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Date : 19980702


Dossier : T-470-96

OTTAWA (Ontario), le jeudi 2 juillet 1998

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE B. REED

ENTRE :

     ALZA CORPORATION et

     BAYER INC.,

     requérantes,

     et

     APOTEX INC. et

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

     intimés.

     ORDONNANCE

     VU la demande d'ordonnance de se justifier entendue à Toronto (Ontario), le mardi 16 juin 1998, et pour les motifs prononcés en ce jour,

     LA COUR STATUE COMME SUIT :

     1. L'instance que les requérantes ont introduite le 26 février 1996 est rejetée conformément à la règle 1617(1) des Règles de la Cour fédérale.

     2. Les requérantes ont le droit de recouvrer de l'intimée Apotex Inc. les frais qu'elles ont engagés dans le cadre de la présente demande jusqu'au 1er septembre 1996.

     3. L'intimée Apotex Inc. a le droit de recouvrer des requérantes les frais qu'elle a engagés dans le cadre de la présente demande après le 1er septembre 1996.

                             B. Reed

                                     Juge

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.


Date : 19980702


Dossier : T-470-96

ENTRE :

     ALZA CORPORATION et

     BAYER INC.,

     requérantes,

     et

     APOTEX INC. et

     LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL,

     intimés.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE REED

[1]      Dans une ordonnance datée du 11 mars 1998, le juge Hugessen a demandé aux requérantes d'exposer les raisons pour lesquelles la présente demande ne devrait pas être rejetée en raison du retard injustifié de leur part à la faire valoir.

Les faits

[2]      Les requérantes ont engagé la présente instance le 26 février 1996 par une demande d'ordonnance interdisant au ministre de la Santé nationale et du Bien-être social de délivrer un avis de conformité (AC) à l'intimée Apotex (l'intimée) relativement à certains comprimés de nifédipine. Cette demande d'ordonnance est fondée sur le Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité), DORS 93/133.

[3]      La procédure applicable aux termes de ce Règlement a été décrite à maintes reprises et il n'est pas nécessaire de répéter cette description en l'espèce. Il suffit de dire que le ministre ne peut délivrer un AC à l'égard d'une drogue visée par un brevet énuméré dans la liste, sauf s'il est saisi d'une allégation d'absence de contrefaçon dans la présentation de drogue nouvelle et qu'un avis de cette allégation a été envoyé au titulaire du brevet. La présente demande a été engagée en réponse à un avis d'allégation en date du 5 janvier 1996 que l'intimée a fait parvenir aux requérantes. L'intimée a allégué dans cet avis que la fabrication et la vente des comprimés pour lesquelles elle a demandé un AC au ministre ne contreferaient pas les lettres patentes canadiennes 1,074,653 et 1,222,956 parce que les comprimés ne constitueraient pas des dispositifs osmotiques.

[4]      Le 9 avril 1996, Madame le juge McGillis a rendu une ordonnance de confidentialité à l'égard d'une partie de la preuve que les parties déposeraient. Elle a ordonné à Apotex de déposer sa preuve avant le 27 juin 1996 et elle a également ordonné aux parties de demander, dans les quatre semaines suivant ce dépôt, des directives supplémentaires au sujet du calendrier relatif à la demande.

[5]      Le 3 mai 1996, l'avocat de l'intimée Apotex a écrit aux avocats des requérantes pour les informer que sa cliente avait l'intention de retirer l'allégation dont le ministre était alors saisi et qui faisait l'objet de l'avis d'allégation. Il a précisé que sa cliente préparait une nouvelle formulation à l'égard des comprimés et que, selon lui, la présente demande serait retirée une fois que le retrait de l'allégation alors existante serait confirmé. Ce retrait empêcherait automatiquement le ministre de délivrer un AC avant le dépôt d'une allégation supplémentaire dont la justification devrait être établie, si les requérantes la contestaient.

[6]      Le 25 juin 1996, l'avocat de l'intimée a écrit à l'avocate des requérantes pour lui confirmer le retrait de l'allégation. Il a mentionné que si Apotex décidait de demander un AC à l'égard de la nifédipine, elle le ferait au moyen d'une autre allégation. Il a demandé si les requérantes avaient l'intention de se désister de la présente demande. Le 26 juin 1996, l'avocate des requérantes a répondu qu'elle attendait des directives de ses clientes à ce sujet. Par la suite, l'avocat de l'intimée a fait parvenir cinq lettres datées respectivement des 9 et 24 juillet ainsi que des 1er, 13 et 29 août 1996 en vue d'obtenir une réponse à la lettre du 25 juin 1996. Le 3 septembre 1996, l'avocate des requérantes a fait savoir qu'elle n'avait pas encore reçu de directives de ses clientes.

[7]      Le 16 septembre 1996, l'avocate des requérantes a écrit à l'avocat de l'intimée pour lui dire que ses clientes ne pouvaient déterminer la position à prendre relativement à un désistement avant de recevoir de l'intimée des renseignements concernant l'ancienne et la nouvelle formulations en ce qui a trait aux comprimés. Elle a précisé que ses clientes voulaient obtenir ces renseignements afin de savoir si la nouvelle formulation était sensiblement différente de l'ancienne.

[8]      Le 18 septembre 1996, l'avocat de l'intimée a répondu qu'il ne comprenait pas pourquoi ces renseignements étaient nécessaires, [TRADUCTION] " dans la mesure où l'allégation actuelle est retirée et où une nouvelle allégation (ayant pour effet de reprendre la démarche à neuf) sera formulée ". L'avocat de l'intimée a redemandé à l'avocate des requérantes d'obtenir des directives autorisant un désistement en l'espèce.

[9]      La demande de renseignements concernant l'ancienne et la nouvelle formulations a été réitérée le 8 octobre 1996. L'avocate des requérantes a mentionné que, si la seconde allégation n'était pas sensiblement différente de la première, il pourrait y avoir emploi abusif des procédures. Le 10 octobre 1996, l'avocat de l'intimée a écrit en invoquant au soutien du retrait de la première allégation le fait que la formulation s'y rapportant ne respectait pas les exigences de la Direction générale de la protection de la santé. Il a mentionné que sa cliente pouvait retirer cette formulation et recommencer à neuf et ajouté que les requérantes pourraient invoquer un argument lié à l'emploi abusif des procédures dans le contexte d'une demande d'interdiction se rapportant à la seconde allégation que l'intimée déposerait.

[10]      Le 22 octobre 1996, une réponse a été donnée à la lettre du 10 octobre de la même année. Selon cette réponse, un des trois avocats des requérantes qui étaient inscrits au dossier était à l'extérieur du bureau, mais la lettre du 10 octobre serait portée à son attention à son retour la semaine suivante. L'avocat de l'intimée a ensuite fait parvenir des lettres en date du 11 novembre 1996 et du 7 janvier 1997 afin d'obtenir une réponse à sa lettre du 10 octobre 1996.

[11]      Je dois souligner que, tout au long de cette période, le greffe de la Cour fédérale a communiqué avec les avocats, d'abord avec les avocats de l'intimée le 31 juillet 1996, puis avec ceux des requérantes, du 13 septembre 1996 au 14 janvier 1997, afin de savoir pourquoi aucune autre mesure n'était prise dans l'instance.

[12]      Le 7 janvier 1997, l'avocat des requérantes a répondu à la lettre de l'avocat de l'intimée en date du 10 octobre 1996. En ce qui a trait au non-respect des exigences de la Direction générale de la protection de la santé, il a mentionné que, étant donné qu'aucun renseignement n'avait été fourni au sujet de cet argument, il n'était pas en mesure d'y souscrire ou d'exprimer son désaccord à ce sujet. Il a redemandé des renseignements au sujet des deux formulations de l'intimée, afin que Bayer puisse décider si la seconde était sensiblement différente de la première.

[13]      Le 10 février 1997, l'avocat de l'intimée a rappelé par écrit qu'à son avis les renseignements supplémentaires que les requérantes demandaient n'étaient pas nécessaires. Au même moment, des précisions ont été fournies au sujet de la formulation qui avait été retirée. Les précisions ont été communiquées à l'avocat à titre confidentiel pour l'inciter à dénouer l'impasse en l'espèce. Le 25 février et le 10 mars 1997, l'avocat des intimés a fait parvenir des lettres de rappel en vue d'obtenir une réponse à cette lettre du 10 février 1997.

[14]      Le 27 mars 1997, l'avocat des requérantes a répondu en faisant valoir que les renseignements fournis par l'intimée étaient encore insuffisants et a proposé à celle-ci de consentir à une ordonnance d'interdiction, suivant le raisonnement adopté dans la décision AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1995), 52 C.P.R. (3d) 3 (C.F. 1re inst.). Dans cette affaire, il a été décidé que le retrait d'une allégation indiquait un aveu de contrefaçon et que, par conséquent, la demande visée par l'allégation devrait être tranchée au moyen d'une ordonnance d'interdiction. Le 4 avril 1997, l'avocat de l'intimée a fait savoir que cette proposition était inacceptable, compte tenu des décisions AB Hassle c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) (1997), 72 C.P.R. (3d) 318 (C.F. 1re inst.), et Merck Frosst c. Canada (1997), 72 C.P.R. (3d) 468 (C.F. 1re inst.). Dans la première décision, aux pages 324, 326 et 327, le juge Nadon a refusé de rendre une ordonnance d'interdiction à l'égard du retrait d'une allégation, statuant que le retrait rendait la demande théorique et que les faits portés à son attention ne lui permettaient pas de conclure que le retrait constituait un aveu de contrefaçon :

     Dans l'affaire Hassle, précitée, le juge Richard a considéré que le retrait de l'avis constituait un aveu que les allégations dont il y était question n'étaient pas fondées. Toutefois, il existe en l'espèce des faits convaincants qui expliquent pourquoi l'avis d'allégation a été retiré. Je ne considère pas que le retrait constitue un aveu. Le retrait de l'avis a seulement pour effet de conférer un caractère théorique à la présente action. Si je n'avais pas conclu que l'affaire est théorique, j'aurais considéré, comme l'a fait le juge Richard dans l'affaire Hassle, précitée, qu'aucune des allégations n'était fondée.         

[15]      Dans la décision Merck Frosst, le juge Rothstein a décidé que, lorsqu'une deuxième allégation est retirée, l'instance s'y rapportant devient théorique. Il a ajouté qu'il ne restait aucune question contestée qui avait un lien logique avec l'instance et que l'ordonnance d'interdiction concerne uniquement la demande qui y donne naissance, pourvu que les allégations ne soient aucunement interdépendantes1.

[16]      Le 3 juin 1997, l'avocat de l'intimée a réécrit à l'avocat des requérantes pour lui demander une réponse à sa lettre du 4 avril 1997. Entre-temps, après s'être entretenu à maintes reprises avec les avocats au sujet de l'état du dossier, le greffe a avisé ceux-ci qu'il délivrerait une lettre fondée sur la règle 1606. Cette lettre a été envoyée à l'avocat des requérantes le 30 mai 1997. En voici le texte :

             
     [TRADUCTION] Le 26 février 1996, un avis de requête introductive d'instance en contrôle judiciaire a été déposé dans le dossier susmentionné conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.         
         J'attire votre attention sur la règle 1606(1), qui concerne la production du dossier de la demande :         
         Règle 1606.(1) La partie requérante doit, dans un délai de 60 jours à compter du dépôt de l'avis de requête :                 
         a) déposer son dossier selon le nombre de copies exigé par la règle 1609(2);                 
         b) en signifier copie aux autres parties.                 
         Jusqu'à maintenant, aucun dossier ou requête en vue d'obtenir une prorogation de délai n'a été déposé.         
         Auriez-vous l'obligeance de faire savoir au greffe si vous avez ou non l'intention de faire valoir la demande?         
         De plus, le 9 avril 1996, Madame le juge McGillis a rendu une ordonnance enjoignant aux intimés de déposer leur preuve au plus tard le 27 juin 1996. Nous constatons que les intimés n'ont pas donné suite à cette ordonnance.         
         La Cour a ordonné au greffe de vous aviser qu'à moins que des mesures ne soient prises dans les trois semaines suivant la date de la présente lettre, elle envisagera la possibilité de rendre une ordonnance vous sommant d'exposer les raisons pour lesquelles la demande ne devrait pas être rejetée en raison du retard injustifié à la faire valoir conformément à la règle 1617.         

[17]      Le 25 juin 1997, les requérantes ont déposé un avis de requête devant être présenté le 14 juillet 1997 en vue d'obtenir, conformément à l'ordonnance de Madame le juge McGillis en date du 9 avril 1996, un calendrier au sujet de l'audition d'une requête visant à fixer les conditions selon lesquelles la présente demande devrait être tranchée, compte tenu du retrait de l'allégation de l'intimée. Selon les conditions que les requérantes envisageaient, le ministre ne pourrait délivrer un AC à l'intimée relativement à une seconde formulation de la drogue en question à moins que celle-ci ne soit sensiblement différente de celle qui avait été retirée. Le 14 juillet 1997, la requête a successivement été reportée, suivant le consentement des parties, au moyen de lettres que l'avocat des requérantes a adressées au greffe, d'abord du 14 juillet au 11 août, puis du 11 août au 8 septembre, du 8 septembre au 15 septembre, du 15 septembre au 22 septembre, du 22 septembre au 29 septembre, du 29 septembre au 20 octobre, du 20 octobre au 10 novembre, du 10 novembre au 17 novembre 1997 et du 17 novembre 1997 à une date indéterminée.

[18]      De septembre à novembre 1997, les parties se sont écrit afin de tenter de régler le différend qui les opposait. L'avocat des requérantes a fait parvenir une lettre comportant une proposition en date du 10 septembre 1997. L'avocat de l'intimée a répondu par une contre-offre le 12 septembre 1997. L'avocat des requérantes a envoyé une proposition révisée le 17 septembre 1997 et l'avocat de l'intimée a répondu à cette proposition le 19 septembre de la même année. À cette date, deux questions n'avaient pas encore été réglées, soit le nom de la drogue à identifier dans l'ordonnance de désistement et un montant d'environ 7 500 $ se rapportant aux dépens.

[19]      Ce n'est que le 5 mars 1998 qu'une réponse a été reçue à l'égard de la lettre de l'avocat de l'intimée en date du 19 septembre 1997. Selon cette réponse, pour qu'il y ait désistement, toute seconde formulation devait être différente (et non plus sensiblement différente) de celle qui avait été retirée en juin 1996. Entre-temps, l'intimée avait fait signifier aux requérantes, le 23 janvier 1998, un nouvel avis d'allégation portant que la nouvelle formulation relative aux comprimés de nifédipine n'était pas un dispositif osmotique.

[20]      Les requérantes ont déposé une demande d'ordonnance d'interdiction en vue d'empêcher le ministre de délivrer un AC à l'égard des comprimés de nifédipine sur la foi de la nouvelle formulation et de la nouvelle allégation. Cette demande, qui porte le numéro de dossier T-420-98, a été engagée le 13 mars 1998.

[21]      Tel qu'il est mentionné plus haut, le 11 mars 1998, le juge Hugessen avait ordonné aux requérantes d'exposer les raisons pour lesquelles la présente demande ne devrait pas être rejetée pour cause de retard injustifié à la faire valoir. Les requérantes ont été sommées d'exposer leurs raisons par écrit au plus tard le 15 avril 1998. Après la délivrance de cette ordonnance, les requérantes ont déposé, le 6 avril 1998, un avis de requête devant être présenté le 14 avril 1998, soit la veille de la date limite fixée pour le dépôt desdites raisons, en vue d'obtenir une ordonnance d'interdiction dans la présente demande. L'ordonnance d'interdiction demandée devait demeurer conditionnelle jusqu'à ce que l'intimée modifie ou produise une présentation de drogue nouvelle faisant état d'une seconde formulation substantiellement différente de celle en cause dans le présent litige et jusqu'à ce que l'intimée prouve à la Cour, selon la prépondérance des probabilités, que la seconde formulation n'était pas essentiellement identique à la première et était différente d'elle. Apotex a présenté une requête reconventionnelle en vue de faire rejeter la présente demande au motif que celle-ci était théorique et que l'ordonnance de se justifier n'avait pas été respectée. Le 14 avril 1998, Madame le juge McGillis a différé sa décision sur les deux requêtes jusqu'à ce que la demande d'ordonnance de se justifier soit tranchée.

[22]      Le 1er mai 1998, après avoir examiné les observations écrites des avocats au sujet de la demande de faire, le juge Nadon a ordonné la tenue d'une audition.

Règle 1617 des Règles de la Cour fédérale

[23]      Voici le libellé de la règle 1617 des Règles de la Cour fédérale :

         (1) La Cour peut, sur demande ou de son propre chef, ordonner le rejet d'une demande de contrôle judiciaire en raison du retard injustifié de la partie requérante à la faire valoir.         
         (2) L'ordonnance mentionnée à l'alinéa (1) ne sera pas rendue avant que la partie requérante et les autres parties n'aient reçu un préavis de 10 jours et n'aient eu l'occasion de se faire entendre.         

Arguments des requérantes

[24]      L'avocat des requérantes allègue ce qui suit : (1) il n'y a pas eu de retard injustifié à faire valoir la demande, parce que l'on savait depuis juin 1996 que la demande ne serait pas poursuivie - la seule question à trancher après cette date concernait les conditions préalables au désistement de la demande; (2) les requérantes n'ont pas commis de manquement, parce que, dans son ordonnance du 9 avril 1996, Madame le juge McGillis exigeait simplement que des directives supplémentaires concernant le calendrier soient demandées dans les quatre semaines suivant le dépôt de la preuve de l'intimée et que celle-ci n'a jamais produit sa preuve; (3) aucun intérêt public n'est touché en l'espèce par le temps écoulé et le délai en question ne peut avoir constitué un retard injustifié, parce que le retrait de l'allégation empêchait automatiquement le ministre de délivrer un AC à l'intimée; (4) selon le règlement applicable, un délai de 30 mois est accordé pour la poursuite d'une demande d'ordonnance d'interdiction; (5) les requérantes seraient lésées si la seconde allégation des intimés n'est pas sensiblement différente de celle qui a été retirée; (6) si la seconde formulation n'est pas sensiblement différente (maintenant différente), il y a lieu de craindre que le dépôt de la seconde allégation ne constitue un emploi abusif des procédures; (7) au nom de l'équité, il est nécessaire de refuser de rejeter la demande.

Examen des arguments des requérantes

[25]      L'expression " faire valoir " de la règle 1617 englobe l'instance depuis le moment où elle est engagée par le document introductif jusqu'à celui où elle est tranchée de façon définitive par une ordonnance de la Cour ou jusqu'à ce qu'elle fasse l'objet d'un désistement suivant le consentement des parties. Une instance n'est tranchée de façon définitive que lorsqu'une ordonnance accordant ou refusant la réparation demandée est rendue ou qu'un désistement est déposé. Le retard à agir en vue de faire trancher la demande de façon définitive après la date à laquelle le retrait de la première allégation a été porté à la connaissance des parties est visé par la règle 1617(1).

[26]      Même si l'ordonnance de Madame le juge McGillis obligeait les parties à revenir devant la Cour pour obtenir des directives supplémentaires dans les quatre semaines suivant le dépôt de la preuve de l'intimée, l'omission de celle-ci de produire sa preuve n'excuse pas l'inaction subséquente des requérantes. Comme l'a soutenu l'avocat de l'intimée, celle-ci n'est pas absolument tenue de produire des éléments de preuve; la date du 27 juin 1996 était uniquement une date limite fixée pour la production de cette preuve. L'intimée a le droit d'abandonner sa première allégation, si elle le désire, et c'est ce qu'elle a fait. À mon avis, il appartient à ce stade aux requérantes d'entreprendre l'étape suivante. Les requérantes ont la charge de la conduite de l'instance. Même si Bayer soutient que l'intimée Apotex est tout aussi responsable du retard, étant donné qu'elle aurait pu demander à la Cour une ordonnance portant rejet de la demande pour cause de futilité, un retard de la part des deux parties demeure un retard.

[27]      Je reconnais qu'aucun intérêt public spécifique à la présente affaire n'est touché par le retard. Toutefois, l'intérêt public général exige que les instances engagées devant les tribunaux se déroulent rapidement. Même si les parties ne sont peut-être pas préoccupées par le temps que demande le traitement d'une instance judiciaire donnée, la Cour et le public le sont. Des fonds publics ont été gaspillés en l'espèce, dans la mesure où le personnel du greffe a consacré inutilement du temps à ce dossier et dans la mesure où les membres de la Cour ont consacré du temps à l'examen de cette requête du 25 juin 1997 qui a été ajournée à maintes reprises. Quoi qu'il en soit, le texte de la règle 1617(1) ne permet pas de dire qu'un intérêt public spécifique à l'affaire doit être présent pour que la règle en question s'applique.

[28]      On ne m'a pas convaincue que le délai d'injonction de 30 mois prévu à l'alinéa 7(1)e) du Règlement sur les médicaments brevetés (avis de conformité) visait à exonérer les parties de l'obligation d'agir rapidement pour régler une allégation contestée.

[29]      En ce qui a trait à l'argument selon lequel les requérantes seraient lésées si la formulation à laquelle la seconde allégation de l'intimée se rapporte n'est pas sensiblement différente de celle qui a été retirée, aucun affidavit n'a été déposé au soutien de cette prétention. Le préjudice qui serait causé n'a pas été identifié, sauf en ce qui a trait au temps et aux coûts liés à la poursuite de la demande fondée sur l'allégation retirée, et des dépens peuvent être accordés à cet égard.

[30]      Dans la décision A.B. Hassle (1995), la preuve indiquait que le retrait de la première allégation et la substitution d'une seconde visaient à contourner un délai qui avait été oublié par inadvertance. Le dépôt d'une seconde allégation pouvait donc être considéré comme un emploi abusif des procédures. Cependant, les faits présentés en l'espèce ne permettent pas de décrire de cette façon le retrait de l'allégation et le dépôt d'une nouvelle. Même si les deux allégations sont identiques (les comprimés ne sont pas des dispositifs osmotiques), cela ne signifie pas que les formulations elles-mêmes le soient ou qu'il y ait eu emploi abusif des procédures lors du retrait de l'allégation et du dépôt subséquent d'une nouvelle allégation. En tout état de cause, cet argument pourra être invoqué dans le contexte de la demande relative au dossier T-420-98, si les requérantes le désirent.

[31]      L'avocat des requérantes soutient que l'équité favorise ses clientes. Si j'ai bien compris, cet argument comporte deux volets : l'avocat des requérantes aurait été trompé par la lettre de l'avocat de l'intimée en date du 10 février 1997; en second lieu, les deux parties n'ont pas semblé très préoccupées par la nécessité de trancher la présente demande de façon définitive : ce n'était pas une question prioritaire pour elles. Dans ces circonstances, l'avocat allègue qu'il ne conviendrait pas de rejeter la demande des requérantes pour cause de retard injustifié à la faire valoir.

[32]      En ce qui a trait à la lettre du 10 février 1997, on m'a demandé d'accepter de façon informelle en preuve à l'audience la partie confidentielle de la lettre, c'est-à-dire de l'accepter sans affidavit à l'appui et sans que l'autre partie ait eu la possibilité de poser des questions en contre-interrogatoire au sujet de l'affidavit qui aurait pu être déposé. J'ai refusé d'accepter la preuve de cette façon. En fait, j'ai appris que les requérantes avaient présenté la semaine précédente, bien que dans la demande T-420-88, une requête en vue de lever la confidentialité de la partie de la lettre en question, laquelle requête a été reportée à une date indéterminée sur les instances des requérantes. Cette lettre existe depuis longtemps et les avocats sont au courant de l'ordonnance de se justifier depuis belle lurette également. Chercher à déposer à la dernière minute une preuve supplémentaire sans affidavit attestant le préjudice qu'elle est censée démontrer constitue une façon de procéder à tout le moins étrange. J'ai refusé d'accepter la preuve proposée.

[33]      Quant à l'argument selon lequel aucune des parties n'accordait beaucoup d'importance à la nécessité de trancher la présente demande de façon définitive, comme je l'ai déjà mentionné, ce n'est pas une réponse au retard qui a été constaté. Une lenteur mutuelle à agir pour faire trancher une demande de façon définitive n'excuse pas le retard ni ne crée d'arguments fondés sur l'équité en faveur de l'une ou l'autre partie.

Conclusion

[34]      L'expression " retard injustifié " de la règle 1617 a été interprétée comme un retard important sans excuse raisonnable. Il n'est pas nécessaire de prouver que le retard a lésé l'une ou l'autre partie : voir l'arrêt Bellefeuille c. Commercial Transport (Northern) Ltd. (1994), 81 F.T.R. 317 (C.A.F.), conf. (1994), 82 F.T.R. 22. Les discussions en vue d'un règlement ne constituent pas non plus une excuse justifiant un manquement aux Règles : voir la décision Jazz Inspiration Ltd. c. Canada (Procureur général), 21 août 1995, T-2210-91 :

     [5] ... À l'évidence, le fait que les discussions de règlement ont lieu n'empêche pas les deux parties de s'assurer que les conditions des Règles sont remplies au cas où ces discussions n'aboutiraient pas. C'est plus ou moins ce qui s'est passé en l'espèce. Entre octobre 1992 et novembre 1994, il n'existe aucune preuve des activités des parties. En novembre 1994, le CRTC a informé par écrit qu'aucun règlement n'était possible. Malgré l'ordonnance de la Cour d'appel fédérale, la requérante n'a rien fait pendant environ une période de 4 à 5 mois relativement à la présente demande de contrôle judiciaire qui a été présentée le 27 août 1991.         

[35]      Dans la présente affaire, deux ans se sont écoulés sans que des mesures importantes n'aient été prises pour faire évoluer la demande vers un règlement définitif, même si les parties savaient que le fondement sous-jacent de celle-ci avait disparu. Les motifs invoqués au soutien du retard ne peuvent être considérés comme une excuse raisonnable. Dans les circonstances, il convient de rejeter la demande conformément à la règle 1617. Une ordonnance sera rendue en conséquence.

                             B. Reed

                                     Juge

OTTAWA (ONTARIO)

Le 2 juillet 1998

Traduction certifiée conforme

C. Bélanger, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU GREFFE :              T-470-96

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ALZA CORPORATION ET AL

                     c.

                     APOTEX INC. ET AL

LIEU DE L'AUDIENCE :          Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      16 juin 1998

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DE MADAME LE JUGE REED

EN DATE DU :              2 juillet 1998

ONT COMPARU :

Me Neil R. Belmore                  POUR LES REQUÉRANTES

Me Andrew R. Brodkin              POUR L'INTIMÉE APOTEX

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling, Strathy & Henderson          POUR LES REQUÉRANTES

Toronto (Ontario)

Goodman, Phillips & Vineberg          POUR L'INTIMÉE APOTEX

Toronto (Ontario)

Me Morris Rosenberg             

Sous-procureur général du Canada      POUR LE MINISTRE INTIMÉ
__________________

     1      Au cours des plaidoiries, la décision rendue dans l'affaire Bayer AG c. Canada (Ministre de la Santé nationale et du Bien-être social) , [1997] A.C.F. no 1785, a également été citée. Toutefois, cette décision n'est pas particulièrement pertinente en l'espèce, parce qu'elle a été rendue sur la foi d'une procédure à laquelle les avocats avaient consenti.

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