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Date : 20050117

Dossier : IMM-5246-03

Référence : 2005 CF 52

Ottawa (Ontario), le 17 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY

ENTRE :

                                      BLENDI KOSMACAJ, ERJOLA KOSMACAJ

                                                    ET SAMANTHA KOSMACAJ

                                                                                                                                        demandeurs

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]                La famille Kosmacaj sollicite le contrôle judiciaire d'une décision de la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) en date du 3 juin 2003, par laquelle la Commission avait refusé aux demandeurs le statut de réfugiés au sens de la Convention et le statut de personnes à protéger. La famille avait allégué une crainte fondée de persécution en Albanie, aux mains des militants du Parti socialiste (le PS) et aux mains de la police, en raison des opinions politiques de M. Kosmacaj, qui était un membre actif du Parti démocratique (le PD) et un opposant du gouvernement socialiste. Les revendications de Mme Kosmacaj et de Samantha Kosmacaj étaient fondées sur le fait qu'elles appartenaient à un groupe social, en tant que membres de la famille de M. Kosmacaj. Pour les motifs qui suivent, je rejetterais la demande.

[2]                Membre d'une famille persécutée sous le régime communiste, M. Kosmacaj a dit qu'il s'était joint au PD en 1991 et qu'il avait toujours été actif depuis au sein de cette formation. Il a prétendu avoir reçu des menaces de mort alors qu'il travaillait comme observateur électoral en 1996. Il a été arrêté au cours d'une protestation pacifique en juillet 1997 et détenu durant une journée, puis battu par la police. Il affirme aussi qu'il a été arrêté, détenu et battu après les funérailles d'Azem Hajdari en septembre 1998. En septembre 1999, il a de nouveau été arrêté et sommé de cesser son soutien au Parti démocratique.

[3]                M. Kosmacaj dit qu'en août 2000, deux personnes ont tenté d'enlever son épouse et que sa maison a été partiellement détruite dans une explosion causée par des militants du PS en novembre 2000. Ils ont quitté l'Albanie en décembre 2000 et sont arrivés au Canada le 9 décembre 2000, puis ils ont demandé l'asile deux jours plus tard.


[4]                La Commission a estimé que M. Kosmacaj n'était pas crédible en ce qui concernait sa crainte subjective de persécution, et cela parce que son Formulaire de renseignements personnels (FRP) omettait plusieurs détails importants, sans compter les incohérences et les contradictions de son témoignage. La Commission n'a pas cru que M. Kosmacaj s'était exprimé lors d'assemblées du PD, ni qu'il avait été mordu par un chien alors qu'il était détenu par la police, ni qu'on avait fait sauter son domicile. Selon la Commission, M. Kosmacaj n'avait pas une connaissance étendue de la plate-forme du PD, il n'était pas un membre actif du parti et, en conséquence, il n'avait pas un profil politique qui pouvait faire de lui la cible de persécutions. En l'absence de preuves confirmant que la famille était restée en Albanie après 1998, la Commission a rejeté le témoignage de M. Kosmacaj portant sur les événements ultérieurs.

[5]                Eu égard à ces conclusions, la Commission a également estimé que les membres de la famille ne seraient pas exposés personnellement à un risque pour leurs vies ou à des peines ou traitements cruels et inusités, ni à un risque de torture s'ils retournaient en Albanie.

POINTS LITIGIEUX

[6]                1.          La Commission a-t-elle eu tort de ne pas croire les demandeurs?

2.          La Commission a-t-elle commis une erreur dans sa manière d'évaluer l'élément objectif de la crainte de persécution, parce qu'elle n'aurait pas tenu compte d'importants éléments de preuve qui contredisaient ses conclusions?


ARGUMENT ET ANALYSE

1.          Crédibilité

[7]                Selon la famille Kosmacaj, la Commission a eu tort de ne pas la croire, et cela parce qu'elle n'a pris en compte la différence entre l'omission de détails importants qui sont essentiels dans une revendication et l'omission de détails sans importance : Ahangaran c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 168 F.T.R. 315 (1re inst.); L. Waldman, Immigration Law and Practice, au paragraphe 8.30.

[8]                Les incohérences évidentes qui sont mineures ou sans conséquence ne devraient pas être prises en compte dans l'évaluation de la crédibilité. S'agissant de l'explosion survenue à son domicile, le revendicateur a été cohérent dans ses affirmations et il n'a été contredit par aucun élément de preuve. Son témoignage non contredit devrait être jugé crédible : Yalinez c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 7 Imm. L.R. (2d) 163 (C.A.F.).


[9]                La conclusion de la Commission selon laquelle M. Kosmacaj n'a pas été torturé comme il l'a prétendu, et selon laquelle il a ajouté cet élément pour embellir sa version des faits, bat en brèche les faits exposés dans la preuve documentaire qu'elle avait devant elle, une preuve qui montrait que la police avait coutume de torturer les militants des partis d'opposition. De même, le refus de la Commission de croire que M. Kosmacaj avait été arrêté et battu après les funérailles de M. Hajdari laisse de côté la preuve documentaire qui confirme l'arrestation de personnes dans la même situation et les mauvais traitements qui leur ont été infligés.

[10]            Par ailleurs, les demandeurs font valoir que la conclusion de la Commission pour qui rien n'est arrivé à M. Kosmacaj après 1998 est erronée, parce que M. Kosmacaj a fait état de persécutions postérieures à 1998, à la fois dans l'exposé narratif de son FRP et dans son témoignage. Sa preuve non contredite aurait dû être acceptée.

[11]            Selon le défendeur, les conclusions de la Commission touchant la crédibilité des demandeurs ne sont entachées d'aucune erreur sujette à révision. La Commission pouvait raisonnablement tirer de telles conclusions, au vu du dossier, et c'était des conclusions qui intéressaient directement la revendication, parce qu'elles concernaient l'appartenance de M. Kosmacaj au PD et ses activités au sein de cette formation. Le profil politique de M. Kosmacaj, ainsi que ses activités, sont au coeur de sa demande de protection.

[12]            M. Kosmacaj n'a pas éclairci les contradictions et incohérences. La Commission pouvait parfaitement trouver qu'il n'était pas crédible, et elle pouvait très bien tirer des conclusions défavorables sur sa crédibilité en se fondant uniquement sur l'invraisemblance de ses affirmations. La Commission est la mieux placée pour évaluer la crédibilité d'un témoin : Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.); Leung c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)(1990), 129 N.R. 391 (C.A.F.); Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.).


Analyse

[13]            La décision de la Commission de ne pas croire les demandeurs s'appuyait principalement sur d'importantes omissions dans le FRP de M. Kosmacaj et sur plusieurs contradictions dans son témoignage. Il n'avait pas précisé qu'il s'était plusieurs fois exprimé publiquement au nom du PD, ni n'avait fait état d'un prétendu incident au cours duquel il avait été mordu par un chien. Ce sont là à mon avis deux omissions de taille. Selon moi, la Commission n'a pas commis d'erreur manifestement déraisonnable en affirmant que ces événements ne s'étaient jamais produits, puisque M. Kosmacaj a déclaré d'une part que le FRP lui avait été traduit intégralement et d'autre part qu'il avait indiqué ces détails dans la préparation de son FRP et qu'ils avaient dû échapper au traducteur.


[14]            M. Kosmacaj avait prétendu dans son FRP qu'une partie de son domicile avait été détruit par une « énorme explosion » , l'événement qui avait précipité la décision de la famille de s'enfuir au Canada. Durant son témoignage devant la Commission, il avait dit que la maison avait été en grande partie détruite. Au soutien de son affirmation, il avait présenté une lettre du président local du Parti démocratique. La lettre indiquait que M. Kosmacaj était un membre du parti et un observateur électoral. Il n'est fait état d'aucune activité postérieure à septembre 1998. La lettre mentionne que des fenêtres et des tuiles ont été brisées chez M. Kosmacaj, mais elle ne fait pas état d'une explosion. La conclusion de la Commission selon laquelle il n'y avait pas eu d'explosion n'était pas déraisonnable, à mon avis, puisque ces contradictions n'ont pas été expliquées d'une manière crédible.

2.          Crainte objective

[15]            La famille Kosmacaj dit que d'importantes portions de la preuve documentaire qui contredisaient les conclusions de la Commission n'ont pas été prises en compte par la Commission lorsqu'elle a évalué la crainte objective. Selon les demandeurs, la preuve documentaire montre que de nombreux membres du PD sont surveillés par la police et que la dissidence politique est réprimée. La Commission était tenue d'expliquer pourquoi elle n'ajoutait pas foi à cette preuve : Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1993), 63 F.T.R. 312 (1re inst.); Dirie c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 153 F.T.R. 1 (1re inst.). Plus la preuve dont il n'est pas tenu compte est importante, plus la Cour inclinera à en déduire que la Commission a tiré une conclusion de fait erronée, non appuyée par la preuve : Cepeda-Gutierrez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1998), 157 F.T.R. 35 (1re inst.).

[16]            Selon le défendeur, la Commission n'a pas commis d'erreur dans sa manière d'évaluer la preuve documentaire. Les plus récents documents sur lesquels a fait fond la Commission appuient tout à fait ses conclusions : il n'y a pas de détention fondée sur des motifs strictement politiques, la répression politique n'est pas un problème sérieux, enfin le PS a constaté un retour à la stabilité depuis 1997.


[17]            Selon le défendeur, la Commission n'est pas tenue de s'exprimer sur chaque élément de preuve, et, si elle ne le fait pas, sa décision n'est pas pour autant viciée. Elle doit apprécier la force de la preuve et, ici, elle a estimé que le demandeur n'avait pas réussi à prouver, d'une manière adéquate, qu'il avait une crainte fondée de persécution en raison de son profil politique et de son rôle au sein du PD. Les conclusions de la Commission présentaient un lien rationnel avec la preuve qu'elle avait devant elle : Hassan c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1992), 147 N.R. 317 (C.A.F.).

[18]            Je ne crois pas que la Commission a commis une erreur dans sa manière d'évaluer la preuve objective. Les rapports qu'elle avait devant elle semblaient montrer un optimisme prudent à propos de la situation qui avait cours en Albanie. Le rapport du Département d'État des États-Unis (2002) faisait état de nombreux problèmes en Albanie, mais il s'agissait de problèmes qui ne concernaient pas spécifiquement les membres du PD. Les passages cités par le demandeur semblent beaucoup plus rassurants lorsqu'on les lit dans leur contexte. Par exemple, un extrait tiré d'un document de recherche de la Commission et faisant état d'une répression politique n'est pas en réalité une affirmation de spécialistes portant sur la situation qui a cours en Albanie, mais fait plutôt partie d'une question qui était posée aux trois spécialistes interrogés.


[19]            On peut trouver dans la preuve documentaire dont disposait la Commission des éléments qui appuient chacune des conclusions tirées par elle à propos des conditions ayant cours dans le pays, et il m'est impossible de dire, après examen de cette preuve, que la Commission n'a pas tenu compte de rapports importants qui contredisaient ces conclusions.

[20]            Les incidents décrits dans le rapport de 2001 d'Amnistie Internationale sont troublants, mais ils concernent des gens qui étaient très en vue politiquement ou qui s'étaient faits particulièrement remarquer. La Commission a estimé que le demandeur n'était pas sous le feu des projecteurs, et plus précisément elle n'a pas cru qu'il s'était exprimé à l'occasion d'événements publics. Par conséquent, le fait que la Commission n'ait pas fait expressément état de cette information ne constituait pas une erreur, puisque l'information en cause ne s'appliquait pas à la situation du demandeur.

[21]            Je suis d'avis que, compte tenu de la preuve, les conclusions de la Commission étaient légitimes et qu'il n'y a aucune erreur sujette à révision dans son analyse et ses conclusions. Par conséquent, la demande est rejetée. Aucune question grave de portée générale n'a été proposée, et aucune ne sera certifiée.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE : la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                          « Richard G. Mosley »               

                                                                                                                                                     Juge                             

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-5246-03

INTITULÉ :                                       BLENDI KOSMACAJ, ERJOLA KOSMACAJ et

SAMANTHA KOSMACAJ et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 13 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                     LE 17 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Robert Gertler                                                                           POUR LES DEMANDEURS

Gordon Lee                                                                               POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

ROBERT GERTLER                                                                POUR LES DEMANDEURS

Gertler et Associés

Etobicoke (Ontario)

JOHN H. SIMS                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)


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