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Date : 20210205


Dossier : IMM-6692-20

Référence : 2021 CF 124

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 5 février 2021

En présence de l’honorable juge Southcott

ENTRE :

HELMUT OBERLANDER

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA

SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA

PROTECTION CIVILE

défendeur

ORDONNANCE ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] Le 20 janvier 2021, le demandeur a présenté une requête afin d’obtenir une ordonnance sursoyant à son enquête devant la Section de l’immigration [SI] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [CISR], actuellement prévue pour les 8 et 11 février 2021, jusqu’à ce que la présente demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en cause en l’espèce soit tranchée. La demande sous‑jacente conteste une décision de la SI, datée du 11 décembre 2020, refusant la demande du demandeur de reporter la mise au rôle de son enquête [décision relative à la mise au rôle].

[2] Le demandeur a aussi présenté une requête en sursis semblable dans une affaire connexe (dossier de la Cour : IMM-5658-20), dans laquelle il a présenté une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire contestant une autre décision de la SI, celle‑ci datée du 20 octobre 2020. Dans cette décision, le juge a conclu que la SI avait compétence pour mener une enquête concernant le demandeur et que les principes de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée ou de l’abus de procédure [la décision relative à la compétence] ne faisaient pas obstacle à l’examen des arguments du défendeur en faveur de l’interdiction de territoire du demandeur au Canada. Cette requête en sursis est examinée dans une décision distincte de la Cour.

[3] Dans la requête actuelle, le demandeur sollicite un sursis à l’enquête à venir au motif que sa demande soulève des questions sérieuses concernant la décision relative à la mise au rôle, qu’il subira un préjudice irréparable si le sursis n’est pas accordé, et que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi du sursis. Le défendeur soutient que les arguments du demandeur ne tiennent pas la route.

[4] En ce qui a trait à la démonstration de questions sérieuses, le défendeur soutient que la demande ne soulève aucune question sérieuse pour ce qui est tant de prouver le bien‑fondé de sa contestation de la décision relative à la mise au rôle que de surmonter le principe de la prématurité. Il s’agit d’un principe de droit administratif qui interdit le contrôle judiciaire d’une décision administrative interlocutoire tant que le processus administratif suit son cours, sauf dans des circonstances exceptionnelles.

[5] Le demandeur évoque les préjudices irréparables suivants qui seraient causés si la requête en sursis n’est pas accueillie et que l’enquête va de l’avant :

  1. Si l’enquête débute avant que ne soit tranchée la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à la mise au rôle, cette demande deviendra théorique;

  2. Le stress associé au fait de devoir se présenter à une audience de la SI pourrait entraîner de graves conséquences débilitantes pour la santé du demandeur;

  3. En raison de l’incapacité auditive du demandeur et des effets de la pandémie de COVID‑19, celui‑ci ne peut être adéquatement préparé aux questions qui seront posées à l’audience de la SI ni les comprendre totalement, ce qui soulève le risque qu’il rende un témoignage qui ne sera peut‑être pas celui qu’il voulait rendre;

  4. Dans la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire de la décision relative à la mise au rôle, le demandeur sollicite une interdiction afin de protéger les droits garantis par la Charte qui seraient compromis. Il affirme que la demande soulève la question qu’un préjudice irréparable sera commis si le sursis n’est pas accordé, car une violation des droits garantis par la Charte ne pourrait pas être compensée par des dommages‑intérêts;

  5. La poursuite de l’enquête de la SI constituerait un abus de procédure, représentant un préjudice pour le demandeur et pour l’intérêt public qui ne peut être réparé.

[6] Comme nous l’expliquons en détail plus bas, la requête est accueillie en partie, parce que le demandeur a satisfait au seuil élevé applicable au fait de démontrer que sa demande soulève une question sérieuse, il a établi l’existence d’un préjudice irréparable relativement à l’équité du processus d’audience si celle‑ci devait aller de l’avant telle qu’elle est actuellement prévue, et il a établi que la prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un sursis. Cependant, la Cour n’est pas prête à accorder un sursis se prolongeant jusqu’au moment de trancher la demande de contrôle judiciaire, car les éléments de preuve montrent que des solutions possibles pourraient permettre de dissiper entre‑temps la préoccupation concernant l’équité de l’audience. Mon ordonnance accordera un sursis jusqu’au 19 mars 2021, avec autorisation de demander un autre sursis après cette date.

II. Contexte

[7] Le demandeur, M. Helmut Oberlander, a depuis longtemps des démêlés avec les autorités de l’immigration et la justice canadienne. Pour l’examen de la présente requête, je ne décrirai que l’historique récent.

[8] En 2017, la citoyenneté canadienne du demandeur a été révoquée par le gouverneur en conseil au motif que le demandeur avait fait de fausses déclarations aux fonctionnaires canadiens de l’immigration à propos de son service en temps de guerre auprès de l’Ek10a, un escadron d’exécution nazi. Il a tenté sans succès de faire annuler cette décision devant les cours fédérales.

[9] En juin 2019, deux rapports ont été établis au titre de l’article 44 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [LIPR]. Selon ces rapports, le demandeur, en tant qu’étranger, était interdit de territoire au Canada en application de l’alinéa 35(1)a) et du sous‑alinéa 40(1)d)(i) de la LIPR, pour crimes contre l’humanité et fausses déclarations. L’affaire a donc été déférée à la SI, en août 2019, pour enquête.

[10] En novembre 2019, le demandeur a présenté une demande visant à contester la compétence de la SI d’examiner des rapports établis au titre de l’article 44, au motif qu’il conservait toujours prétendument un domicile au Canada et en invoquant aussi les principes de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, et de l’abus de procédure. Le 20 octobre 2020, la SI a rejeté cette demande, concluant qu’elle avait bel et bien la compétence requise et que les principes de la chose jugée, de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée, et de l’abus de procédure ne faisaient pas obstacle à une enquête.

[11] Le 4 novembre 2020, le demandeur a déposé une demande d’autorisation et de contrôle judiciaire (dossier de la Cour : IMM-5658-20), par laquelle il contestait la décision relative à la compétence de la SI. Le 19 novembre 2020, le défendeur, le ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile, a déposé une requête écrite visant à radier la demande, jugée par lui prématurée en raison de la nature interlocutoire de la décision relative à la compétence. (La Cour a fini par rejeter cette requête le 26 janvier 2021 (voir Oberlander c Canada (MSPPC), 2021 CF 86)).

[12] Après avoir rendu la décision relative à la compétence, la SI a tenu le 25 novembre 2020 une conférence de gestion d’instance [CGI] afin d’examiner des affaires procédurales, y compris la mise au rôle de l’enquête. Lors de la CGI, le demandeur a demandé à ce que l’enquête ne soit pas encore mise au rôle. À l’appui de cette demande, l’avocat du demandeur a notamment cité l’incapacité de préparer le demandeur en vue de l’audience et la difficulté pour le demandeur de comprendre l’audience et d’y participer, en raison de son grand âge (96 ans) ainsi que des problèmes de santé et de communication résultants aggravés par la pandémie de COVID‑19. Le demandeur souhaitait qu’une autre CGI se tienne 30 jours plus tard, moment où les circonstances entourant la pandémie et ses effets sur le demandeur pourraient faire l’objet d’un nouvel examen.

[13] La SI a rejeté la demande du demandeur et, dans la décision relative à la mise au rôle maintenant à l’étude en l’espèce, elle a fourni des motifs écrits pour justifier ce refus. Le défendeur a résumé les facteurs pris en considération par la SI pour parvenir à la décision, notamment les suivants :

  1. La trousse documentaire du ministre n’est pas nouvelle;

  2. Le demandeur a eu amplement de temps pour se préparer en vue de l’audience;

  3. Le demandeur avait un représentant désigné, et un nouveau représentant ou un représentant supplémentaire pourrait être désigné, au besoin;

  4. Les problèmes de communication avec le demandeur existaient déjà avant la COVID‑19;

  5. Rien ne montre que, vu l’état physique et mental du demandeur, sa capacité de communiquer s’améliorerait après la pandémie;

  6. L’enquête a déjà été retardée, et un autre délai retarderait déraisonnablement la procédure.

[14] La SI a conclu que l’audience se tiendrait en janvier 2021, et les parties ont été avisées afin de fixer une date d’audience en fonction de leur première disponibilité. Le 23 décembre 2020, les parties ont échangé des dates de disponibilité, après quoi l’audience a été fixée aux 8 et 11 février 2021.

[15] Le 24 décembre 2020, le demandeur a déposé la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire en l’espèce, visant à contester la décision relative à la mise au rôle. Le demandeur conteste le caractère raisonnable et l’équité de la décision relative à la mise au rôle en invoquant notamment des arguments relatifs à la Charte concernant son droit à une audience équitable et sollicitant une ordonnance de la nature d’un certiorari annulant la décision relative à la mise au rôle et une ordonnance interdisant à la SI de procéder à l’enquête pour le moment.

[16] Le 8 janvier 2021, le défendeur a présenté par écrit une requête en vue de faire radier à radier la présente demande en se fondant sur son caractère prématuré, en raison de la nature interlocutoire de la décision relative à la mise au rôle. (La Cour a fini par rejeter cette requête le 26 janvier 2021 (voir Oberlander c Canada (MSPPC), 2021 CF 87 [Oberlander]).

[17] Le 20 janvier 2021, le demandeur a déposé la présente requête en sursis, ainsi qu’une requête en sursis semblable (dossier de la Cour : IMM-5658-20). Le défendeur a déposé un dossier en guise de réponse, et les parties ont débattu les deux requêtes par vidéoconférence à l’aide de la plateforme Zoom le 2 février 2021.

III. Questions en litige

[18] La seule question en litige en l’espèce est celle de savoir si le demandeur a respecté le critère applicable au sursis de l’instance devant la SI.

IV. Analyse

A. Le critère applicable en matière de requête en sursis

[19] Les parties conviennent que c’est un critère à trois volets qui s’appliquent en matière d’injonction ou de sursis, comme l’a défini la Cour suprême du Canada dans l’arrêt MacDonald Inc c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 [RJR-MacDonald]. Ce critère est conjonctif, en ce sens que, pour avoir droit à un sursis, un demandeur doit satisfaire aux trois volets du critère. Ces éléments sont qu’une question sérieuse à trancher est soulevée dans la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente, le préjudice irréparable que le rejet du sursis causerait et la prépondérance des inconvénients favorisant l’octroi du sursis.

B. Question sérieuse à trancher

[20] Comme il est expliqué dans l’arrêt RJR-MacDonald, la norme habituelle pour satisfaire au premier volet, c’est‑à‑dire démontrer que la demande sous‑jacente soulève une question sérieuse, est faible; elle oblige le demandeur à convaincre le tribunal seulement que la demande n’est ni futile ni vexatoire. Toutefois, l’arrêt RJR-MacDonald reconnaît également qu’il y a des circonstances où une norme ou un seuil élevé s’applique, ce qui oblige le tribunal à faire un examen prolongé du fond de la demande. Dans l’affaire Wang c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), 2001 CFPI 148 (C.F. 1re inst.), le juge Dennis Pelletier a expliqué que le seuil élevé s’applique dans des circonstances où l’octroi de la réparation demandée dans la requête en sursis accorde au demandeur la réparation qui est l’objet de la demande de contrôle judiciaire. Le juge qui instruit la requête en sursis doit alors examiner de près le fond de la demande sous‑jacente (aux para 8-10).

[21] Le défendeur soutient qu’une norme stricte s’applique à la présente requête. Le demandeur n’est pas du même avis. Je suis d’accord avec le défendeur pour dire qu’il s’agit d’un cas manifeste où les objets de la requête en sursis et de la demande de contrôle judiciaire sont les mêmes. La demande sollicite une mesure empêchant la mise au rôle de l’enquête pour le moment, sous prétexte que l’état de santé du demandeur et les problèmes de communication résultants aggravés par la pandémie de COVID‑19 font obstacle à sa préparation efficace en vue de l’audience et à sa participation à celle‑ci. La requête en sursis vise à atteindre le même résultat. Par conséquent, il est approprié que la Cour examine de près le bien‑fondé de la demande sous‑jacente. Cela s’étend au bien‑fondé des arguments du demandeur qui contestent la décision relative à la mise au rôle et de ses arguments quant à la raison pour laquelle la présente affaire soulève des circonstances exceptionnelles justifiant une entorse au principe de prématurité.

(1) Principe de prématurité

[22] M’attardant tout d’abord au principe de prématurité, je fais remarquer que la décision Oberlander a examiné en détail ce principe et les arguments du demandeur quant à la raison pour laquelle cela ne devrait pas entraîner la radiation de sa demande. Même si je n’ai pas à reproduire en l’espèce l’analyse faite dans la décision Oberlander avec le même niveau de détail, je répéterai certaines parties de cette analyse qui influent sur la question dont est maintenant saisie la Cour.

[23] Ce principe de droit administratif a été expliqué comme suit par le juge David Stratas dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c CB Powell Limited, 2010 CAF 61 [CB Powell], au paragraphe 31 :

31. La doctrine et la jurisprudence en droit administratif utilisent diverses appellations pour désigner ce principe : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré. Toutes ces formules expriment la même idée : à défaut de circonstances exceptionnelles, les parties ne peuvent s’adresser aux tribunaux tant que le processus administratif suit son cours. Il s’ensuit qu’à défaut de circonstances exceptionnelles, ceux qui sont insatisfaits de quelque aspect du déroulement de la procédure administrative doivent exercer tous les recours efficaces qui leur sont ouverts dans le cadre de cette procédure. Ce n’est que lorsque le processus administratif a atteint son terme ou que le processus administratif n’ouvre aucun recours efficace qu’il est possible de soumettre l’affaire aux tribunaux. En d’autres termes, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux ne peuvent intervenir dans un processus administratif tant que celui‑ci n’a pas été mené à terme ou tant que les recours efficaces qui sont ouverts ne sont pas épuisés.

[24] Le principe de prématurité a par la suite été adopté par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10, aux paragraphes 35-36.

[25] Cependant, après l’arrêt CB Powell, la Cour a rendu des décisions dans lesquelles les demandes de contrôle judiciaire de décisions administratives interlocutoires, y compris des demandes fondées sur des arguments d’abus de procédure dans le contexte de l’immigration, ont été autorisées à procéder sur le fond nonobstant le principe de la prématurité. Par exemple, dans la décision Almrei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2014 CF 1002 [Almrei], le juge Richard Mosley a rejeté une requête en radiation d’une telle demande, car il n’était pas convaincu que le demandeur disposait d’un autre recours approprié. La Cour a conclu que des circonstances exceptionnelles permettaient de conclure à un abus de procédure qui respectait la norme du « cas manifeste » qui justifie une intervention judiciaire anticipée (au para 60).

[26] De même, dans la décision Shen c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 70 [Shen], le juge Simon Fothergill a procédé à un examen sur le fond d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision de la Section de la protection des réfugiés [SPR] de rejeter deux requêtes préliminaires présentées par le demandeur. La Cour a pris en compte le principe de la prématurité, mais elle n’a pas été convaincue, au vu des circonstances de cette affaire, que la possibilité d’un contrôle judiciaire de la décision définitive de la SPR constituait un recours efficace (au para 27).

[27] Conformément à ces affaires, comme la décision CB Powell (au para 31), le principe de la prématurité n’est pas absolu. Il s’applique en l’absence de circonstances exceptionnelles. Le juge Stratas a décrit comme suit cette exception (au para 33) :

33. Partout au Canada, les cours de justice ont reconnu et appliqué rigoureusement le principe général de non‑ingérence dans les procédures administratives, comme l’illustre la portée étroite de l’exception relative aux « circonstances exceptionnelles ». Il n’est pas nécessaire d’épiloguer longuement sur cette exception, puisque les parties au présent appel ne prétendent pas qu’il existe des circonstances exceptionnelles qui permettraient un recours anticipé aux tribunaux judiciaires. Qu’il suffise de dire qu’il ressort des précédents que très peu de circonstances peuvent être qualifiées d’« exceptionnelles » et que le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé (voir à titre général l’ouvrage de D.J.M. Brown et J.M. Evans, Judicial Review of Administrative Action in Canada (édition à feuilles mobiles) (Toronto, Canvasback Publishing, 2007), pages 3:2200, 3:2300 et 3:4000, ainsi que l’ouvrage de David J. Mullan, Administrative Law (Toronto, Irwin Law, 2001), pages 485 à 494). Les meilleurs exemples de circonstances exceptionnelles se trouvent dans les très rares décisions récentes dans lesquelles les tribunaux ont accordé un bref de prohibition ou une injonction contre des décideurs administratifs avant le début de la procédure ou au cours de celle‑ci. Les préoccupations soulevées au sujet de l’équité procédurale ou de l’existence d’un parti pris, de l’existence d’une question juridique ou constitutionnelle importante ou du fait que les toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constituent pas des circonstances exceptionnelles permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces (voir Harelkin, Okwuobi, paragraphes 38 à 55, et University of Toronto c. C.U.E.W, Local 2 (1988), 55 D.L.R. (4th) 128 (Cour div. Ont.)). Ainsi que je le démontrerai sous peu, l’existence de ce qu’il est convenu d’appeler des questions de compétence ne constitue pas une circonstance exceptionnelle justifiant un recours anticipé aux tribunaux.

[28] Même si ce passage mentionne que les arguments présentés à la Cour dans l’affaire CB Powell n’exigeaient pas la prise en considération détaillée de la nature des circonstances exceptionnelles, le juge Stratas a fourni d’autres directives sur ce sujet dans l’arrêt Wilson c Énergie atomique du Canada limitée, 2015 CAF 17, aux paragraphes 31 à 33 :

31. Le principe général interdisant les contrôles judiciaires prématurés incarne au moins deux valeurs du droit public. La première est celle de la saine administration : elle vise à encourager les économies de coûts, l’efficacité et la célérité et à permettre que les compétences et les connaissances spécialisées des tribunaux administratifs soient pleinement mises à profit pour résoudre un problème avant que les juridictions de révision n’interviennent. La seconde est la démocratie : les législateurs élus ont confié à des arbitres et non à des juges la responsabilité première de rendre des décisions.

32. L’importance de ces valeurs du droit public explique la puissance et l’omniprésence du principe général interdisant les contrôles judiciaires prématurés. D’ailleurs, lorsque les conditions appropriées sont réunies, ce principe général peut servir de fondement à une requête préliminaire en radiation (Canada (Revenu national) c. JP Morgan Asset Management (Canada) Inc., 2013 CAF 250, [2014] D.T.C. 5001, au paragraphe 66 (ouverture à une requête en radiation), aux paragraphes 51 à 53 (principe général d’inadmissibilité en preuve des affidavits à l’appui), et aux paragraphes 82 à 89 (analyse du caractère prématuré dans le cadre des requêtes en radiation). Ces requêtes servent à tuer dans l’œuf les demandes de contrôle judiciaire prématurées qui portent atteinte à ces valeurs.

33. En raison de la puissance et l’omniprésence du principe général interdisant les demandes de contrôle judiciaire prématurées et de la nécessité de décourager les incursions prématurées devant juridictions de révision, les exceptions à ce principe général sont rares et les tribunaux admettent volontiers les requêtes préliminaires en radiation. Comme la Cour l’a expliqué dans l’arrêt C.B. Powell, précité, les exceptions reconnues à ce principe tiennent compte des faits particuliers constatés dans les décisions d’espèce. Il arrive, dans de rares cas, que les valeurs issues du droit public ne ressortent pas clairement des circonstances particulières d’une affaire ou que ces valeurs soient neutralisées par des valeurs concurrentes, ou les deux. Par exemple, dans de rares situations, les conséquences d’une décision interlocutoire pour le demandeur sont à ce point immédiates et radicales que le tribunal est amené à s’interroger sur le respect du principe de la primauté du droit (Dunsmuir c. Nouveau‑Brunswick, 2008 CSC 9, [2008] 1 R.C.S. 190, aux paragraphes 27 à 30). En pareil cas — où il y a souvent ouverture à un bref de prohibition —, les valeurs sous‑jacentes au principe général interdisant le contrôle judiciaire prématuré perdent de leur importance.

[29] Dans la récente décision Thielmann c The Association of Professional Engineers and Geoscientists of the Province of Manitoba, 2020 MBCA 8 [Thielmann], la Cour d’appel du Manitoba examinait la question de savoir en quoi consistent les circonstances exceptionnelles qui peuvent justifier une intervention judiciaire anticipée dans la procédure d’un tribunal administratif. Elle a conclu qu’il n’y avait pas de règles absolues, mais elle a recensé plusieurs facteurs qui avaient été jugés pertinents dans la jurisprudence applicable (voir les paragraphes 36 à 50). Elle a résumé ainsi son analyse :

[traduction]

49. En conclusion, les cours de justice n’ont donné aucune définition de l’expression « circonstances exceptionnelles » en ce qui a trait au principe de la prématurité. Les facteurs à prendre en compte dans l’exercice de ce pouvoir discrétionnaire ne peuvent être réduits à une liste de contrôle ou à un énoncé de règles générales. La liste de facteurs à prendre en compte n’est pas limitative, et les cours de justice ne seront pas tenues de considérer chacun d’eux, mais uniquement ceux qui sont pertinents.

50. Parmi les facteurs qui pourraient être pris en compte, mentionnons : (i) les difficultés ou le préjudice (y compris le préjudice irréparable, l’urgence et le retard excessif); (ii) le gaspillage de ressources si le contrôle judiciaire ne procède pas; (iii) les retards si le contrôle judiciaire va de l’avant; (iv) la fragmentation des procédures; (v) la solidité de la preuve, notamment la question de savoir s’il y a manifestement abus de procédure, ou si les actes de procédure sont à ce point viciés qu’il est manifeste et évident que le contrôle judiciaire sera couronné de succès; (vi) le contexte législatif, notamment la question de savoir s’il existe un autre recours adéquat. En outre, on ne doit jamais oublier le principe fondamental selon lequel le tribunal administratif devrait avoir le loisir de trancher la question en premier, et d’exposer des motifs qui puissent être examinés par la cour dans un éventuel contrôle.

[30] En s’opposant à la requête en radiation déposée récemment par le défendeur, le demandeur fait valoir que son grand âge et son état de santé, l’effet de la pandémie de COVID‑19 et le fait que sa demande de contrôle judiciaire sollicite une ordonnance d’interdiction et soulève des arguments fondés sur la Charte liés à l’équité du processus d’enquête constituent des circonstances exceptionnelles qui justifient une entorse au principe de la prématurité. Le demandeur a souligné que, dans la décision relative à la compétence dans le contexte de la demande accueillie de nomination d’un représentant désigné [RD] du demandeur, la SI a résumé ainsi la preuve médicale qu’elle avait passée en revue :

[traduction]

162. Selon les documents médicaux accompagnant sa demande, la vision de M. Oberlander l’empêche de bien distinguer les gens ou les objets. Il lui est impossible d’exercer des fonctions qui sollicitent le sens de la vue. Son audiologiste note qu’il est incapable de communiquer efficacement, peu importe la situation. M. Oberlander a subi un examen de la mémoire, et le psychologue qui a rédigé le rapport subséquent a relevé que, bien que certains aspects de sa fonction mnésique soient en rapport avec son âge, sa capacité de se souvenir d’une information quelques instants seulement après qu’elle lui a été donnée de vive voix est très limitée. Le psychologue a conclu que « sa capacité variable à s’orienter dans le temps et dans l’espace, combinée à son ralentissement cognitif, réduisent davantage son aptitude à bien apprécier et comprendre des directives orales et le résultat de l’action accomplie à la suite de telles directives ».

[31] Le dossier de requête du demandeur s’opposant à la requête en radiation comprenait aussi un affidavit de la fille du demandeur, désignée par la SI comme sa RD, qui était joint à une transcription de l’audience du 25 novembre 2020 devant la SI à l’origine de la décision relative à la mise au rôle. À l’audience, l’avocat du demandeur a expliqué à la SI que, en raison du confinement attribuable à la COVID‑19 et de la vulnérabilité du demandeur, l’avocat n’avait pas pu le rencontrer en personne. Il avait plutôt tenté de communiquer avec lui par téléphone, mais cela s’était révélé extrêmement difficile en raison de son incapacité auditive. L’avocat a aussi expliqué que la RD n’est pas en mesure de s’exprimer pour le demandeur sur certaines des questions que l’avocat souhaite cerner.

[32] Dans son affidavit déposé en réponse à la requête en radiation, la RD décrit aussi les tentatives de l’avocat pour communiquer avec le demandeur par son entremise. Lorsqu’elle rencontre le demandeur, elle porte un masque et un écran facial et elle s’assoit à plus de deux mètres de lui, en raison des préoccupations liées à la COVID‑19. Elle dit que, parce que le demandeur ne peut pas lire sur ses lèvres et qu’elle ne peut pas se tenir près de lui, sa capacité de l’entendre et de la comprendre est grandement diminuée. La RD a aussi insisté pour dire qu’elle ne possède pas les connaissances nécessaires pour répondre à des questions concernant l’histoire en temps de guerre du demandeur.

[33] Dans la décision Oberlander, j’ai rejeté la requête en radiation du défendeur en appliquant le critère applicable à une telle requête selon lequel un avis de demande de contrôle judiciaire ne devrait être radié que s’il est manifestement irrégulier au point de n’avoir aucune chance d’être accueilli (voir JP Morgan Asset Management (Canada) Inc. c Ministre du Revenu national, 2013 CAF 250 au paragraphe 47). J’ai conclu ce qui suit (aux para 30-31) :

[traduction]

30. Évidemment, le principe de la prématurité est un obstacle de taille que le demandeur doit surmonter, à la fois pour obtenir l’autorisation et, si l’autorisation est accordée, pour poursuivre sa demande contestant la décision. Le défendeur a cité plusieurs décisions de la Cour dans lesquelles des contestations interlocutoires de décisions de la SI liées à la mise au rôle d’enquêtes avaient été jugées prématurées (voir par exemple Jaser c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2019 CF 368; Abdi c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2018 CF 202; Rogan c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2010 CF 532). Le critère à respecter pour démontrer le caractère exceptionnel des circonstances est exigeant, et je reconnais qu’il s’agirait d’un cas rare où une décision concernant la mise au rôle fait apparaître des circonstances exceptionnelles qui autorisent une entorse au principe de la prématurité.

31. Toutefois, appliquant le critère exposé dans l’arrêt JP Morgan, je ne peux pas conclure que la demande d’autorisation et de contrôle judiciaire dans cette affaire particulière n’a aucune chance d’être accueillie. Il est possible que, au titre du facteur « difficultés/du préjudice » énoncé dans l’arrêt Thielmann, les arguments du demandeur à propos des conséquences qu’aura sur lui le fait de procéder à une audience le mois suivant sur ses droits de participation, et donc l’équité de l’audience, compte tenu de son grand âge et de son état de santé ainsi que des répercussions de l’état actuel de la pandémie de COVID‑19, pourraient constituer des circonstances exceptionnelles justifiant une intervention judiciaire anticipée.

[34] Dans ce contexte, je retourne à la requête dont je suis saisi. Les éléments de preuve du demandeur comprennent maintenant un autre affidavit déposé par la RD à l’appui de la requête en sursis, lequel affidavit concorde avec le témoignage précédent de la RD, même s’il explique davantage comment les complications créées par la pandémie de COVID‑19 rendent la communication avec le demandeur extrêmement difficile et parfois impossible.

[35] En réponse aux arguments soulevés par le demandeur, le défendeur fait observer que l’article 18 des Règles de la Section de l’immigration, DORS/2002‑229 envisage expressément la possibilité que le sujet d’une procédure devant la SI puisse ne pas être en mesure de comprendre la nature de la procédure, auquel cas un RD peut être désigné. En effet, conformément au paragraphe 167(2) de la LIPR, la SI commet d’office un RD dans de telles circonstances. Comme l’a affirmé la Cour d’appel fédérale, cette disposition vise à offrir à une personne qui n’est pas en mesure de comprendre la nature de la procédure une possibilité raisonnable, grâce à l’assistance d’un RD, de participer à la procédure et d’assurer la protection adéquate de ses intérêts (voir Hillary c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2011 CAF 51 au para 32). Le défendeur cite de nombreux exemples de procédures menées par la SI qui mettent en cause des personnes âgées ou des personnes qui sont autrement inaptes à comparaître ou à témoigner en raison d’obstacles physiques ou mentaux.

[36] Le défendeur soutient également que, même si la RD ne peut pas témoigner quant à ce que le demandeur a fait ou n’a pas fait durant la guerre, le dossier soumis à la SI contient le témoignage sous serment et les éléments de preuve du demandeur, fournis dans des procédures précédentes, concernant son service en temps de guerre auprès de l’Ek10a. Le défendeur cite de la jurisprudence à l’appui de sa position selon laquelle la SI peut se fonder sur ces éléments de preuve.

[37] Conformément aux facteurs pris en considération par la SI pour parvenir à la décision relative à la mise au rôle, le défendeur fait aussi valoir que les problèmes de santé du demandeur précédaient la pandémie et se poursuivront, que l’audience et la communication connexes peuvent s’effectuer à distance sans mettre en danger le demandeur, que le demandeur a été suffisamment mis au courant de l’audience et a eu suffisamment de temps pour se préparer et que l’audience a déjà été retardée de presque quatre mois après que la SI a conclu qu’elle avait compétence pour procéder.

[38] La première question à l’étude est celle de savoir si le demandeur a soulevé une question sérieuse selon laquelle l’affaire qui nous occupe présente des circonstances exceptionnelles justifiant le contrôle judiciaire de la décision interlocutoire relative à la mise au rôle. L’examen de cette question doit tenir compte des éléments de preuve dont dispose la Cour, des arguments respectifs des parties et du seuil élevé exigé pour l’emporter sur le principe de la prématurité. Je dois appliquer un seuil élevé dans l’examen du bien‑fondé de la position du demandeur sur cette question.

[39] Je me range à l’avis du défendeur, à savoir que la tenue de l’enquête à distance est un processus acceptable. Par conséquent, le fait de procéder à l’audience durant la pandémie ne met pas le demandeur à risque de contracter la COVID‑19. Toutefois, les éléments de preuve me convainquent que la pandémie a compromis la communication avec le demandeur, parce que, en raison de son trouble auditif, une personne qui parle avec lui doit se trouver très près de lui, et le demandeur doit pouvoir voir les lèvres de cette personne. La distanciation physique et le port du masque qui résultent de la pandémie nuisent à une communication efficace. Cela influence la capacité de son avocat de le préparer en vue de l’audience et la capacité du demandeur de participer pleinement à l’audience elle‑même.

[40] Je juge peu fondés les arguments du défendeur selon lesquels le demandeur et son avocat auraient dû se préparer plus tôt. Je reconnais que les rapports préparés au titre de l’article 44 ont été publiés en juin 2017. Toutefois, il n’était pas déraisonnable pour l’avocat du demandeur de retarder la préparation en vue d’une audience en se fondant sur bien‑fondé de l’admissibilité du demandeur pendant qu’il contestait la compétence de la SI. La décision relative à la compétence n’a été publiée qu’en octobre 2020, moment où le Canada était en plein milieu de la pandémie qui occasionne des problèmes de communication.

[41] J’estime aussi que l’argument selon lequel le demandeur peut simplement se fier au dossier renfermant les éléments de preuve qu’il a soumis dans des procédures antérieures est peu fondé. Les parties présentent des points de vue divergents sur le fait de savoir si ce dossier porte sur les mêmes questions que la procédure actuelle relative à l’admissibilité et contient donc des éléments de preuve pertinents s’y rattachant. Je ne dispose donc pas du dossier nécessaire pour résoudre cette question. Quoi qu’il en soit, j’estime que l’existence d’un dossier contenant des éléments de preuve pertinents ne constitue pas un fondement permettant de priver le demandeur de la possibilité de se préparer à la procédure actuelle et d’y participer, y compris de présenter des éléments de preuve dans la mesure où ses problèmes de santé le lui permettent.

[42] À cet égard, j’ai tenu compte de l’argument du défendeur, soit que les problèmes de communication du demandeur existaient déjà avant la pandémie et que rien ne donne à penser que sa capacité de communiquer s’améliorera dans l’avenir. Je signale que les données médicales à la disposition de la Cour comprennent un rapport d’un audiologiste daté du 10 septembre 2019, selon lequel l’examen récent de la parole dans le bruit confirme l’incapacité du demandeur de communiquer efficacement dans toute circonstance. L’audiologiste est d’avis que, en raison de sa compréhension extrêmement mauvaise des mots et de son trouble d’audition, le demandeur n’est pas en mesure de participer à une procédure judiciaire ou à une quelconque fonction qui l’oblige à entendre, tout particulièrement si des bruits de fond sont présents ou si les paroles qui lui sont adressées sont prononcées à distance.

[43] Même si le rapport confirme que le problème auditif du demandeur existait avant la pandémie, je n’ai pas l’impression qu’il mentionnait que le demandeur n’est pas en mesure de communiquer. L’explication à l’égard de son « incapacité de communiquer efficacement dans toute circonstance » est exprimée dans le contexte de ce qui est décrit comme un « examen de la parole dans le bruit », et l’opinion quant à l’incapacité du demandeur de participer à une procédure judiciaire est également décrite comme étant exacerbée dans le contexte de bruits de fond ou de l’énonciation à distance. Ce rapport est conforme aux explications présentées dans l’affidavit de la RD, à savoir que la communication avec le demandeur oblige le locuteur à être près de lui et est compliquée par d’autres bruits ou distractions.

[44] Je reconnais aussi que, selon les données médicales, le demandeur a non seulement une perte auditive, mais des troubles cognitifs. Toutefois, j’estime que les éléments de preuve concernant les troubles cognitifs n’empêchent pas le demandeur de participer pleinement à l’enquête.

[45] À mon avis, les éléments de preuve appuient la position du demandeur selon laquelle son dossier soulève des circonstances exceptionnelles où il est approprié d’envisager le contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire. Même si j’ai affirmé dans la décision Oberlander qu’il s’agirait d’un cas rare où une décision relative à la mise au rôle soulève des circonstances exceptionnelles justifiant une entorse au principe de la prématurité, j’estime qu’il s’agit en l’espèce d’une telle affaire. Je crois tout comme le demandeur que le fait de devoir procéder avec l’audience telle qu’elle est actuellement prévue, sans préparation et communication efficace durant l’audience, compromet l’équité procédurale et présente un risque important de générer un témoignage peu fiable. Dans la lignée du raisonnement exprimé dans les décisions Almrei et Shen, je ne suis pas convaincu que, dans les circonstances de l’espèce, la possibilité de contrôle judiciaire de la décision finale de la SI constituerait une mesure efficace concernant un tel risque.

[46] Par conséquent, j’estime que le demandeur a soulevé une question sérieuse en affirmant que l’affaire qui nous occupe présente des circonstances exceptionnelles justifiant une entorse au principe de la prématurité.

(2) Bien‑fondé d’une demande de contrôle judiciaire

[47] Indépendamment du principe de la prématurité, je dois aussi déterminer, là encore selon la norme stricte, si la demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse au regard du bien‑fondé des arguments par lesquels le demandeur attaque la décision relative à la mise au rôle. Le défendeur évoque divers arguments pour expliquer pourquoi les efforts du demandeur d’invoquer la Charte dans la demande ne sont pas fondés. Le défendeur met en doute les articles de la Charte sur lesquels le demandeur s’est fondé à l’appui de ses arguments. Le défendeur fait aussi valoir que le demandeur n’a pas évoqué de questions relatives à la Charte devant la SI, et il invoque donc le principe qu’une partie doit présenter au décideur administratif tous ses arguments, y compris les arguments constitutionnels, afin de pouvoir les soulever dans un contrôle judiciaire subséquent de la décision (voir par exemple Alexion Pharmaceuticals Inc c Canada (Procureur général), 2017 CAF 241 [Alexion]).

[48] Le demandeur nie que ce principe s’applique lorsqu’une partie invoque une violation de la Charte par le décideur administratif lui‑même. Le demandeur signale en outre que, même s’ils n’ont pas été formulés comme des questions relatives à la Charte à l’époque, les faits sur lesquels il se fonde maintenant à l’appui de ses arguments invoqués au titre de la Charte (liés à l’effet de la mise au rôle de l’enquête sur ses droits de participation) ont tous été soulevés auprès de la SI.

[49] À mon avis, les observations du défendeur concernant les arguments soulevés par le demandeur au titre de la Charte ne l’empêchent pas de démontrer qu’une question sérieuse est soulevée dans la présente demande. Indépendamment de ses arguments fondés sur la Charte, sa demande d’autorisation et de contrôle judiciaire conteste le caractère raisonnable et l’équité de la décision relative à la mise au rôle. Comme le soutient le demandeur, les faits qui sous‑tendent cette contestation ont été directement soulevés dans ses arguments présentés à la SI. Dans la mesure où les arguments formulés s’appliquent au caractère raisonnable et à l’équité de la décision, le principe de droit administratif abordé dans l’arrêt Alexion n’entrave en rien la capacité du demandeur de soulever une question sérieuse au moyen de ces arguments.

[50] En ce qui concerne le bien‑fondé de ces arguments et le fait de savoir s’ils soulèvent une question sérieuse selon la norme stricte, j’adopte essentiellement la même analyse que celle décrite plus haut dans les présents motifs pour évaluer si ces arguments démontrent des circonstances exceptionnelles justifiant une entorse au principe de la prématurité. J’estime que le demandeur a soulevé une question sérieuse, à savoir que la décision relative à la mise au rôle, en permettant la tenue de l’audience telle qu’elle était actuellement prévue et en l’empêchant donc de se préparer et de communiquer efficacement durant l’audience, compromet l’équité de l’audience et est déraisonnable.

[51] Je procède donc à l’examen des arguments du demandeur sur le préjudice irréparable.

C. Préjudice irréparable

(1) Risque pour la santé du demandeur

[52] Le demandeur fait valoir que le stress associé au fait de devoir assister à une audience de la SI pourrait entraîner des conséquences débilitantes graves pour sa santé. À l’appui de cette position, il se fonde principalement sur un rapport médical, daté du 16 janvier 2021, préparé par son gériatre, le Dr George Heckman, qui a examiné le demandeur le 13 janvier 2021.

[53] Le Dr Heckman explique la fragilité du demandeur, qu’il décrit comme étant modérément sévère. Le Dr Heckman dit que le demandeur a obtenu une note de 4 sur l’échelle de mesure des changements de l’état de santé, des maladies en phase terminale, des signes et des symptômes (échelle CHESS), ce qui signifie une instabilité importante sur le plan de la santé. Il signale que, chez les clients recevant des soins à domicile et ayant un profil de santé semblable, une telle note est associée à un risque de 50 % de subir un incident de santé défavorable au cours des trois prochains mois.

[54] Le Dr Heckman explique aussi que la fragilité est associée à un risque accru de résultats défavorables, particulièrement lorsqu’une personne fait face à un « stresseur », comme une maladie concurrente, les effets secondaires d’un traitement ou des risques environnementaux. C’est‑à‑dire que l’interaction d’un stresseur avec la fragilité peut accroître le risque d’un événement néfaste pour la santé. Appliquant ce risque au demandeur, le Dr Heckman émet l’opinion suivante :

[traduction]

Le stress lié à l’audience prochaine et vécu simultanément par M. Oberlander peut être considéré comme un « stresseur ». À l’heure actuelle, nous constatons que cela contribue à une tension artérielle élevée et à l’instabilité accrue de sa santé, comme le reflète son résultat selon l’échelle CHESS (attribuable au déclin de la cognition et du fonctionnement, à une diminution de l’apport alimentaire, à la perte de poids et à la sarcopénie). Dans le cas de M. Oberlander, les conséquences pour la santé les plus probables à court et à moyen terme seraient une chute causant des blessures (ce qui pourrait comprendre une fracture) ou un accident cardiovasculaire (accident ischémique transitoire ou accident vasculaire cérébral, événement cardiaque). Vu la fragilité modérément sévère de M. Oberlander à l’heure actuelle, ces événements entraîneraient probablement une perte accélérée de la fonction physique et de la fonction cognitive, ou la mort. S’il survivait, il pourrait devoir être placé dans une maison de soins de longue durée. Plus il est exposé au stress lié à la procédure judiciaire, plus sa santé deviendra instable et plus il sera susceptible de subir un événement néfaste pour la santé.

[55] Le défendeur soutient que ces données probantes ne démontrent pas que la participation à une audience causerait un préjudice au demandeur. Le défendeur fait remarquer que, pour établir qu’il subira un préjudice irréparable, il faut produire des éléments de preuve suffisamment probants, dont il ressort une forte probabilité qu’un tel préjudice soit causé (voir Glooscap Heritage Society c Canada (Revenu national), 2012 CAF 255 [Glooscap] au para 31). Le défendeur soutient que les données probantes du Dr Heckman quant à l’effet stressant de l’audience prochaine ne satisfont pas à ce critère.

[56] J’accepte les données probantes du Dr Heckman voulant que le stress associé à l’audience prochaine puisse être considéré comme un stresseur et que l’interaction d’un stresseur avec la fragilité puisse accroître le risque d’un événement néfaste pour la santé. J’accepte aussi la position du demandeur, à savoir qu’il n’est pas possible de s’attendre à ce que le Dr Heckman s’exprime avec certitude quant à un résultat futur défavorable. Cependant, son opinion ne soulève rien de plus que la possibilité d’un tel résultat. Même si le Dr Heckman décrit les conséquences pour la santé les plus probables à court et à moyen terme comme une chute causant des blessures ou un événement cardiovasculaire, j’estime qu’il ne s’agit pas d’une opinion démontrant que ces résultats sont probables. Plutôt, il explique que, si le demandeur vivait un événement défavorable, il est plus probable que le contraire qu’il se retrouverait dans une de ces catégories.

[57] En outre, le Dr Heckman conclut son rapport en exprimant le point de vue que, plus le demandeur est exposé au stress lié à la procédure judiciaire, plus sa santé deviendra instable et plus il pourrait subir un événement néfaste pour la santé. Cette opinion soulève la possibilité que le fait de procéder à l’audience de la SI le plus rapidement possible conviendrait peut‑être mieux à la santé du demandeur, dans le but de conclure la procédure administrative et toutes les procédures judiciaires connexes le plus rapidement possible.

[58] Cet argument fait également ressortir le fait que, en évoquant des risques pour sa santé s’il procède à l’audience de la SI, le demandeur tente de se fonder sur des risques allégués qui seraient présents peu importe la date de l’audience. La demande de contrôle judiciaire conteste la décision de tenir l’audience en ce moment en raison des effets de la pandémie actuelle. Elle ne cherche pas à retarder l’audience indéfiniment. Par conséquent, il n’est pas logique de fonder la demande de sursis sur des allégations de risques auxquels le demandeur finirait par être exposé et qui, de l’avis du Dr Heckman, pourraient augmenter en raison du délai.

[59] Compte tenu de la norme de preuve expliquée dans l’arrêt Glooscap, j’estime que cet argument n’établit pas le volet du préjudice irréparable nécessaire pour justifier l’octroi d’un sursis.

(2) Caractère théorique de la demande de contrôle judiciaire

[60] Le demandeur affirme que, si l’enquête débute avant que ne soit tranchée la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la mise au rôle, la demande deviendra théorique. Il cite de la jurisprudence étayant la thèse selon laquelle les présentes circonstances constituent un cas où un préjudice irréparable serait causé si le sursis n’était pas accordé (voir par exemple Suresh c Canada, [1999] 4 CF 206 (CAF)).

[61] Je souscris à la thèse du défendeur selon laquelle le caractère théorique de la demande, si le sursis n’est pas accordé, n’est pas suffisant pour établir que le demandeur subira un préjudice irréparable. Comme l’a expliqué la Cour d’appel fédérale dans l’arrêt El Ouardi c Canada (Procureur général), 2005 CAF 42, dans certains cas, le fait qu’une procédure sous‑jacente devienne inopérante ou théorique, si un sursis n’est pas accordé, équivaudra à un préjudice irréparable. Cependant, dans d’autres, ce ne sera pas le cas, et la Cour ne devrait pas être privée du pouvoir discrétionnaire de trancher les questions de préjudice irréparable en se fondant sur les faits de chaque espèce (au para 8). Conformément à ce raisonnement, je trancherai cette question en me fondant sur d’autres arguments avancés par le demandeur qui reposent sur les faits particuliers de l’affaire.

(3) Violation des droits garantis par la Charte

[62] Le demandeur s’appuie sur ses allégations selon lesquelles la décision relative à la mise au rôle constitue une violation de ses droits garantis par la Charte et soumet à la Cour à une jurisprudence voulant que la violation d’un droit garanti par la Charte puisse ne pas être compensée en dommages‑intérêts et donc constituer un préjudice irréparable (voir par exemple Allard c Canada, 2014 CF 280 [Allard] au para 96).

[63] Encore une fois, je suis d’accord avec le défendeur pour dire que cet argument n’est pas suffisant pour établir que le demandeur subira un préjudice irréparable en l’espèce. Compte tenu tout particulièrement de la difficulté à laquelle le demandeur peut être exposé en faisant valoir des arguments fondés sur la Charte qui n’ont pas été présentés à la SI, je ne suis pas prêt à conclure que le demandeur subira un préjudice irréparable en me fondant uniquement sur le fait que le demandeur a évoqué des arguments fondés sur la Charte dans la présente demande et sur l’autorité de la décision Allard voulant que les violations de la Charte puissent donner lieu à un préjudice irréparable.

[64] De plus, même si j’admets que les allégations de violations au titre de la Charte peuvent, dans certains cas, constituer le fondement d’une conclusion de préjudice irréparable, je signale que l’analyse à cet égard dans la décision Allard a tenu compte des répercussions financières pour les demandeurs si le sursis n’était pas accordé et des obstacles jurisprudentiels à l’obtention de dommages‑intérêts dans des affaires d’ordre constitutionnel. Les circonstances de l’espèce ressemblent peu à celles exposées dans la décision Allard.

(4) Abus de procédure

[65] Se fondant sur la décision John Doe c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 327 [John Doe], le demandeur soutient que la poursuite de la procédure relative à l’admissibilité de la SI constituerait un abus de procédure représentant un préjudice pour lui et pour l’intérêt public dans l’intégrité du processus judiciaire qui ne peut être réparé. Le défendeur soutient que les circonstances de l’espèce ne peuvent être caractérisées comme un abus de procédure, car la SI ne fait que s’acquitter de son mandat prévu par la loi de tenir une enquête sans délai.

[66] Je signale que l’affaire John Doe concernait une requête en sursis d’une procédure devant la CISR dans le contexte d’un contrôle judiciaire d’une décision interlocutoire. Conformément à ma décision d’appliquer en l’espèce un seuil élevé au premier volet du critère exposé dans l’arrêt RJR‑MacDonald, le juge Michael Phelan a affirmé que, suivant le premier volet du critère relatif au sursis, lorsqu’il s’agit de suspendre une audience en cours, l’examen du seuil doit être plus minutieux que dans la plupart des autres demandes de suspension (au para 8). Le juge Phelan a énoncé que l’abus de procédure est facile à invoquer, mais plus difficile à prouver. Cependant, il était convaincu que, compte tenu des circonstances exceptionnelles de cette affaire, le demandeur s’était acquitté du fardeau d’établir l’allégation selon un seuil dépassant la norme du caractère « non frivole et vexatoire » (aux para 9‑10).

[67] À mon avis, l’affaire John Doe doit être interprétée dans le contexte de l’examen minutieux par la Cour du bien‑fondé des allégations du demandeur. La conclusion que le demandeur a établi qu’il subira un préjudice irréparable est associée à ces allégations particulières et à l’examen minutieux de la Cour s’y rattachant. Autrement dit, le fait de satisfaire au volet du critère concernant le préjudice irréparable porte non pas sur le fait qu’un abus de procédure est invoqué, mais plutôt sur la nature de l’argument et son bien‑fondé apparent.

[68] L’argument restant avancé par le demandeur à l’appui du préjudice irréparable est lié à l’effet de la décision relative à la mise au rôle sur ses droits de participation. Il soutient que, en raison de problèmes de communication découlant des effets combinés de son incapacité auditive et de la pandémie de COVID‑19, il ne peut être adéquatement préparé en vue de l’audience de la SI et ne sera pas en mesure de comprendre pleinement les questions posées à cette audience. Cela augmente le risque qu’il rende un témoignage qui n’était pas voulu. Comme dans la décision John Doe, l’argument à l’appui d’un préjudice irréparable est effectivement le même que la thèse avancée dans la contestation de la décision faisant l’objet du contrôle judiciaire. J’ai déjà examiné cet argument en évaluant si le demandeur avait soulevé une question sérieuse dans la présente demande. Toutefois, je vais maintenant revenir à cet argument à l’appui du volet préjudice irréparable.

(5) Effet sur les droits de participation du demandeur

[69] Comme je l’ai mentionné plus haut, j’ai déjà analysé les éléments de preuve et les arguments du demandeur concernant les effets combinés de son invalidité et de la pandémie de COVID‑19 sur ses droits de participation dans le contexte du principe de la prématurité et du bien‑fondé de la demande de contrôle judiciaire. Après avoir évalué si ces arguments soutiennent une conclusion de préjudice irréparable, je ne vois aucune raison de m’écarter de cette analyse, à l’exception de deux points importants.

[70] Ces points, que j’expliquerai plus bas, sont importants, parce que l’examen de la question du préjudice irréparable dans le cadre d’une requête en sursis porte sur la période entre le moment où le sursis est envisagé et le moment où la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente est tranchée. J’admets que l’effet défavorable sur les droits de participation du demandeur, si l’enquête devait commencer le 8 février 2021, causerait un préjudice irréparable. Toutefois, la Cour a à sa disposition des éléments de preuve donnant à penser que des solutions à ces effets défavorables pourraient être mises en œuvre avant, voire bien avant que la demande ne soit instruite et tranchée.

[71] D’abord, la RD explique dans son affidavit que, lorsque le Dr Heckman s’est présenté chez le demandeur le 13 janvier 2021, il a utilisé un casque audio avec amplificateur d’écoute pour communiquer avec lui. Dans son rapport, le Dr Heckman mentionne que cet appareil a suffisamment bien fonctionné pour faciliter la communication et permettre au demandeur de participer activement à son évaluation. La RD explique qu’elle n’avait pas vu cet appareil au préalable ni n’avait été mise au courant de celui‑ci et qu’« ils » (qui, je suppose, renvoie au demandeur, à la RD et à l’avocat du demandeur) cherchaient maintenant à commander un tel appareil afin de l’utiliser durant l’enquête.

[72] La RD affirme que, même si le casque audio avec amplificateur d’écoute a permis au Dr Heckman d’effectuer son examen en posant des questions simples et directes, cela s’est tout de même révélé un processus difficile. Selon elle, le processus était laborieux, et le demandeur a souvent demandé au médecin de répéter les questions ou s’est tourné vers la RD pour obtenir des réponses. Toutefois, elle a dit qu’ils feraient tout de même des efforts pour obtenir cet appareil. Même si la Cour ne dispose d’aucun autre élément de preuve concernant les résultats de ces efforts, les avocats des deux parties ont convenu à l’audience que l’avocat du demandeur avait bien fait d’en parler. Effectivement, selon les derniers renseignements, ces efforts sont en cours.

[73] Le deuxième point concerne la possibilité que la disponibilité d’un vaccin contre la COVID‑19 puisse éliminer l’effet de la pandémie sur les difficultés de communication du demandeur. Dans son affidavit, la RD mentionne que, puisque le vaccin est maintenant offert au Canada, ils demandent seulement que son affaire soit retardée jusqu’à ce que le vaccin puisse être administré en toute sécurité et que le risque pour le demandeur soit diminué, de sorte que ses avocats puissent le rencontrer afin de le préparer en vue de l’audience.

[74] La Cour ne dispose d’aucun élément de preuve quant aux échéanciers pour les vaccins, et l’avocat du défendeur a fait valoir à l’audience qu’il serait peu judicieux de spéculer sur ce point. Je souscris à ce point de vue. Cependant, tout comme la disponibilité d’un casque audio avec amplificateur d’écoute, le vaccin, lorsqu’il sera offert, pourrait régler les problèmes de communication qui sous‑tendent la présente demande et requête en sursis. Par conséquent, le préjudice irréparable associé au fait de commencer maintenant la procédure relative à l’admissibilité peut cesser lorsqu’une de ces solutions sera offerte. J’expliquerai maintenant mon analyse de la prépondérance des inconvénients et comment ces facteurs s’inscrivent dans ma décision.

D. Prépondérance des inconvénients

[75] Dans de nombreuses requêtes en sursis, la prépondérance des inconvénients, même s’il s’agit toujours d’un volet distinct du critère, découle généralement du résultat des deux autres volets. Toutefois, les deux parties conviennent que, en l’espèce, la prépondérance des inconvénients revêt une plus grande importance que dans d’autres cas. Le demandeur fait valoir que, puisque cette affaire suppose l’équité en matière de participation, y compris les droits garantis par la Charte, l’intérêt du demandeur et l’intérêt public favorisent l’octroi du sursis.

[76] Le défendeur soutient que la prépondérance des inconvénients favorise le rejet de la demande de sursis en raison de l’intérêt qu’a le public à ce que l’enquête se poursuive sans délai, comme l’exige dans la loi. Le défendeur s’appuie aussi sur une jurisprudence qui reconnaît l’intérêt impérieux du public lorsqu’il est question de statuer sur des questions d’interdiction de territoire dans le contexte d’allégations de crimes contre l’humanité (voir par exemple Ratnasingam c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2007 CF 1096 au para 32).

[77] En signalant que les circonstances qui sous‑tendent la présente instance concernent le service en temps de guerre du demandeur auprès de l’Ek10a, le défendeur renvoie la Cour à la récente décision Canada (Citoyenneté et Immigration) c Kljajic, 2020 CF 570, au paragraphe 2, où le juge en chef Crampton a affirmé qu’« [i]l faut examiner à la lumière de la loi toutes les circonstances entourant les sombres activités qui pourraient être découvertes ultérieurement, afin que le rôle des personnes qui pourraient y avoir pris part soit analysé minutieusement pour déterminer ce qu’elles ont réellement fait ».

[78] À mon avis, les observations du défendeur sont convaincantes. Même si le résultat de l’instance relative à l’admissibilité est bien sûr inconnu, cette instance devrait progresser et aboutir à une conclusion le plus rapidement possible. Cependant, elle doit progresser d’une manière qui respecte aussi le droit du demandeur de participer pleinement dans la mesure de ce qui est raisonnablement possible. La prépondérance des inconvénients favorise l’octroi d’un sursis, mais seulement pour une courte période, afin de permettre au demandeur, à son avocat et à la RD de trouver une solution aux difficultés de communication actuelles, avec l’autorisation de demander un sursis ultérieur si le demandeur estime subséquemment que les circonstances le justifient.

[79] Aucun motif évident ne permet de sélectionner la durée du sursis. Toutefois, lorsque l’avocat du demandeur a comparu devant la SI à la CGI le 25 novembre 2020, il a demandé la convocation d’une autre CGI 30 jours plus tard, afin que les circonstances actuelles entourant la pandémie et son effet sur le demandeur puissent faire l’objet d’une nouvelle évaluation. Cela me semble être un délai convenable pour permettre au demandeur d’envisager les solutions recensées pour ses problèmes de communication ou (reconnaissant qu’il ne peut contrôler le moment de la disponibilité d’un vaccin) de rechercher des renseignements à jour sur ceux‑ci.

[80] Profitant d’un tel délai et de tels renseignements, même si les problèmes de communication ne sont pas réglés dans les 30 jours, les parties et leurs avocats travaillant en collaboration avec la SI pourront ensuite fixer la tenue de l’enquête le plus tôt possible (en tenant compte du temps de préparation de l’audience) lorsqu’un tel règlement sera prévu. Dans ce cas, les parties n’auront pas à présenter d’autres recours à la Cour sur cette question. Toutefois, dans l’optique où la possibilité qu’un autre recours à la Cour puisse être nécessaire, la période de 30 jours pour obtenir un règlement sera accompagnée par la suite d’une brève possibilité de demander un sursis ultérieur. Mon ordonnance surseoira donc à la tenue de l’audience de la SI pour une durée de six semaines à compter de la date de la présente décision, c’est‑à‑dire jusqu’au 19 mars 2021.


ORDONNANCE dans le dossier IMM-6692-20

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en sursis du demandeur est accueillie en partie.

  2. Il est sursis à la tenue des audiences, actuellement prévues pour les 8 et 11 février 2021, devant la Section de l’immigration et de la Commission de l’immigration et de statut de réfugié du Canada relativement à l’admissibilité du demandeur jusqu’au 19 mars 2021 inclusivement.

  3. Le demandeur peut demander ultérieurement un sursis qui va au‑delà du 19 mars 2021, moyennant un préavis au défendeur conformément aux Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-6692-20

INTITULÉ :

HELMUT OBERLANDER c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

REQUÊTE INSTRUITE PAR VIDÉOCONFÉRENCE LE 2 FÉVRIER 2021

DEPUIS TORONTO

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 5 FÉVRIER 2021

COMPARUTIONS :

Ronald Poulton

Barbara Jackman

POUR LE DEMANDEUR

Angela Marinos

Meva Motwani

Daniel Engel

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Poulton Law Office

Toronto (Ontario)

Jackman & Associates

Toronto (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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