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Date : 20060127

Dossier : IMM‑6873‑05

Référence : 2006 CF 83

Ottawa (Ontario), le 27 janvier 2006

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

ENTRE :

IKEJIANI EBELE OKOLOUBU

demandeur

et

 

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

[1]               Les présents motifs confirment ceux que j’ai prononcés de vive voix après avoir entendu les avocats des parties le mercredi 25 janvier 2006 relativement à la requête présentée par M. Okoloubu afin que son renvoi au Nigeria, son pays de citoyenneté, qui devait être exécuté le lundi 30 janvier 2006, soit reporté.

 

[2]               Comme je l’ai expliqué oralement aux avocats après avoir entendu leurs prétentions, dont j’ai beaucoup apprécié la teneur ainsi que la compréhension et la compassion qui s’en dégageaient dans les circonstances, j’estime qu’il est justifié de reporter le renvoi du demandeur en raison de l’existence d’une question sérieuse, d’un préjudice irréparable et de la prépondérance des inconvénients.

 

[3]               Le demandeur est arrivé au Canada le 22 septembre 1998. Ses démarches auprès des responsables de l’immigration et des tribunaux ont été longues et compliquées. Les faits suivants sont survenus notamment :

(1)               La Section des réfugiés a rejeté sa demande le 4 octobre 1999. Aucune demande d’autorisation concernant un appel n’a été présentée à la Cour fédérale;

(2)               Deux demandes de résidence permanente au Canada ont été rejetées, la première en octobre 1999 et la deuxième en octobre 2004. L’autorisation nécessaire pour interjeter appel à la Cour a été demandée relativement à la deuxième demande seulement, et elle a été refusée par l’un des juges de la Cour.

(3)               Une demande d’ERAR a donné lieu à une décision défavorable le 9 décembre 2004 et aucune autorisation n’a été demandée à la Cour.

 

[4]               L’élément central du récit du demandeur est sa relation avec Cynthia Nwogu, une femme née au Nigeria ayant obtenu le statut de réfugiée au Canada. Le demandeur a fait sa connaissance au début de 2002, et le couple s’est marié en juillet 2003. Le défendeur ne prétend pas que ce mariage n’est pas authentique. Le couple a eu un fils au Canada le 13 octobre 2005.

 

[5]               Cynthia Nwogu a présenté une demande de résidence permanente au Canada sur la foi de son statut de réfugiée et a informé Citoyenneté et Immigration Canada (CIC) de son mariage avec le demandeur afin que celui‑ci puisse être inclus dans la demande. Malheureusement, le nom du demandeur n’avait pas été inclus lorsque le visa de résidence permanente a été délivré à Cynthia Nwogu parce que les formulaires requis n’avaient pas été fournis.

 

[6]               En juillet 2005, le demandeur aurait présenté une troisième demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire et parrainée par son épouse. Il n’aurait toutefois payé les droits exigibles qu’en novembre 2005. Le 9 janvier 2006, le bureau de CIC situé à Vegreville a appris au demandeur que sa demande de résidence permanente parrainée serait traitée lorsqu’il recevrait l’approbation du ministère de l’Immigration et des Communautés culturelles concernant le parrainage et l’engagement étant donné que la répondante vivait à Montréal.

 

[7]               La question dont je suis saisi a trait principalement à l’exercice du pouvoir discrétionnaire limité d’une agente de renvoi de reporter l’exécution d’une mesure de renvoi valide. Il n’est pas contesté qu’aux termes de l’article 48 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, l’étranger visé par une mesure de renvoi exécutoire doit immédiatement quitter le territoire du Canada, la mesure devant être appliquée dès que les circonstances le permettent. La Cour a clairement reconnu, dans le passé, la nature limitée du pouvoir d’un agent de renvoi de reporter un renvoi.

 

[8]               Il ressort des faits en l’espèce que l’agente de renvoi avait déjà reporté le renvoi du demandeur. Les paragraphes 19, 20, 21, 22, 23 et 24 de l’affidavit de l’agente de renvoi déposé à l’encontre de la requête en sursis sont ainsi libellés :

19.                 Lors de ma rencontre avec le demandeur le 17 novembre 2005, j’ai refusé de reporter son renvoi en lui expliquant que son départ avait déjà été reporté à multiples reprises à sa demande, soit lorsque son épouse avait suivi des traitements de fertilité, soit parce qu’elle était ensuite enceinte et finalement pour lui permettre d’assister à l’accouchement. J’ai toutefois fait preuve d’une certaine souplesse et lui ai accordé trois mois de délai avant le départ, suite à l’accouchement de sa femme afin qu’il puisse l’aider à se remettre de son accouchement.

 

20.                 Lors de cette rencontre j’ai cependant indiqué au demandeur que je le rencontrerais le 13 janvier 2006 pour préparer les arrangements de départ et qu’il devait alors avoir en sa possession un billet d’avion pour le Nigeria, le tout tel qu’il appert de la pièce « H » que je dépose à l’appui du présent affidavit.

 

21.                 Le 12 janvier 2006, le demandeur a déposé une demande de sursis de son renvoi prévu pour le 29 janvier 2005.

 

22.                 Le 13 janvier 2006, le demandeur s’est présenté à une entrevue portant sur son renvoi à l’Agence des services frontaliers du Canada avec en sa possession un billet d’avion pour le Nigeria en date du 30 janvier 2006, le tout tel qu’il appert du dernier paragraphe de la pièce « E » que je dépose au présent affidavit.

 

23.                 Le 13 janvier 2006, le procureur du demander m’a envoyé par télécopieur une demande de sursis administratif afin de reporter son renvoi jusqu’à ce qu’une décision soit rendue dans le cadre de sa nouvelle demande CH, le tout tel qu’il appert de la pièce « I » que je dépose à l’appui de mon affidavit.

 

24.                 J’ai refusé cette demande par écrit compte tenu du nombre très élevé de reports déjà accordés au demandeur et compte tenu que les frais de la nouvelle demande CH n’ont été payés qu’à la fin novembre 2005, le tout tel qu’il appert de la pièce « J » que je dépose à l’appui du présent affidavit.

 

[9]               La naissance du fils du couple a été difficile pour Cynthia Nwogu. Celle‑ci affirme dans son affidavit déposé à l’appui de la demande qu’elle souffre de dépression post‑partum depuis la naissance de son fils. Elle est traitée par des médecins, consulte un psychologue et reçoit de l’aide de travailleurs sociaux. Elle dit que c’est surtout son mari qui aide à nourrir l’enfant la nuit. Le fait qu’elle prend des médicaments contre la dépression à chaque soir fait aussi en sorte que son mari doive prendre soin de l’enfant la nuit.

 

[10]           J’estime que le demandeur a soulevé une question sérieuse, soit celle de savoir si l’agente de renvoi a correctement exercé son pouvoir discrétionnaire en ne tenant pas compte de la situation de la famille : l’intérêt supérieur de l’enfant canadien dans les circonstances, la maladie de la mère, le fait que la famille compte sur le père et l’incidence du renvoi de celui‑ci sur la famille.

 

[11]           Selon mon interprétation, la décision de l’agente de renvoi de ne pas reporter le renvoi signifie : « Ça suffit. J’ai déjà reporté le renvoi à plusieurs reprises. » On peut soutenir qu’il s’agit d’une considération non pertinente ou que l’agente de renvoi a limité son pouvoir discrétionnaire.

 

[12]           J’estime que le demandeur a satisfait au critère relatif au préjudice irréparable défini dans Toth c. M.E.I. (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.). En fait, cette affaire ressemble quelque peu à celle dont je suis saisi en ce qui concerne l’incidence que le renvoi du demandeur était susceptible d’avoir sur son entreprise. Plus important encore, il y a le préjudice qui risque d’être causé au demandeur et à sa famille s’il est renvoyé du Canada, compte tenu de la maladie dont souffre actuellement Cynthia Nwogu.

 

[13]           Dans les circonstances, la prépondérance des inconvénients est favorable au demandeur.

 

[14]           Après avoir dit oralement que j’allais accorder un sursis, j’ai soulevé une question de procédure parce que, dans sa demande principale d’autorisation et de contrôle judiciaire sous‑jacente à laquelle la demande de sursis est greffée, le demandeur sollicite un mandamus afin que sa troisième demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire soit étudiée avant que la mesure de renvoi soit exécutée. J’ai dit aux avocats des parties que je n’étais pas certain de pouvoir délivrer une ordonnance de mandamus provisoire. De plus, mes motifs relatifs au sursis portent principalement sur l’exercice du pouvoir discrétionnaire de l’agente de renvoi. Dans les circonstances, j’ai autorisé l’avocat du demandeur à modifier sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire afin de remplacer les motifs de contrôle par l’exercice injustifié du pouvoir discrétionnaire de l’agente de renvoi dans les circonstances. J’ai également autorisé le demandeur à déposer un dossier modifié.

 

ORDONNANCE

 

            Pour ces motifs,

 

LA COUR ORDONNE :

 

1.         Le renvoi du demandeur est reporté jusqu’à ce que la Cour ait décidé s’il y a eu lieu d’accorder l’autorisation relative au contrôle judiciaire et, le cas échéant, jusqu’à ce qu’elle ait statué sur la demande de contrôle judiciaire;

 

2.         Le demandeur est autorisé à modifier sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire pour remplacer les motifs de contrôle de la façon indiquée au paragraphe 14 des présents motifs. Le demandeur a jusqu’au lundi 6 février 2006 pour modifier sa demande;

 

3.         Le demandeur a jusqu’au 6 mars 2006 pour déposer un dossier de demande modifié;

 

4.         Le défendeur dispose de 30 jours pour répondre au dossier de demande modifié du demandeur.

 

« François Lemieux »

Juge

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.

 


COUR FÉDÉRALE

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :                                                             IMM‑6873‑05

 

 

INTITULÉ :                                                           IKEJIANI EBELE OKOLOUBU

                                                                                c.

                                                                                LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                                                ET DE L’IMMIGRATION

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                                     PAR TÉLÉCONFÉRENCE

 

DATE DE L’AUDIENCE :                                   LE 25 JANVIER 2006

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE :                      LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS :                                          LE 27 JANVIER 2006

 

 

COMPARUTIONS :

 

Alain Vallières                                                           POUR LE DEMANDEUR

Stewart Istvanffy

1061, rue Saint‑Alexandre, pièce 300

Montréal (Québec)  H2Z 1P5

 

Edith Savard                                                             POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

200, boul. René‑Lévesque Ouest

Montréal (Québec)  H2Z 1X4

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

Stewart Istvanffy                                                       POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

 

John Sims                                                                 POUR LE DÉFENDEUR

Sous‑procureur général du Canada

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