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Date : 20041123

Dossier : IMM-1468-04

Référence : 2004 CF 1634

Ottawa (Ontario), le 23 novembre 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                             RAVINDER SINGH

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La Cour est saisie d'une demande présentée par le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le demandeur) en vue d'obtenir le contrôle judiciaire d'une décision en date du 5 février 2004 par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SPR) a ordonné que Ravinder Singh (le défendeur) soit mis en liberté à certaines conditions.


FAITS PERTINENTS

[2]                Le défendeur est un citoyen de l'Inde qui est arrivé au Canada le 3 octobre 2003 et qui a revendiqué le statut de réfugié le 7 octobre 2003. Il a réussi à entrer au Canada grâce à de faux documents portant le nom de Vijay Kumar. Ces documents lui avaient été fournis par un agent.

[3]                Au cours de sa rencontre avec un agent d'immigration le 3 décembre 2003, M. Singh a produit trois nouveaux documents qu'il affirmait être authentiques, mais dont on a par la suite découvert qu'ils étaient eux aussi des faux. C'est alors qu'il a été ordonné que le défendeur soit détenu jusqu'à ce que son identité soit prouvée, conformément à l'alinéa 55(2)b) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés (la Loi). Les motifs justifiant le maintien en détention du défendeur ont fait l'objet d'un contrôle le 5 décembre 2003, le 11 décembre 2003 et le 9 janvier 2004. Dans tous les cas, ce contrôle s'est soldé par une recommandation de maintien en détention. Dans sa décision du 9 janvier 2004, la SPR a toutefois soumis une offre de mise en liberté assortie de conditions devant prendre effet le 30 janvier 2004.

[4]                Le 5 février 2004, la SPR a constaté que le délai fixé dans la décision du 9 janvier 2004 était expiré et elle a estimé que M. Singh devait par conséquent être mis en liberté conformément aux modalités de cette décision. Le demandeur demande à la Cour d'annuler la décision rendue par la SPR le 5 février 2004.


QUESTIONS EN LITIGE

[5]                1.         La SPR a-t-elle commis une erreur de droit au sujet de sa compétence dans son interprétation de l'offre de mise en liberté du 9 janvier 2004?

2.          La SPR a-t-elle omis d'observer un principe de justice naturelle en ne permettant pas à l'avocat du ministre de formuler d'autres observations à l'audience portant sur le contrôle de la détention?

ANALYSE

1.         La SPR a-t-elle commis une erreur de droit au sujet de sa compétence dans son interprétation de l'offre de mise en liberté du 9 janvier 2004?

[6]                À mon avis, il nous faut examiner divers articles de la Loi et du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés (le Règlement) pour déterminer si le commissaire a commis une erreur justifiant l'intervention de la Cour.

[7]                L'article 55 de la Loi prévoit la détention d'un étranger dans certains cas, notamment pour établir son identité.


55. (1) L'agent peut lancer un mandat pour l'arrestation et la détention du résident permanent ou de l'étranger dont il a des motifs raisonnables de croire qu'il est interdit de territoire et qu'il constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi.

55. (1) An officer may issue a warrant for the arrest and detention of a permanent resident or a foreign national who the officer has reasonable grounds to believe is inadmissible and is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.


55(2) Arrestation sans mandat et détention

(2) L'agent peut, sans mandat, arrêter et détenir l'étranger qui n'est pas une personne protégée dans les cas suivants :

a) il a des motifs raisonnables de croire que celui-ci est interdit de territoire et constitue un danger pour la sécurité publique ou se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d'une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);b) l'identité de celui-ci ne lui a pas été prouvée dans le cadre d'une procédure prévue par la présente loi.

55(2) Arrest and detention without warrant

(2) An officer may, without a warrant, arrest and detain a foreign national, other than a protected person,

(a) who the officer has reasonable grounds to believe is inadmissible and is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2); or

(b) if the officer is not satisfied of the identity of the foreign national in the course of any procedure under this Act.

55(3) Détention à l'entrée

(3) L'agent peut détenir le résident permanent ou l'étranger, à son entrée au Canada, dans les cas suivants :

a) il l'estime nécessaire afin que soit complété le contrôle;

b) il a des motifs raisonnables de soupçonner que celui-ci est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux.

55(3) detention on entry

(3) A permanent resident or a foreign national may, on entry into Canada, be detained if an officer

(a) considers it necessary to do so in order for the examination to be completed; or

(b) has reasonable grounds to suspect that the permanent resident or the foreign national is inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights.

55(4) Notification

(4) L'agent avise sans délai la section de la mise en détention d'un résident permanent ou d'un étranger.

55(4) Notice

(4) If a permanent resident or a foreign national is taken into detention, an officer shall without delay give notice to the Immigration Division.


[8]                L'article 58 de la Loi oblige la Section de l'immigration à prononcer la mise en liberté de la personne détenue sauf sur preuve de certains faits :


58(1) Mise en liberté par la Section de l'immigration

58. (1) La section prononce la mise en liberté du résident permanent ou de l'étranger, sauf sur preuve, compte tenu des critères réglementaires, de tel des faits suivants :

a) le résident permanent ou l'étranger constitue un danger pour la sécurité publique;

b) le résident permanent ou l'étranger se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi, ou à la procédure pouvant mener à la prise par le ministre d'une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2);

c) le ministre prend les mesures voulues pour enquêter sur les motifs raisonnables de soupçonner que le résident permanent ou l'étranger est interdit de territoire pour raison de sécurité ou pour atteinte aux droits humains ou internationaux;

d) dans le cas où le ministre estime que l'identité de l'étranger n'a pas été prouvée mais peut l'être, soit l'étranger n'a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin, soit ce dernier fait des efforts valables pour établir l'identité de l'étranger.

58(1) Release - Immigration Division

58. (1) The Immigration Division shall order the release of a permanent resident or a foreign national unless it is satisfied, taking into account prescribed factors, that

(a) they are a danger to the public;

(b) they are unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2);

(c) the Minister is taking necessary steps to inquire into a reasonable suspicion that they are inadmissible on grounds of security or for violating human or international rights; or

(d) the Minister is of the opinion that the identity of the foreign national has not been, but may be, established and they have not reasonably cooperated with the Minister by providing relevant information for the purpose of establishing their identity or the Minister is making reasonable efforts to establish their identity.


58(2) Mise en détention par la Section de l'immigration

(2) La section peut ordonner la mise en détention du résident permanent ou de l'étranger sur preuve qu'il fait l'objet d'un contrôle, d'une enquête ou d'une mesure de renvoi et soit qu'il constitue un danger pour la sécurité publique, soit qu'il se soustraira vraisemblablement au contrôle, à l'enquête ou au renvoi.

58(2) detention - Immigration Division

(2) The Immigration Division may order the detention of a permanent resident or a foreign national if it is satisfied that the permanent resident or the foreign national is the subject of an examination or an admissibility hearing or is subject to a removal order and that the permanent resident or the foreign national is a danger to the public or is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing or removal from Canada.

58(3) Conditions

(3) Lorsqu'elle ordonne la mise en liberté d'un résident permanent ou d'un étranger, la section peut imposer les conditions qu'elle estime nécessaires, notamment la remise d'une garantie d'exécution.

58(3) Conditions

(3) If the Immigration Division orders the release of a permanent resident or a foreign national, it may impose any conditions that it considers necessary, including the payment of a deposit or the posting of a guarantee for compliance with the conditions.


[9]                L'article 244 du Règlement dispose :


244. Pour l'application de la section 6 de la partie 1 de la Loi, les critères prévus à la présente partie doivent être pris en compte lors de l'appréciation :

a) du risque que l'intéressé se soustraie vraisemblablement au contrôle, à l'enquête, au renvoi ou à une procédure pouvant mener à la prise, par le ministre, d'une mesure de renvoi en vertu du paragraphe 44(2) de la Loi;

b) du danger que constitue l'intéressé pour la sécurité publique;

c) de la question de savoir si l'intéressé est un étranger dont l'identité n'a pas été prouvée.

244. For the purposes of Division 6 of Part 1 of the Act, the factors set out in this Part shall be taken into consideration when assessing whether a person

(a) is unlikely to appear for examination, an admissibility hearing, removal from Canada, or at a proceeding that could lead to the making of a removal order by the Minister under subsection 44(2) of the Act;

(b) is a danger to the public; or

(c) is a foreign national whose identity has not been established.


[10]            En l'espèce, c'est l'alinéa 244c) du Règlement qui s'applique, parce que les autorités de l'immigration ont invoqué le motif qui y est prévu pour justifier la détention du défendeur.

[11]            Le paragraphe 247(1) du Règlement prévoit par ailleurs ce qui suit :



247. (1) Pour l'application de l'alinéa 244c), les critères sont les suivants :

a) la collaboration de l'intéressé, à savoir s'il a justifié de son identité, s'il a aidé le ministère à obtenir cette justification, s'il a communiqué des renseignements détaillés sur son itinéraire, sur ses date et lieu de naissance et sur le nom de ses parents ou s'il a rempli une demande de titres de voyage;

b) dans le cas du demandeur d'asile, la possibilité d'obtenir des renseignements sur son identité sans avoir à divulguer de renseignements personnels aux représentants du gouvernement du pays dont il a la nationalité ou, s'il n'a pas de nationalité, du pays de sa résidence habituelle;

c) la destruction, par l'étranger, de ses pièces d'identité ou de ses titres de voyage, ou l'utilisation de documents frauduleux afin de tromper le ministère, et les circonstances dans lesquelles il s'est livré à ces agissements;

d) la communication, par l'étranger, de renseignements contradictoires quant à son identité pendant le traitement d'une demande le concernant par le ministère;

e) l'existence de documents contredisant les renseignements fournis par l'étranger quant à son identité.

247. (1) For the purposes of paragraph 244c), the factors are the following:

(a) the foreign national's cooperation in providing evidence of their identity, or assisting the Department in obtaining evidence of their identity, in providing the date and place of their birth as well as the names of their mother and father or providing detailed information on the itinerary they followed in travelling to Canada or in completing an application for a travel document;

(b) in the case of a foreign national who makes a claim for refugee protection, the possibility of obtaining identity documents or information without divulging personal information to government officials of their country of nationality or, if there is no country of nationality, their country of former habitual residence;

(c) the destruction of identity or travel documents, or the use of fraudulent documents in order to mislead the Department, and the circumstances under which the foreign national took that actions;

(d) the provision of contradictory information with respect to identity at the time of an application to the Department; and

(e) the existence of documents that contradict information provided by the foreign national with respect to their identity.


[12]            Le commissaire chargé de contrôler la détention doit se fonder sur les articles précités de la Loi et du Règlement.

[13]            En fait, pour comprendre la décision de la commissaire Tordoff, il nous faut nous reporter à la décision rendue par le commissaire Louis Dubé le 9 janvier 2004.

[14]            La décision motivée du commissaire Louis Dubé est très fouillée. Il y relate toutes les démarches entreprises par le défendeur et par le ministre pour vérifier les renseignements communiqués au sujet de l'identité du défendeur.

[15]            Dans le passé, le défendeur a produit divers documents dont il a été constaté qu'ils étaient faux, contrefaits ou peu fiables. Ces documents ont été soumis à d'autres commissaires et notamment, en décembre 2003, à deux commissaires différents, MM. Pierre Turmel et Michel Beauchamp.


[16]            Il semble que le défendeur a par la suite produit un nouveau document qui était l'affidavit du sarpanch du village dont le défendeur serait originaire. Ce document a été soumis à l'agent d'immigration entre le 17 et le 22 décembre 2003. Le commissaire Louis Dubé explique ce qui suit dans sa décision :

[...] On a ensuite fait parvenir l'affidavit aux autorités canadiennes en poste à Delhi pour vérification. Dans leur réponse, reçue le 22 décembre 2003, les autorités de Delhi expliquaient qu'il est impossible de vérifier ce type de document et qu'il est très facile de s'en procurer un à faible coût. Elles ajoutaient qu'elles tenteraient d'obtenir des renseignements autrement, entre autres à l'aide de l'adresse de votre mère. Il se pouvait même qu'elles se rendent dans votre village. On a aussi fait parvenir vos empreintes digitales aux autorités canadiennes en poste en Inde.

[Non souligné dans l'original.]

[17]            Plus loin, à la page 4 de sa décision, M. Dubé déclare

Vous devez comprendre que ce n'est pas moi qui doit être convaincu de votre identité, et je considère que les efforts déployés au cours du dernier mois étaient raisonnables. Immigration Canada a procédé à deux interrogatoires, ils ont envoyé le document, l'affidavit, en Inde pour vérification, ils ont fait parvenir vos empreintes digitales aux autorités canadiennes en poste en Inde et cherchent d'autres moyens de vérifier vos dires en Inde.

[Non souligné dans l'original.]

[18]            Quoi qu'il en soit, plus tard, le commissaire Dubé s'est dit convaincu que la détention du défendeur devait être maintenue jusqu'à nouvel ordre. Voici ce qu'il écrit, à la page 4, au paragraphe 3 :


J'annule donc l'offre de remise en liberté préparée par mon collègue et en rédige une nouvelle. En ce qui vous concerne, les conditions seront les mêmes. Vous devrez vous rapporter une fois par mois. Je ne demanderai pas d'argent. Vous devrez fournir aux agents d'Immigration Canada votre adresse et les informer de tout changement d'adresse avant votre changement de domicile. Cette offre de remise en liberté entrera en vigueur dès que le ministère sera satisfait de l'authenticité du document, de l'affidavit.

S'il n'y a rien, pas de nouvelles en provenance de l'Inde d'ici le... Je vais interrompre l'enregistrement pour une minute et consulter un calendrier.

Si on ne reçoit aucune nouvelle en provenance de l'Inde, si aucun résultat n'est obtenu et aucune mesure prise par Immigration Canada à cet égard, et par « à cet égard » , je veux dire se rendre dans votre village et vérifier l'authenticité du document, de l'affidavit, d'ici le 30 janvier à midi, vous serez remis en liberté à ce moment. Si des résultats sont obtenus et que la conclusion est que les autorités canadiennes en poste en Inde ne peuvent faire plus pour vérifier l'authenticité du document, vous serez remis en liberté. Par contre, si des résultats sont obtenus et qu'il est clair que le document est un faux, qu'il n'est pas authentique, votre détention sera maintenue et les motifs de votre détention seront examinés à nouveau à une date que je fixerai dans quelques minutes avec le greffier.

[19]            J'ai dû m'appuyer sur cette décision et ce, même si elle n'a pas été contestée, parce que la commissaire Tordoff s'est fondée sur elle pour rendre sa propre décision. Il est évident qu'au moment de la décision de M. Dubé, l'affidavit soumis par le défendeur, en l'occurrence l'affidavit du sarpanch, n'a pas été considéré comme fiable et que cet affidavit était loin d'établir l'identité de l'étranger en cause, c'est-à-dire du défendeur.

[20]            Pour rendre sa décision, M. Dubé devait appliquer le paragraphe 58(1) de la Loi, qui précise que l'étranger doit être mis en liberté sauf si le ministre estime que l'identité de l'étranger n'a pas été prouvée mais peut l'être et que l'étranger n'a pas raisonnablement coopéré en fournissant au ministre des renseignements utiles à cette fin ou que le ministre fait des efforts raisonnables pour établir l'identité de l'étranger.

[21]            Il convient de signaler que le paragraphe 58(3) de la Loi permettait également à M. Dubé d'imposer certaines conditions.

[22]            Bref, lorsqu'il a rendu sa décision le 9 janvier 2004, M. Dubé a décidé que le ministre devait vérifier la validité de l'affidavit qui avait été soumis à titre de pièce d'identité, par tous les moyens possibles, y compris en se rendant en Inde pour en revenir avec une réponse au plus tard le 30 janvier 2004. Si la réponse était que le document pouvait être valide ou fournir des éléments de preuve valides au sujet de l'identité du défendeur, ou si aucun rapport n'était soumis avant le 30 janvier 2004, c'était tant pis pour le ministre : le défendeur devait être mis en liberté pour cause de non-respect de la condition imposée.

[23]            En fait, dans sa décision, le commissaire est allé trop loin : il a décidé que l'affidavit soumis par le défendeur devait être examiné dans les 21 jours et qu'après appréciation de ce document, une décision devait être prise au sujet de l'identité du défendeur. Malheureusement, ce pouvoir d'appréciation appartient non pas au commissaire, mais au ministre. La décision du commissaire doit être prise en conformité avec la loi, notamment les articles 244 et 247 du Règlement.


[24]            Le compte à rebours était alors commencé : le commissaire a rendu une décision le 9 janvier 2004 et le ministre a décidé de ne pas interjeté appel de cette décision. Il aurait été curieux que le ministre fasse appel d'une décision ordonnant le maintien en détention du défendeur. Néanmoins, cette décision avait jusqu'à un certain point pour effet d'inverser le fardeau de la preuve, de sorte que ministre disposait de très peu de temps pour se prononcer sur la validité de l'affidavit soumis par le défendeur.

[25]            Je conclus sans hésiter qu'à cette étape, le commissaire Dubé est allé trop loin en imposant au ministre une condition qui outrepassait sa compétence. Cette décision n'a pas été contestée, de sorte qu'elle était valide à l'époque. Néanmoins, lorsque la commissaire Diane Tordoff a rendu sa décision le 5 février 2004, elle a fortement tablé sur la décision de M. Dubé pour décider de remettre le défendeur en liberté sur le fondement d'une requête préliminaire qui visait à déterminer si le ministre avait respecté les conditions que le commissaire Dubé lui avait imposées dans sa décision. Ayant conclu que le ministre ne s'était pas conformé à la condition imposée par le commissaire Dubé, la commissaire Tordoff a décidé d'ordonner la mise en liberté du défendeur et elle a refusé de procéder au contrôle de la détention au motif que cette question était devenue sans objet.

[26]            Manifestement, la situation a probablement évolué depuis ces décisions de février 2004, mais l'avocat du ministre insiste quand même pour dire que la Cour devrait statuer sur la présente demande de contrôle judiciaire pour clarifier la portée des décisions des commissaires et pour définir les limites de leur compétence.


[27]            À mon avis, comme la condition imposée par le commissaire Dubé dans sa décision du 9 janvier 2004 constituait un excès de compétence, le fait par la commissaire Tordoff de se fonder sur cette condition le 5 février 2004 constitue aussi un excès de compétence flagrant, et la décision devrait par conséquent être annulée.

[28]            Seul l'agent qui représente le ministre a le droit de décider s'il est convaincu de l'identité de l'étranger dans le cadre de toute procédure prévue par la Loi (alinéa 55(1)b)).

[29]            Les fonctions assignées à la Section de l'immigration sont énumérées à l'article 58 de la Loi. La procédure à suivre est par ailleurs bien précisée aux articles 244 et 247 du Règlement.

[30]            Le ministre fait valoir qu'en l'espèce, en décidant d'ordonner la mise en liberté du défendeur, la commissaire n'a pas tenu compte de l'obligation prévue à l'article 244 ou des facteurs prescrits au paragraphe 247(1), notamment aux alinéas 247(1)a), c) et e).

[31]            En ce qui concerne l'alinéa 247(1)a), la preuve démontre amplement, suivant le ministre, que le défendeur n'a pas coopéré en justifiant de son identité ou en aidant le ministère à obtenir cette justification. Il a soumis de faux documents et il a refusé de communiquer avec sa famille en Inde pour obtenir des renseignements fiables au sujet de son identité.

[32]            Pour ce qui est de l'alinéa 247(1)c), le défendeur a admis qu'il avait détruit ses pièces d'identité et ses titres de voyage et qu'il avait utilisé des documents frauduleux dans le but de tromper le ministère.


[33]            Et finalement, en ce qui a trait à l'alinéa 247(1)e), bon nombre des documents produits contredisaient les renseignements fournis par l'étranger quant à son identité.

[34]            En fait, la commissaire qui a rendu la décision, Mme Tordoff, n'a jamais suivi la procédure et tenu compte des facteurs prévus à l'article 247 parce qu'elle a rendu une décision préliminaire et qu'elle a refusé d'examiner les nouveaux éléments d'information qui devaient être fournis par les représentants du ministre.

[35]            En fait, le 29 janvier 2004, un expert a produit un rapport qui disait que, même si l'expertise concluait : « le support est fort probablement authentique » , le document en question ne pouvait être considéré comme une pièce d'identité mais uniquement comme un affidavit souscrit par quelqu'un au sujet de l'identité de quelqu'un d'autre. L'expert mentionnait aussi qu'il est très facile d'obtenir même un document « officiel » moyennant quelques roupies et que rien ne garantissait que les renseignements contenus dans ce type de document soient véridiques. En fait, il semblerait évident que le ministre souhaitait obtenir d'autres renseignements, à commencer par cet affidavit particulier pour recueillir des faits au sujet de l'identité du défendeur. Le ministre n'était absolument pas tenu d'accepter ce document et de tirer une conclusion qui serait en fin de compte définitive en ce qui concerne l'identité du défendeur.

[36]            En fait, demander au ministre de vérifier la validité de cet affidavit pourrait constituer un moyen utile de recueillir des renseignements, mais c'est une erreur flagrante de la part de tout commissaire de conclure qu'une décision sur ce document précis trancherait définitivement la question de l'identité du défendeur, de façon positive ou négative.

[37]            L'imposition d'une telle condition dans la décision que le commissaire Dubé a rendue le 9 janvier 2004 était en soi problématique et le fait pour la commissaire saisie de la requête préliminaire de se fonder sur cette condition le 5 février 2004 pour rendre une décision constituait tout simplement une autre erreur.


[38]            En consultant les articles applicables de la Loi, on constate qu'il incombe au ministre de décider s'il est convaincu de l'identité d'un étranger. Il ne s'ensuit pas pour autant que le ministre soit chargé de parcourir le monde à la recherche de renseignements permettant d'établir l'identité de l'étranger en question. À mon avis, il est indéniable que c'est à l'étranger lui-même qu'il appartient d'établir sa propre identité. De toute évidence, lorsque cet étranger produit des documents, le ministre fait tout en son pouvoir pour les vérifier et pour se convaincre de l'identité de l'étranger. Le fardeau n'est pas déplacé de l'étranger au ministre : l'entière responsabilité d'établir l'identité de l'étranger revient à celui-ci. En l'espèce, l'étranger a fourni à diverses reprises des renseignements concernant son identité dont la plupart étaient faux ou fabriqués de toutes pièces. Le fait qu'il ne soit pas en mesure de fournir un document valide pour prouver son identité ne signifie pas qu'il devrait demander à un tiers de témoigner au sujet de son identité; si le défendeur a effectivement déjà vécu en Inde, il devrait rester des traces de son passage là-bas et il devrait être relativement facile de trouver ces documents, une tâche qui lui revient et non au ministre.

[39]            En ce qui concerne les attributions et les fonctions de la Section de l'immigration, elles sont précisées aux articles 244 et 247 du Règlement. Je ne vais pas m'étendre davantage sur ce que j'ai déjà dit à ce sujet.

[40]            Je conclus donc sans hésiter que la commissaire Tordoff a commis une erreur justifiant notre intervention en se fondant sur une condition imposée dans une décision précédente qui débordait le cadre de la compétence conférée par la loi applicable. L'intervention de notre Court est justifiée.

[41]            Compte tenu de ma conclusion sur la première question, il ne sera pas nécessaire d'aborder la seconde question, à savoir l'éventuel manquement à un principe de justice naturelle. Bien que cette question n'en demeure pas moins très importante, il serait préférable de l'aborder dans un contexte mieux choisi.

[42]            Les parties m'ont informé que la situation avait évolué depuis le prononcé de la décision du 5 février 2004. Le défendeur a été remis en liberté et la décision sur le présent contrôle judiciaire pourrait être devenue sans objet. Je conclus toutefois sans hésiter que la commissaire a commis une erreur de droit et qu'elle a outrepassé sa compétence.

[43]            À mon avis, la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié devrait tenir compte des présents motifs à l'occasion de chacun des contrôles ultérieurs de la détention.

[44]            L'avocat du ministre propose la certification des questions suivantes :

1.          Dans le cadre d'un examen de révision de détention, qui du Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (ci-après appelé CIC) ou de la Section de l'immigration a compétence pour décider quel type de documents constitue une preuve d'identification valide?

2.          Lorsque l'identité de l'étranger n'est pas prouvée, l'application de l'alinéa 58(1)d) de la Loi par la Section de l'immigration prévoit-il que le fardeau du Ministre de faire des efforts raisonnables est supérieur à celui de l'étranger de coopérer avec le Ministre? Si non, s'agit-il d'un cas d'excès de juridiction révisable par cette Cour?

3.          Est-ce que la Section d'immigration doit tenir compte, à chacune des séances consécutives portant sur la détention d'une personne n'ayant pas établi son identité, des critères prévus à l'article 244 et aux éléments prescrits au paragraphe 247(1) du Règlement (ci-après appelé (RIPR))?

[45]            L'avocat du défendeur propose pour sa part la question grave de portée générale suivante :

1.        L'obligation d'Immigration Canada de faire des efforts pour établir l'identité des étrangers détenus prend-elle fin au moment de leur mise en liberté?

[46]            À mon avis, la Loi et son règlement d'application ne comportent aucune ambiguïté quant à la façon dont l'identité d'un étranger doit être établie et la commissaire a commis une erreur justifiant notre intervention en imposant ou en appliquant des conditions qui ont eu l'effet pervers d'usurper le rôle que la Loi et le Règlement confient clairement au ministre. Comme aucune des questions proposées n'a de portée générale, aucune ne sera certifiée.


                                   O R D O N N A N C E

LA COUR ORDONNE :

-          La présente demande de contrôle judiciaire est accueillie;

-          La décision de la Section de la protection des réfugiés rendue par la commissaire Diane Tordoff est annulée au motif que la commissaire a outrepassé sa compétence et commis une erreur de droit;

-          Aucune question n'est certifiée.

                _ Pierre Blais _                

                        Juge

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-1468-04

INTITULÉ :                                        MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

c.

RAVINDER SINGH

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 27 OCTOBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE:                         MONSIEUR LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                       LE 23 NOVEMBRE 2004

COMPARUTIONS :

DIANE LEMERY                                                                                 POUR LE DEMANDEUR

NATALIYA DZERA                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

MORRIS ROSENBERG                                                                      POUR LE DEMANDEUR

SOUS-PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

NATALIYA DZERA                                                                           POUR LE DÉFENDEUR

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