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Date : 20210203


Dossier : T-1290-18

Référence : 2021 CF 113

Ottawa (Ontario), le 3 février 2021

En présence de la juge en chef adjointe Gagné

RECOURS COLLECTIF

ENTRE :

TIMOTHY J. BERNLOHR, JOHN C. CHARLES, EUGENE I. DAVIS, TODD DILLABOUGH, JOSEPH C. KOLSHAK, SEAN MENKE, MICHAEL ROUSSEAU ET DONALD T. THOMAS

demandeurs

et

LES ANCIENS EMPLOYÉS D’AVEOS PERFORMANCE AÉRONAUTIQUE INC. VISÉS PAR L’APPEL EN MATIÈRE DE RECOUVREMENT DE SALAIRE; ABDELAZIZ AACHATI ET AL.

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Survol

[1] La Cour est saisie d’une requête, de la part du défendeur Gilbert McMullen, représentant les 1961 anciens employés d’Avéos Performance Aéronautique Inc., lui demandant d’approuver l’entente de règlement hors Cour intervenue entre les parties le 2 novembre 2020 [l’Entente], dont une copie est jointe au présent jugement (incluant ses annexes A et B).

[2] Les demandeurs étaient tous d’anciens administrateurs d’Avéos au moment de sa faillite en 2012. En cette qualité, ils ont fait l’objet d’ordres de paiement en faveur des défendeurs, émis par une inspectrice du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada. Ces ordres de paiement ont subséquemment été confirmés en appel par l’arbitre Pierre Flageole, nommé en vertu du Code canadien du travail, LRC 1985, c L-2.

[3] Dans leur demande de contrôle judiciaire de cette dernière décision, les demandeurs plaident notamment que l’arbitre a erré en concluant que les réclamations faites par le biais des ordres de paiement n’étaient pas prescrites en avril 2017, au titre de l’article 119(3) de la Loi canadienne sur les sociétés par actions, LRC 1985, c C-44. Il a eu tort, selon eux, d’assimiler l’avis d’enquête émis en décembre 2013 à une demande en justice ayant interrompu la prescription, en application de l’article 2890 du Code civil du Québec.

[4] En date du 20 juin 2019, la Cour autorisait la poursuite de la demande de contrôle judiciaire des demandeurs en recours collectif (inversé), et elle nommait le défendeur McMullen représentant du groupe de défendeurs (Règles des Cours fédérales, DORS/98-106, r 334.14(2)).

[5] Depuis la transmission de l’avis aux membres joint à l’ordonnance de la Cour autorisant la poursuite de la présente instance en recours collectif, seuls trois membres se sont prévalus de la faculté d’exclusion; il s’agit des défendeurs Michael Fennessy, John Douglas Foster et Peter Tsoukalas, représentés depuis le début de l’instance par le cabinet Cavalluzzo LLP. Ils sont toutefois signataires de l’Entente et y adhèrent pleinement.

[6] Je tiens à nouveau à souligner que le cabinet Trudel, Johnston & Lespérance a offert aux membres du groupe de défendeurs représentés par M. McMullen une représentation pro bono.

[7] Cela dit, aucun membre du groupe de défendeurs ne s’est opposé à l’Entente.

II. L’Entente dans ses grandes lignes

[8] L’Entente prévoit que les demandeurs verseront un montant forfaitaire de 1 900 000 $ en règlement complet et final du litige les opposant aux défendeurs. Cette somme sera partagée entre les défendeurs dont la réclamation excède 25 $, jusqu’à concurrence des réclamations admises pour paiement et, en cas d’insuffisance, au prorata de celles-ci.

[9] En cas de reliquat, une première tranche de 100 000 $ sera remise aux demandeurs et tout excédent « sera utilisé pour accomplir une mesure réparatrice à être déterminée par les parties, au bénéfice des membres, et approuvée par la Cour fédérale ».

[10] L’Avis au membre préalablement approuvé par la Cour et formant l’annexe A de l’Entente demande aux membres de confirmer leur adresse auprès du Programme du travail, lequel administrera les versements aux membres. Les procureurs du défendeur McMullen procéderont au calcul du salaire et des indemnités dus à chacun des défendeurs, selon la méthode de calcul retenue par l’arbitre Flageole et tenant compte de toute compensation applicable. Une fois l’ensemble des réclamations reçues, ils confirmeront le montant à verser à chacun des défendeurs ayant confirmé son adresse, en conformité avec les termes de l’Entente.

[11] Il n’y a donc aucun frais d’administration ni honoraire professionnel à payer à même le montant du règlement.

III. Analyse

[12] Le règlement d’un recours collectif, fût-il inversé comme celui-ci, doit être approuvé par la Cour qui doit s’assurer qu’il est juste, raisonnable et conclu dans l’intérêt supérieur de l’ensemble des membres du groupe (McLean c Canada, 2019 CF 1075 aux para 64-65 [McLean]; Wenham c Canada ((Procureur général), 2020 CF 588 au para 48 [Wenham]).

[13] Les facteurs dont la Cour doit tenir compte dans son analyse ont été repris à plusieurs reprises par la Cour (voir par exemple Condon c Canada, 2018 CF 522 au para 19, McLean au para 64 et Wenham au para 50). Ils sont non-exhaustifs et leur poids varie en fonction des circonstances :

a. la probabilité de recouvrement ou de réussite;

b. l’ampleur et la nature des éléments de preuve issus des interrogatoires préalables, des témoignages ou de l’enquête, et la nature de ceux-ci;

c. les modalités et conditions du règlement proposé;

d. les dépens ultérieurs et la durée probable du litige;

e. les recommandations des parties neutres;

f. le nombre d’opposants et la nature des oppositions;

g. la conduite de négociations sans lien de dépendance et l’absence de collusion;

h. les renseignements éclairant la Cour quant à la dynamique des négociations et aux positions prises par les parties;

i. l’importance et la nature des communications des avocats et des représentants demandeurs avec les membres du groupe pendant le litige;

j. les recommandations et l’expérience des avocats.

[14] Tout règlement doit être examiné globalement et dans son contexte; ils nécessitent des concessions de part et d’autre et sont rarement parfaits; ils doivent néanmoins se situer dans une « fourchette…d’issues jugées raisonnables » (McLean au para 76, citant Ontario New Home Warranty Program v Chevron Chemical Co, 46 OR (3d) 130 au para 89).

[15] Dans le présent cas, les procureurs des parties sont unanimes : les négociations se sont déroulées dans l’harmonie, chacun ayant fait preuve de bonne foi et ayant accepté de compromettre.

[16] Les défendeurs étaient confiants mais réalistes dans l’examen de leurs chances de succès. La question au cœur de la demande de contrôle judiciaire en est une de prescription pour laquelle il n’existe pas réellement de précédent, et qui souvent se solde en un « tout ou rien ».

[17] Par ailleurs, même si un contrôle judiciaire est une procédure sommaire, la somme en jeu aurait pu justifier l’épuisement des voies d’appel. L’employeur a cessé ses activités en 2012 et les défendeurs attendent le paiement de leurs salaires et indemnités depuis lors. Un règlement ferme définitivement la porte aux procédures judiciaires, dans l’intérêt de tous.

[18] Pour apprécier les modalités de l’Entente, il faut d’abord comparer le versement qui y est prévu avec le meilleur des résultats que les défendeurs pouvaient espérer avec un jugement final. S’ils avaient eu gain de cause sur toute la ligne, ils se seraient séparé la somme de 2 732 626,93 $. Un calcul rapide permet de conclure qu’advenant que 100% des défendeurs confirment leur adresse auprès du Programme du travail, ils recevront tous un peu plus de 69% de leur réclamation admise pour paiement.

[19] Au moment de l’audience devant la Cour, 900 des 1961 défendeurs avaient confirmé leur adresse. En conséquence et si la tendance se maintient, il est possible que ceux qui confirment leur adresse reçoivent tout près de 100% de leur réclamation admise.

[20] Tous ces facteurs, ajoutés au fait qu’aucun frais d’avocat ni frais de gestion ne seront pris à même le montant du règlement, font en sorte qu’il s’agit là de la meilleure issue possible de cette demande de contrôle judiciaire, pour tous mais particulièrement pour les défendeurs. En fait, aucun des facteurs à considérer ne militent dans le sens contraire.

[21] En terminant, il est important de préciser qu’en entérinant l’Entente, la Cour ne se prononce aucunement sur le bien-fondé de la décision de l’arbitre Pierre Flageole et que partant, elle ne tranche pas les questions que soulevait la demande de contrôle judiciaire des demandeurs.

[22] Du consentement des parties, aucun dépens ne sera accordé sur la présente requête ni sur le mérite de la cause.


JUGEMENT dans T-1290-18

LA COUR STATUE que:

  1. L’Entente est juste, raisonnable et dans le meilleur intérêt des membres défendeurs;

  2. L’Entente constitue un règlement complet et final de tout litige découlant de la décision de l’arbitre Pierre Flageole;

  3. L’Entente doit être mise en œuvre par le Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada, selon les modalités qui y sont contenues;

  4. Les parties et les représentants du Programme du travail sont tenus de se conformer à l’Entente;

  5. Les représentants du Programme du travail sont tenus de collaborer avec les procureurs des défendeurs pour l’élaboration d’un Rapport final à être soumis à la Cour relativement à l’administration de l’Entente;

  6. La Cour demeurera saisie du présent dossier et pourra trancher toute question ou mésentente pouvant intervenir dans le cadre de l’administration de l’Entente;

  7. Aucun dépens n’est accordé.

« Jocelyne Gagné »

Juge en chef adjointe


ANNEXE « » 2020-10-30 Entente de règlement signée par tous_01

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COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1290-18

 

INTITULÉ :

TIMOTHY J. BERNLOHR, JOHN C. CHARLES, EUGENE I. DAVIS, TODD DILLABOUGH, JOSEPH C. KOLSHAK, SEAN MENKE, MICHAEL ROUSSEAU ET DONALD T. THOMAS c LES ANCIENS EMPLOYÉS D’AVEOS PERFORMANCE AÉRONAUTIQUE INC. VISÉS PAR L’APPEL EN MATIÈRE DE RECOUVREMENT DE SALAIRE; ABDELAZIZ AACHATI ET AL.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

Ottawa (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 20 janvier 2021

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE EN CHEF ADJOINTE GAGNÉ

 

DATE DES MOTIFS :

LE 3 FÉVRIER 2021

COMPARUTIONS :

Roger P. Simard

 

Pour les demandeurs

 

André Lespérance

Anne-Julie Asselin

 

Pour le défendeur GILBERT MCMULLEN

 

Stephen J. Moreau

Pour les défendeurs michael fennessy, john douglas foster and

peter tsoukalas

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Dentons Canada, s.e.n.c.r.l.

Montréal (Québec)

 

Pour les demandeurs

 

Trudel Johnston & Lespérance

Montréal (Québec)

 

Pour le défendeur GILBERT MCMULLEN

 

Cavalluzzo LLP

Toronto (Ontario)

Pour les défendeurs michael fennessy, john douglas foster and

peter tsoukalas

 

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