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Date : 20210128


Dossier : IMM‑781‑20

Référence : 2021 CF 98

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 28 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Shore

ENTRE :

OLUWAKEMI ADEOL OLARERIN

OLUWASEUN WILLI SOLATE

OLUWATIMILEHIN SOLATE

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1] Les demandeurs sollicitent le contrôle judiciaire d’une décision datée du 23 décembre 2019 par laquelle la Section d’appel des réfugiés (la SAR) a confirmé le rejet de leur demande d’asile, étant donné qu’il existait une possibilité de refuge intérieur (une PRI).

[2] La demanderesse principale (la DP) et son époux, qui sont citoyens du Nigéria, et leur enfant mineur, qui est citoyen américain de naissance, demandent l’asile en raison de leur crainte de la mutilation génitale féminine (la MGF), des rituels de purification et des représailles de la part de la famille de la DP, étant donné que cette dernière et son époux se sont mariés en secret et qu’ils ont eu un enfant ensemble. Les demandeurs ont demandé l’asile au Canada en octobre 2017, après avoir passé un certain temps aux États‑Unis.

[3] La Section de la protection des réfugiés (la SPR) a rejeté la demande d’asile en raison du manque de crédibilité des demandeurs, comme cela est exprimé très clairement aux paragraphes 19 à 28 inclusivement de la décision de la SPR et précisé au paragraphe 7 de la décision de la SAR. De plus, les demandeurs n’ont pas établi l’existence de persécution et disposent de PRI viables à Ibadan, à Port Harcourt et à Benin City, au Nigéria. La SAR a confirmé la décision en se fondant sur l’existence d’une PRI.

[4] Le présent contrôle judiciaire porte sur le caractère raisonnable des conclusions de la SAR au sujet de l’existence d’une PRI viable. Une décision raisonnable est intrinsèquement cohérente, rationnelle et justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]).

[5] Une PRI est un concept selon lequel une personne peut être un réfugié dans une partie d’un pays, mais pas dans une autre. Il incombe aux demandeurs d’asile d’établir, selon la prépondérance des probabilités, qu’ils risquent sérieusement d’être persécutés dans la partie du pays qui offrirait une PRI ou que la situation dans cette partie du pays est telle qu’il leur serait objectivement déraisonnable d’y chercher refuge (Thirunavukkarasu c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1994] 1 CF 589 aux pp 593, 597 (CAF)). Ce deuxième volet de l’analyse ne requiert « rien de moins que l’existence de conditions qui mettraient en péril la vie et la sécurité d’un revendicateur » (Ranganathan c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [2001] 2 CF 164 au para 15).

[6] Les demandeurs soutiennent qu’ils risquent d’être persécutés dans les endroits proposés comme PRI, puisque les agents de persécution ont la capacité de les repérer étant donné les liens de parenté de la DP, la notoriété, l’influence et les relations du père de cette dernière au gouvernement et dans les installations aéroportuaires ainsi qu’en raison de l’existence, parmi les agents de persécution, de personnes importantes possédant beaucoup d’influence et de moyens. Leur capacité à retrouver les demandeurs est également accentuée par la corruption dans le pays et par l’interception, par les autorités, des personnes qui sont expulsés au Nigéria, comme en témoigne la documentation nationale. Cet élément de preuve fait également état du caractère répandu de la MGF et des rites traditionnels ainsi que de l’insuffisance de la protection de l’État, ce qui, selon les prétentions des demandeurs, rend les endroits proposés comme PRI déraisonnables.

[7] Dès le départ, il est important de souligner que les arguments énoncés ci‑dessus n’ont pas été soulevés devant la SAR. La seule question soulevée en appel en lien avec la PRI viable était celle de savoir si le père de la DP, en tant qu’ancien fonctionnaire aéroportuaire, avait la capacité de repérer les demandeurs s’ils retournaient dans le pays par voie aérienne. La Cour doit, par conséquent, limiter son examen à ce point (Dhillon c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 321 aux para 23‑24).

[8] La SAR a conclu que les demandeurs n’avaient pas établi, selon la prépondérance des probabilités, que le père de la DP aurait la capacité de les repérer à leur arrivée à un aéroport et avant qu’ils se déplacent en voiture vers une PRI viable. Dans le cadre de son analyse, la SAR a examiné le dossier et les témoignages en lien avec la PRI, les Directives numéro 4 du président ainsi que le guide jurisprudentiel TB7‑19851 portant sur les PRI pour les Nigérians qui fuient des agents non‑étatiques. Elle a également examiné la documentation nationale, en particulier celle portant sur les aéroports du pays.

[9] Bien que la DP ait témoigné au sujet du réseau de contacts de son père au gouvernement en raison de son ancien emploi et des postes de consultant qu’il a occupés subséquemment, elle n’a pas établi de quelle façon ce dernier pourrait faire appel à ses connaissances pour retrouver les demandeurs. De même, les éléments de preuve n’étayent pas l’allégation de la DP selon laquelle son nom serait repéré dès son arrivée; elle n’est pas une personne recherchée et aucune preuve n’indique que son nom figure ou pourrait figurer sur une liste de surveillance à la demande de son père. La SAR a souligné que le père de la DP n’avait pas fait partie des forces policières ou des autorités chargées du contrôle des frontières ou de l’immigration; il avait plutôt été employé par les autorités aéroportuaires dans un poste lié aux activités de l’aéroport, telles que les installations, les pistes et les équipements.

[10] La DP n’a également pas démontré qu’elle croiserait, à son retour au Nigéria, les connaissances ou les amis que son père pourrait avoir au sein du réseau aéroportuaire de ce pays de plus de 200 millions d’habitants (chiffre précisé dans le Cartable de documentation), tout particulièrement compte tenu de la taille des aéroports et du volume de passagers qu’ils gèrent ainsi que de la possibilité de ne pas passer par Lagos, où son père était basé au moment de son départ à la retraite et où il a vécu ces dernières années.

[11] De plus, étant donné le témoignage de la DP selon lequel les demandeurs n’auraient aucun problème à voyager par voie terrestre, et du fait que le Nigéria est un grand pays géographiquement avec une population importante, la SAR a établi qu’il est raisonnable de considérer que les demandeurs pourront entrer dans le pays par voie aérienne et se rendre à une destination désignée comme une PRI sans être repérés, même dans l’éventualité où le père de la DP aurait accès, d’une manière ou d’une autre, aux données sur les entrées au pays (voir paragraphe 20 de la décision de la SAR).

[12] Enfin, la SAR a jugé, même si cela n’avait pas été soulevé en appel, que les demandeurs n’avaient pas démontré que le père de la DP aurait accès aux informations du compte bancaire personnel de cette dernière d’une telle manière que ces informations lui permettraient de retrouver les demandeurs.

[13] Après avoir examiné la décision contestée, je conclus que celle‑ci ne repose pas sur un raisonnement hypothétique, contrairement à ce que soutiennent les demandeurs, sauf en ce qui concerne la possibilité que le père de la DP puisse obtenir l’accès aux données sur les entrées au pays. Les motifs attestent plutôt d’une absence de preuve de la part des demandeurs, sur qui reposait le fardeau de preuve.

[14] La SAR est présumée avoir examiné l’ensemble du dossier dont elle disposait et n’était pas tenue de renvoyer à une preuve ou à un élément en particulier de la demande d’asile (Basanti c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 1068 au para 24). Il était loisible à la SAR d’évaluer, de soupeser et de privilégier les éléments de preuve pour lesquels les motifs sont justifiés au regard du dossier. Les demandeurs n’invoquent aucun élément de preuve ou observation qui serait en contradiction directe avec les conclusions.

[15] Essentiellement, il est demandé à la Cour d’exercer des fonctions équivalant à celles d’un tribunal d’appel, de telle manière qu’elle examinerait le dossier, évaluerait et soupèserait la preuve, puis substituerait ses conclusions à celles de la SAR (Vavilov, précité, au para 83).

[16] Pour les motifs précédemment exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑781‑20

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question grave de portée générale n’est certifiée.

« Michel M.J. Shore »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

imm‑781‑20

 

INTITULÉ :

OLUWAKEMI ADEOL OLARERIN et AL c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUéBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 12 JANVIER 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SHORE

 

DATE DES MOTIFS :

LE 28 JANVIER 2021

 

COMPARUTIONS :

Marie Pierre Blais Ménard

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Lynne Lazaroff

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Hasa Avocats

Montréal (Québec)

 

POUR LES DEMANDEURS

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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