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     Date: 19991213

     Dossier: IMM-5714-99

ENTRE :


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L"IMMIGRATION


demandeur


et


YING CHEN


défenderesse


MOTIFS DE L"ORDONNANCE

LE JUGE BLAIS

[1]      Le ministre de la Citoyenneté et de l"Immigration sollicite une ordonnance sursoyant à l"exécution de l"ordonnance que l"arbitre R. Leach a rendue le 23 novembre 1999.

[2]      La défenderesse, qui vient de la province de Fujian, en Chine, est arrivée au Canada à bord d"un navire, avec 145 autres personnes. Ils étaient au large de la côte de l"île de Vancouver le 10 septembre 1999. Il s"agissait du quatrième navire de ce genre à arriver au Canada depuis le 20 juillet 1999.

[3]      La défenderesse a revendiqué le statut de réfugié au sens de la Convention. Le 14 septembre, une mesure d"expulsion conditionnelle a été prise contre la défenderesse, qui a été retenue en vertu de l"article 103.1 de la Loi sur l"immigration étant donné qu"elle était incapable d"établir son identité à la satisfaction de l"agent d"immigration.

[4]      Le 14 septembre 1999, la défenderesse a eu une entrevue avec un agent d"immigration, avec l"aide d"un interprète qui parlait le mandarin. Elle a déclaré qu"elle n"avait pas de parents au Canada et qu"elle n"avait jamais demandé un visa d"immigrant ou un visa de visiteur. Le même jour, la défenderesse a eu une entrevue avec un agent principal, encore une fois avec l"aide d"un interprète qui parlait le mandarin. La défenderesse a de nouveau déclaré qu"elle n"avait pas de parents au Canada et qu"elle n"avait jamais demandé un visa d"immigrant ou un visa de visiteur.

[5]      Selon le Système de soutien aux opérations des bureaux locaux (le SSOBL), qui est une base de données informatisée tenue par la Commission canadienne de l"immigration, la défenderesse et sa famille avaient présenté une demande le 30 juillet 1997 en vue d"immigrer au Canada à titre d"entrepreneurs. La défenderesse a demandé un visa de visiteur canadien le 27 novembre 1998 afin de rendre visite à son frère au Canada. La demande a été rejetée.

[6]      Lorsqu"on l"a confrontée à ces renseignements à l"entrevue, le 1er octobre 1999, la défenderesse a reconnu leur exactitude.

[7]      Par conséquent, l'identité de la défenderesse est établie à la satisfaction de la Commission canadienne de l'immigration. Toutefois, le demandeur sollicite la prolongation de la garde conformément au paragraphe 103(1) pour le motif que la défenderesse se dérobera vraisemblablement au renvoi.

[8]      Le demandeur déclare que, compte tenu de la façon dont la défenderesse est entrée au Canada et du fait qu'elle n'a pas dit la vérité lorsque les autorités canadiennes de l'immigration l'ont interrogée, il existe des motifs raisonnables de croire que la défenderesse n'obtempérera pas à la mesure de renvoi.

[9]      Le 15 octobre 1999, un arbitre, George Wajtowicz, a effectué un examen des motifs de garde concernant la défenderesse.

[10]      L'arbitre a conclu que la défenderesse ne se présenterait pas afin d'être renvoyée.

[11]      Malgré la conclusion qu'il avait tirée, l'arbitre a alors demandé que des observations soient présentées au sujet des conditions de mise en liberté de la défenderesse.

[12]      Après avoir entendu les observations, l'arbitre a décidé d'offrir de mettre la défenderesse en liberté moyennant la fourniture d'un cautionnement en espèces de 10 000 $ et certaines autres conditions qui seraient fixées ultérieurement.

[13]      Le 18 octobre 1999, l'arbitre a ordonné de mettre la défenderesse en liberté.

[14]      La défenderesse est demeurée sous garde jusqu'au 23 novembre 1999. Ce jour-là, un autre examen des motifs de garde a été effectué et l'arbitre a offert de mettre la défenderesse en liberté moyennant la fourniture d'un cautionnement en espèces de 15 000 $, ce montant devant être payé par le frère de la défenderesse, M. Tian Ren Chen, et d'une garantie de bonne exécution de 5 000 $ que M. Chen devait fournir.

[15]      Le 24 novembre 1999, à la suite de l'examen des motifs de garde effectué le 23 novembre 1999, les services de renseignements d'Immigration Canada, à Toronto et à Vancouver, ont fourni de nouveaux renseignements sur la caution de la défenderesse, M. Chen.

[16]      Le demandeur a sans délai demandé l'annulation immédiate de l'ordonnance de mise en liberté rendue par l'arbitre à Prince George, le 23 novembre 1999.

[17]      Le 25 novembre 1999, l'arbitre R. V. Leach a répondu comme suit au demandeur :

         [TRADUCTION]
         Les soupçons que vous avez au sujet de l'employeur de M. Chen, qui n'a pas pris part à l'examen des motifs de garde, le 23 novembre, ne me convainquent pas que M. Chen ne devrait pas servir de caution ou que Chen Ying se dérobera vraisemblablement au renvoi.

[18]      Le 25 novembre 1999, le demandeur a présenté et signifié une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision par laquelle l'arbitre Leach avait refusé, le 25 novembre, de tenir compte d'éléments de preuve additionnels au sujet de la garde de la défenderesse en vertu de la Loi sur l'immigration.

[19]      Le 25 novembre 1999, le demandeur a également présenté et signifié une requête visant au sursis à l'exécution de l'ordonnance rendue par l'arbitre R. Leach le 23 novembre 1999.

[20]      Pour réussir à obtenir un sursis à l'exécution de l'ordonnance de l'arbitre, il faut satisfaire aux trois éléments du critère pertinent : à savoir, l'existence d'une question sérieuse à trancher, l'existence d'un préjudice irréparable et le fait que la prépondérance des inconvénients joue en faveur du ministre.

[21]      Le demandeur soutient que, conformément aux paragraphes 103(6) et (8) de la Loi sur l'immigration, l'arbitre était obligé de tenir compte des nouveaux éléments de preuve qu'il avait présentés.

[22]      Le demandeur déclare que le fait de ne pas tenir compte des nouveaux éléments de preuve constitue en premier lieu une erreur de droit de la part de l'arbitre et en second lieu une question sérieuse à trancher.

[23]      Le demandeur affirme que l'arbitre Leach aurait dû examiner les nouveaux éléments de preuve avant de conclure qu'ils n"étaient pas pertinents, lorsqu"il s"agissait d"offrir de mettre la défenderesse en liberté, de prolonger la garde ou de mettre la défenderesse en liberté.

[24]      Le demandeur soutient qu'il subira un préjudice irréparable si la défenderesse est mise en liberté avant d'être renvoyée du Canada.

[25]      Le demandeur affirme que si la défenderesse est mise en liberté, elle ne se présentera pas afin d'être renvoyée du Canada, puisqu'elle a tout fait pour pouvoir entrer au Canada, légalement ou illégalement, qu'elle ne veut pas retourner en Chine et qu'elle fera tout son possible afin d'éviter le renvoi.

[26]      Le demandeur déclare également que si la défenderesse est mise en liberté, la demande d'autorisation et de contrôle judiciaire n'aura plus qu'un intérêt théorique, de sorte qu'il sera privé de la possibilité de déterminer la légalité de l'ordonnance rendue par l'arbitre. Le demandeur déclare que cela constitue également un préjudice irréparable.

[27]      Le demandeur affirme que si l'on donne effet à l'ordonnance de l'arbitre, cela ira à l'encontre de l'objet de la Loi sur l'immigration. Il est soutenu que l'intérêt public, lorsqu'il s'agit de donner effet aux dispositions de la Loi sur l'immigration, l'emporte dans ce cas-ci sur l'intérêt de la défenderesse.

[28]      La défenderesse affirme que le demandeur n'a pas établi l'existence d'une question sérieuse.

[29]      Selon la jurisprudence, une question sérieuse ne devrait pas être une simple possibilité ou une simple conjecture.

[30]      La défenderesse estime que tous ces nouveaux renseignements, à savoir des lettres, des cartes d'identité et des passeports que le demandeur a saisis à la frontière, n'établissent pas que M. Chen participe à des activités criminelles. En outre, cela ne constitue pas une question sérieuse à trancher.

[31]      La défenderesse soutient également que les articles 26 et 19 des Règles de la Section d'arbitrage n'autorisent aucunement l'arbitre à réexaminer sa décision.

[32]      La défenderesse affirme que dès que l'arbitre a pris sa décision, il était dessaisi de l'affaire.

[33]      La défenderesse soutient que le demandeur peut uniquement solliciter un réexamen s'il présente une nouvelle demande en vertu du paragraphe 103(8).

[34]      La défenderesse déclare qu'elle subit un préjudice irréparable chaque jour où la garde se prolonge. L'arbitre a pris une décision et elle doit être mise en liberté.

[35]      Enfin, la défenderesse affirme que la prépondérance des inconvénients joue en sa faveur parce qu'elle est sous garde et que si elle est mise en liberté, conformément à la décision de l'arbitre, elle habitera chez son frère et elle continuera à être disponible, à la demande du tribunal.

ANALYSE

L'existence d'une question sérieuse

[36]      Je suis convaincu que le refus de l'arbitre de tenir compte des nouveaux éléments de preuve, à la demande du demandeur, constitue une question sérieuse. Le paragraphe 103(8) prévoit ce qui suit :

Retaking into custody

(8) Where an adjudicator has ordered that a person be released from detention pursuant to paragraph (3)(a) or subsection (7), that adjudicator or any other adjudicator may at any time thereafter order that the person be retaken into custody and held in detention if the adjudicator becomes satisfied that the person is likely to pose a danger to the public or is not likely to appear for an examination, inquiry or removal.

Nouvelle mise sous garde

(8) Après la mise en liberté prévue à l"alinéa (3)a) ou au paragraphe (7), l"arbitre qui l"a ordonnée ou un autre arbitre peut à tout moment ordonner à nouveau la mise sous garde de l"intéressé, s"il estime que celui-ci constitue vraisemblablement une menace pour la sécurité publique ou qu"il se dérobera vraisemblablement à l"interrogatoire, à l"enquête ou au renvoi.

L'EXISTENCE D'UN PRÉJUDICE IRRÉPARABLE

[37]      La preuve établit que la défenderesse a menti à l'agent d'immigration et que ce n'est que lorsqu'elle a été confrontée à la vérité qu'elle a admis ses actions.

[38]      La preuve établit également que la défenderesse a fait tout son possible pour entrer au Canada, légalement ou illégalement.

[39]      Il est clair que si la défenderesse est mise en liberté, la procédure de contrôle judiciaire n'aura plus qu'un intérêt théorique; il est bien possible que la défenderesse ne soit pas disponible pour être renvoyée du Canada s'il n'est pas fait droit à sa revendication.

LA PRÉPONDÉRANCE DES INCONVÉNIENTS

[40]      J'estime également que l'intérêt public l'emporte sur l'intérêt de la défenderesse, de sorte que la prépondérance des inconvénients joue en faveur du ministre.

[41]      À mon avis, il convient que l'arbitre, qui examinera l'affaire en temps et lieu, apprécie les nouveaux éléments de preuve présentés par le demandeur.

[42]      Pour ces motifs, j'accorde un sursis à l'exécution de l'ordonnance que l'arbitre R. Leach a rendue le 23 novembre 1999; par conséquent, la défenderesse demeurera sous garde tant qu'il n'aura pas été statué sur la demande de contrôle judiciaire ou tant que le prochain examen des motifs de garde prévu par la loi ne sera pas effectué, ou encore tant que la défenderesse ne sera pas renvoyée du Canada.


                                 Pierre Blais

                         ___________________________

                                 Juge

OTTAWA (ONTARIO),

le 13 décembre 1999.


Traduction certifiée conforme


L. Parenteau, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              IMM-5714-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      MCI c. YING CHEN
LIEU DE L'AUDIENCE :          VANCOUVER (C.-B.)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 26 novembre 1999

MOTIFS DE L"ORDONNANCE du juge Blais en date du 13 décembre 1999


ONT COMPARU :

Garth Smith                      POUR LE DEMANDEUR
Bill A. Coller                  POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Morris Rosenberg          POUR LE DEMANDEUR

Sous-procureur général du Canada

Bill A. Coller          POUR LA DÉFENDERESSE

Prince George (C.-B.)

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