte improbable (voir: Rached c. M.C.I., A-859-91, 18 janvier 1996; Wey c. S.S. Canada, IMM-2758-94, 21 février 1991; Safakhoo c. M.C.I., IMM-455-96, 3 avril 1997; Bello c. M.C.I., IMM-1771-96, 11 avril 1997).

[42]      Le demandeur prétend que la section du statut n'a pas tenu compte de ses explications à l'effet que Kinshasa et Braazzaville sont très rapprochées et que le passeport n'est pas nécessaire pour traverser d'une ville à l'autre, ni de son témoignage à l'effet qu'il soit demeuré caché durant toute la période où il est retourné à Kinshasa. Rien n'indique cependant que la section du statut n'a pas tenu compte de ces éléments qui se trouvaient d'ailleurs devant elle. Cette Cour ne devrait pas intervenir sur ce motif pour réviser l'appréciation, par la section du statut, de la preuve présentée, a fortiori lorsque les arguments soumis ne sont pas nouveaux et ne montrent pas que la décision initiale est déraisonnable.

Arguments basés sur la Charte

[43]      L'argument du demandeur est prématuré puisque la question en litige devant la section du statut ne consistait qu'à déterminer si celui-ci satisfaisait à la définition de réfugié. La Cour d'appel fédérale a bien établi qu'on ne peut invoquer l'article 12 de la Charte avant l'étape finale de l'expulsion:

     « La question de l'effet de l'article 12 sur le refoulement des réfugiés au sens de la Convention étant encore irrésolue, il s'agit ensuite de savoir si elle doit être traitée dans le présent appel. À mon avis, elle ne doit pas l'être car je partage l'avis de la Commission pour dire que le plaidoyer de l'appelant est présenté de façon prématurée, au mauvais décideur et à la mauvaise étape. (...)
     (...) c'est seulement son retour au Chili qui mettrait présumément l'appelant en danger aux termes de l'article 12, et c'est seulement le ministre qui est doté du pouvoir légal de le mettre ainsi en danger. Le ministre ne peut même pas prendre une décision en ce qui concerne le pays de renvoi tant que la question de l'expulsion n'est pas réglée par la Commission.
     Pour ce motif, j'estime que l'appelant ne peut pas réussir à renverser le paragraphe 27(1) ou l'article 32. Par conséquent, sa cause dépend d'une contestation de l'article 53, qui est la seule disposition susceptible de menacer les droits conférés à l'appelant par l'article 12, vu que c'est la seule qui permette de le renvoyer au Chili. » (Barrera c. Canada, [1993] 2 C.F. 3, (C.A.F.))

[44]      Ce raisonnement a été suivi par le juge Tremblay-Lamer dans l'affaire Plecko c. M.C.I. (1996), 114 F.T.R. 7, (C.F.):

     « À mon avis, il importe peu que la mesure de renvoi soit fondée sur l'article 52 ou 53 de la Loi sur l'immigration. Ce n'est que lorsque le ministre tentera de procéder à l'exécution de la mesure de renvoi pour forcer le requérant à retourner en Croatie qu'il pourra faire valoir que ce tel renvoi est contraire à l'article 12 de la Charte. Les situations politiques évoluent rapidement et il serait prématuré et inutile de déterminer maintenant de la cruauté d'un retour en Croatie alors qu'il est possible qu'une telle mesure de renvoi n'ait jamais lieu, par exemple, si le ministre décidait d'accorder un recours humanitaire en vertu de l'article 114(2) de la Loi ou encore d'expulser le requérant dans quelques années au moment où les circonstances du pays, en l'espèce la Croatie, auraient changées. » (Voir aussi Ward c. Canada (M.C.I.) (1996), 125 F.T.R. 1, (C.F.))

Notes sténographiques de l'audience

[45]      Même s'il n'est pas nécessaire que je me prononce sur cette question, je désire quand même faire quelques observations. La position de la Cour quant à l'utilisation des notes sténographiques de l'audience initiale lors de la seconde audience est déjà bien établie. Le juge Reed a affirmé, dans Diamanama v. M.C.I., IMM-1808-95, 30 janvier 1996:

     « With respect to the wording of the order, I do not think it appropriate to word it in a way which would limit the Board that rehears the application. (...) The second panel can, of course, use the transcript of the first hearing for whatever purposes it wishes but no order, form me, conditioning that use is either required or apropriate. » (Voir aussi Sitsabeshan c. Canada, [1994] 27 Imm. L.R. (2d) 299 et Diallo c. M.C.I., IMM-6865-93, 22 décembre 1994)


[46]      Par contre, le demandeur fait état d'une décision de la section du statut dans laquelle on a déterminé que l'utilisation de ces notes pouvait créer une crainte raisonnable de partialité. Il existe d'ailleurs une note de service au sein de la section du statut donnant instruction aux responsables d'expurger d'un dossier la transcription de la première audience.

[47]      Bien que l'argument soit intéressant en soi, je ne crois pas qu'il soit opportun de l'adresser, même si la décision initiale était révisée. En effet, ce type d'argument, pour être autre chose qu'académique, devrait être soulevé après que la section du statut se soit effectivement servie de la transcription en question. De plus, la section du statut m'apparaîtrait justifiée de consulter la transcription de l'audience initiale lorsqu'il y a lieu de vérifier la véracité de l'histoire du demandeur.




Dernières observations et conclusion

[48]      À l'audience devant moi, le demandeur a déposé 10 documents qui étaient destinés à remplacer les 22 documents déjà au dossier. Le défendeur, qui était représenté par un nouveau procureur ne s'y est pas immédiatement objecté et n'a pas plaidé qu'il s'était préparé à l'audience en fonction des 22 documents remplacés. Compte tenu de cette situation, j'estime que le défendeur n'a pas souffert d'un désavantage notable et qu'il n'y a pas eu de violation de la règle audi alteram partem.

[49]      Fondamentalement, la section du statut a rendu sa décision en constatant (1) l'absence de crédibilité du demandeur et (2) le changement de la situation politique dans le pays d'origine du demandeur. Tel qu'indiqué précédemment, ces conclusions sont raisonnables parce que fondées sur la preuve au dossier. Dans cette optique, je crois que la décision ne devrait pas donner ouverture au contrôle judiciaire. La demande est en conséquence rejetée.




                                 JUGE

OTTAWA, Ontario

Le 16 novembre 2000

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