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Date : 20010322

Dossier : IMM-527-00

Référence neutre : 2001 CFPI 229

Ottawa (Ontario), le 22 mars 2001

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

ENTRE :

ABDALLA ABDELKARIM OSMAN

demandeur

- et -

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE


[1]         Il s'agit d'une demande présentée par Abdalla Abdelkarim Osman (le demandeur) en vue d'obtenir une ordonnance annulant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a statué, le 14 janvier 2000, que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration[1].

LES FAITS

[2]         Le demandeur fonde sa revendication sur la crainte bien fondée d'être persécuté au Soudan du fait de ses opinions politiques (réelles ou présumées), exprimées en grande partie par son refus de servir dans les Forces de défense populaire (FDP) soudanaises. Le demandeur soutient avoir été conscrit de force dans cette milice, la FDP, dont il prétend s'être échappé. Le demandeur affirme qu'il risque maintenant d'être persécuté au Soudan du fait de ces événements.

[3]         En 1989, le demandeur, un citoyen soudanais âgé de 33 ans, a quitté son pays pour étudier aux Philippines. Il est demeuré au Philippines six ans, jusqu'en 1995, en qualité d'étudiant ou de visiteur.


[4]         En 1992, il a épousé une Philippine qui lui a donné deux enfants, dont le premier est né en 1993 et le deuxième peu avant son départ des Philippines en 1995.

[5]         En 1995, le demandeur est retourné au Soudan où il n'a pas réussi à trouver du travail dans le secteur public en raison, à ce qu'il croit, de ses opinions et de ses activités politiques. Il a donc joint les rangs de l'entreprise familiale et a repris ses activités politiques au sein du parti de l'UMMA, assistant à des réunions secrètes et distribuant des pamphlets.

[6]         Le 30 juin 1989, un coup d'État a porté le général el Bashir au pouvoir au Soudan.

[7]         Au début de 1997, le leader du parti de l'UMMA, Sadiq el Mahdi, s'est enfui du Soudan.

[8]         Le demandeur prétend que, le 5 février 1997, il a été arrêté, détenu et maltraité environ trois semaines dans une maison inhabitée.

[9]         À la fin de 1998, le demandeur soutient avoir participé à une manifestation contre la guerre dans le Sud et contre le recrutement d'étudiants et de jeunes envoyés au front.

[10]       Le demandeur affirme avoir été arrêté et torturé pendant 13 jours, puis transféré le 12 janvier 1999 à un camp d'entraînement des FDP à quelque 25 à 30 kilomètres au sud de Khartoum.


[11]       En mars 1999, après avoir été détenu pendant environ 47 jours, le demandeur se serait échappé du camp des FDP. Il s'est caché avec un ami pendant à peu près deux mois, puis il a quitté le Soudan le 7 mai 1999 et il est arrivé au Canada le 8 mai 1999.

[12]       Le demandeur dit craindre avec raison d'être persécuté au Soudan en raison de ces faits allégués.

LA DÉCISION DE LA SSR

[13]       La SSR est arrivée à la conclusion que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention en s'appuyant essentiellement sur les éléments suivants :

(1)                Le demandeur n'a pas vraiment tenté d'obtenir le statut de revendicateur aux Philippines.

(2)                Le demandeur n'était pas un témoin fiable parce qu'il a exagéré, a répondu de façon équivoque et s'est contredit.

(3)                Le demandeur ne s'est pas acquitté de son fardeau d'établir qu'il avait une crainte à la fois objective et subjective d'être persécuté comme l'exige la Convention.

Bref, la SSR n'a pas cru que la revendication du demandeur était bien fondée.


LA NORME DE CONTRÔLE

[14]       La norme de contrôle applicable aux questions de droit est distincte de celle applicable aux conclusions de fait. La Cour suprême du Canada a confirmé, dans l'affaire Pushpanathan[2], que toutes les questions de droit tranchées par la SSR sont assujetties à la norme de la décision correcte. Elle a aussi établi que toutes les conclusions de fait sont régies par la norme du caractère manifestement déraisonnable énoncé par le juge Décary dans l'arrêt Aguebor :

Il ne fait pas de doute que le tribunal spécialisé qu'est la section du statut de réfugié a pleine compétence pour apprécier la plausibilité d'un témoignage. Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire.[3]

[15]       Les normes de contrôle étant établies, j'examinerai maintenant les questions soulevées par l'avocat du demandeur, savoir les questions suivantes :

(1)                La SSR a-t-elle commis une erreur en mettant l'accent sur le défaut du demandeur de retourner aux Philippines?

(2)                La SSR a-t-elle commis une erreur en n'évaluant pas la totalité de la preuve?

(3)                La SSR a-t-elle commis une erreur dans son évaluation de la lettre du parti de l'UMMA?


ANALYSE

[16]       En ce qui concerne la première question, l'avocate du demandeur demande à la Cour de trancher la question suivante : « La SSR a-t-elle commis une erreur en mettant l'accent sur le défaut du demandeur de retourner aux Philippines? » Les faits de l'espèce démontrent que le demandeur a résidé aux Philippines de 1989 à 1995, qu'il s'est marié là-bas et qu'il y a eu deux enfants. Il est certainement raisonnable que la SSR s'enquière des démarches entreprises par le demandeur pour rejoindre sa famille aux Philippines.

[17]       À la lecture des motifs de la SSR concernant cette question, on constate aisément que le tribunal a évalué le comportement du revendicateur relativement à ses possibilités aux Philippines dans le contexte de sa crainte subjective d'être persécuté et de sa crédibilité.

[18]       À la page 5 de ses motifs, la SSR a dit ce qui suit :

Cela n'empêche cependant pas le tribunal d'évaluer le comportement du revendicateur vis-à-vis de ses propres possibilités aux Philippines (c'est-à-dire de sa capacité et/ou de ses efforts pour faire approuver sa demande de naturalisation afin d'acquérir les droits d'un ressortissant philippin) dans le contexte de sa crainte subjective d'être persécuté et de sa crédibilité.[4]


[19]       Le tribunal n'était pas convaincu que le demandeur avait envisagé toutes les solutions pour rejoindre sa famille aux Philippines. Le tribunal a conclu, raisonnablement, que si le demandeur avait craint pour sa vie au Soudan, il aurait fait des efforts pour régulariser sa situation aux Philippines, où il résidait avec son épouse et ses enfants. Bien que ce facteur ne soit pas déterminant, il a eu une incidence sur la conclusion défavorable du tribunal concernant la crédibilité. En effet, la SSR a conclu que le demandeur n'était pas digne de foi et manquait de crédibilité.

[20]       La Commission a aussi fait les remarques suivantes :

(i)                   Lorsqu'on lui a demandé pourquoi, s'il devait quitter le Soudan, il n'avait pas tenté d'aller aux Philippines pour y vivre avec sa famille, le revendicateur a déclaré que son sort, s'il retournait dans ce pays, serait pire qu'au Soudan. Le tribunal a trouvé cette déclaration exagérée et tout à fait incroyable. On lui a demandé pourquoi. Il a répondu parce qu'il serait emmené de l'aéroport et emprisonné pour possession d'un faux passeport s'il entrait aux Philippines sans visa en règle.

[...] Il trouve cependant très improbable qu'un homme ayant vécu aux Philippines pendant six ans, diplômé d'une université philippine, marié à une Philippine et ayant deux enfants philippins, aurait été traité même à distance comme quelqu'un dont on connaît l'opposition au régime soudanais.[5]

(ii)                 Le revendicateur a déclaré qu'on avait envoyé à son sujet du centre de détention au camp des FDP une note dans laquelle il était écrit qu'il [TRADUCTION] « devait disparaître » . Lorsqu'on lui a demandé comment il avait été informé de cette note (il n'y est fait aucunement référence dans son FRP), le revendicateur a déclaré qu'il sentait qu'il était traité différemment des autres à l'intérieur du camp, ce qui l'a amené à penser qu'un ordre avait été envoyé du centre de détention au camp.[6]

(iii)                Le revendicateur a déclaré de vive voix qu'il a été arrêté et torturé pendant 13 jours après une manifestation à la fin de 1998. Cette déclaration ne figure pas dans son FRP.[7]

(iv)                 Si les autorités voulaient [que le revendicateur] « disparaisse » , il est très peu probable qu'elles n'auraient pu le voir, et ne l'auraient pas vu, disparaître avant que le remplacement d'un officier par un autre ait modifié toute la situation pour le revendicateur. Après avoir apprécié cette preuve, le tribunal ne croit pas que le revendicateur se soit jamais trouvé dans le camp des FDP.[8]


(v)                 Lorsqu'il est entré au Canada, le revendicateur a mentionné que son passeport avait expiré en mai 1991. Il ressort cependant de sa déposition orale qu'il l'avait renouvelé deux fois par l'entremise de son frère et une troisième fois au Soudan; la véritable date d'expiration de son passeport était donc le 15 mai 1999. [...] Le tribunal considère qu'il s'agit là d'une explication insuffisante, incroyable et que le revendicateur tentait de dissimuler le fait qu'il avait pu renouveler son passeport et peut-être même se rendre avec ce dernier au Canada.[9]

[21]       En définitive, le tribunal a conclu que le revendicateur n'était pas un témoin crédible et que sa prétendue crainte d'être persécuté au Soudan n'était pas fondée.

[22]       Dans l'arrêt Sheikh, Monsieur le juge MacGuigan a expliqué comment une conclusion générale de manque de crédibilité pouvait s'étendre à tous les autres éléments de preuve pertinents quant à la demande :

[. . .] même sans mettre en doute chacune des paroles du demandeur, le [tribunal] peut douter raisonnablement de sa crédibilité au point de conclure qu'il existe aucun élément de preuve crédible ayant trait à la revendication [. . .]. En d'autres termes, une conclusion générale quant au manque de crédibilité du revendicateur peut fort bien s'étendre à tous les éléments de preuve pertinents de son témoignage.[10]

[23]       Je conclus que la Commission n'a pas commis d'erreur en évaluant cette première question, soit celle de l'accent mis par la SSR « sur le défaut du demandeur de retourner aux Philippines » . Selon moi, les conclusions de la Commission touchant la crédibilité du demandeur ne sont pas manifestement déraisonnables.

[24]       Cela nous amène à la deuxième question, selon laquelle la Commission aurait commis une erreur en n'évaluant pas la totalité de la preuve.


[25]       Après avoir tiré une conclusion générale de manque de crédibilité, la Commission pouvait étendre cette conclusion à tous les éléments de preuve pertinents émanant du témoignage du demandeur. En effet, la Commission n'était pas convaincue que le demandeur se soit même trouvé au Soudan au cours des quatre dernières années comme il le prétendait. La Commission ne pouvait pas conclure selon la prépondérance des probabilités que le demandeur, à son arrivée, venait du Soudan.

[26]       Après avoir examiné toute la preuve et les motifs de la Commission, je conclus donc que le demandeur ne m'a pas convaincu que la Commission n'a pas évalué la totalité de la preuve.

[27]       La troisième question soulevée par le demandeur est celle de savoir si la SSR a commis une erreur dans son évaluation de la lettre du parti de l'UMMA.

[28]       Le fait que la SSR n'a pas mentionné explicitement tous les éléments de preuve qui lui ont été présentés par le demandeur ne constitue pas, en soi, une erreur de droit. Comme l'a dit le juge en chef adjoint Richard (devenu depuis juge en chef) dans Singarayer :


À mon avis, la Section du statut de réfugié pouvait raisonnablement rendre les conclusions qu'elle a rendues, compte tenu de l'ensemble de la preuve fournie. Le fait que certains éléments de preuve documentaire ne soient pas mentionnés dans ses motifs n'entache pas sa décision de nullité. Elle a étudié et soupesé l'ensemble de la preuve. Quand le tribunal dispose d'éléments de preuve étayant sa conclusion, la Cour ne modifiera pas facilement le poids attribué à ceux-ci. [11]

[29]       Le juge Simpson, dans l'affaire Gourenko, énonce le critère généralement appliqué par la Cour pour déterminer si un document doit être mentionné dans les motifs de la SSR :

À mon avis, un document doit seulement être mentionné dans une décision si, en premier lieu, il est pertinent, en ce sens qu'il porte sur la période en cause. En second lieu, il doit être par un auteur indépendant de bonne réputation qui soit la source de renseignements la plus fiable. En troisième lieu, il me semble que le sujet abordé dans le document doit se rapporter directement à la revendication d'un requérant. [...] En outre, si un document se rapporte directement aux faits allégués par un requérant, on s'attendrait à ce que ce document soit abordé dans les motifs de la Commission.[12]

Selon ce critère énoncé dans Gourenko, je suis convaincu que les documents pertinents ont été examinés comme il se doit en l'espèce.

[30]       La Commission a examiné la lettre en cause dans ses motifs et ne lui a attribué aucun poids. Je suis d'avis que la Commission pouvait tirer, à partir de la preuve, la conclusion à laquelle elle est arrivée et que le demandeur n'a établi devant moi aucun motif qui justifierait mon intervention.


[31]       Je ne puis conclure que la Commission a fondé sa décision sur une conclusion de fait erronée, tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments dont elle disposait. Le demandeur n'a pas réussi à me convaincre que la Commission a fondé sa décision sur des considérations non pertinentes ni omis de tenir compte de la preuve. Par conséquent, la Cour n'interviendra pas.

[32]       Pour ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

[33]       Il n'y a lieu de certifier aucune question grave de portée générale.

ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

1.                   La demande sollicitant une ordonnance annulant la décision par laquelle la Section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié a statué, le 14 janvier 2000, que le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention selon la définition énoncée au paragraphe 2(1) de la Loi sur l'immigration est rejetée.

« Edmond P. Blanchard »

J.C.F.C.

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, LL.L., Trad. a.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

NUMÉRO DU GREFFE :                                             IMM-527-00

INTITULÉ DE LA CAUSE :                                        ABDALLA ABDELKARIM OSMAN

ET

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                                             TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                                           LE 13 FÉVRIER 2001

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :                      MONSIEUR LE JUGE BLANCHARD

DATE DES MOTIFS :                                                  22 MARS 2001

ONT COMPARU :

Vania Campana                                                             POUR LE DEMANDEUR

Marianne Zoric                                                              POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Maureen Silcoff                                                             POUR LE DEMANDEUR

Morris Rosenberg                                                          POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1]

Loi sur l'immigration, L.R.C. (1985), ch. I-2.

2. (1) Les définitions qui suivent s'appliquent à la présente loi. « réfugié au sens de la Convention » Toute personne :

a) qui, craignant avec raison d'être persécutée du fait de sa race, de sa religion, de sa nationalité, de son appartenance à un groupe social ou de ses opinions politiques :

(i) soit se trouve hors du pays dont elle a la nationalité et ne peut ou, du fait de cette crainte, ne veut se réclamer de la protection de ce pays, [...]

Immigration Act, R.S.C. 1985, c. I-2

2. (1) In this Act, "Convention refugee" means any person who

(a) by reason of a well-founded fear of persecution for reasons of race, religion, nationality, membership in a particular social group or political opinion,

(i) is outside the country of the person's nationality and is unable or, by reason of that fear, is unwilling to avail himself of the protection of that country [...]

[2]            Pushpanathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] 1 R.C.S. 982, au paragraphe 50.

[3]            Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1993] A.C.F. no 732.

[4]            Décision de la SSR, à la page 5.

[5]            Décision de la SSR, aux pages 6 et 7.

[6]            Décision de la SSR, à la page 7.

[7]            Décision de la SSR, à la page 7.

[8]            Décision de la SSR, aux pages 7 et 8.

[9]            Décision de la SSR, à la page 8.

[10]           Sheikh c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1990] 3 C.F. 238 (C.A.), à la page 244.

[11]           Singarayer c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration, [1998] A.C.F. no 870, au paragraphe 5 (C.F. 1re inst.).

[12]           Gourenko c. Le solliciteur général du Canada (1995), 93 F.T.R. 264, à la page 264.

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