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                                                                                                                     Date : 20040318

                                                                    Dossiers : T-1167-02; T-1165-02 et T-1280-02

                                                                                                      Référence : 2004 CF 406

ENTRE :

                                                        BRENDA BONNER

                                                      MARGARET TEMPLE

                                                         BRIAN NORTON

                                                                                                                              demandeurs

                                                                       et

                                                   VIA RAIL CANADA INC.

                                                                                                                            défenderesse

                                                                       et

                 LE COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

                                                                                                                                intervenant

                                            MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE ROULEAU

[1]                Il s'agit d'un appel contre l'ordonnance du protonotaire Morneau datée du 13 novembre 2002, dans laquelle le protonotaire a accueilli la requête en radiation de l'avis de requête introductif d'instance déposée devant la Cour par la défenderesse, VIA Rail Canada , le 23 juillet 2002.

[2]                Les faits qui ont mené au présent appel sont clairs. Les trois demandeurs, employés de VIA Rail, ont déposé des plaintes auprès de l'intervenant, le Commissaire aux langues officielles du Canada, conformément à l'article 58 de la Loi sur les langues officielles, concernant la politique linguistique de VIA Rail. Le Commissaire a effectué une enquête sur la politique et il a publié son rapport final d'enquête au mois de mai 2002, rapport qui contenait huit recommandations.

[3]                Par la suite, les demandeurs ont demandé à la Cour de rendre une ordonnance enjoignant à VIA Rail de se conformer aux recommandations numéros 1, 3 et 4 du rapport du Commissaire. La défenderesse a ensuite déposé un avis de requête en radiation des demandes. Dans une décision datée du 13 novembre 2002, le protonotaire a accordé la demande de la défenderesse et il a radié les avis de requête introductifs d'instance des demandeurs en énonçant les motifs de sa décision en partie, en ces termes :


Dans sa demande de réparation, le demandeur sollicite une ordonnance enjoignant à VIA Rail Canada Inc. (VIA) de se conformer aux recommandations 1, 3 et 4 du commissaire. Le demandeur sollicite une réparation de la nature d'une injonction ou d'une ordonnance de mandamus.

Une ordonnance de mandamus ou une injonction peut uniquement être accordée contre le défendeur qui est tenu de s'acquitter d'une obligation légale précise.

Les recommandations du commissaire ne créent pas d'obligation légale de la part de VIA et ne sont donc pas exécutoires.

VIA n'est donc pas légalement tenue de se conformer aux recommandations du commissaire.

De plus, la Cour doit refuser d'exercer sa compétence à l'égard de la demande puisque les allégations du demandeur constituent en fait des griefs qui doivent être réglés selon les dispositions de la convention collective, ces dispositions excluant la compétence de la Cour fédérale.

[4]                Les demandeurs interjettent appel de la décision du protonotaire aux motifs notamment que :

1. VIA Rail Canada est une institution fédérale régie par le Conseil du Trésor qui comprend le Bureau du Commissaire aux langues officielles;

2. VIA Rail est tenue, en vertu de la loi, de respecter la Loi sur les langues officielles et la Charte;

3. Le paragraphe 77(1) de la Loi sur les langues officielles confirme expressément que la compétence relative à une réparation découlant d'une plainte au Commissaire est entendue par la Cour fédérale.

[5]                Je rejette l'appel pour les motifs suivants.

[6]                Les articles 63, 64 et 65 de la Loi sur les langues officielles confèrent au Commissaire le pouvoir de présenter des recommandations après avoir effectué une enquête. Les articles sont ainsi libellés :

63. (1) Au terme de l'enquête, le commissaire transmet un rapport motivé au président du Conseil du Trésor ainsi qu'à l'administrateur général ou à tout autre responsable administratif de l'institution fédérale concernée, s'il est d'avis :

a) soit que le cas en question doit être renvoyé à celle-ci pour examen et suite à donner si nécessaire;


b) soit que des lois ou règlements ou des instructions du gouverneur en conseil ou du Conseil du Trésor devraient être reconsidérés, ou encore qu'un usage aboutissant à la violation de la présente loi ou risquant d'y aboutir devrait être modifié ou abandonné;

c) soit que d'autres mesures devraient être prises.

2) En établissant son rapport, le commissaire tient compte des principes applicables à l'institution fédérale concernée aux termes d'une loi ou d'un règlement fédéraux ou d'instructions émanant du gouverneur en conseil ou du Conseil du Trésor.

(3) Le commissaire peut faire les recommandations qu'il juge indiquées dans son rapport; il peut également demander aux administrateurs généraux ou aux autres responsables administratifs de l'institution fédérale concernée de lui faire savoir, dans le délai qu'il fixe, les mesures envisagées pour donner suite à ses recommandations.

64. (1) Au terme de l'enquête, le commissaire communique, dans le délai et de la manière qu'il juge indiqués, ses conclusions au plaignant ainsi qu'aux particuliers ou institutions fédérales qui ont exercé le droit de réponse prévu au paragraphe 60(2).

(2) Il peut, quand aux termes du paragraphe 63(3) il a fait des recommandations auxquelles, à son avis, il n'a pas été donné suite dans un délai raisonnable par des mesures appropriées, en informer le plaignant et faire à leur sujet les commentaires qu'il juge à propos; le cas échéant, il fait parvenir le texte de ses recommandations et commentaires aux personnes visées au paragraphe (1).

65. (1) Dans la situation décrite au paragraphe 63(3), le commissaire peut en outre, à son appréciation et après examen des réponses faites par l'institution fédérale concernée ou en son nom, transmettre au gouverneur en conseil un exemplaire du rapport et de ses recommandations.

(2) Le gouverneur en conseil peut prendre les mesures qu'il juge indiquées pour donner suite au rapport et mettre en oeuvre les recommandations qu'il contient.

(3) Si, dans un délai raisonnable après la transmission du rapport, il n'y a pas été donné suite, à son avis, par des mesures appropriées, le commissaire peut déposer au Parlement le rapport y afférent qu'il estime indiqué.

(4) Il est tenu de joindre au rapport le texte des réponses faites par l'institution fédérale concernée, ou en son nom.

[7]                Dans l'arrêt Thomson c. Canada (Sous-ministre de l'Agriculture), [1992] 1 R.C.S. 385, la Cour suprême a été appelée à trancher la question de savoir si un sous-ministre était tenu d'appliquer les recommandations du Comité de surveillance des activités de renseignement de sécurité d'accorder les habilitations de sécurité. Les juges ont décidé, à la majorité, que le terme « recommandations » devait être interprété selon son sens ordinaire qui renvoie habituellement au fait de conseiller plutôt que d'obliger. La Cour suprême a dit ce qui suit à cet égard :


On ne saurait, selon moi, faire droit à la prétention de l'intimé. Le terme « recommandations » doit être interprété suivant son sens ordinaire. « Recommandations » renvoie ordinairement au fait de conseiller et ne saurait équivaloir à une décision obligatoire. Je suis d'accord avec la conclusion du juge Dubé de la Section de première instance, à la p. 92    :

Dans son sens grammatical, naturel et courant, le mot « recommandation » n'est pas synonyme du mot « décision » . L'Oxford English Dictionary définit comme suit le verbe « recommander » : [traduction] « communiquer ou faire état de; informer » . Le Webster's Third New International Dictionary en donne la définition suivante : [traduction] « mentionner ou présenter comme étant digne d'acceptation, d'utilisation ou d'essai; faire une recommandation; présenter avec approbation; conseiller » .

Ni la disposition en cause ni la Loi dans son ensemble ne permettent de conclure que le mot « recommandations » a un autre sens que son sens usuel. La recommandation du comité est un rapport présenté comme étant digne d'acceptation. Elle sert à garantir l'authenticité des renseignements sur lesquels le sous-ministre fonde sa décision et lui donne l'avantage d'une seconde opinion, rien de plus. Ce serait forcer le sens de la disposition en cause de conférer à la Loi une portée plus grande. Il importe de rappeler que c'est au sous-ministre qu'il incombe non seulement d'accorder les habilitations de sécurité, mais également d'assurer la sécurité de son ministère en général. Il s'agit là d'une lourde responsabilité. Par conséquent, il est raisonnable et opportun que la décision finale concernant l'habilitation de sécurité lui appartienne quelles que soient les recommandations du comité. La conclusion que le texte de la loi est clair et sans ambiguïté suffit à déterminer l'issue du pourvoi, mais je traiterai brièvement de deux des autres questions soulevées.

[8]                Je ne vois aucune raison pour laquelle ces principes de droit ne s'appliqueraient pas aussi en l'espèce. Il n'y a tout simplement rien dans la Loi sur les langues officielles qui me permette de conclure qu'il faille donner au mot « recommandations » un sens autre que son sens ordinaire; il s'agit donc d'un conseil plutôt que d'une décision obligatoire. Par voie de conséquence, il n'y a aucun droit ni aucune obligation créé par les recommandations et il ne saurait y avoir une cause d'action du fait que VIA Rail n'a pas mis en oeuvre les recommandations en cause. C'est pour ces motifs que le protonotaire a décidé qu'il ne pouvait pas accorder une réparation de la nature d'un mandamus ou d'une injonction.


[9]                L'intervenant fait valoir que la Cour ne devrait pas exercer son pouvoir discrétionnaire pour radier une requête introductive d'instance en conformité avec son pouvoir inhérent, sauf dans des circonstances très exceptionnelles. La Cour fédérale a établi le critère applicable dans l'arrêt David Bull Laboratories (Canada) inc. c. Pharmacia Inc., [1995] 1 C.F. 588. La Cour a dit qu'il ne fallait rejeter sommairement qu'un avis de requête qui « est manifestement irrégulier au point de n'avoir aucune chance d'être accueilli » . Je suis convaincu qu'il a été satisfait à ce critère en l'espèce puisque les demandeurs n'ont aucune chance d'obtenir le redressement qu'ils demandent dans l'avis de requête introductif d'instance. Selon moi, le protonotaire n'a pas exercé irrégulièrement son pouvoir discrétionnaire en radiant la demande.   

[10]            Le Commissaire aux langues officielles prétend, au surplus, que le protonotaire a commis en erreur en décidant que la Cour n'avait pas compétence pour trancher cette question parce que les griefs des demandeurs doivent être réglés conformément aux termes de leur convention collective.

[11]            Je ne suis pas d'accord. La jurisprudence est claire : tout conflit qui découle d'une convention collective doit être tranché dans le cadre d'un processus d'arbitrage obligatoire. Dans l'arrêt Goudie c. City of Ottawa, 2003 C.S.C. 14, la Cour suprême du Canada a récemment confirmé en ces termes ce principe de droit :

Il est bien établi qu'un litige entre un employeur et un employé qui, dans son essence, découle de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution d'une convention collective ne doit pas être tranché par les tribunaux, mais plutôt par un arbitre conformément aux clauses d'arbitrage stipulées dans la convention collective.

[. . .]

Le principe selon lequel les litiges découlant d'une convention collective doivent être réglés par des arbitres en droit du travail, et non par les cours de justice, s'appuie sur l'intention du législateur. Dans St. Anne Nackawic Pulp & Paper Co. c. Syndicat canadien des travailleurs du papier, section locale 219, [1986] 1 R.C.S. 704, le juge Estey a établi le principe général aux pages 718-719 :

L'attitude plus moderne consiste à considérer que les lois en matière de relations de travail prévoient un code régissant tous les aspects des relations de travail et que l'on porterait atteinte à l'économie de la loi en permettant aux parties à une convention collective ou aux employés pour le compte desquels elle a été négociée, d'avoir recours aux tribunaux ordinaires qui sont dans les circonstances une juridiction faisant double emploi à laquelle la législature n'a pas attribué ces tâches.

Des causes ultérieures ont confirmé que, si l' « essence » du litige entre les parties découle de l'interprétation, de l'application, de l'administration ou de l'inexécution d'une convention collective, il doit être tranché par un arbitre nommé en conformité avec la convention collective et non pas par les tribunaux. Voir Weber c. Ontario Hydro, [1995] 2 R.C.S. 929, paragraphes 41 et 52, et Regina Police Assn. Inc. c. Regina (Ville) Board of Police Commissioners, [2000] 1 R.C.S. 360, 2000 CSC 14, paragraphes 23 et 25.


[12]            En l'espèce, le conflit entre les demandeurs et la défenderesse est né du manque allégué d'avancement des demandeurs chez VIA Rail en raison de la politique linguistique de la société. Les demandeurs sont membres de l'unité de négociation qui est régie par une convention collective qui établit le processus de promotion et de nomination. Les exigences de certains postes, notamment le bilinguisme ainsi que les conditions de travail comme la formation sont, en conformité avec l'article 16 et l'annexe 6 de la convention collective déterminés en conformité avec la procédure établie dans la convention. En particulier, l'annexe 6 de la convention collective prévoit ce qui suit :

Si le Syndicat n'est pas d'accord avec la désignation de tout poste pour répondre aux besoins du public voyageur ou pour se conformer aux dispositions de la Loi sur les langues officielles, on pourra déposer un grief à l'étage 3 de la procédure de règlement des griefs dans les 60 jours suivant la réception de la décision de la Société de désigner ledit poste. Si le grief ne peut être réglé à l'étape 3, la question pourra être soumise à l'arbitrage de manière expéditive.

[13]            Pour ces motifs, à mon avis, le protonotaire n'a commis aucune erreur en concluant que les demandes des demandeurs sont en fait des griefs qui doivent être réglés conformément aux modalités de la convention collective.

[14]            Pour tous ces motifs, l'appel est rejeté.   

                                                                                                                          « P. Rouleau »                 

                                                                                                                                         Juge                         

OTTAWA (Ontario)

le 18 mars 2004

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL. L.


                                                       COUR FÉDÉRALE

                                        AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIERS :                                             T-1167-02; T-1165-02; T-1280-02

INTITULÉ :                                              BRENDA BONNER, MARGARET TEMPLE, BRIAN NORTON

c.

VIA RAIL CANADA INC. ET LE COMMISSAIRE AUX LANGUES OFFICIELLES DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                        WINNIPEG (MANITOBA)

DATE DE L'AUDIENCE :                      LE 12 JANVIER 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :         LE JUGE ROULEAU

DATE DES MOTIFS :                             LE 18 MARS 2004

COMPARUTIONS :

Brian Norton                                                                 POUR LES DEMANDEURS

Margaret Temple

Brenda Bonner

G.R. Tremblay                                                   POUR LA DÉFENDERESSE

M.A. Landry

P. Giguère                                                                    POUR L'INTERVENANT

S. Tremblay

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

non représentés                                                             POUR LES DEMANDEURS

McCarthy Tetrault                                                         POUR LA DÉFENDERESSE

1170, rue Peel

Montréal (Québec)

Bureau du Commissaire                                                 POUR L'INTERVENANT

aux langues officielles

Services juridiques

344, rue Slater, 3e étage

Ottawa (Ontario)


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