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Date : 20040122

Dossier : IMM-6637-02

                                                                                                        Référence : 2004 CF 87

Ottawa (Ontario), le 22 janvier 2004

EN PRÉSENCE DE MADAME LA JUGE SNIDER

ENTRE :                    

         SEREF SINAN, SENNUR SINAN, FURKAN SINAN et GOKHAN SINAN

                                                                                                                            demandeurs

                                                                    - et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                               défendeur

                          MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

LA JUGE SNIDER


[1]                M. Seref Sinan, son épouse, Sennur Sinan, ainsi que leurs deux enfants, Furkan Sinan et Gokhan Sinan (collectivement appelés les « demandeurs » ), citoyens de la Turquie, sont arrivés au Canada le 16 mai 2002 et prétendent être des réfugiés au sens de la Convention. M. Sinan craint d'être persécuté en raison de ses opinions politiques et de son appartenance à la religion alevi. La crainte de la persécution des autres demandeurs est liée à celle de M. Sinan étant donné qu'ils sont membres de la même famille. Après une audience devant la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), leur revendication a été rejetée dans une décision datée du 29 novembre 2002.

La question en litige

[2]                La question en litige soulevée par les demandeurs est de savoir si la Commission a commis une erreur en tirant des conclusions de fait erronées, en rapportant mal la preuve, en tirant des conclusions quant à la crédibilité et quant à la vraisemblance qui n'étaient pas étayées par la preuve, en ne tenant pas compte de l'ensemble de la preuve et en ne motivant pas adéquatement sa décision.

La décision de la Commission

[3]                La question essentielle que la Commission devait examiner était celle de la crédibilité. La Commission a conclu qu'il n'y avait pas suffisamment d'éléments de preuve crédibles et dignes de foi pour que l'on puisse déterminer le bien-fondé des revendications du statut de réfugié faites par M. Sinan. Le témoignage des demandeurs comportait de nombreuses incohérences, contradictions et omissions, notamment dans les notes prises au point d'entrée (NPE), dans le Formulaire de renseignements personnels (PIF) et dans leur témoignage à l'audience. La Commission a déclaré ce qui suit :


[L]e tribunal estime que, même si les incohérences et les contradictions semblent peu importantes lorsqu'elles sont prises isolément, elles permettent de conclure à un manque de crédibilité lorsqu'elles sont examinées ensemble dans le contexte.

[4]                La Commission a tiré des conclusions encore plus négatives quant à la crédibilité lorsqu'elle a examiné le profil politique du demandeur et a finalement conclu que son profil n'intéressait pas les autorités turques. La Commission a conclu que le demandeur n'avait pas réussi à prouver qu'il était Alevi et à démontrer le bien-fondé de sa crainte d'être persécuté en raison de son appartenance à la religion alevi.

[5]                La Commission a examiné à fond la preuve documentaire dont elle disposait et a conclu ce qui suit :

·            Le fait d'être Alevi n'est pas, en soi, une raison suffisante pour craindre l'oppression. Une certaine discrimination s'exerce contre les Alevis mais il n'existe aucune oppression systématique à l'égard de tous les Alevis.

·            Les Alevis qui critiquent ouvertement l'autorité ou qui ont l'air de communistes, « peuvent s'attendre à un traitement 'plus brusque' de la part de la police et des autres autorités » .


·            Les Kurdes alevis ne sont pas persécutés, mais sont plutôt vulnérables aux doutes, aux préjudices et aux mauvais traitements en raison de leur orientation politique perçue.

[6]                Enfin, la Commission a conclu que la preuve n'était pas suffisamment crédible et digne de foi pour permettre de déterminer que les demandeurs sont des personnes à protéger.

[7]                Les demandeurs contestent les nombreuses conclusions de la Commission qui, ajoutées l'une à l'autre, l'ont amené à conclure que M. Sinan n'était pas crédible.

L'analyse

[8]                Il est bien établi que les conclusions quant à la crédibilité et à la vraisemblance relèvent particulièrement de la compétence de la Cour et, par conséquent, l'intervention de la Cour n'est méritée que lorsque ces conclusions sont tout à fait déraisonnables (Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1993), 160 N.R. 315, paragraphe 4 (C.A.F.)). Par conséquent, la norme de contrôle applicable à pareilles conclusions est la norme du caractère manifestement déraisonnable.


[9]                Il ressort clairement de l'examen du dossier, notamment de la transcription de l'audience elle-même, qu'il y avait de nombreuses contradictions dans le témoignage des demandeurs. Bien que les demandeurs aient tenté de réfuter un certain nombre d'entre elles, il n'en demeure pas moins que l'ensemble du témoignage n'était pas crédible. Il ne s'agit pas en l'espèce d'une Commission qui analyse un témoignage dans ses moindres détails comme c'est le cas dans l'arrêt Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 98 N.R. 312 (C.A.F.). Au contraire, les contradictions soulignées par la Commission ont trait à des questions importantes.

[10]            Pendant l'audience, de nombreuses contradictions ont été signalées à M. Sinan. La Commission a examiné ses explications quant à ces contradictions et a expliqué, en termes clairs, pourquoi ses explications n'avaient pas été acceptées. Ce n'est pas parce qu'un demandeur donne une explication que celle-ci doit être acceptée par la Commission. Il est loisible à la Commission d'examiner la réponse ou l'explication et de décider si elle est suffisante. En l'espèce, je ne relève aucun exemple où la Commission a omis de tenir compte d'une explication.


[11]            Les demandeurs ont avancé d'autres explications possibles quant à plusieurs des conclusions de la Commission. Lorsque la norme de contrôle est, comme en l'espèce, celle du caractère manifestement déraisonnable, il ne suffit pas de présenter un autre raisonnement - même dans le cas où il peut s'agir d'une explication raisonnable. Ce que les demandeurs doivent faire, c'est souligner une conclusion de la Commission qui n'est aucunement étayée par la preuve. Les demandeurs ne m'ont pas convaincu que l'une ou l'autre des conclusions les plus importantes étaient manifestement déraisonnables. Je ne peux conclure que la décision dans son ensemble était manifestement déraisonnable.

[12]            La conclusion la plus importante de la Commission était que les demandeurs avaient inventé les deux arrestations et détentions présumées de M. Sinan. Cette conclusion, expliquée dans des motifs très détaillés, était fondée sur les nombreuses conclusions négatives tirées par la Commission quant à la crédibilité. Selon moi, cette conclusion ne peut être qu'erronée si, ajoutées les unes aux autres, les conclusions tirées par la Commission quant à la crédibilité sur lesquelles elle est fondée est manifestement déraisonnable. Comme il a été mentionné précédemment, il ne s'agit pas de savoir si j'aurais rejeté ou accepté le témoignage de M. Sinan, mais de savoir si la conclusion tirée par la Commission était manifestement déraisonnable. Selon moi, elle ne l'était pas.

[13]            De toute manière, même si la Commission a commis certaines erreurs peu importantes en cours de route, l'intervention de la Cour n'est pas justifiée et la décision de la Commission doit être maintenue. Il en est ainsi parce que la Commission a conclu, sans contestation de la part des demandeurs, ce qui suit :


Le tribunal estime que le traitement discriminatoire subi par les demandeurs n'atteint pas le niveau de persécution individuelle ou cumulative que prévoit la définition de la Convention et Hathaway. Le tribunal estime aussi que, d'après la preuve produite, la possibilité grave de persécution dans l'avenir, si les demandeurs retournent en Turquie, n'est pas fondée.

[14]            De plus, le demandeur n'a pas réussi à contester avec succès la conclusion tirée par la Commission selon laquelle M. Sinan n'est pas, selon la prépondérance des probabilités, un Alevi actif, fervent défenseur de sa religion.

[15]            Pour ces motifs, la demande est rejetée.

[16]            Aucune des parties n'a proposé de question pour certification. Par conséquent, aucune question ne sera certifiée.

                                                          ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.         La demande de contrôle judiciaire est rejetée.

2.        Aucune question n'est certifiée.

« Judith A. Snider »

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc, LL.B., trad. a.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-6637-02

INTITULÉ :                                                    SEREF SINAN ET AUTRES

c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                               

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 8 JANVIER 2004

                                                                                                                                               

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             LA JUGE SNIDER

DATE DES MOTIFS :                                   LE 22 JANVIER 2004

COMPARUTIONS :

Alp Debreli                                                        POUR LES DEMANDEURS

Stephen Jarvis                                                 POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Alp Debreli                                                        POUR LES DEMANDEURS

Avocat

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg                                            POUR LE DÉFENDEUR       

Sous-procureur général du Canada


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