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Date : 19990210


Dossier : T-354-98


ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L"IMMIGRATION,


demandeur,


et


SUK CHING LINDA CHING,


défenderesse.



MOTIFS D"ORDONNANCE ET ORDONNANCE


LE JUGE CAMPBELL


[1]      La décision que je rends dans le présent appel, qui constitue un procès de novo, est fondée sur les conclusions que j"ai tirées en ce qui concerne le critère de résidence prévu à l"al. 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté dans l"affaire MCI c. Wing Tung Thomas Yeung (C.F. 1re inst., décision no T-1256-98 rendue le 3 février 1999)1.

[2]      L"appel du ministère public est fondé sur le fait qu"au cours de la période de quatre ans qui a précédé la date du dépôt de sa demande de citoyenneté, soit le 25 janvier 1997, Mme Ching a été physiquement présente au Canada pendant seulement 167 jours au total. Bien que le ministère public convienne, à bon droit, qu"il ressort de la preuve que Mme Ching a effectivement établi son foyer au Canada au cours de la période de huit mois pendant laquelle elle a résidé au pays après son arrivée, il soutient que le fait que la demanderesse se soit régulièrement absentée par la suite pour de longues périodes milite contre une conclusion selon laquelle elle a maintenu cette résidence.

[3]      Voici les faits incontestés qui ont été établis dans le présent appel. Avant de venir au Canada, Mme Ching était une missionnaire qui résidait à Hong Kong mais travaillait en Chine. En tant que dernier membre de la famille Ching à immigrer au Canada, Mme Ching a, dès son arrivée au pays, établi sa résidence chez son frère. Voulant poursuivre son travail de missionnaire, Mme Ching a accepté une affectation en Mongolie; en vertu de l"entente conclue, elle ne devait revenir au Canada qu"une seule fois par année pendant la période de quatre ans qui a suivi son arrivée au pays. Mme Ching est revenue au Canada pour des périodes de trois à huit semaines au cours de chacune des quatre années en question. Pendant ces séjours, elle a occupé la résidence qu"elle avait établie et, après chaque séjour, elle a rempli l"obligation qui lui incombait de reprendre ses activités en Mongolie et de chercher des appuis relativement à son travail là-bas.

[4]      Rien ne laisse croire que Mme Ching ait tenté d"établir sa résidence en Mongolie pendant la période au cours de laquelle elle y a travaillé en tant que missionnaire. En fait, il ressort de la preuve que l"une des tâches assignées à Mme Ching dès le moment où elle a commencé à travailler en Mongolie consistait à trouver un successeur. Cela prouve que, dès le début, elle devait travailler comme missionnaire en Mongolie pour une période de durée limitée. En conséquence, j"estime que le seul endroit où Mme Ching a maintenu une résidence après son arrivée au Canada est, en fait, le Canada.

[5]      Compte tenu de la preuve, j"estime que l"attachement de Mme Ching au Canada est très fort. Vu la vocation de missionnaire de Mme Ching et vu le besoin qu"elle ressent de poursuivre dans cette voie, j"estime que ses absences du pays sont compréhensibles et justifiées. En conséquence, j"estime que Mme Ching a satisfait aux exigences en matière de résidence prévues à l"al. 5(1)c ) de la Loi sur la citoyenneté.

[6]      En conséquence, la présente demande est rejetée.


                                 (Signé) " Douglas Campbell "

                                     juge


Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 10 février 1999.




Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.


1.      [1]      Je souscris à la décision que le juge Rouleau a rendue dans l"affaire MCI c. Hin Keung Hung (C.F. 1re inst., décision no T-1345-98 rendue le 21 décembre 1998) selon laquelle, en vertu des nouvelles règles, les appels en matière de citoyenneté ne sont plus des procès de novo et, par conséquent, sont assujettis au par. 18.1(4) de la Loi sur la Cour fédérale. À cet égard, pour qu"une décision d"un juge de la citoyenneté soit annulée, il est nécessaire qu"une erreur susceptible de contrôle ait été identifiée. Outre les erreurs de droit manifestes, lesquelles se produisent rarement, les fondements des appels en matière de citoyenneté interjetés en vertu des nouvelles règles se trouvent à l"al. 18.1(1)d ), à propos duquel le juge Rouleau dit, à la p. 4 de la décision Hung :
L"alinéa 18.1(4)d ) codifie la façon dont les cours de justice envisagent les conclusions de fait tirées par les tribunaux administratifs. Dans l"arrêt Kibale c. Transports Canada (1988), 90 N.R. 1 (C.A.F.) (autorisation de pourvoi devant la C.S.C. refusée (1989), 101 N.R. 238 (C.S.C.)), le juge Pratte a déclaré, à la p. 4, que " même si la Cour est convaincue qu"une décision est fondée sur une conclusion de fait erronée, elle ne peut intervenir à moins qu"elle ne soit également d"avis que le tribunal inférieur, en tirant cette conclusion, a agi de façon absurde, arbitraire ou sans égard à la preuve ". Non seulement la conclusion de fait doit avoir été tirée de façon absurde ou arbitraire ou sans égard à la preuve soumise à l"arbitre, mais la Cour doit également tirer pareille conclusion pour pouvoir intervenir en vertu de l"alinéa 18.1(4)d ).
     [2]      La présente affaire porte sur la question de savoir si le juge de la citoyenneté a correctement interprété l"al. 5c ) de la Loi sur la citoyenneté (la Loi), dont voici le libellé :
5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois_:
a) en fait la demande;
b) est âgée d'au moins dix-huit ans;
c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante_:
     (i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,
     (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent;
d) a une connaissance suffisante de l'une des langues officielles du Canada;
e) a une connaissance suffisante du Canada et des responsabilités et avantages conférés par la citoyenneté;
f) n'est pas sous le coup d'une mesure d'expulsion et n'est pas visée par une déclaration du gouverneur en conseil faite en application de l'article 20. [Je souligne.]
     [3]      Les avis des juges de notre Cour sont partagés en ce qui concerne la façon dont il convient d"interpréter l"exigence en matière de résidence prévue à l"al. 5c ). J"estime que les motifs exposés par le juge Thurlow dans In re Papadogiorkakis , [1978] 2 C.F. 208, à la p. 214 s"imposent et, en conséquence, j"accepte que le critère applicable est le suivant :
     Une personne ayant son propre foyer établi, où elle habite, ne cesse pas d"y être résidente lorsqu"elle le quitte à des fins temporaires, soit pour traiter des affaires, passer des vacances ou même pour poursuivre des études. Le fait que sa famille continue à y habiter durant son absence peut appuyer la conclusion qu"elle n"a pas cessé d"y résider. On peut aboutir à cette conclusion même si l"absence a été plus ou moins longue. Cette conclusion est d"autant mieux établie si la personne y revient fréquemment lorsque l"occasion se présente. Ainsi que l"a dit le juge Rand dans l"extrait que j"ai lu, cela dépend [TRADUCTION] "essentiellement du point jusqu"auquel une personne s"établit en pensée et en fait, ou conserve ou centralise son mode de vie habituel avec son cortège de relations sociales, d"intérêts et de convenances, au lieu en question.
     [4]      Compte tenu de In re Papadogiorkakis, il est clair que pour satisfaire à l"exigence en matière de résidence prévue à l"al. 5c ) de la Loi, la personne doit avoir un " foyer établi " au Canada et elle ne doit pas avoir cessé d"y résider. Cependant, il importe également de souligner qu"il ressort des motifs du juge Thurlow que la norme, prévue à l"al. 5c ) de la Loi, selon laquelle la personne doit avoir résidé au Canada pendant une période de 1 095 jours avant la date du dépôt de sa demande de citoyenneté n"est pas de nature stricte.
     [5]      En ce qui concerne la question de savoir si la personne a établi un foyer au Canada ou, dans l"affirmative, si elle a cessé d"y résider, je souscris entièrement à l"approche que le juge Dubé a décrite dans Re Banerjee (1994), 25 Imm. L.R. (2d) 235 (C.F. 1re inst.), à la p. 238 :
Toutefois, chaque cas est un cas d'espèce. C'est la qualité de l'attachement au Canada qui doit être examinée. Aucun élément particulier, ni aucun nombre d'éléments, ne saurait être déterminant dans quelque cas que ce soit [...]. La durée des absences en soi n'est pas déterminante. Toutefois, lorsque l'on considère l'ensemble des circonstances qui entourent ces absences, leur durée peut constituer un facteur d'appréciation de la qualité de l'attachement au Canada de la personne en cause [...]. [Citations omises.] [Je souligne.]

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE DE LA COUR FÉDÉRALE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


NO DU GREFFE :              T-354-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :      LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE                          L "IMMIGRATION

                     - c. -

                     SUK CHING LINDA CHING


LIEU DE L"AUDIENCE :          Vancouver (C.-B.)

DATE DE L"AUDIENCE :          le 9 février 1999


MOTIFS D"ORDONNANCE ET ORDONNANCE RENDUS PAR LE JUGE CAMPBELL

en date du 10 février 1999


ONT COMPARU :

     Mme Brenda Carbonell                  pour le demandeur

     M. Andrew Wlodyka                  pour la défenderesse

     Mme Julie Fisher                      Amicus curiae


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     M. Morris Rosenberg                  pour le demandeur

     Sous-procureur général

     du Canada

     M. Andrew Wlodyka                  pour la défenderesse

     Wong & Associates

     Vancouver (C.-B.)

     Mme Julie Fisher                      Amicus curiae

     Watson, Goepel, Maledy

     Vancouver (C.-B.)

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