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Date : 20060216

 

Dossier : T‑916‑03

 

Référence : 2006 CF 209

 

Vancouver (Colombie‑Britannique), le jeudi 16 février 2006

 

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX

 

 

ENTRE :

 

                                          LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

 

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

 

 

                                               KENNETH ROBERT MCMORDIE

 

                                                                                                                                           défendeur

 

 

 

                                MOTIFS DE L’ORDONNANCE ET ORDONNANCE

 

 

 

[1]               Le 19 décembre 2005, le protonotaire Lafrenière a, en application de l’article 467 des Règles des Cours fédérales, cité à comparaître relativement à une accusation d’outrage au tribunal le défendeur, se représentant lui‑même, et lui a ordonné de comparaître devant un juge de la Cour le 13 février 2006 et d’être prêt à entendre la preuve des actes qui lui sont reprochés et à présenter une défense.

 

[2]               Les actes à l’égard desquels le protonotaire Lafrenière a conclu que le demandeur avait établi une preuve prima facie d’outrage au tribunal ont trait à une ordonnance visée à l’article 231.7 de la Loi de l’impôt sur le revenu que le juge MacKay avait décernée le 18 mars 2005 (l’ordonnance) pour contraindre le défendeur à fournir dans un certain délai à l’Agence des douanes et du revenu du Canada (l’Agence) certains renseignements et documents.

 

[3]               Le protonotaire Lafrenière était d’avis prima facie, sur la foi des documents qu’on lui avait soumis, que le défendeur avait enfreint l’ordonnance du juge MacKay [traduction] « parce qu’il n’a pas fourni à l’Agence des douanes et du revenu du Canada, en totalité ou en partie, les renseignements et/ou les documents suivants exigés dans l’ordonnance, dans le délai prévu dans celle‑ci :

a)         une liste de toutes les banques et institutions financières canadiennes et étrangères où se trouvaient des comptes à l’égard desquels le défendeur disposait d’un pouvoir de signature ou d’une procuration;

b)         en regard du point a) ci‑dessus, le nom des titulaires des comptes, le numéro des comptes et les dates auxquelles les comptes ont été ouverts et fermés;

c)         une liste où figurent la désignation de toutes les cartes de crédit qui étaient au nom du défendeur, à un nom sous lequel le défendeur faisait affaire ou dont le défendeur était un codétenteur, la désignation des émetteurs de ces cartes de crédit ainsi que les numéros de compte de ces cartes de crédit ».

 

[4]               Je vais maintenant faire le résumé du contexte de la présente affaire.

1.         Le 21 janvier 2002, en application du paragraphe 231.2(1) de la Loi de l’impôt sur le revenu (la Loi), le bureau des services fiscaux de Burnaby‑Fraser a soumis au défendeur une demande de renseignements visant la période du 1er décembre 1996 au 31 janvier 2001.

2.         Étant insatisfait de la réponse du défendeur, le ministre du Revenu national (le ministre) a demandé que soit décernée une ordonnance visée à l’article 231.7 de la Loi.

3.         Le juge MacKay, saisi de l’affaire, a tenté au moyen de conférences téléphoniques et de directives de clarifier les points de divergence entre les parties et de trouver une solution acceptable pour tous.

4.         Le défendeur a fourni de longues réponses aux diverses demandes de renseignements présentées par le ministre (pièce A‑4 datée du 25 novembre 2003, pièce A‑5 et pièce A‑6 datée du 22 décembre 2003).

5.         En réponse à une directive donnée par le juge MacKay, l’avocat du ministre a déclaré que celui‑ci était toujours d’avis qu’il y avait lieu de décerner une ordonnance visée à l’article 231.7 de la Loi. Dans une lettre datée du 23 février, l’avocat du ministre a précisé quels renseignements étaient considérés comme n’ayant pas encore été transmis (pièce A‑9) :

[traduction]

1.             une liste de tous les relevés bancaires, carnets de banque, chèques négociés et livrets de dépôts liés à tout compte, personnel ou d’affaires, canadien ou étranger, à l’égard duquel vous disposiez d’un pouvoir de signature ou d’une procuration;


 

2.             une liste de toutes les banques et institutions financières canadiennes et étrangères où se trouvaient des comptes à l’égard desquels vous disposiez d’un pouvoir de signature ou d’une procuration, et le nom des titulaires des comptes, le numéro des comptes et les dates auxquelles les comptes ont été ouverts et fermés;

 

 

3.             les relevés pour toutes les cartes de crédit, personnelles ou d’affaires, qui étaient à votre nom, au nom sous lequel vous faisiez affaire ou dont vous étiez un codétenteur;

 

 

4.             une liste où figurent la désignation de toutes les cartes de crédit qui étaient à votre nom, à un nom sous lequel vous faisiez affaire ou dont vous étiez un codétenteur, la désignation des émetteurs de ces cartes de crédit ainsi que les numéros de compte de ces cartes de crédit.

 

 

 

6.         Le défendeur a donné sa réponse le 15 mars 2004 (pièce A‑11).

7.         Après examen, le juge MacKay a rendu son ordonnance du 18 mars 2004 (pièce A‑12) enjoignant au défendeur de fournir dans les 30 jours les renseignements non encore transmis requis par le ministre.

8.         Le 16 avril 2004, le défendeur a remis un ensemble de renseignements obtenus, après de nombreuses demandes, disait‑il, d’institutions financières avec lesquelles il avait fait affaire dans le passé (pièce A‑13).

9.         Ne s’estimant pas satisfait, le ministre a engagé une procédure d’outrage au tribunal pour violation de l’ordonnance du juge MacKay. Le premier volet de la procédure, c’est la décision prima facie du protonotaire Lafrenière qui a résulté en son ordonnance de justifier du 19 décembre 2005, et le second, c’est l’audience tenue le 13 février 2006 devant la Cour, en application des articles 467 à 470 des Règles.

 

[5]               Aux termes de l’article 469 des Règles, la déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal doit être fondée sur une preuve hors de tout doute raisonnable. L’article 470 prévoit pour sa part que la personne à qui l’outrage au tribunal est reproché ne peut être contrainte à témoigner.

 

[6]               L’avocat du ministre a appelé à témoigner M. Surinder Sekhon, à l’époque le vérificateur chargé du dossier, qui a relevé divers documents et qui a précisé à la Cour exactement en quoi le défendeur avait enfreint l’ordonnance. Le manquement du défendeur consistait dans le fait qu’il n’avait pas fourni la liste de toutes les banques et institutions financières canadiennes et étrangères où se trouvaient des comptes à l’égard desquels il disposait d’un pouvoir de signature ou d’une procuration, et qu’il n’avait pas fourni le nom des titulaires des comptes, le numéro des comptes ainsi que les dates de leur ouverture et de leur fermeture. Le défendeur n’avait pas fourni non plus une liste où figuraient la désignation des cartes de crédit qui étaient à son nom, au nom sous lequel il faisait affaire ou dont il était un codétenteur, la désignation des émetteurs de ces cartes de crédit ainsi que les numéros de compte de ces cartes.

 

[7]               Le défendeur a déclaré dans son témoignage s’être conformé pour l’essentiel à l’ordonnance puisque, tel qu’en attestent ses diverses réponses et sa réponse finale du 16 avril 2005, les banques avaient été désignées de même que les cartes de crédit et leurs émetteurs.

 

[8]               Il a toutefois admis dans son argumentation ne pas avoir fourni dans ses réponses plusieurs éléments qu’il était tenu de fournir.

 

[9]               Compte tenu de la preuve dont je suis saisi et de l’admission faite par le défendeur, je suis convaincu hors de tout doute raisonnable que ce dernier est coupable d’outrage au tribunal en raison du fait qu’il n’a pas fourni en leur entier au ministre les renseignements et les documents précisés aux points 2 et 4 de la lettre du 23 février 2004 de l’avocat du ministre adressée au juge MacKay, cela constituant les actes énoncés dans l’ordonnance de justifier du 19 décembre 2005 du protonotaire Lafrenière.

 

[10]           La peine que la Cour peut infliger lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal est prévue comme suit à l’article 472 des Règles :

472. Peine – Lorsqu’une personne est reconnue coupable d’outrage au tribunal, le juge peut ordonner :

 

472. Penalty – Where a person is found to be in contempt, a judge may order that

 

a) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans ou jusqu’à ce qu’elle se conforme à l’ordonnance;

 

(a) the person be imprisoned for a period of less than five years or until the person complies with the order;

 

b) qu’elle soit incarcérée pour une période de moins de cinq ans si elle ne se conforme pas à l’ordonnance;

 

(b) the person be imprisoned for a period of less than five years if the person fails to comply with the order;

 

c) qu’elle paie une amende;

 

(c) the person pay a fine;

 

 

d) qu’elle accomplisse un acte ou s’abstienne de l’accomplir;

 

 

(d) the person do or refrain from doing any act;

 

e) que les biens de la personne soient mis sous séquestre, dans le cas visé à la règle 429;

 

(e) in respect of a person referred to in rule 429, the person’s property be sequestered; and

 

f) qu’elle soit condamnée aux dépens.

 

(f) the person pay costs.

 

 

[11]           La Cour a résumé les principes applicables en matière de détermination de la peine dans Lyons Partnership, L.P. c. MacGregor, [2000] A.C.F. no 341 (C.F. 1re inst.), aux paragraphes 21, 22 et 23 :

¶  21        Dans l’arrêt Cutter (Canada) Ltd., précité, le juge Urie a dit que ce qui était pertinent au moment d’évaluer le montant de l’amende était « la gravité de l’outrage, appréciée en fonction des faits particuliers de l’espèce sur l’administration de la justice » (à la page 562). La Cour d’appel fédérale a souscrit aux motifs du juge de première instance selon lesquels le montant de l’amende devrait refléter « la sévérité de la loi et suffisamment modérée pour démontrer la clémence de la justice ». Le juge Urie a indiqué que le montant de l’amende ne devrait pas être une amende symbolique parce que cela « serait incompatible avec la gravité des infractions reprochées et risquerait d’encourager d’autres personnes à se moquer de la loi s’il y va de leur intérêt pécuniaire ».

 

 

¶  22        Cette dernière citation du juge Urie rappelle les propos du juge Rouleau de notre Cour dans l’affaire Montres Rolex S.A. et autres c. Herson et autres, 15 C.P.R. (3d) 368 (C.F. 1re inst.) : « le but principal des sanctions imposées est d’assurer le respect des ordonnances du tribunal ». Le juge Dubé de notre Cour a également souligné dans l’affaire Louis Vuitton S.A. v. Tokyo‑Do Enterprises Inc. et autres, 37 C.P.R. (3d) 8, (C.F. 1re inst.), l’importance de la dissuasion en tant que facteur principal pour s’assurer que ces ordonnances ne seront pas violées de nouveau parce que « si ceux ou celles qui se font prendre en sortent sans égratignures, ça a pour effet d’encourager ces activités et de détruire, en conséquence, l’effet visé par les lois qui sont édictées » (à la page 15, ligne 20). Le juge Dubé a, dans l’évaluation du montant de l’amende, tenu compte de la valeur de la marchandise contrefaite qui a été vendue. Il a également ordonné qu’un montant maximal soit fixé pour les dépens sur la base procureur‑client.

 

 

¶  23        Pour conclure sur la question des principes directeurs, d’autres facteurs pertinents qui doivent être pris en compte sont la question de savoir si l’infraction d’outrage constitue une première infraction (R. c. De L’Isle et autres (1994), 54 C.P.R. (3d) 371 (C.A.F.)) et la présence de facteurs atténuants tels la bonne foi ou des excuses (Baxter Travenol Laboratories, précité).

 

 

 


[12]           L’avocat du demandeur sollicite une amende de 3 000 $, des dépens de 1 000 $ plus les débours, et une peine d’emprisonnement de 15 jours en cas d’omission de payer l’amende et de 15 jours en cas d’omission de payer les dépens. Il demande aussi qu’on ordonne au défendeur de fournir les renseignements et les documents qu’il était tenu de remettre mais n’a pas remis et qu’en cas d’omission du défendeur de se conformer à cette ordonnance, on lui inflige une peine d’emprisonnement de 15 jours.

 

[13]           Le défendeur suggère pour sa part l’imposition d’une amende de 500 $ s’il est reconnu coupable d’outrage au tribunal, et il s’est engagé envers la Cour à rectifier la situation et à remettre les renseignements requis non fournis. En appliquant les principes pertinents en matière de détermination de la peine, je suis disposé à ordonner ce qui suit :

(i)         le défendeur paiera dans les 30 jours de la présente ordonnance relative à la présente requête et à la requête soumise au protonotaire Lafrenière une amende de 1 000 $ et des dépens de 800 $;

(ii)        le défendeur fournira dans les 30 jours de la présente ordonnance et des présents motifs les renseignements et documents suivants demandés par le ministre :

a)         une liste de toutes les banques et institutions financières canadiennes et étrangères où se trouvaient des comptes à l’égard desquels le défendeur disposait d’un pouvoir de signature ou d’une procuration;

b)         en regard du point a) ci‑dessus, le nom des titulaires des comptes, le numéro des comptes et les dates auxquelles les comptes ont été ouverts et fermés;


c)         une liste où figurent la désignation de toutes les cartes de crédit qui étaient au nom du défendeur, à un nom sous lequel le défendeur faisait affaire ou dont le défendeur était un codétenteur, la désignation des émetteurs de ces cartes de crédit ainsi que les numéros de compte de ces cartes de crédit.

(iii)       en cas d’omission du défendeur de se conformer intégralement aux éléments visés en (ii) ci‑dessus, la Cour se réserve le droit de lui infliger une peine d’emprisonnement, après avis conforme et audition.

 

[14]           J’estime qu’il n’est pas justifié dans la présente affaire d’infliger une lourde amende et d’y lier une peine d’emprisonnement automatique.

 


[15]           Premièrement, il ne s’agit pas d’une affaire où le défendeur n’a tenu aucun compte de la demande de renseignements. Le défendeur a en effet fourni bon nombre de renseignements au ministre, bien qu’il n’en ait pas établi la liste et que les renseignements n’aient pas été complets et suffisamment détaillés. Deuxièmement, le défendeur n’a pas fait preuve de manque de coopération à l’endroit du ministre. Il s’est déclaré disposé à rencontrer des représentants de l’Agence. J’ai l’impression que l’omission du défendeur de se conformer pleinement à la demande de renseignements est attribuable non pas à de la mauvaise volonté de sa part à l’endroit de l’Agence ou du ministre, mais plutôt à des communications déficientes, peut‑être dues à son manque de détachement face à sa propre affaire. Troisièmement, la présente déclaration de culpabilité pour outrage au tribunal est, autant que la Cour le sache, la première dont le défendeur a fait l’objet. Quatrièmement, le défendeur a exprimé à la Cour ses remords pour ne pas s’être pleinement conformé et il s’est engagé à rectifier la situation. Cinquièmement, enfin, le défendeur est bien conscient des conséquences qu’entraînerait son omission de se conformer pleinement à l’ordonnance de ce jour de la Cour.

 

 

                       CONCLUSION ET ORDONNANCE

 

LA COUR conclut :

1.         Le défendeur est coupable d’outrage au tribunal tel qu’il en a été accusé dans l’ordonnance de justifier du 19 décembre 2005 du protonotaire Lafrenière.

2.         Le défendeur doit payer au ministre, dans les 30 jours de la présente ordonnance, une amende de 1 000 $ et des dépens de 800 $.

3.         Le défendeur doit, dans les 30 jours de la présente ordonnance, fournir au ministre la totalité des renseignements et des documents suivants :

a)         une liste de toutes les banques et institutions financières canadiennes et étrangères où se trouvaient des comptes à l’égard desquels le défendeur disposait d’un pouvoir de signature ou d’une procuration;

b)         en regard du point a) ci‑dessus, le nom des titulaires des comptes, le numéro des comptes et les dates auxquelles les comptes ont été ouverts et fermés;


c)         une liste où figurent la désignation de toutes les cartes de crédit qui étaient au nom du défendeur, à un nom sous lequel le défendeur faisait affaire ou dont le défendeur était un codétenteur, la désignation des émetteurs de ces cartes de crédit ainsi que les numéros de compte de ces cartes de crédit.

4.         En cas d’omission du défendeur de se conformer au paragraphe [3] de la présente ordonnance, la Cour se réserve le droit, après requête et audition, de lui infliger une peine d’emprisonnement de la durée qu’elle estime convenir.

 

                                                                                     _ F. Lemieux _                      

                                                                                                     Juge                              

 

Traduction certifiée conforme

Julie Boulanger, LL.M.


                                     COUR FÉDÉRALE

 

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

 

 

DOSSIER :               T‑916‑03

 

 

INTITULÉ :              LE MINISTRE DU REVENU NATIONAL

c.

KENNETH ROBERT MCMORDIE

 

 

LIEU DE L’AUDIENCE :                             VANCOUVER (COLOMBIE‑BRITANNIQUE)

 

DATE DE L’AUDIENCE :                           LE 13 FÉVRIER 2006

 

 

MOTIFS DE L’ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                   LE JUGE LEMIEUX

 

DATE DES MOTIFS ET

DE L’ORDONNANCE :                               LE 16 FÉVRIER 2006

 

 

 

COMPARUTIONS :

 

Robert Carvalho                                               POUR LE DEMANDEUR

 

Kenneth McMordie                                          POUR LE DÉFENDEUR

(se représente lui‑même)

 

 

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

 

John H. Sims, c.r.                                             POUR LE DEMANDEUR

Sous‑procureur général du Canada

 

s.o.                                                                   POUR LE DÉFENDEUR

 

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