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     Date : 19971124

     Dossier : IMM-2842-97

ENTRE :      CHUN WAI LAM,

     requérant,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     intimé.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

[1]      Les présents motifs font suite à la requête écrite du requérant en vue d'obtenir une prorogation du délai dans lequel signifier et déposer son dossier. J'ai fait droit à la prorogation demandée. Pour arriver à cette conclusion, j'ai commencé par examiner les renseignements de base pertinents.

CONTEXTE

[2]      Le requérant est un citoyen de Hong Kong âgé de 40 ans, parrainé depuis le Canada par son épouse, qui a la citoyenneté canadienne. M. et Mme Lam ont deux enfants, tous deux nés au Canada. La demande de résidence permanente de M. Lam a été approuvée à titre provisoire; toutefois, deux condamnations criminelles l'empêchaient d'obtenir le droit d'établissement. La première condamnation, prononcée en février 1974, concernait le fait d'appartenir à une société de la triade, et avait mené à l'imposition d'une amende de 250 $ (HK) et d'une période de probation de douze mois. La seconde condamnation, elle aussi prononcée à Hong Kong, en 1988, faisait suite à une affaire de chantage. Le résultat de cette condamnation avait été une amende de 2 000 $ (HK) et une peine d'emprisonnement de neuf mois avec sursis : à la lecture de la transcription des débats ayant mené à la condamnation prononcée en 1988, on comprend facilement la nature minimale de la peine.

[3]      Au cours des dernières années, un certain nombre de procédures ont été intentées par M. Lam ainsi que pour son compte. Toutefois, en l'espèce, le point en litige est le fait que le délégué du Ministre de l'Immigration a décidé en vertu du paragraphe 70(5) de la Loi sur l'immigration que M. Lam constituait un danger pour le public au Canada; il a été fait part à M. Lam de cette décision dans une lettre datée du 27 juin 1997.

[4]      L'avocat du requérant a écrit une lettre le 30 juin 1997 afin d'obtenir, en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, une copie des documents sur lesquels s'était fondé le délégué du Ministre pour conclure que M. Lam constituait un danger pour le public. Je note ici que M. Lam avait retenu les services d'un consultant en immigration afin de l'aider à s'occuper des faits menant à la décision selon laquelle il constituait un danger pour le public; l'avocat actuel n'a donc aucune connaissance directe des documents sur lesquels s'est appuyé le délégué du Ministre. À la suite de la demande de documents, l'avocat a reçu, au milieu du mois de juillet, plusieurs lettres de Citoyenneté et Immigration Canada l'informant des progrès accomplis. L'avocat a ensuite rencontré le directeur adjoint de l'administration des droits publics de Citoyenneté et Immigration Canada, à Ottawa, le 6 août 1997, dans le but de tenter d'activer le traitement des documents demandés. Toutefois, malgré le fait que l'avocat ait demandé les documents en question en temps opportun et pris toutes les mesures raisonnables pour essayer d'activer la production desdits documents, ceux-ci n'ont été envoyés par la poste que le 19 août, et l'avocat ne les a reçus que le 27 août 1997. Quoi qu'il en soit, la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de M. Lam a été déposée dans le délai prescrit, le 8 juillet 1997.

[5]      L'avocat du requérant s'est rendu compte, en recevant une lettre de Citoyenneté et Immigration Canada le 17 juillet 1997, qu'aucun motif n'avait été donné à l'appui de la décision relative au danger pour le public. Le délai requis pour déposer le dossier du requérant a expiré le 18 août 1997. Ce qui nous amène à la présente demande, déposée le 8 septembre 1997, en vue d'obtenir une prorogation du délai dans lequel déposer et signifier le dossier.

ANALYSE

Quelques dispositions législatives pertinentes

[6]      Les éléments du critère qui s'appliquent à une prorogation de délai, soit la justification du délai et l'établissement d'une cause défendable, ont été énoncés par le juge Strayer, de la Cour d'appel, qui siégeait à l'époque comme juge d'office de la Section de première instance, dans l'affaire Beilin et al. c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1994) 88 F.T.R. 132, à la p. 134 du recueil :

     " Pour obtenir une prolongation de délai, un requérant doit notamment établir qu'il existe une justification pour le retard pendant toute la période du retard et qu'il existe une cause défendable [voir, par exemple, Grewal c. M.E.I. [1985] 2 C.F. 263; 63 N.R. 106 (C.A.F.)]. ".         

Il importe toutefois de souligner que, dans l'arrêt Grewal, la Cour d'appel fédérale a fait droit à la demande de prorogation de délai, et ce, même si le requérant semblait n'avoir aucune intention d'interjeter appel dans la période d'appel et, en fait, n'a pas décidé de le faire jusqu'au jour où la Cour suprême du Canada s'est penchée en sa faveur. Et cela fait ressortir un élément sous-jacent qui est important dans le cas d'une demande de prorogation de délai, soit la question de savoir si la justice entre les parties requiert une prorogation :

     Il me semble toutefois qu'en étudiant une demande comme celle-ci, on doit tout d'abord se demander si, dans les circonstances mises en preuve, la prorogation du délai est nécessaire pour que justice soit faite entre les parties. (Grewal c. M.E.I. (1986) 63 N.R. 106, p. 110).         

La décision Grewal de la Cour d'appel fédérale a été rédigée par le juge en chef Thurlow, et il faut donc ne pas faire abstraction de cette observation. Je commencerai par le second aspect du critère, qui oblige le requérant à prouver que sa cause est défendable.

Cause défendable

[7]      À la lumière de l'arrêt Williams c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (1997) 212 N.R. 63 (C.A.F.), il est aujourd'hui difficile de contester une décision du délégué du Ministre selon laquelle un individu constitue un danger pour le public, car il n'est pas question que la Cour examine le bien-fondé de l'opinion, mais plutôt " s'il peut être dit avec une assurance quelconque que le délégué du Ministre a agi de mauvaise foi, d'après des critères ou des éléments de preuve pertinents, ou sans tenir compte des documents soumis " (page 79). Toutefois, on trouve, dans l'arrêt Williams , un autre passage du juge Strayer, pertinent lui aussi, et qui traite des décisions qui sont manifestement absurdes, ou dont les faits requièrent manifestement un résultat différent, auquel cas, en l'absence de motifs expliquant pourquoi le résultat est logique, une cour peut infirmer la décision d'un tribunal, s'il est impossible de surmonter l'inférence d'absurdité ou d'erreur :

     " Ce qui a été reconnu, c'est que lorsque la décision discrétionnaire d'un tribunal est manifestement absurde ou lorsque les faits qui ont été soumis au tribunal exigeaient manifestement un résultat différent ou étaient dénués de pertinence mais ont apparemment eu un effet déterminant sur le résultat, il se peut qu'une cour de justice doive, en l'absence de motifs qui auraient pu expliquer comment le résultat est effectivement justifié ou comment certains facteurs ont été pris en considération mais rejetés, annuler la décision pour l'un des motifs reconnus de contrôle judiciaire comme l'erreur de droit, la mauvaise foi, la prise en considération de facteurs dénués de pertinence et l'omission de tenir compte de facteurs pertinents... Dans de telles circonstances, la décision du tribunal est annulée non pas parce qu'elle n'est pas motivée, mais parce que sans motifs il n'est pas possible de surmonter l'obstacle que constitue la conclusion d'absurdité ou d'erreur dérivée du résultat ou des circonstances entourant la décision. " (page 76)         

[8]      En l'espèce, l'affaire de M. Lam semble comporter des éléments similaires à ceux du requérant dans l'affaire Nguyen c. MCI, une décision non publiée, datée du 20 août 1997, du juge Gibson, dans l'action IMM-2483-96. Dans cette affaire, M. Nguyen avait un casier judiciaire peu chargé, encore que nettement plus grave et plus récent que celui de M. Lam dans la présente affaire. Le juge Gibon a fait remarquer, dans l'arrêt Nguyen, que le tribunal doit tenir compte de l'ensemble des documents qui lui sont soumis, qui, a-t-il présumé, étaient tels car il n'y avait aucune information indiquant le contraire. Il a toutefois conclu que la décision du tribunal était, à première vue et compte tenu de l'absence de motifs permettant d'expliquer que le résultat était logique, une décision absurde, qu'il a infirmée :

     " Je suis convaincu que la décision discrétionnaire du tribunal qui fait l'objet du contrôle est manifestement, et en l'absence de motifs qui pourraient expliquer comment le résultat est effectivement justifié, absurde. En conséquence, en l'absence de motifs, je conclus que je dois annuler la décision du délégué de l'intimé pour l'un des motifs établis de contrôle judiciaire, en l'occurrence l'erreur de droit. En l'absence de motifs, je ne trouve aucune explication logique de l'avis formulé par le délégué du Ministre. " (page 7)         

[9]      Dans l'affaire Nguyen, le requérant avait été reconnu coupable de méfait en 1981, et s'était vu infliger une peine d'emprisonnement de 18 mois avec sursis, avait été reconnu coupable de possession d'une arme en 1982 et condamné à une peine d'un jour, ainsi qu'une amende légère et, enfin, en 1994, avait été reconnu coupable de trafic de cocaïne, infraction pour laquelle il avait reçu une peine modeste de deux ans moins un jour. Par contraste, dans la présente affaire, M. Lam, reconnu coupable à l'âge de 17 ans d'appartenir à une société de la triade, s'était vu imposer une amende de 250 $ (HK) et soumettre à une période de probation de 12 mois. Quatorze ans plus tard environ, en 1988, il a été déclaré coupable de chantage, ce qui a, semble-t-il, eu lieu pendant qu'il était sous l'influence de l'alcool (et peut-être même qu'il était un témoin malchanceux), une infraction pour laquelle il a été condamné à une amende de 2 000 $ (HK) et à une peine d'emprisonnement de neuf mois, avec sursis. Tout bien considéré, y compris les amendes et les autres pénalités, ainsi que le fait que ces deux infractions sont survenues il y a un certain nombre d'années à Hong Kong, il serait loisible à une cour de conclure que la décision de considérer M. Lam comme un danger pour le public est, à première vue et en l'absence de motifs, absurde. J'ai donc conclu que la cause de M. Lam est défendable. La question de justifier le délai, pendant toute la période de ce dernier, que j'analyserai maintenant, me donne un peu plus de difficulté.

Justification du délai

[10]      Pour justifier le délai, c'est-à-dire entre le 27 juin 1997, quand M. Lam a été avisé qu'il était réputé constituer un danger pour le public, et le 5 septembre, quand les affidavits ont été signés à l'appui de la présente requête, le requérant a fait valoir que l'avocat tentait d'obtenir les documents sur lesquels le délégué du Ministre avait fondé sa décision.

[11]      En général, dire que l'on attend des documents en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels n'est pas une bonne excuse. En fait, dans l'arrêt Muthulingam c. M.E.I. (1992) 14 IMM. L.R. (2d) 36, le juge Strayer, tel était alors son titre, a fait remarquer que la règle qui équivalait à l'époque à l'actuelle règle 17 de l'Immigration exigeait qu'un tribunal, sur demande, transmette les documents en sa possession, sans délai, au greffe de la Cour fédérale. À l'heure actuelle, la règle 17 prévoit un moyen automatique par lequel un tribunal doit transmettre à la Cour des documents pertinents. Le juge Strayer a fait remarquer que cette solution était la bonne et qu'il ne convenait pas d'accorder une prorogation de délai pendant qu'un requérant tentait d'obtenir un recours en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels, soit l'obtention de documents. Toutefois, le juge Strayer a écrit aussi qu'à son avis, dans l'affaire Muthulingam, le requérant " ...veut se lancer dans une expédition d'exploration et ne dispose en fait d'aucun renseignement précis sur l'existence de documents pertinents figurant dans son dossier, documents qui pourraient renforcer sa cause " (page 38). Tel n'est pas le cas en l'espèce.

[12]      Dans l'affaire qui nous occupe ici, l'avocat de M. Lam souhaite obtenir une prorogation, non pas pour " se lancer dans une expédition d'exploration " qui risque en fin de compte de ne déboucher sur rien, sinon de retarder les procédures de la Cour fédérale, mais plutôt parce qu'il dispose maintenant de documents dont la Couronne s'est servie pour conclure qu'il faudrait considérer M. Lam comme un danger pour le public et que les documents en question sont pertinents pour ce qui est du présent contrôle judiciaire.

[13]      Il aurait certainement mieux valu et il aurait été plus approprié que l'avocat du requérant choisisse de déposer des documents en temps opportun et ensuite, s'il y avait lieu, au moment où il aurait reçu des documents du tribunal en vertu de la règle 17 de l'Immigration, de demander l'autorisation de déposer des arguments supplémentaires, le cas échéant. Cela aurait été la façon ordinaire de procéder. Toutefois, en l'espèce, il y a l'objectif sous-jacent, que le juge en chef Thurlow a énoncé dans l'arrêt Grewal (précité, p. 110), soit celui de rendre la justice entre les parties.

CONCLUSION

[14]      La cause de M. Lam est défendable. La justification qu'il a donné pour le délai, c'est-à-dire que l'avocat dont il a récemment retenu les services ne savait pas pour quelle raison le ministère public avait décidé que son client constituait un danger pour le public et devait donc attendre que des documents lui soient produits en vertu de la Loi sur la protection des renseignements personnels est une excuse compréhensible, quoique un peu faible, étant donné que les documents en question auraient été produits de toute façon en temps utile. Cependant, M. Lam a montré qu'il avait toujours l'intention de faire appel. En outre, à ce stade-ci, il n'est pas préjudiciable de proroger le délai. Enfin, la justice entre les parties exige que le délai soit prorogé. M. Lam disposera donc d'un délai de 14 jours dans lequel signifier et déposer son dossier.

[15]      Je remercie les avocats de leur argumentation écrite valable.

     (Signature) " John A. Hargrave "

                                         Protonotaire

Vancouver (Colombie-Britannique)

24 novembre 1997

Traduction certifiée conforme

________________________________

F. Blais, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE - SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

    

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

INTITULÉ DE LA CAUSE :      CHUN WAI LAM

                     - et -

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

NE DU GREFFE :              IMM-2842-97

REQUÊTE RÉGLÉE PAR ÉCRIT SANS

COMPARUTION DES AVOCATS

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE PROTONOTAIRE JOHN A. HARGRAVE

en date du 24 novembre 1997

OBSERVATIONS ÉCRITES PRÉSENTÉES PAR :

     Me Andrew Z. Wlodyka                  pour le requérant         

     Me Leigh A. Taylor                      pour l'intimé

                    

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

     Me Andrew Z. Wlodyka                  pour le requérant

     Avocat et procureur

     Me George Thomson                      pour l'intimé

     Sous-procureur général du Canada

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