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Date : 20000811


Dossier : IMM-1940-99


OTTAWA (ONTARIO), LE VENDREDI 11 AOÛT 2000

EN PRÉSENCE DE MADAME LE JUGE DAWSON

ENTRE :


SAEED ATIF HUSSAIN



demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



JUGEMENT


     LA COUR ORDONNE

     Que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée.


« Eleanor R. Dawson »

                                             J U G E

Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.





Date : 20000811


Dossier : IMM-1940-99


ENTRE :


SAEED ATIF HUSSAIN


demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


défendeur



MOTIFS DU JUGEMENT


LE JUGE DAWSON


INTRODUCTION


[1]      Saeed Atif Hussain, le demandeur, est un citoyen du Pakistan âgé de 28 ans dont la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention a été rejetée par la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR). Monsieur Hussain conteste cette détermination et cherche à obtenir une ordonnance annulant la décision de la SSR datée du 8 mars 1999.

[2]      Monsieur Hussain a fondé sa revendication sur sa crainte, fondée selon lui, d'être persécuté au Pakistan en raison de sa religion, ses opinions politiques et son appartenance à un groupe social particulier, soit les chi'ites du Pakistan.

LA DÉCISION

[3]      La SSR a conclu que M. Hussain n'a pas fourni de fondement crédible pour étayer sa revendication. Voici ce que la formation a essentiellement conclu :

[TRADUCTION]
     La formation a dûment tenu compte des facteurs culturels qui ont pu avoir une incidence sur la façon dont le revendicateur a témoigné, notamment l'anxiété, dont on peut raisonnablement s'attendre, qui accompagne le processus de détermination du statut de réfugié au sens de la Convention; cependant, même compte tenu de ces considérations, la formation estime que le témoignage du revendicateur concernant des aspects importants de sa revendication manque de fiabilité et, partant, n'est pas crédible.
     Le revendicateur soutient que tous ses problèmes au Pakistan découlent du fait qu'il appartient à la secte chi'ite de l'Islam. Il a témoigné qu'en raison de ses croyances et des croyances chi'ites de sa famille, et du fait que sa famille participe depuis longtemps aux activités du Imam Bargah chi'ite, il a systématiquement été persécuté par la majorité sunnite, en particulier par l'organisation fondamentaliste Sipah-i-Sahaba. Il aurait, par suite de son refus d'abandonner le chi'isme et de se convertir au sunnisme, subi de la violence verbale, été menacé de mort, et torturé presqu'à mort. Il a également dit que son père avait, en vain, fait part aux autorités policières de la violence qu'il (le revendicateur) avait subie. Cependant, la formation estime que la connaissance du revendicateur de notions fondamentales de la religion chi'ite fait cruellement défaut, voire qu'il n'a aucune connaissance à ce sujet, si bien qu'elle ne peut que conclure qu'il n'a pas la réputation qu'il a témoigné avoir - elle se demande même s'il appartient au groupe. Comme il a déjà été mentionné, cette réputation devait être la cause de toute la persécution qu'il aurait subie au Pakistan, à un point tel qu'il aurait été, au sein de sa famille, l'individu qui constituait la principale cible.

LA QUESTION LITIGIEUSE

[4]      On a soutenu, pour le compte de M. Hussain, qu'en tirant cette conclusion, la SSR a omis de respecter les exigences du paragraphe 68(5) de la Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2, modifiée (la Loi), et violé l'obligation d'agir équitablement qui lui incombait en se fondant sur des éléments de preuve dont la formation n'était pas saisie à l'audition.

[5]      Les renseignements sur lesquels la SSR s'est fondée provenaient de l'ouvrage intitulé The New Encyclopedia Britannica et de deux encyclopédies sur les religions dans le monde. Les renseignements provenant de ces sources, qui faisaient l'objet de notes en bas de page dans la décision écrite de la SSR, consistaient en des éléments de preuve établissant l'importance que les chi'ites accordent à leurs imams, les noms et le nombre d'imams, la possibilité, pour les chi'ites, de réunir les prières du soir et celles de la nuit, et les distinctions qui existent entre les chi'ites et les sunnites.

[6]      En réponse aux arguments de M. Hussain, le ministre a soutenu que le paragraphe 68(5) de la Loi ne précise pas à quel moment la SSR doit informer les parties des faits qui sont du ressort de sa spécialisation, et que la SSR respecte la Loi si elle donne aux parties la possibilité de faire des observations à ce sujet.

[7]      Le ministre a en outre fait valoir qu'il ressortait de la preuve dont disposait la Cour que la SSR avait, à l'audition, fait part à M. Hussain de ses connaissances qui sont du ressort de sa spécialisation au sujet des pratiques des chi'ites et que ce dernier avait eu l'occasion, toujours à l'audition, d'y répondre. Il a également eu l'occasion de produire d'autres éléments de preuve après l'audition.

[8]      Pour ce qui est de l'utilisation des encyclopédies, le ministre a soutenu que les sources des connaissances du ressort de la spécialisation de la SSR n'avaient pas d'importance, peu importe qu'il s'agisse de renseignements publiés sur les conditions qui règnent au pays, de connaissances acquises dans le cadre d'un certain nombre d'affaires liées, ou de renseignements provenant d'encyclopédies que le public peut consulter.

L'ANALYSE

[9]      Je note d'abord que dans les cas où la SSR utilise ses connaissances qui sont du ressort de sa spécialisation eu égard aux revendications du statut de réfugié ou encore des faits ou renseignements généralement reconnus, et qu'elle détermine que la preuve n'est pas plausible, les cours doivent faire preuve de retenue à l'égard d'une telle détermination.

[10]      La SSR doit respecter les exigences du paragraphe 68(5) de la Loi, qui prévoit :


68(5) Before the Refugee Division takes notice of any facts, information or opinion, other than facts that may be judicially noticed, in any proceedings, the Division shall notify the Minister, if present at the proceedings, and the person who is the subject of the proceedings of its intention and afford them a reasonable opportunity to make representations with respect thereto.

68(5) Sauf pour les faits qui peuvent être admis d'office en justice, la section du statut informe le ministre, s'il est présent à l'audience, et la personne visée par la procédure de son intention d'admettre d'office des faits, renseignements ou opinions et leur donne la possibilité de présenter leurs observations à cet égard.


[11]      Je ne connais aucune exigence de la jurisprudence selon laquelle on doit respecter les exigences du paragraphe 68(5) dès le début de l'audition, et les avocats n'en ont portée aucune à mon attention. On a déjà conclu qu'il suffisait de respecter les exigences de ce paragraphe au cours de l'audition.

[12]      Dans Elmi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration) (1999), 163 F.T.R. 122 (C.F. 1re inst.), le juge McKeown a dit, au paragraphe 17 de ses motifs :

Pendant l'audience, la Commission a déclaré qu'elle se fiait à ses connaissances spécialisées suivant lesquelles traditionnellement, les membres du clan prennent soin les uns des autres. L'avocat du demandeur a abordé cette question dans ses observations finales devant la Commission. Par conséquent, la Commission a respecté l'exigence de l'avis prévue au par. 68(5). [Non souligné dans l'original.]

[13]      Le juge Rothstein, alors juge de la Section de première instance de la Cour fédérale, a conclu, dans Portilla c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 766, aux paragraphes 9 et 10 :

[9]      Bien que les commissaires doivent prendre soin de se concentrer sur les éléments de preuve produits devant eux, il y aura des occasions où un commissaire aura une certaine connaissance qui lui fera invoquer les paragraphes 68(4) et (5). Ces dispositions visent à s'assurer que les parties ont la possibilité de présenter des observations lorsqu'un tribunal admet d'office les faits généralement reconnus et les renseignements ou opinions qui sont du ressort de sa spécialisation. En l'espèce, la demanderesse a eu cette possibilité. La déclaration de M. Burke selon laquelle il était courant de voir de grandes voitures au Mexique était inoffensive et ne donne pas lieu à une crainte raisonnable de partialité.
[10]      Le tribunal n'était nullement tenu de mentionner expressément la déclaration de M. Burke dans ses motifs. Le tribunal a expressément fait état du témoignage de la demanderesse selon lequel les hommes qui l'avaient enlevée et l'avaient agressée conduisaient une voiture bleu foncé, et elle croyait qu'ils étaient de la police judiciaire. Toutefois, il a noté qu'elle ne pouvait donner d'autres détails sur la voiture. À l'évidence, le tribunal n'était pas disposé à conclure du simple fait pour la demanderesse d'avoir dit que les hommes qui l'avaient enlevée et agressée conduisaient une voiture bleu foncé qu'ils étaient de la police judiciaire. Le tribunal a conclu qu'il était invraisemblable que la police judiciaire mexicaine eût intérêt à continuer de persécuter la demanderesse. Le tribunal
n'était pas tenu de faire expressément mention des observations de M. Burke dans ses motifs, bien qu'il semble que celles-ci aient influé quelque peu sur sa conclusion. Le point important réside dans le fait que la demanderesse s'est vu accorder la possibilité de présenter des éléments de preuve et des observations en réponse à la déclaration de M. Burke. En donnant cette possibilité, la Commission s'est conformée au paragraphe 68(5) de la Loi sur l'immigration. [Non souligné dans l'original]

[14]      En l'espèce, vu les croyances chi'ites que M. Hussain a dit avoir, la décision de la formation était fondée sur des inférences négatives qu'elle a faites sur la base des éléments suivants :

     i)      l'omission de M. Hussain de nommer douze imams chi'ites. Il en a nommé cinq;
     ii)      la prétention de M. Hussain selon laquelle Hazrat Fatima était un imam. La formation a dit qu'en fait, elle était l'épouse d'un imam important;
     iii)      l'omission de M. Hussain de faire la démonstration du lavage rituel que font les chi'ites avant de faire leurs prières ordinaires et que ces derniers considèrent comme une obligation; et
     iv)      la déclaration de M. Hussain que les chi'ites ne peuvent réunir les prières du soir et celles de la nuit. La formation a dit que la pratique chi'ite diffère de la pratique sunnite dans la mesure où dans le chi'isme, les prières du midi et celles de l'après-midi sont habituellement réunies, de même que les prières du soir et celles de la nuit.

[15]      En ce qui concerne la première inférence, la formation a invité M. Hussain à lui dire sur quels principes sa religion était fondée. Il a répondu et a dit, dans sa réponse, que les chi'ites croyaient en douze imams. Il a reconnu qu'il ne pouvait n'en nommer que cinq, ce qu'il a fait.

[16]      À mon avis, l'inférence défavorable que la SSR a faite sur la base de cette omission n'était ni déraisonnable, ni inconvenante.

[17]      En ce qui concerne la deuxième inférence, la formation a invité M. Hussain à prouver que Hazrat Fatima avait été proclamée imam ou qu'elle était considérée comme tel. Il n'a fourni une telle preuve ni pendant, ni après l'audition. Puisque la SSR a donné cette occasion à M. Hussain, je ne peux conclure qu'elle a commis une erreur susceptible de contrôle lorsqu'elle a tiré une inférence défavorable sur cette base.

[18]      En ce qui concerne le lavage rituel et l'inférence de la formation sur la base de la démonstration que M. Hussain en a faite, le président de l'audience a bel et bien dit à l'audition que la formation connaissait les pratiques fondamentales chi'ites. La formation a ensuite demandé à M. Hussain de confirmer sa compréhension de ce rituel. La formation a par la suite dit ce qu'elle en comprenait. Puis, le président de l'audience a posé la question suivante à M. Hussain :

[TRADUCTION]
             PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Pouvez-vous nous fournir de la preuve documentaire de l'imam ou de votre mosquée établissant qu'il s'agit bel et bien de la pratique qui consiste à se laver les mains?
             REVENDICATEUR :          Je peux l'obtenir de l'imam, oui.

[9]      Plus tard au cours de l'instance, le président de l'audience a demandé à l'avocat de M. Hussain s'il pouvait obtenir des renseignements qui réfuteraient la compréhension de la SSR de ce rituel. Il était clair que la façon dont M. Hussain décrivait le lavage rituel des chi'ites n'était pas compatible avec la compréhension que la formation en avait.

[20]      Je conclus que cela était suffisant pour que les exigences du paragraphe 68(5) de la Loi soient respectées.

[21]      En ce qui concerne les prières du soir, la formation a dit clairement qu'elle savait que les pratiques sunnites différaient des pratiques chi'ites pour ce qui est de la question de savoir quelles prières pouvaient être réunies. Même si la SSR aurait pu exposer plus clairement ce qu'elle croyait comprendre au sujet de la réunion de prières que permettait le chi'isme, je ne peux conclure qu'elle a commis une erreur susceptible de contrôle à cet égard. La possibilité de faire des observations sur les réserves que la formation avait au sujet de la façon dont il avait décrit la réunion de prières a été offerte à M. Hussain.

[22]      Pour ce qui est de l'utilisation que la formation a faite d'encyclopédies, la formation a bel et bien exposé clairement à l'audition les réserves qu'elle avait, sur la base de son examen de ces volumes, au sujet du témoignage de M. Hussain concernant les pratiques chi'ites. Il s'agit du type de connaissance générale dont traitent les paragraphes 68(4) et (5) de la Loi. Ces dispositions reconnaissent que la SSR peut admettre d'office des faits généralement reconnus.

[23]      Après que la SSR a fait part à M. Hussain des réserves qu'elle avait, elle lui a donné la possibilité de faire des observations sur celles-ci. À mon avis, les renvois de la Commission aux encyclopédies dans les notes en bas de page ne constituent en aucun cas une violation d'une quelconque obligation qui lui incombait à l'égard de M. Hussain.

[24]      Monsieur Hussain était représenté par un avocat expérimenté (un autre avocat que celui qui l'a représenté devant notre Cour) à l'audition. J'estime que la SSR a convenablement fait part de ses réserves à l'avocat de M. Hussain. À la fin de l'audition, l'avocat de M. Hussain a dit à la formation :

[TRADUCTION]
                 AVOCAT :          Je viens de m'entretenir brièvement avec le client à la réception, en revenant de la salle d'attente, et je lui ai demandé s'il était d'accord que nous nous abstenions de faire des observations; il s'est dit essentiellement d'accord avec cette position. La seule position, ou les seules notes - quelques notes. Il se peut que des croyants ne connaissent pas les subtilités de la foi, mêmes celles qui sont fondamentales. Je veux dire que moi-même, ayant été élevé dans une famille catholique très pratiquante et ayant fréquenté une école catholique, je ne serais même pas capable de vous énumérer les dix commandements dans l'ordre. Le seul péché cardinal que je suis certain de pouvoir nommer est le Cardinal de Manille et je doute - il s'agit donc de choses importantes. Je sais qu'il y a des cardinaux Vigneault (ph) et plus que ça. Vous savez, il se peut que nous ayons eu de mauvais prêtres dans le quartier et dans nos écoles aussi, mais de toute façon, j'estime que nous ne modifierons pas la preuve et décideront sur cette base de ce que nous allons faire.
                 PRÉSIDENT DE L'AUDIENCE : Merci.

Aucune observation n'a été faite après l'audition.

[25]      Vu les circonstances, je ne peux conclure, malgré l'habile plaidoirie de l'avocat de M. Hussain, que la SSR a commis une quelconque erreur justifiant que la Cour annule sa décision.

[26]      La demande de contrôle judiciaire est donc rejetée. Les avocats ont convenu que les faits de la présente affaire ne soulèvent pas de question qui mérite d'être certifiée.


« Eleanor R. Dawson »

                                             J U G E

Ottawa (Ontario)

Le 11 août 2000.


Traduction certifiée conforme


Bernard Olivier, B.A., LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



NO DU GREFFE :          IMM-1940-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Saeed Atif Hussain c. M.C.I.

                

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 30 juin 2000

MOTIFS D'ORDONNANCE EXPOSÉS PAR MADAME LE JUGE DAWSON

EN DATE DU :          11 août 2000



ONT COMPARU :


M. David Yerzy                      POUR LE DEMANDEUR

M. Marcel Larouche                      POUR LE DÉFENDEUR


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :


M. David Yerzy                      POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)

M. Morris Rosenberg                      POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

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