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     Date : 19990616

     Dossier : IMM-3045-98

ENTRE :

     BULENT KESICI,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

A.      INTRODUCTION

[1]      Dans la présente instance en contrôle judiciaire fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, Bulent Kesici (le demandeur) cherche à faire annuler la décision en date du 22 mai 1998 par laquelle l'agente d'immigration Halina Roznawski a rejeté la demande de résidence permanente en date du 25 avril 1997 que le demandeur a présentée à titre d'immigrant indépendant dont la profession envisagée au Canada est celle d'ingénieur électricien. M. Kesici a présenté sa demande de résidence permanente au consulat général du Canada à Buffalo (N.Y.) et il a subi son entrevue à Detroit (Michigan).

B.      LES FAITS

[2]      Le demandeur est un ressortissant de la Turquie et vit actuellement aux États-Unis. Il précise dans sa demande de résidence permanente qu'il est titulaire d'un diplôme de premier cycle en génie (diplôme en génie électrique) qui lui a été décerné par l'université Yildiz d'Istanbul, en Turquie, en mars 1989.

[3]      En ce qui concerne son expérience professionnelle, il ressort de la demande de résidence permanente du demandeur que :

     a)      de septembre 1988 à août 1989, il a travaillé comme ingénieur électricien pour la firme GUC Follektif d'Istanbul, en Turquie;
     b)      d'août 1989 à novembre 1992, il a occupé un poste de directeur au sein de la firme CEL Management de Bayshore (N.Y.);
     c)      de novembre 1992 à septembre 1995, il a travaillé comme ingénieur électricien pour la firme Atameken Corporation de New York;
     d)      depuis septembre 1995, il occupe un poste de directeur au sein de la firme Er-Hal Corporation de Shirley (N.Y.).

[4]      Sa demande de résidence permanente est étayée par des lettres de ses employeurs dans lesquelles sont exposées ses attributions et ses expériences.

[5]      Il est précisé dans la lettre en date du 1er avril 1997 de GUC Follektif que le demandeur a travaillé pendant un an (de 1988 à juillet 1989) comme ingénieur électricien et que ses principales attributions étaient les suivantes :

     [traduction]         
     1) Supervision de la construction électrique de 100 immeubles comptant chacun 25 appartements.         
     2) Responsable de la surveillance de 80 travailleurs.         
     3) Inspection du travail de techniciens.         

[6]      Il ressort de la lettre d'Atameken Corporation que le demandeur a travaillé à New York de novembre 1992 à septembre 1995 comme consultant en électricité et que ses fonctions consistaient à donner des consultations, à appliquer des normes et à faire l'acquisition d'articles d'équipement électrique et électronique comme des conditionneurs extérieurs, des refroidisseurs, des compresseurs et des composantes audio-vidéo.

C.      LA DÉCISION DE L'AGENTE DES VISAS

[7]      L'agente d'immigration a avisé les avocats du demandeur par lettre en date du 22 mai 1998 que le demandeur ne satisfaisait pas aux exigences en vue d'une immigration au Canada. L'agente d'immigration a mentionné qu'elle avait évalué le demandeur en fonction des critères applicables à la profession d'ingénieur électricien et lui avait accordé les points d'appréciation suivants :

     Âge                          10 points         
     Demande dans la profession              05 points         
     Préparation professionnelle spécifique          18 points         
     Expérience                      00 points         
     Emploi réservé                      00 points         
     Facteur démographique                  08 points         
     Études                          15 points         
     Connaissance de l'anglais              08 points         
     Connaissance du français                  00 points         
     Personnalité                      05 points         
     TOTAL                      69 points         

[8]      L'agente d'immigration a informé le demandeur qu'il fallait avoir obtenu 70 points d'appréciation pour être admissible comme immigrant et elle a précisé qu'à son avis les points d'appréciation que le demandeur avait obtenus reflétaient adéquatement sa capacité de s'établir avec succès au Canada. Elle a ajouté ceci :

     [traduction]         
         Durant l'entrevue, nous avons discuté des fonctions que vous avez exercées chez GUC Follektif. Vous avez fait des descriptions très vagues. Je vous ai lu la définition de la CCDP, dont la plus grande partie vous a échappé et que vous n'avez pas été en mesure de m'expliquer. Par conséquent, je ne suis pas convaincue que les fonctions que vous avez exercées étaient celles d'un ingénieur électricien. Nous avons ensuite discuté des fonctions que vous avez exercées chez Atameken Corp. aux États-Unis. Vous avez déclaré que vous cherchiez des compresseurs électriques et des articles électroniques pour exportation directe de la Chine à la Turquie. Compte tenu du fait que vous étiez aux États-Unis à ce moment-là et que vous êtes allé en Chine une seule fois, je ne crois pas que vous avez pu exercer les fonctions d'un ingénieur électricien dans le cadre de cet emploi non plus. Selon moi, vos attributions au sein de cette entreprise étaient celles d'un acheteur de matériel (CCDP 1175-118), et je vous ai accordé le maximum de points pour l'expérience. Toutefois, le nombre total de points d'appréciation s'élève à 68. Bien que le Conseil canadien des ingénieurs ait approuvé votre niveau d'études, il est de mon devoir de confirmer que vous avez l'expérience exigée par la profession. Vos lettres de référence ont été vérifiées avant l'entrevue, mais votre méconnaissance des attributions d'un ingénieur électricien m'a amenée à croire que vous ne correspondiez pas à la définition de la CCDP.         
         D'après votre demande, il n'y a pas d'autre profession à l'égard de laquelle votre femme ou vous-même possédez des compétences et une expérience, et qui permettrait d'approuver votre demande. Votre demande a également fait l'objet d'un examen en vertu du système CNP, qui est entré en vigueur le 1er mai 1997, mais la décision demeure inchangée.         

D.      LES AFFIDAVITS DÉPOSÉS DANS LE CADRE DU CONTRÔLE JUDICIAIRE

     a)      L'affidavit du demandeur

[9]      Dans son affidavit, le demandeur insiste sur l'évaluation dont il a fait l'objet par rapport au facteur expérience en tant qu'ingénieur électricien et par rapport au facteur personnalité.

     (i)      Le facteur expérience

[10]      Le demandeur a déclaré qu'il a travaillé comme ingénieur électricien pendant plus de quatre ans aux États-Unis et en Turquie (pour GUC Follektif et pour Atameken Corporation). Il reconnaît qu'il était nerveux durant l'entrevue parce que son expérience de travail chez GUC Follektif remontait à [traduction] " environ dix ans ". Il affirme que [traduction ] " compte tenu des facteurs qui précèdent, le souvenir que j'ai gardé des fonctions précises que j'ai exercées était vague ". Il ajoute qu'il a exercé les fonctions qui sont indiquées dans les lettres de référence qu'il a soumises à l'agente d'immigration préalablement à l'entrevue, au sujet desquelles l'agente d'immigration a fait le commentaire suivant dans sa lettre de refus : les " lettre de référence ont été vérifiées avant l'entrevue ".

[11]      Au paragraphe 10 de son affidavit, le demandeur affirme :

     [traduction]         
     10.      Subsidiairement, l'agente déclare qu'elle m'a apprécié en fonction de la profession envisagée d'acheteur de matériel (CCDP 1175-118), et comme elle m'a attribué le " maximum de points pour l'expérience ", je n'obtiendrais que " 68 points ". En toute déférence, je soutiens que l'agente aurait dû exercer le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) de la Loi sur l'immigration [sic] de façon positive puisque j'estime qu'en dehors des points qui m'ont été accordés et vu mes antécédents professionnels, les études que j'ai faites, mes connaissances linguistiques, des fonds d'établissement suffisants, et une installation réussie aux États-Unis et au sein de la société nord-américaine, j'ai la capacité de m'établir avec succès au Canada.         

     (ii)      Le facteur personnalité

[12]      Pour ce qui est de la personnalité, le demandeur affirme que l'appréciation que l'agente d'immigration a faite de sa capacité de s'établir avec succès au Canada d'après sa faculté d'adaptation, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et d'autres qualités semblables est inexacte, et qu'elle a commis une erreur en lui accordant seulement 5 points pour la personnalité.

     b)      L'affidavit de l'agente d'immigration

[13]      L'agente d'immigration a déposé un affidavit fondé sur les notes informatisées qu'elle a prises durant l'entrevue qu'elle a fait subir au demandeur le 17 mars 1998 (notes au STIDI). Son affidavit est compatible avec ses notes au STIDI et avec les remarques qu'elle a faites dans sa lettre de refus.

[14]      En ce qui concerne les fonctions exercées par le demandeur chez GUC Follektif, l'agente d'immigration déclare :

     [traduction]         
     5. [...] Toutefois, durant l'entrevue, l'intéressé a été incapable de décrire les fonctions qu'il exerçait au sein de l'entreprise autrement qu'en termes imprécis. Je n'ai donc pas été convaincue qu'il a exercé les fonctions qui sont mentionnées dans cette lettre.         

[15]      En ce qui concerne la lettre d'Atameken, l'agente d'immigration déclare :

     [traduction]         
     5. [...] Durant l'entrevue, l'intéressé a déclaré qu'il avait cherché des compresseurs électriques et des articles électroniques pour exportation directe de la Chine à la Turquie. Il a déclaré qu'il avait ajusté les compresseurs pour qu'ils s'adaptent à l'appareil de climatisation dans lequel ils allaient être installés. Toutefois, il a également déclaré qu'il était allé en Chine une seule fois. Je n'ai donc pas cru que l'intéressé avait exercé les fonctions d'un ingénieur électricien dans le cadre de son emploi. Les fonctions qu'il m'a décrites m'ont paru correspondre à celles d'un acheteur de matériel. Ce point de vue était en outre étayé par une procuration que l'intéressé a fournie, qui l'autorisait à conclure des ententes concernant la fourniture d'appareils audio et vidéo au Kazaghistan. J'ai apprécié l'intéressé par rapport à l'emploi d'acheteur de matériel, mais il n'a pas obtenu suffisamment de points d'appréciation dans cet emploi pour qu'un visa d'immigrant reçu lui soit délivré.         

[16]      Dans son affidavit, l'agente d'immigration se réfère à la CCDP et à la lecture qu'elle a faite de la définition d'un ingénieur électricien au demandeur. Elle ajoute :

     [traduction]         
     6. [...] Bien que l'intéressé comprenne très bien l'anglais, il n'a pas compris la définition et a été incapable d'expliquer bon nombre des fonctions mentionnées dans la définition. Par conséquent, je conclus qu'il n'avait pas d'expérience comme ingénieur électricien.         

[17]      En ce qui concerne l'appréciation de la personnalité du demandeur, l'agente d'immigration a simplement déclaré :

     [traduction]         
     7. J'ai accordé cinq points d'appréciation à l'intéressé dans la catégorie personnalité, d'après la motivation, la faculté d'adaptation, l'ingéniosité et l'esprit d'initiative qu'il a manifestés durant l'entrevue et qui ressortaient des documents qui ont été déposés à l'appui de sa demande.         

[18]      Au paragraphe 8 de son affidavit, l'agente d'immigration fait état de l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration. Ce paragraphe est ainsi libellé :

     [traduction]         
     8. L'avocat de l'intéressé m'a écrit après l'entrevue pour me demander d'exercer d'une manière favorable le pouvoir discrétionnaire qui m'est conféré par le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration. J'ai examiné la demande et je suis arrivée à la conclusion qu'il n'existait pas de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation ne reflétait pas les chances de l'intéressé de réussir son installation au Canada. La déclaration du Conseil canadien des ingénieurs selon laquelle l'intéressé paraissait apte à passer les examens d'agrément comme ingénieur au Canada n'a rien changé au fait que l'intéressé n'a pas démontré qu'il avait une expérience de travail comme ingénieur électricien. Le Règlement sur l'immigration précise qu'un visa ne peut être délivré à un requérant indépendant qui n'a pas d'expérience dans la profession qu'il entend exercer au Canada. Par conséquent, j'ai considéré le manque d'expérience de l'intéressé comme un facteur important quant au fait qu'il ne serait pas en mesure de réussir son installation au Canada.         

E.      LE DOSSIER DU TRIBUNAL

[19]      Pendant les délibérations, l'avocat du défendeur a indiqué que le dossier du tribunal renfermait, à la page 74, l'évaluation préliminaire faite par les avocats du demandeur, qui avait été déposée avec la demande de résidence permanente et dans laquelle il était répondu par la négative à la question suivante : [traduction] " L'exercice du pouvoir discrétionnaire est-il requis? "

[20]      Le dossier du tribunal contient en outre des lettres de référence de deux autres employeurs du demandeur. La lettre de Er-Hal est datée du 1er avril 1997 et précise simplement :

     [traduction]         
         La présente a pour objet de confirmer que Bulent Kesici travaille pour cette entreprise depuis septembre 1995. Il occupe actuellement un poste de directeur. Si vous avez d'autres questions, n'hésitez pas à communiquer avec mon bureau au moment qui vous conviendra.         

[21]      L'autre lettre provient de CEL Management Ltd. et est datée du 10 avril 1997. Il est mentionné que le demandeur a commencé à travailler au service de marketing de l'entreprise en tant que responsable du contrôle des stocks et de la passation de commandes et de la réception. Il est également mentionné que, par la suite, le demandeur a contribué à la mise sur pied du service d'entretien et de conformité et, pendant sa dernière année d'emploi, est devenu directeur du service. Ses fonctions consistaient à s'occuper du recrutement d'entrepreneurs pour l'entretien, à tenir les fiches d'entretien des installations et de l'équipement de l'entreprise, par exemple les réservoirs d'entreposage souterrains et les pompes. Il était également responsable de la tenue des dossiers requis par des organismes de réglementation comme l'EPA.

[22]      Fait encore plus important, le dossier du tribunal contient, à la page 5, une note en date du 17 mars 1998 que les avocats du demandeur ont envoyée à l'agente d'immigration après l'entrevue qu'elle a fait subir au demandeur. La partie importante de cette note est ainsi libellée :

     [traduction]         
     Comme suite à l'entrevue que l'intéressé a subie ce matin, l'intéressé nous a avisés que vous avez exprimé des craintes sur son expérience de travail.         
     Sachez qu'en plus de l'expérience de travail d'un an de l'intéressé en Turquie, que vous avez paru trouver satisfaisante, l'intéressé n'a obtenu que tout récemment une lettre d'Atameken Corp. dans laquelle il est précisé qu'il a travaillé comme consultant en électricité, emploi dont les fonctions correspondent à celles d'un ingénieur.         
     N'hésitez pas à vérifier les lettre de référence pour vous en convaincre et dissiper vos craintes, ainsi que le dicte la jurisprudence avant d'opposer un refus.         

[23]      Au bas de cette télécopie, l'agente d'immigration a inscrit à la main la remarque suivante :

     [traduction] J'ai examiné les lettres de référence que l'intéressé a présentées à l'entrevue. La demande est rejetée.         

F.      ANALYSE

a)      Le facteur expérience - le devoir d'équité

[24]      Le demandeur a invoqué les affaire Saggu c. Canada (1994), 87 F.T.R. 137, et Fong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 11 Imm. L.R. (2d) 205, au soutien de l'affirmation selon laquelle l'agente d'immigration a manqué au devoir d'équité en ne donnant pas au demandeur la possibilité de la détromper en ce qui concerne ses impressions quant au caractère incomplet de la documentation fournie par le demandeur. Je n'ai pas obligé l'avocat du défendeur à débattre ce point. Dans la présente espèce, l'agente d'immigration a clairement exprimé sa crainte au demandeur durant l'entrevue et lui a donné la possibilité de faire des remarques. La crainte de l'agente d'immigration s'est imprimée avec une telle force dans l'esprit du demandeur qu'après l'entrevue, il a aussitôt communiqué avec ses avocats et ceux-ci ont soumis de nouvelles observations sur la question de l'expérience professionnelle.

     b)      Le facteur expérience - le caractère raisonnable

[25]      J'ai dit à l'avocat du défendeur, après avoir entendu l'avocat du demandeur, qu'il n'était pas obligé de traiter ce point parce que le demandeur n'avait pas prouvé le bien-fondé de sa prétention. Selon le dossier, l'agente d'immigration pouvait parvenir à la conclusion à laquelle elle est parvenue pour n'accorder aucun point d'appréciation pour le facteur expérience. Cette conclusion n'était pas manifestement déraisonnable compte tenu de la preuve qui lui a été soumise, ainsi que de l'incapacité du demandeur, durant l'entrevue, de la convaincre puisqu'il ne se souvenait pas des fonctions précises qu'il avait exercées et qu'il avait fourni des réponses vagues.

[26]      L'avocat du demandeur a déclaré que l'évaluation de l'agente d'immigration était contradictoire parce qu'elle précise dans sa lettre de refus que les lettres de référence du demandeur avaient été " vérifiées avant l'entrevue ". Selon l'avocat du demandeur, ces mots veulent dire que l'agente d'immigration a conclu, au moyen d'une enquête indépendante, que le demandeur avait, dans les faits, travaillé comme ingénieur électricien. L'agente d'immigration n'a pas été contre-interrogée sur le genre de vérification qu'elle a fait. Comme il n'y a pas eu de contre-interrogatoire, il ne convient pas que je tire la conclusion désirée par le demandeur; pour tirer pareille conclusion, il faudrait que je fasse des suppositions sur le sens des mots employés par l'agente d'immigration dans sa lettre de refus. L'arrêt Wang c. Canada , [1991] 2 C.F. 165 (C.A.F.), traite des limites d'une lettre de refus en tant qu'élément de preuve.

     c)      Le facteur personnalité

[27]      Les observations écrites et l'argumentation de l'avocat du demandeur en ce qui concerne les erreurs commises par l'agente d'immigration pour apprécier le facteur personnalité ont un caractère général. L'avocat du demandeur affirme que l'agente d'immigration n'a pas tenu compte du fait que le demandeur s'était intégré à la société nord-américaine depuis un certain temps, qu'il était un ingénieur et un diplômé universitaire, qu'il parlait l'anglais et qu'il avait une vaste expérience de travail.

[28]      L'avocat du demandeur ne m'a pas démontré que l'évaluation de l'agente d'immigration contenait une erreur manifeste. Il me demande fondamentalement de refaire l'évaluation de l'agente d'immigration. Ce n'est pas mon rôle dans le cadre d'un contrôle judiciaire. Dans l'affaire Gill c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1996), 34 Imm. L.R. (2d) 127, le juge en chef adjoint Jerome a été saisi de la contestation d'une évaluation par rapport à la personnalité. Il a déclaré qu'une décision de cette nature relève entièrement du large pouvoir discrétionnaire qui est conféré à l'agent des visas. Il a ajouté que dans la mesure où l'opinion de ce dernier n'est ni partiale ni arbitraire, et est raisonnable (n'est pas manifestement déraisonnable), l'intervention judiciaire ne se justifie pas. Je suis d'avis que les principes énoncés dans l'affaire Gill sont applicables en l'espèce. Le demandeur affirme que l'agente d'immigration n'a tenu aucun compte des antécédents et des études de la femme du demandeur ainsi que de son expérience de travail en tant que désigner pour évaluer ce facteur de façon régulière. Le facteur personnalité prévu à l'annexe I du Règlement est décrit en ces termes :


9. Personal suitability

Units of assessment shall be awarded on the basis of an interview with the person to reflect the personal suitability of the person and his dependants to become successfully established in Canada based on the person's adaptability, motivation, initiative, resourcefulness and other similar qualities.

9. Personnalité

Des points d'appréciation sont attribués au requérant au cours d'une entrevue qui permettra de déterminer si lui et les personnes à sa charge sont en mesure de réussir leur installation au Canada, d'après la faculté d'adaptation du requérant, sa motivation, son esprit d'initiative, son ingéniosité et autres qualités semblables.

[29]      À mon sens, ce libellé n'oblige nullement un agent d'immigration à faire une évaluation indépendante de la personnalité de la femme d'un requérant (à supposer qu'elle soit admissible comme personne à charge au sens du Règlement). Suivant l'article 8 du Règlement sur l'immigration, l'appréciation peut, au choix du requérant, viser le requérant ou son conjoint. Une fois que ce choix a été fait, ce sont la capacité, la motivation, l'esprit d'initiative, l'ingéniosité et d'autres qualités semblables de la personne qui sont appréciés. De toute façon, le demandeur n'affirme pas dans son affidavit qu'il a soumis cet élément à l'agente d'immigration et que celle-ci n'en a tenu aucun compte.

     d)      Le moyen fondé sur le paragraphe 11(3)

[30]      Le paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration est ainsi libellé :


11. (3) A visa officer may

     (a) issue an immigrant visa to an immigrant who is not awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10 or who does not meet the requirements of subsection (1) or (2), or
     (b) refuse to issue an immigrant visa to an immigrant who is awarded the number of units of assessment required by section 9 or 10,

if, in his opinion, there are good reasons why the number of units of assessment awarded do not reflect the chances of the particular immigrant and his dependants of becoming successfully established in Canada and those reasons have been submitted in writing to, and approved by, a senior immigration officer.

11. (3) L'agent des visas peut

     a) délivrer un visa d'immigrant à un immigrant qui n'obtient pas le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10 ou qui ne satisfait pas aux exigences des paragraphes (1) ou (2), ou
     b) refuser un visa d'immigrant à un immigrant qui obtient le nombre de points d'appréciation requis par les articles 9 ou 10,

s'il est d'avis qu'il existe de bonnes raisons de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas les chances de cet immigrant particulier et des personnes à sa charge de réussir leur installation au Canada et que ces raisons ont été soumises par écrit à un agent d'immigration supérieur et ont reçu l'approbation de ce dernier.

[31]      L'avocat du demandeur soutient que l'agente d'immigration a exercé de façon irrégulière le pouvoir discrétionnaire que lui confère cette disposition parce qu'elle n'a tenu aucun compte d'une considération pertinente. Il soutient qu'elle a tenu compte uniquement de la profession d'ingénieur électricien et non de l'emploi qu'elle considérait le demandeur apte à exercer et dans lequel il avait de l'expérience, soit l'emploi d'acheteur de matériel.

[32]      Il ressort clairement du paragraphe 8 de l'affidavit de l'agente d'immigration qu'elle songeait uniquement à la profession d'ingénieur électricien à cause de l'importance accordée au manque d'expérience. Le demandeur n'avait pas d'expérience comme ingénieur électricien, mais il avait une certaine expérience comme acheteur de matériel.

[33]      Dans l'arrêt Chen c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1995] 1 R.C.S. 725, la Cour suprême du Canada a souscrit à l'interprétation qu'ont donnée de cette disposition le juge Strayer, alors juge de première instance, dans des motifs publiés à [1991] 3 C.F. 350, et le juge Robertson de la Cour d'appel, dans des motifs dissidents publiés à [1994] 1 C.F. 639.

[34]      Dans l'affaire Chen, précitée, le juge Strayer a examiné les motifs sur lesquels l'agent des visas peut fonder l'exercice de son pouvoir discrétionnaire de décider qu'il existe de " de bonnes raisons " de croire que le nombre de points d'appréciation obtenu ne reflète pas adéquatement les chances d'un immigrant de " s'établir avec succès " au Canada. Il était d'avis que le pouvoir discrétionnaire conféré à l'agent des visas par le paragraphe 11(3) doit être interprété comme faisant partie intégrante de l'exercice, par le gouverneur en conseil, du pouvoir de réglementation que lui attribue l'alinéa 114(1)a ) de la Loi d'établir des normes de sélection. (La source du système de " points " ou de " points d'appréciation ".) Après avoir examiné les normes de sélection mentionnées dans le Règlement sur l'immigration , dont les facteurs et les critères semblent mettre l'accent sur la capacité d'un immigrant de gagner sa vie au Canada ou d'y être soutenu financièrement par d'autres personnes que l'État, le juge Strayer a déclaré, à la page 361 :

     Étant donné cet accent sur les facteurs économiques mis à la fois par le législateur et par le gouverneur en conseil à l'égard de la question de déterminer si un immigrant est en mesure de "s'établir avec succès" au Canada, il est difficile de voir comment le pouvoir discrétionnaire accordé à un agent des visas par le paragraphe 11(3) du Règlement peut permettre à ce dernier de ne pas tenir compte du nombre de points d'appréciation et de déterminer, essentiellement pour des raisons non économiques, qu'un immigrant n'aura pas de chance de s'établir avec succès au Canada. Même si ce paragraphe exige uniquement que l'agent des visas soit "d'avis qu'il existe de bonnes raisons", ces raisons doivent être de nature à le porter à croire que l'immigrant n'est pas en mesure de s'établir avec succès au sens économique du terme.         

[35]      Le Règlement sur l'immigration dispose que l'intéressé doit être évalué non seulement par rapport à l'emploi ou aux emplois mentionnés dans sa demande de résidence permanente, mais aussi par rapport à l'emploi que l'agent des visas considère l'intéressé apte à exercer au Canada compte tenu de son expérience (Lim c. M.E.I. (1991), 121 N.R. 241 (C.A.F.), Gaffney c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1991), 121 N.R. 256 (C.A.F.)).

[36]      L'agente d'immigration était d'avis que le demandeur exerçait les fonctions d'un acheteur de matériel et elle lui a accordé 68 points d'appréciation. Toutefois, elle n'a pas tenu compte, dans l'exercice du pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3), de l'emploi dans lequel elle considérait qu'il avait de l'expérience eu égard à l'interprétation susmentionnée.

[37]      La perspective dans laquelle le pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement doit être exercé est économique; il s'agit de décider si, indépendamment du système de points, un intéressé pourrait s'établir avec succès au Canada. En ne tenant aucun compte de l'emploi d'acheteur de matériel, l'agente d'immigration a omis de tenir compte, selon moi, d'une considération importante et, partant, a exercé son pouvoir discrétionnaire de façon irrégulière (Maple Lodge c. Canada, [1982] 2 R.C.S. 2, et Khan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1997), 128 F.T.R. 126).

[38]      Je suis arrivé à la conclusion que l'agente d'immigration a accordé le nombre de points d'appréciation voulu à l'intéressé, mais n'a pas exercé régulièrement le pouvoir discrétionnaire que lui confère le paragraphe 11(3) du Règlement. La demande de résidence permanente présentée par le demandeur est renvoyée à l'agente d'immigration pour lui permettre d'exercer son pouvoir discrétionnaire de façon régulière. Comme les deux parties ont chacune partiellement gain de cause, il n'y a pas d'attribution des dépens.

                                 " François Lemieux "

                                         JUGE

0TTAWA (ONTARIO)

LE 16 JUIN 1999

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     NOMS DES AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :              IMM-3045-98

INTITULÉ :                      BULENT KESICI C. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION
LIEU DE L'AUDIENCE :              TORONTO (ONTARIO)
DATE DE L'AUDIENCE :              LE 28 MAI 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PRONONCÉS PAR LE JUGE LEMIEUX

EN DATE DU :                  16 JUIN 1999

COMPARUTIONS :

M. Matthew Moyal                  POUR LE DEMANDEUR

M. Kevin Lunney                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

M. Matthew Moyal                  POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg              POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général

du Canada

     Date : 19990616

     Dossier : IMM-3045-98

ENTRE :

     BULENT KESICI,

     demandeur,

     - et -

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.

     ORDONNANCE

     Pour les motifs qui ont été prononcés, la demande de contrôle judiciaire est accueillie et la décision de l'agente d'immigration est annulée, mais uniquement en ce qui concerne l'exercice du pouvoir discrétionnaire prévu au paragraphe 11(3) du Règlement sur l'immigration. La demande de résidence permanente présentée par le demandeur est renvoyée à l'agente d'immigration afin qu'elle procède à un nouvel examen qui lui permette d'exercer son pouvoir discrétionnaire de façon régulière.

                             " François Lemieux "

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme

Marie Descombes, LL.L.

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