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Date : 20210129


Dossier : T‑1609‑19

Référence : 2021 CF 101

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 29 janvier 2021

En présence de monsieur le juge Norris

ENTRE :

DOUG DIXON

demandeur

et

GROUPE BANQUE TD et

TD CANADA TRUST MME JACQUELINE ROVER

défendeurs

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1] La Cour est saisie d’un appel interjeté par le demandeur, Doug Dixon, au titre de l’article 51 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106 (les Règles), d’une ordonnance de la protonotaire Furlanetto datée du 16 novembre 2020, par laquelle sa requête sollicitant la récusation de cette dernière en raison d’un conflit d’intérêts a été rejetée.

[2] Pour les motifs qui suivent, la présente requête est rejetée.

[3] Le 26 octobre 2020, M. Dixon, qui n’est pas représenté par un avocat, a déposé une requête en vue d’obtenir une ordonnance de récusation des protonotaires Furlanetto, Milczynski et Aalto de toutes les affaires liées au présent dossier en raison d’un conflit d’intérêts allégué. L’affaire en cause est une demande de contrôle judiciaire de la décision de la Commission canadienne des droits de la personne de rejeter une plainte de M. Dixon contre les défendeurs, au motif que la plainte était frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H‑6. D’autres renseignements concernant la demande de contrôle judiciaire se trouvent dans l’ordonnance et les motifs de la juge Walker datés du 12 novembre 2020, où l’on traite d’autres aspects préliminaires de la requête : voir Dixon c Groupe Banque TD, 2020 CF 1054.

[4] Bien que M. Dixon affirme que les protonotaires sont en conflit d’intérêts, il n’a pas précisé en quoi consiste ce conflit. Il semble que sa véritable préoccupation soit que les protonotaires, en fait ou en apparence, ne puissent pas trancher équitablement d’autres questions procédurales parce qu’ils ont statué défavorablement à son égard dans le passé. Ainsi, selon M. Dixon, ils devraient tous être récusés sur la base de préjugés, réels ou raisonnablement appréhendés.

[5] La requête en récusation a été soumise à la protonotaire Furlanetto, la juge responsable de la gestion de l’instance. Comme il se doit, la protonotaire Furlanetto n’a examiné que l’allégation selon laquelle elle devrait se récuser; elle n’a pas abordé les allégations concernant les protonotaires Milczynski et Aalto. Après avoir exposé la jurisprudence et le critère juridique applicables, la protonotaire Furlanetto a conclu qu’[traduction] « aucun motif juridique de récusation n’a été établi ». M. Dixon interjette maintenant appel de cette décision.

[6] Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt Corporation de soins de la santé Hospira c Kennedy Institute of Rheumatology, 2016 CAF 215 aux para 28 et 66, la norme de contrôle applicable aux appels des ordonnances discrétionnaires des protonotaires est la norme de la décision correcte pour les questions de droit, et la norme de l’erreur manifeste et dominante pour les questions de fait et les questions mixtes de fait et de droit pour lesquelles il n’y a pas de questions de droit isolables : voir aussi Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 aux para 8, 10, 25 et 37. Par conséquent, pour obtenir gain de cause en l’espèce, M. Dixon doit démontrer soit une erreur de droit, soit une erreur de fait ou une erreur mixte de fait et de droit manifeste et dominante de la part de la protonotaire Furlanetto.

[7] Dans son ordonnance, la protonotaire Furlanetto a résumé de manière exhaustive et juste les principes juridiques applicables. Elle a également énoncé le critère juridique applicable en matière de requête en récusation fondée sur une allégation de partialité.

[8] Quant à l’erreur manifeste et dominante pour une question de fait ou mixte de fait et de droit, la Cour d’appel fédérale a confirmé qu’il « s’agit d’une norme élevée à laquelle il est difficile de satisfaire » : voir Rodney Brass c Papequash, 2019 CFA 245 au para 11. Une erreur manifeste et dominante [traduction] « est une erreur qui est suffisamment évidente et substantielle pour modifier éventuellement la conclusion de l’affaire » : voir Hospira Healthcare Corporation c Kennedy Trust for Rheumatology Research, 2020 CAF 177 au para 7; voir aussi Canada c South Yukon Forest Corporation, 2012 CAF 165 au para 46, cité avec approbation dans Benhaim c St‑Germain, 2016 CSC 48 au para 38.

[9] Le seul fondement de l’argument de M. Dixon selon lequel la protonotaire Furlanetto devrait se récuser est son insatisfaction à l’égard de la directive qu’elle a donnée le 11 décembre 2019 concernant la signification de l’avis de demande introductif d’instance, qui a eu des répercussions sur le moment où les défendeurs devaient déposer leur avis de comparution. Comme la protonotaire Furlanetto l’a affirmé à juste titre, un désaccord avec la décision d’un tribunal ne peut à lui seul étayer une allégation de partialité : voir Blank c Canada (Justice), 2017 CAF 234 au para 5.

[10] Il s’agit également de la principale plainte que M. Dixon soulève en l’espèce. Il a écrit : [traduction] « Le demandeur estime qu’il est une personne raisonnable et bien informée qui a examiné la question et a conclu que les protonotaires ont commis une erreur grave en autorisant les défendeurs à déposer leur avis de comparution avec un retard important ». Il cherche également à faire la distinction entre les circonstances factuelles de son dossier et celles des précédents cités par la protonotaire Furlanetto.

[11] M. Dixon est loin d’avoir démontré une quelconque erreur de la part de la protonotaire Furlanetto, et encore moins une erreur manifeste et dominante. Même si elle avait commis une erreur dans sa directive concernant la signification de l’acte introductif d’instance (ce qu’elle n’a pas fait), cela ne serait en aucun cas une preuve de partialité, réelle ou appréhendée : voir Hociung c. Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CAF 214 au para 54. La requête en récusation était totalement infondée. Il en va de même pour le présent appel.

[12] J’ajouterai deux observations.

[13] Tout d’abord, même si la question de la qualité pour agir des défendeurs n’a pas été soulevée officiellement dans l’avis de requête qui lui avait été soumis, la juge Walker a choisi de l’examiner « afin de mettre un terme à ce qui est encore une importante préoccupation pour M. Dixon » (para 16). Après une analyse approfondie, la juge Walker a conclu que l’avis de comparution des défendeurs avait été déposé conformément aux articles 3 et 305 des Règles des Cours fédérales et aux directives données par la Cour. Elle était également prête à conclure, à titre subsidiaire, que les défendeurs avaient agi de bonne foi tout au long de la procédure et auraient eu droit à une dispense pour tout manquement aux Règles qu’ils auraient pu commettre. En outre, la juge Walker a expressément conclu que les protonotaires de la Cour (y compris, bien entendu, la protonotaire Furlanetto) « ont tenté à plusieurs reprises, dans l’intérêt des deux parties, de résoudre les problèmes survenus au départ et de s’assurer que chacun des documents requis soit dûment signifié aux parties. Ils ont tenu compte des besoins de M. Dixon en tant que plaideur non représenté » (para 32).

[14] Toutefois, par souci d’équité envers M. Dixon, soulignons qu’il a présenté sa requête en récusation avant de connaître l’ordonnance et les motifs de la juge Walker. Néanmoins, sa décision de faire appel de l’ordonnance de la protonotaire Furlanetto en dépit des conclusions de la juge Walker laisse penser qu’il n’a pas pris ces conclusions au sérieux. Pour qu’il n’y ait plus aucun doute à ce propos, la question du dépôt de l’avis de comparution des défendeurs est réglée. Il est temps d’aller de l’avant.

[15] Par ailleurs, puisque M. Dixon agit en son nom propre dans la présente affaire, il n’a vraisemblablement pas bénéficié des conseils d’un avocat concernant la requête en récusation ou le présent appel. S’il avait eu de tels conseils, on lui aurait dit qu’alléguer un manque d’impartialité à l’égard d’un juge est « une décision sérieuse qu’on ne doit pas prendre à la légère » parce que cela met en cause non seulement l’intégrité personnelle du juge, mais aussi l’intégrité de l’administration de la justice : voir R. c S. (R.D.), [1997] 3 RCS 484 au para 113; voir aussi Ahamed c Canada, 2020 CAF 213 au para 8. On lui aurait dit que seule une démonstration sérieuse et substantielle, faite par des preuves convaincantes, peut réfuter la forte présomption que les juges s’acquitteront de leurs fonctions adéquatement et avec intégrité : voir Ignace c. Canada (Procureur général), 2019 CAF 239 au para 16, et les affaires qui y sont citées. En outre, on lui aurait dit de ne pas alléguer, sans fondement et sans preuve, la partialité en raison des dommages que ces allégations causent à l’administration de la justice : voir Sir c Canada, 2019 CAF 101 au para 8.

[16] La Cour a la responsabilité, le cas échéant, d’accorder une certaine latitude à un plaideur non représenté par un avocat lorsque cela est nécessaire, pour garantir qu’il puisse faire valoir sa position de manière exhaustive et équitable. Par exemple, la Cour était prête à instruire le présent appel malgré le fait que M. Dixon n’ait pas déposé sa requête à temps (les défendeurs ayant consenti à une prolongation du délai). Elle était également prête à accepter la réponse de M. Dixon aux fins de dépôt, malgré le fait qu’elle était aussi en retard. Par contre, les plaideurs non représentés « ne se voient accorder aucun droit additionnel ni dispense spéciale » (Hociung c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2020 CF 699 au para 12; voir aussi Sauve c Canada, 2014 CF 119 au para 19). Comme toute partie devant la Cour, il incombe à M. Dixon de mener ce litige conformément aux principes énoncés au paragraphe précédent. Ni la requête en récusation initiale ni le présent appel n’auraient dû être présentés.

[17] Les défendeurs n’ont pas demandé de dépens pour cette requête, mais se sont expressément réservé le droit d’en demander à l’issue de l’audience de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente.


ORDONNANCE dans le dossier T‑1609‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête interjetant appel de l’ordonnance de la protonotaire Furlanetto datée du 16 novembre 2020 est rejetée.

  2. La présente ordonnance est rendue sans préjudice du droit des défendeurs de demander le paiement des dépens de la présente requête à l’issue de l’audience de la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente.

« John Norris »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1609‑19

 

INTITULÉ :

DOUG DIXON c GROUPE BANQUE TD ET AL.

REQUÊTE PRÉSENTÉE PAR ÉCRIT EXAMINÉE À OTTAWA (ONTARIO) EN VERTU DE L’ARTICLE 369 DES RÈGLES DES COURS FÉDÉRALES

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE NORRIS

 

DATE DE L’ORDONNANCE ET DES MOTIFS :

LE 29 JANVIER 2021

 

OBSERVATIONS ÉCRITES PAR :

Doug Dixon

 

LE DEMANDEUR

 

Bonny Mak

Justin P’ng

 

POUR LES DÉFENDEURS

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin LLP

Avocats

Toronto (Ontario)

POUR LES DÉFENDEURS

 

 

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