Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20210118


Dossier : T‑1847‑19

Référence : 2021 CF 60

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2021

En présence de monsieur le juge James W O’Reilly

ENTRE :

NIKOTA BANGLOY

demanderesse

et

PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I. Aperçu

[1] La demanderesse, Mme Nikota Bangloy, est une Autochtone. Ses enfants, sa mère et elle‑même ont demandé une rente et des avantages éducationnels, en invoquant les modalités du Traité no 11. Après qu’Affaires autochtones et du Nord Canada [AANC] eut rejeté cette demande, Mme Bangloy et sa famille ont porté plainte à la Commission canadienne des droits de la personne, en invoquant avoir été victimes de discrimination fondée sur la race ou sur l’origine nationale ou ethnique, en contravention à l’article 5 de la Loi canadienne sur les droits de la personne, LRC 1985, c H-6 [la LCDP] (l’ensemble des dispositions citées sont reproduites en annexe). Sa famille et elle ont également soutenu qu’AANC leur a refusé les avantages en question en guise de représailles relativement aux plaintes pour discrimination déposées précédemment par cette famille contre AANC, ce qui contrevient à l’article 14.1 de la LCDP.

[2] Juste avant l’audition des plaintes devant le Tribunal canadien des droits de la personne [le Tribunal], AANC a convenu que la famille avait droit à une portion importante de la rente qu’elle demandait. Le Tribunal a par la suite conclu qu’AANC n’avait pas fait preuve de discrimination envers les enfants de Mme Bangloy en refusant de leur accorder une rente rétroactivement à leur date de naissance, comme ils l’avaient demandé.

[3] Le Tribunal a également conclu que le retard d’AANC dans la détermination de l’admissibilité de la famille à une rente constituait une forme de représailles pour avoir antérieurement porté plainte. Cependant, il a rejeté la prétention de la famille selon laquelle les autres agissements d’AANC, notamment son refus d’accorder des avantages éducationnels ou de fournir des informations à propos de ceux-ci, avaient été posés en guise de représailles.

[4] Le Tribunal a accordé 500 $ à Mme Bangloy et la même somme à sa mère à titre d’indemnité pour préjudice moral, en plus d’accorder une indemnité spéciale de 1 500 $ à chacun des quatre plaignants.

[5] Mme Bangloy sollicite le contrôle judiciaire des conclusions défavorables du Tribunal et de ses ordonnances de réparation. Elle allègue que ces conclusions étaient erronées et me demande d’infirmer celles-ci et d’ordonner le réexamen des plaintes. Plus particulièrement, Mme Bangloy soutient que le Tribunal a commis des erreurs en rejetant ses plaintes liées à la rente et aux avantages éducationnels, en concluant que la question des avantages éducationnels avait déjà été tranchée par la Cour fédérale et en ne reconnaissant pas les droits de la famille issus d’un traité et protégés par la Constitution.

[6] Je ne vois aucune raison d’infirmer les conclusions du Tribunal. Celles-ci n’étaient pas déraisonnables compte tenu de la preuve dont disposait le Tribunal.

[7] J’ai formulé les questions à trancher quelque peu différemment de la façon dont Mme Bangloy me les a soumises. À mon avis, il y a cinq questions en litige :

  1. Quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision du Tribunal?

  2. Le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la question du droit aux avantages éducationnels avait déjà été tranchée?

  3. La décision du Tribunal relative à l’absence de discrimination était-elle déraisonnable?

  4. La décision du Tribunal relative aux représailles était-elle déraisonnable?

  5. Les ordonnances de réparation du Tribunal étaient-elles déraisonnables?

[8] Avant d’aborder les questions en litige, il est nécessaire de résumer les instances mettant en cause Mme Bangloy et sa famille afin de replacer la présente affaire dans son contexte.

II. Contexte

A. La première demande en matière d’éducation

[9] Il y a trente ans, la mère de Mme Bangloy, Mme Joyce Beattie, a demandé au prédécesseur d’AANC, Affaires indiennes et du Nord canadien [AINC], le remboursement des frais de scolarité de Mme Bangloy, qui fréquentait une école privée à Victoria (C.-B.). Mme Beattie alléguait que ces dépenses étaient remboursables selon les modalités du Traité no 11. Le point de vue d’AINC était que des dépenses en matière d’études pouvaient être réclamées conformément à la Loi sur les Indiens, mais uniquement pour les enfants vivant dans une réserve, ce qui ne correspondait pas à la situation des enfants de Mme Beattie.

[10] En 1990, Mme Beattie a poursuivi le prédécesseur d’AANC devant la Cour fédérale, faisant valoir que le Traité no 11 prévoyait des dépenses en matière qu’elle avait le droit de réclamer. La Cour n’a pas souscrit à cette prétention. Celle-ci a conclu que l’application des dispositions du Traité no 11 se limitait aux régions visées par le Traité (Beattie c Canada (Ministre des Affaires indiennes et du Nord canadien), [1998] 1 CF 104, à 14 (CFPI) [Beattie]).

B. La plainte en lien avec l’adoption

[11] Mme Beattie est la fille biologique d’un membre de la bande de Fort Good Hope, qui est signataire du Traité no 11. Mme Beattie a plus tard fait l’objet d’une adoption selon les coutumes autochtones par les membres d’une autre bande (Loucheux no 6), laquelle est également signataire du Traité no 11.

[12] Mme Beattie a demandé à AANC de reconnaître son adoption selon les coutumes autochtones et de modifier conséquemment son inscription sous le régime de la Loi sur les Indiens. En 2011, à la suite du refus d’AANC d’effectuer la modification demandée, Mme Beattie a déposé une plainte contre AANC, dans laquelle elle alléguait avoir été victime de discrimination fondée sur la situation de famille. Le Tribunal a confirmé la validité de cette plainte et AANC a modifié l’inscription de Mme Beattie. Ce changement a eu pour conséquence de rendre les petits-enfants de Mme Beattie, soit les enfants de Mme Bangloy, admissibles à l’inscription et à la rente prévue par le Traité no 11, suivant le paragraphe 6(3) de la Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens, LC 2010, c 18. AANC a versé une rente à Mme Beattie, à Mme Bangloy et aux deux enfants de celle-ci jusqu’en 2013 inclusivement.

[13] Toutefois, AANC a refusé de verser une rente à la famille au cours des années subséquentes, puisque celle-ci n’était plus inscrite auprès d’une bande signataire du Traité no11. En effet, elle avait renoncé à son inscription auprès de la bande de Fort Good Hope et s’était inscrite auprès de la bande Loucheux no 6. Or, cette dernière n’était plus partie au Traité no 11 et la famille a refusé de s’inscrire auprès d’une autre bande signataire de ce Traité.

[14] De plus, AANC a refusé de verser une rente aux enfants de Mme Bangloy rétroactivement à leur date de naissance, puisque, selon AANC, leur droit à une rente découlait de l’adoption, en 2010, de la Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens; ils n’étaient donc pas admissibles à une rente avant 2010.

C. La plainte en l’espèce

[15] La famille a déposé une plainte en matière de droits de la personne contre AANC, dans laquelle elle alléguait avoir été victime de discrimination fondée sur la race ou sur l’origine nationale ou ethnique. Cette plainte découle du défaut d’AANC d’accorder des avantages éducationnels à Mme Bangloy et de lui fournir des informations à propos de ceux-ci ainsi que de son refus de verser une rente à la famille, à moins que ses membres acceptent d’ajouter leur nom à la liste d’une bande. La famille a également fait valoir qu’AANC se livrait à des représailles contre elle en raison de ses plaintes antérieures.

[16] Juste avant l’audition de la plainte dont était saisi le Tribunal, AANC a revu sa position sur la question de l’enregistrement de la bande, déclarant que la famille tombait sous le coup d’une exception à sa politique et qu’elle avait donc de nouveau droit à une rente, et ce, bien qu’elle ne soit pas enregistrée auprès d’une bande signataire du Traité no 11. AANC a également accepté de verser une somme de 5 000 $ à la famille pour les inconvénients et les difficultés subis.

[17] Malgré la volte-face d’AANC, la famille a soutenu que le refus initial d’AANC de verser la rente demandée était discriminatoire et constituait une forme de représailles. Elle a également fait valoir que le refus d’AANC de verser une rente aux enfants rétroactivement à leur date de naissance et de payer les frais de scolarité de leur école privée constituait une forme de représailles.

D. La décision du Tribunal

[18] Le Tribunal s’est penché sur deux questions préliminaires. Premièrement, la question concernant la rente prévue par le Traité était-elle théorique, étant donné le changement de position d’AANC? Deuxièmement, la Cour fédérale avait-elle déjà tranché la question du financement des études dans le cadre de l’action introduite par Mme Beattie en 1990?

[19] En ce qui concerne la première question, le Tribunal a conclu qu’il pouvait tout de même évaluer si la conduite d’AANC avant sa volte-face équivalait à de la discrimination ou constituait des représailles. De plus, même si AANC avait accepté de verser une somme de 5 000 $ pour les inconvénients et les difficultés subis, la question de la réparation convenable dans les circonstances était toujours en litige.

[20] En ce qui concerne la deuxième question, le Tribunal a conclu que les principes de la préclusion découlant d’une question déjà tranchée et de l’abus de procédure s’appliquaient; en l’espèce, la même famille soulevait la même question, laquelle avait déjà tranchée par la Cour fédérale. De plus, le Tribunal a conclu qu’il ne serait pas injuste envers les plaignants que ces principes soient appliqués dans les circonstances.

[21] En ce qui concerne les questions de fond, le Tribunal a conclu qu’il n’y avait aucun lien entre le défaut allégué d’AANC de fournir des informations à Mme Bangloy à propos de l’obtention d’avantages éducationnels et sa race ou son origine nationale ou ethnique. Par conséquent, Mme Bangloy n’avait pas établi que sa plainte pour discrimination était justifiée.

[22] Qui plus est, le Tribunal a conclu que la position d’AANC selon laquelle seules les personnes inscrites auprès d’une bande signataire du Traité no 11 peuvent recevoir une rente n’était pas discriminatoire. Là encore, le Tribunal a conclu que la politique d’AANC n’avait aucun lien avec la race ou avec l’origine nationale ou ethnique de Mme Bangloy.

[23] En ce qui concerne les plaintes liées aux représailles, le Tribunal a conclu que l’existence d’une plainte antérieure n’avait eu aucune incidence sur le fait qu’AANC n’aurait pas fourni des informations à propos des avantages éducationnels. En conséquence, il n’y avait aucunes représailles en l’espèce. La même conclusion a été tirée quant au refus d’AANC de verser des avantages éducationnels à Mme Bangloy, d’accorder une rente aux enfants de Mme Bangloy rétroactivement à leur date de naissance et d’ajouter le nom des plaignants à la liste des membres de la bande Loucheux no 6.

[24] Le Tribunal a cependant jugé qu’il existait, du moins en partie, un lien entre le retard d’AANC, entre 2015 et 2018, à évaluer l’admissibilité des plaignants à la rente qu’ils demandaient et leur plainte antérieure relative aux droits de la personne, de même qu’entre cette plainte et le fait qu’AANC ait attendu la veille de l’audience devant le Tribunal pour accepter cette demande. Par conséquent, le Tribunal a conclu qu’il y avait eu représailles. Pour cette raison, il a ordonné à AANC de verser une somme de 500 $ à Mme Beattie et à Mme Bangloy à titre d’indemnité pour préjudice moral, en plus d’accorder une indemnité spéciale de 1 500 $ à chacun des quatre plaignants.

(1) Première question en litige : quelle est la norme de contrôle qu’il convient d’appliquer à la décision du Tribunal?

[25] Mme Bangloy soutient que les plaintes dont était saisi le Tribunal avaient trait à des droits issus d’un traité et protégés par la Constitution. En conséquence, affirme-t-elle, le contrôle judiciaire devrait être fondé sur la norme de la décision correcte.

[26] Je ne suis pas de cet avis. Il y a une présomption selon laquelle la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable (Canada (MCI) c Vavilov, 2019 CSC 65 au para 16). Il n’y a aucune circonstance en l’espèce qui justifie de s’écarter de cette norme. Le Tribunal interprétait sa loi constitutive et l’appliquait aux faits qui lui avaient été présentés. Bien que les droits issus d’un traité qui sont en cause dans le présent litige puissent être protégés par la Constitution, le rôle du Tribunal ne nécessitait pas qu’il interprète la Constitution; le Tribunal a plutôt tranché la question à savoir si les plaignants avaient été victimes de discrimination au sens de la LCDP et, ayant conclu qu’il y avait eu contravention à cette loi, il a établi quelle serait la réparation convenable. La norme de la décision raisonnable doit s’appliquer à ces conclusions.

[27] La question qui se pose à l’égard de chacune des conclusions du Tribunal est donc celle de savoir si son analyse satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence (Vavilov, précité, au para 100). Il incombe à Mme Bangloy de démontrer que les conclusions du Tribunal étaient déraisonnables.

(2) Deuxième question en litige : le Tribunal a-t-il commis une erreur en concluant que la question du droit aux avantages éducationnels avait déjà été tranchée?

[28] Mme Bangloy soutient que le Tribunal a conclu à tort que la question du droit aux avantages éducationnels avait déjà été tranchée par la Cour fédérale dans la décision Beattie, précitée. Elle fait également valoir que la Cour n’avait pas créé d’exigence selon laquelle les bénéficiaires d’avantages éducationnels devaient résider à l’intérieur de la région visée par le Traité; la Cour a plutôt reconnu que le droit à l’éducation gratuite était constitutionnellement garanti.

[29] Je ne souscris pas à cette prétention. La conclusion du Tribunal selon laquelle cette question avait déjà été tranchée dans la décision antérieure de la Cour fédérale n’était pas déraisonnable.

[30] Le Tribunal a correctement appliqué le critère à trois volets à la question de la préclusion (voir Angle c MRN, 1974 CanLII 168 (CSC)), concluant que la décision de la Cour fédérale était définitive, qu’il n’existait pas de différence importante entre la question dont avait été saisie la Cour et celle à laquelle devait répondre le Tribunal, et qu’il ne serait pas injuste d’appliquer le principe de la préclusion aux plaignants.

[31] Contrairement à ce qu’a fait valoir Mme Bangloy, le Tribunal n’a pas interprété la décision de la Cour fédérale comme établissant une exigence de résidence pour déterminer l’admissibilité aux avantages éducationnels, mais a plutôt résumé correctement la décision de la Cour comme reconnaissant le droit d’avoir gratuitement accès à l’éducation offerte dans les écoles des régions visées par le Traité. En effet, la Cour a expressément conclu que les avantages éducationnels n’étaient offerts que dans les régions visées par le Traité – ce qui signifie que l’école fréquentée par le bénéficiaire doit être située dans l’une de ces régions, indépendamment du lieu où réside le bénéficiaire (Beattie aux para 16-18). En conséquence, c’est à bon droit que le Tribunal a conclu que la question dont avait été saisie la Cour, à savoir si la disposition du Traité prévoyant des avantages éducationnels s’appliquait au-delà des limites des régions visées par ce traité, était la même que celle qui lui avait été soumise. Dans les deux cas, la question à trancher consistait à savoir si les avantages pouvaient être réclamés pour des études effectuées à l’extérieur d’une région visée par le Traité. Par conséquent, la conclusion du Tribunal sur ce point était justifiée, intelligible et transparente.

(3) Troisième question en litige : la décision du Tribunal relative à l’absence de discrimination était-elle déraisonnable?

[32] Mme Bangloy soutient que le Tribunal a commis une erreur en concluant que l’exigence d’AANC selon laquelle les bénéficiaires d’une rente doivent être inscrits auprès d’une bande n’était pas discriminatoire, tout comme ne l’était pas son défaut de lui fournir des informations à propos des avantages éducationnels. Elle fait valoir que les droits issus du Traité sont constitutionnellement protégés et ne peuvent donc pas être subordonnés à des exigences législatives arbitraires, comme l’inscription auprès d’une bande. En fait, Mme Bangloy affirme que le Tribunal a mal compris son rôle lorsqu’il a déclaré que l’affaire dont il était saisi concernait non pas une question de violation de droits constitutionnels, mais plutôt de droits de la personne prévus par la loi.

[33] Je ne suis pas de cet avis. La question soumise au Tribunal était relativement précise : les plaignants ont-ils été privés d’un avantage en raison de discrimination fondée sur la race ou sur l’origine nationale ou ethnique? À mon avis, le Tribunal a adéquatement circonscrit la question dont il était saisi et a tiré une conclusion raisonnable.

[34] Le Tribunal a reconnu que les plaignants étaient protégés contre la discrimination fondée sur la race et sur l’origine nationale ou ethnique. Il a également conclu qu’une rente leur avait été refusée durant un certain nombre d’années. Cependant, il est venu à la conclusion que le traitement préjudiciable d’AANC envers les plaignants n’était pas discriminatoire, puisqu’il n’était aucunement lié à leur race ou à leur origine nationale ou ethnique. En fait, comme l’a expliqué le Tribunal, les plaignants ont choisi de ne pas s’enregistrer auprès d’une bande signataire du Traité no 11. Le refus de leur accorder une rente découle de ce choix, et non de leur race ou de leur origine nationale ou ethnique.

[35] En ce qui concerne l’allégation du retard à fournir des informations à propos des avantages éducationnels, la position d’AANC était que les plaignants n’avaient pas droit à ces avantages, puisque les enfants fréquentaient une école située à l’extérieur des régions visées par le Traité. Le Tribunal a souligné qu’AANC avait vraisemblablement conclu que les plaignants étaient déjà au courant de leur inadmissibilité, étant donné leur rôle dans la demande présentée précédemment devant la Cour fédérale, et qu’ils n’avaient donc pas besoin d’informations supplémentaires. En tout état de cause, il n’existait pas de preuve que la conduite d’AANC avait un lien avec la race ou avec l’origine nationale ou ethnique des plaignants.

[36] Dans les circonstances, les conclusions du Tribunal et ses explications n’étaient pas déraisonnables. Il statuait sur des plaintes de discrimination et non sur une demande de déclaration de l’étendue des droits constitutionnels des plaignants.

(4) Quatrième question en litige : la décision du Tribunal relative aux représailles était-elle déraisonnable?

[37] Mme Bangloy soutient que le Tribunal a commis une erreur en concluant que le défaut d’AANC de lui fournir de l’information à propos des avantages éducationnels, de lui rembourser des dépenses en matière d’études et de verser à ses enfants une rente rétroactivement à leur date de naissance n’équivalait pas à des représailles. Elle allègue que la conclusion selon laquelle des représailles avaient été exercées aurait dû découler de la preuve de traitement préjudiciable, preuve à propos de laquelle AANC n’a fourni aucune explication raisonnable.

[38] Je ne suis pas d’accord. Le critère pour conclure à l’existence de représailles requiert plus qu’une preuve de traitement préjudiciable.

[39] Le Tribunal a procédé à une évaluation raisonnable des divers motifs de représailles invoqués par les plaignants. Il a conclu, dans chaque cas (sauf pour l’allégation de représailles prenant la forme d’un retard à verser les rentes), que l’existence d’une plainte antérieure n’avait pas joué de rôle dans le traitement préjudiciable qu’ont subi les plaignants. Pour établir une preuve de représailles, comme l’a expliqué le Tribunal, il doit y avoir une plainte antérieure en matière de droits de la personne, un traitement préjudiciable par le défendeur et un lien entre ces deux éléments. Le Tribunal a conclu qu’il ne disposait d’aucune preuve permettant d’étayer l’existence d’un tel lien et que la perception des plaignants qu’il existait une telle corrélation n’était pas raisonnable. Ces conclusions n’étaient pas déraisonnables au vu de la preuve soumise; elles étaient justifiées, intelligibles et transparentes.

(5) Cinquième question en litige : les ordonnances de réparation du Tribunal étaient-elles déraisonnables?

[40] Les plaignants avaient demandé au Tribunal de rendre une ordonnance enjoignant à AANC de procéder à une [traduction] « consultation sincère auprès des plaignants et [à] une réconciliation avec ceux-ci » afin d’éviter tout autre cas de discrimination. Le Tribunal a jugé que la réparation sollicitée dépassait la portée de l’instance devant lui, étant donné que sa conclusion en faveur des plaignants se limitait à un seul cas de représailles. Mme Bangloy soutient que le Tribunal était tenu de reconnaître et de réitérer les droits issus d’un traité des plaignants, ce que son ordonnance aurait dû refléter.

[41] Je ne suis pas de cet avis. Le Tribunal a conçu une mesure de réparation sous la forme d’une indemnité et celle-ci était conséquente avec ses conclusions au sujet des allégations des plaignants. Je ne peux pas conclure que le refus du Tribunal de prononcer un jugement déclaratoire général concernant les droits constitutionnels des plaignants était déraisonnable dans les circonstances.

III. Conclusion et dispositif

[42] Le Tribunal a raisonnablement conclu que la question du droit aux avantages éducationnels avait déjà été tranchée par la Cour fédérale. Il était également raisonnable de la part du Tribunal de conclure que Mme Bangloy n’avait pas établi que sa plainte pour discrimination était justifiée au sujet du versement des rentes ou des informations à propos des avantages éducationnels, étant donné l’absence de preuve d’un lien entre la position d’AANC et la race ou l’origine nationale ou ethnique de Mme Bangloy. Enfin, le Tribunal a raisonnablement conclu que la conduite d’AANC ne constituait pas, sauf pour une exception, des représailles. Quant à ce cas isolé, le Tribunal a ordonné l’indemnisation des plaignants d’une façon qui était raisonnable et proportionnée. Chacune des conclusions du Tribunal était justifiée, intelligible et transparente. Je dois donc rejeter la présente demande de contrôle judiciaire. Le défendeur n’a pas demandé les dépens.



JUGEMENT dans le dossier T‑1847‑19

LA COUR STATUE que la demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« James W. O’Reilly »

Juge

Traduction certifiée conforme

M. Deslippes

ANNEXE

Loi canadienne sur les droits de la personne (LRC 1985, ch H-6)

Canadian Human Rights Act (RSC 1985, c H-6)

Motifs de distinction illicite

Prohibited grounds of discrimination

3 (1) Pour l’application de la présente loi, les motifs de distinction illicite sont ceux qui sont fondés sur la race, l’origine nationale ou ethnique, la couleur, la religion, l’âge, le sexe, l’orientation sexuelle, l’identité ou l’expression de genre, l’état matrimonial, la situation de famille, les caractéristiques génétiques, l’état de personne graciée ou la déficience.

3 (1) For all purposes of this Act, the prohibited grounds of discrimination are race, national or ethnic origin, colour, religion, age, sex, sexual orientation, gender identity or expression, marital status, family status, genetic characteristics, disability and conviction for an offence for which a pardon has been granted or in respect of which a record suspension has been ordered.

Refus de biens, de services, d’installations ou d’hébergement

Denial of good, service, facility or accommodation

5 Constitue un acte discriminatoire, s’il est fondé sur un motif de distinction illicite, le fait, pour le fournisseur de biens, de services, d’installations ou de moyens d’hébergement destinés au public :

5 It is a discriminatory practice in the provision of goods, services, facilities or accommodation customarily available to the general public

a) d’en priver un individu;

(a) to deny, or to deny access to, any such good, service, facility or accommodation to any individual, or

b) de le défavoriser à l’occasion de leur fourniture.

(b) to differentiate adversely in relation to any individual, on a prohibited ground of discrimination.

Représailles

Retaliation

14.1 Constitue un acte discriminatoire le fait, pour la personne visée par une plainte déposée au titre de la partie III, ou pour celle qui agit en son nom, d’exercer ou de menacer d’exercer des représailles contre le plaignant ou la victime présumée.

14.1 It is a discriminatory practice for a person against whom a complaint has been filed under Part III, or any person acting on their behalf, to retaliate or threaten retaliation against the individual who filed the complaint or the alleged victim.

53 …

53 …

Plainte jugée fondée

Complaint substantiated

(2) À l’issue de l’instruction, le membre instructeur qui juge la plainte fondée, peut, sous réserve de l’article 54, ordonner, selon les circonstances, à la personne trouvée coupable d’un acte discriminatoire :

(2) If at the conclusion of the inquiry the member or panel finds that the complaint is substantiated, the member or panel may, subject to section 54, make an order against the person found to be engaging or to have engaged in the discriminatory practice and include in the

order any of the following terms that the member or panel considers appropriate:

a) de mettre fin à l’acte et de prendre, en consultation avec la Commission relativement à leurs objectifs généraux, des mesures de redressement ou des mesures destinées à prévenir des actes semblables, notamment :

(a) that the person cease the discriminatory practice and take measures, in consultation with the Commission on the general purposes of the measures, to redress the practice or to prevent the same or a similar practice from occurring in future, including

(i) d’adopter un programme, un plan ou un arrangement visés au paragraphe 16(1),

(i) the adoption of a special program, plan or arrangement referred to in subsection 16(1), or

(ii) de présenter une demande d’approbation et de mettre en œuvre un programme prévus à l’article 17;

(ii) making an application for approval and implementing a plan under section 17;

b) d’accorder à la victime, dès que les circonstances le permettent, les droits, chances ou avantages dont l’acte l’a privée;

(b) that the person make available to the victim of the discriminatory practice, on the first reasonable occasion, the rights, opportunities or privileges that are being or were denied the victim as a result of the practice;

Traité No 11 (27 juin 1921) et adhésion à ce dernier (17 juillet 1922)

Treaty No. 11 (June 27, 1921) and Adhesion (July 17, 1922)

SA MAJESTÉ convient aussi que l’an prochain et toutes les années subséquentes pour toujours, il fera payer aux dits Indiens en argent, à des endroits et des dates convenables, dont avis leur sera donné, vingt-cinq dollars à chaque chef, à chaque conseiller, quinze dollars, et à chaque autre Indien de tout âge, cinq dollars; ces montants devront être payés au chef de famille pour tous ceux qui en font partie, étant entendu, aux fins du présent traité, que chaque bande comptant au moins trente personnes peut avoir des conseillers ou des dirigeants à raison d’un conseiller ou d’un dirigeant par centaine de membres.

HIS MAJESTY, also agrees that during the coming year, and annually thereafter, He will cause to be paid to the said Indians in cash, at suitable places and dates, of which the said Indians shall be duly notified, to each Chief twenty-five dollars, to each Headman fifteen dollars, and to every other Indian of whatever age five dollars, to be paid only to heads of families for the members thereof, it being provided for the purposes of this Treaty that each band having at least thirty members may have a Chief, and that in addition to a Chief, each band may have Councillors or Headmen in the proportion of two to each two hundred members of the band.

EN OUTRE, Sa Majesté s’engage à payer le salaire des maîtres d’écoles que son gouvernement du Canada jugera nécessaires pour instruire les enfants des Indiens.

FURTHER, His Majesty agrees to pay the salaries of teachers to instruct the children of said Indians in such manner as His Majesty’s Government may deem advisable.

Loi sur l’équité entre les sexes relativement à l’inscription au registre des Indiens (SC 2010, ch 18)

Gender Equity in Indian Registration Act (SC 2010, c 18)

6 …

6 …

(3) L’alinéa 6(1)c) de la même loi est remplacé par ce qui suit :

(3) Paragraph 6(1)(c) of the Act is replaced by the following:

c) son nom a été omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande, en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iv), de l’alinéa 12(1)b) ou du paragraphe 12(2) ou en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iii) conformément à une ordonnance prise en vertu du paragraphe 109(2), dans leur version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui d’une de ces dispositions;

(c) the name of that person was omitted or deleted from the Indian Register, or from a band list prior to September 4, 1951, under subparagraph 12(1)(a)(iv), paragraph 12(1)(b) or subsection 12(2) or under subparagraph 12(1)(a)(iii) pursuant to an order made under subsection 109(2), as each provision read immediately prior to April 17, 1985, or under any former provision of this Act relating to the same subject-matter as any of those provisions;

c.1) elle remplit les conditions suivantes :

(c.1) that person

(i) le nom de sa mère a été, en raison du mariage de celle-ci, omis ou retranché du registre des Indiens ou, avant le 4 septembre 1951, d’une liste de bande, en vertu de l’alinéa 12(1)b) ou en vertu du sous-alinéa 12(1)a)(iii) conformément à une ordonnance prise en vertu du paragraphe 109(2), dans leur version antérieure au 17 avril 1985, ou en vertu de toute disposition antérieure de la présente loi portant sur le même sujet que celui d’une de ces dispositions,

(i) is a person whose mother’s name was, as a result of the mother’s marriage, omitted or deleted from the Indian Register, or from a band list prior to September 4, 1951, under paragraph 12(1)(b) or under subparagraph 12(1)(a)(iii) pursuant to an order made under subsection 109(2), as each provision read immediately prior to April 17, 1985, or under any former provision of this Act relating to the same subject-matter as any of those provisions,

(ii) son autre parent n’a pas le droit d’être inscrit ou, s’il est décédé, soit n’avait pas ce droit à la date de son décès, soit n’était pas un Indien à cette date dans le cas d’un décès survenu avant le 4 septembre 1951,

(ii) is a person whose other parent is not entitled to be registered or, if no longer living, was not at the time of death entitled to be registered or was not an Indian at that time if the death occurred prior to September 4, 1951,

(iii) elle est née à la date du mariage visé au sous-alinéa (i) ou après cette date et, à moins que ses parents se soient mariés avant le 17 avril 1985, est née avant cette dernière date,

(iii) was born on or after the day on which the marriage referred to in subparagraph (i) occurred and, unless the person’s parents married each other prior to April 17, 1985, was born prior to that date, and

(iv) elle a eu ou a adopté, le 4 septembre 1951 ou après cette date, un enfant avec une personne qui, lors de la naissance ou de l’adoption, n’avait pas le droit d’être inscrite;

(iv) had or adopted a child, on or after September 4, 1951, with a person who was not entitled to be registered on the day on which the child was born or adopted;


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :

T‑1847‑19

INTITULÉ :

NIKOTA BANGLOY c PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

aUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (oNTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 SeptembrE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS

LE JUGE O’REILLY

DATE DES MOTIFS :

LE 18 JanVIER 2021

COMPARUTIONS :

Nikota Bangloy

POUR LA DEMANDERESSE

Nicholas Claridge

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Agissant pour son propre compte

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.