Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210305


Dossier : T‑1694‑19

Référence : 2021 CF 206

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 mars 2021

En présence de monsieur le juge Fothergill

ENTRE :

NINA TRYGGVASON

demanderesse

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Nina Tryggvason demande le contrôle judiciaire d’une décision de la Commission canadienne des droits de la personne [la Commission] de ne pas traiter sa plainte parce qu’elle était fondée sur des actes ou des omissions survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte. La Commission a conclu que Mme Tryggvason n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour justifier le retard dans le dépôt de sa plainte.

[2] Mme Tryggvason est une ancienne employée de Transports Canada, où elle affirme avoir été victime de discrimination fondée sur le handicap, la religion, l’orientation sexuelle, l’état matrimonial et l’âge, en contravention de l’article 7 de la Loi canadienne sur les droits de la personne [la Loi]. Elle a communiqué pour la première fois avec la Commission au sujet de la possibilité de déposer une plainte en matière de droits de la personne en 2010.

[3] Dans une lettre datée du 9 juillet 2010, un analyste en règlement anticipé de la Commission a informé Mme Tryggvason de ce qui suit :

[traduction]

En vertu de l’alinéa 41(1)b) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, la Commission peut refuser de traiter une plainte qui peut être instruite, dans un premier temps ou à toutes les étapes, selon des procédures prévues par une autre loi fédérale. En tant qu’employé de la fonction publique, vous avez le droit, en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, de déposer un grief concernant les questions que vous soulevez. Par conséquent, la Commission n’acceptera pas de plainte pour le moment. Nous vous encourageons à faire examiner vos allégations de discrimination dans le cadre de la procédure de grief. Si vos allégations sont fondées, cette procédure pourra vous fournir une gamme de recours en matière de droits de la personne.

[…]

Veuillez noter que la Commission n’a pas encore accepté de plainte. Si, après avoir suivi toutes les procédures à votre disposition, y compris l’arbitrage, en vertu de la Loi sur les relations de travail dans la fonction publique, vous estimez que vous n’avez pas obtenu satisfaction en réponse à vos allégations de discrimination, vous pourrez communiquer de nouveau avec la Commission pour déposer une plainte. Vous devriez le faire dans les 30 jours suivant l’annonce d’une décision finale concernant votre grief. [Souligné dans l’original.]

[4] Avec l’aide de son syndicat, Mme Tryggvason a déposé cinq griefs entre le 29 décembre 2009 et le 17 mai 2011 portant sur le même sujet que sa plainte en matière de droits de la personne. Elle n’a pas déposé d’autres griefs après le 17 mai 2011.

[5] Les cinq griefs ont fait l’objet d’un rejet ou d’un désistement entre le 4 mai 2010 et le 26 janvier 2012. Il n’y a pas eu de griefs actifs après le 26 janvier 2012.

[6] Mme Tryggvason n’a pas communiqué avec la Commission au sujet d’une plainte relative aux droits de la personne avant décembre 2015, soit près de quatre ans après la conclusion du dernier grief. Ce n’est que le 1er mai 2017 que la Commission a reçu sa plainte sous la forme appropriée.

[7] En juillet 2018, la Commission a demandé à Transports Canada sa position sur la question de savoir si les questions liées aux droits de la personne avaient été réglées dans le cadre d’un autre processus, ou encore sa position sur les allégations formulées dans la plainte de Mme Tryggvason. Le 21 septembre 2018, Transports Canada s’est opposé à ce que la Commission traite la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)d) de la Loi, au motif que les questions relatives aux droits de la personne avaient été réglées dans le cadre d’un autre processus. Transports Canada a également remis en question le caractère opportun de la plainte en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi.

[8] Le 30 mai 2019, en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, la Commission a refusé de traiter la plainte de Mme Tryggvason parce qu’elle était fondée sur des actes ou omissions survenus plus d’un an avant le dépôt de la plainte. La Commission a également conclu que Mme Tryggvason n’avait pas fourni d’explication raisonnable pour justifier le retard dans le dépôt de sa plainte.

[9] Mme Tryggvason s’est représentée elle‑même dans le cadre de la présente demande de contrôle judiciaire. Elle a présenté une documentation volumineuse, certains documents étant en format papier et d’autres en format électronique, et la plupart n’ayant jamais été fournis à la Commission.

[10] Sous réserve de quelques exceptions limitées, dont aucune ne s’applique en l’espèce, le dossier de preuve soumis à la Cour dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire se limite au dossier de preuve dont disposait le décideur (Mohamed c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 1379, au para 19, citant Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19). Les documents supplémentaires fournis par Mme Tryggvason ne sont donc pas admissibles dans la présente instance.

[11] La seule question soulevée par la présente demande de contrôle judiciaire est de savoir si la Commission a raisonnablement exercé son pouvoir discrétionnaire de ne pas traiter la plainte de Mme Tryggvason parce qu’elle a été déposée en dehors de la période prescrite.

[12] La décision de la Commission peut faire l’objet d’un contrôle en fonction de la norme de la décision raisonnable. Il s’agit là d’une norme de déférence. La Cour n’interviendra que si elle est « convaincue [que la décision] souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence » (Syed c Canada (Procureur général), 2020 CF 608 aux para 35‑36, (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 100).

[13] L’alinéa 41(1)e) de la Loi prévoit ce qui suit :

Irrecevabilité

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

[…]

(e) la plainte a été déposée après l’expiration d’un délai d’un an après le dernier des faits sur lesquels elle est fondée, ou de tout délai supérieur que la Commission estime indiqué dans les circonstances.

Commission to deal with complaint

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[…]

(e) the complaint is based on acts or omissions the last of which occurred more than one year, or such longer period of time as the Commission considers appropriate in the circumstances, before receipt of the complaint.

[14] Un agent de la Commission [l’agent] a préparé un rapport d’enquête le 13 novembre 2019 et a recommandé que la Commission refuse, en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, de donner suite à la plainte de Mme Tryggvason. Lorsque la Commission adopte les recommandations de l’enquêteur et qu’elle ne présente aucun motif ou qu’elle fournit des motifs très succincts, les cours ont, à juste titre, décidé que le rapport d’enquête constituait les motifs de la Commission (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au para 37).

[15] L’agent a écrit à Mme Tryggvason le 20 décembre 2018 et lui a demandé [TRADUCTION] « d’expliquer pourquoi [elle a] attendu jusqu’à la fin de décembre 2015 – au début de janvier 2016 pour communiquer avec la Commission et lui demander de réactiver [sa] plainte, alors que le syndicat avait retiré les griefs susmentionnés en janvier 2012 ». Mme Tryggvason n’a pas répondu à cette question.

[16] L’une des allégations de Mme Tryggvason était qu’en 2013, Transports Canada avait tenté de la forcer à se rendre sur le lieu de travail pour signer les documents de fin d’emploi. Il ne semble pas que Mme Tryggvason ait présenté un grief à l’égard de cette allégation. En accordant le bénéfice du doute à Mme Tryggvason et en supposant que le dernier acte de discrimination allégué s’est produit le dernier jour de décembre 2013, l’agent a conclu que Mme Tryggvason aurait dû déposer sa plainte au plus tard le 31 décembre 2014.

[17] Mme Tryggvason n’a pas déposé de plainte sous une forme acceptable devant la Commission avant le 1er mai 2017, soit plus de deux ans après l’expiration du délai pour ce faire. L’agent a reconnu que le retard supplémentaire à présenter une plainte sous une forme acceptable n’était pas uniquement attribuable à Mme Tryggvason. Cependant, même en faisant abstraction du délai écoulé entre la demande de Mme Tryggvason d’aller de l’avant avec sa plainte en décembre 2015 et la date à laquelle elle a déposé une plainte sous une forme acceptable, la plainte était tout de même en retard de près d’un an.

[18] Lorsque Mme Tryggvason a parlé pour la première fois à la Commission de la possibilité de déposer une plainte en matière de droits de la personne en 2010, on lui a dit qu’elle devait communiquer avec la Commission dans les 30 jours suivant une décision finale concernant ses griefs. Le dernier des griefs de Mme Tryggvason a fait l’objet d’un rejet ou d’un désistement le 26 janvier 2012. Elle n’a pas expliqué à la Commission pourquoi elle avait attendu jusqu’en décembre 2015, soit près de quatre ans plus tard, pour communiquer avec la Commission au sujet du traitement de sa plainte relative aux droits de la personne.

[19] Mme Tryggvason affirme qu’en raison de circonstances difficiles dans sa vie professionnelle et personnelle, elle a été incapable de communiquer efficacement avec la Commission pendant la période pertinente. Elle affirme ne pas se souvenir qu’on lui ait demandé d’expliquer le retard dans le traitement de sa plainte relative aux droits de la personne.

[20] Le dossier dont la Cour est saisie n’indique pas que Mme Tryggvason a fourni des explications à la Commission au sujet du retard dans le dépôt de sa plainte relative aux droits de la personne. Je conclus donc que la décision de la Commission de refuser, en vertu de l’alinéa 41(1)e) de la Loi, de donner suite à la plainte de Mme Tryggvason était raisonnable.

[21] La demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

« Simon Fothergill »

Traduction certifiée conforme

Caroline Tardif


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1694‑19

 

INTITULÉ :

NINA TRYGGVASON c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE ENTRE VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE) ET OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 3 MARS 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE FOTHERGILL

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 5 MARS 2021

 

COMPARUTIONS :

Nina Tryggvason

(POUR SON PROPRE COMPTE)

 

POUR LA DEMANDERESSE

 

Malcolm Palmer

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie‑Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.