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Date : 20021129

Dossier : T-35-96

Référence neutre : 2002 CFPI 1245

ENTRE :

                                                          BAYER AG et BAYER INC.

                                                                                                                                            demanderesses

                                                                              - et -

APOTEX INC. et LE MINISTRE DE LA SANTÉ NATIONALE

ET DU BIEN-ÊTRE SOCIAL

                                                                                                                                                     défendeurs

                                                 TAXATION DES DÉPENS - MOTIFS

Charles E. Stinson

Officier taxateur


[1]                 Une copie des présents motifs est versée en ce jour au dossier de la Cour portant le numéro du greffe T-591-96 et s'y applique en conséquence. Les demanderesses ont obtenu une ordonnance interdisant au défendeur, le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social (ci-après le « ministre » ), de délivrer à la défenderesse, Apotex Inc. (ci-après la « défenderesse » ), un avis de conformité pour certains médicaments (antibiotiques) jusqu'à l'expiration de deux brevets canadiens. Dans un jugement complémentaire, on a condamné la défenderesse aux dépens et indiqué que les dépens n'étaient ni adjugés au ministre, ni payables par lui. Invoquant la règle 397, les demanderesses ont par la suite déposé une requête pour obtenir des précisions et des directives sur la taxation des dépens, notamment la permission d'excéder le tarif B ou, subsidiairement, pour les dépens prévus à la colonne V et pour demander à l'officier taxateur d'autoriser que les dépens soient majorés des intérêts avant et après jugement. La Cour a refusé d'entendre la requête, mais a autorisé qu'elle soit présentée à nouveau uniquement sur le fondement de la règle 403 pour des dépens suivant la colonne V. La requête a été déposée mais elle n'a pas été entendue immédiatement, les parties ayant entrepris de longues discussions de règlement. Finalement, du consentement des parties, la Cour a fixé à 45 225 $ la portion des dépens portant sur les honoraires combinés pour les deux dossiers et a ordonné qu'on procède à la taxation des dépens uniquement pour les débours. Le mémoire de frais soumis par les demanderesses au titre des débours s'élève à 426 226,35 $, TPS comprise. Devant moi, les parties ont convenu que les seuls articles qui posaient problème étaient les photocopies (46 749,50 $), la reliure (5 315,06 $), les témoins experts (62 477,86 $), la portion des frais de représentation relative à l'expertise (66 082,28 $ sur 181 076,04 $) à laquelle s'ajoute la TPS, et que le solde du mémoire de frais devrait être taxé à 48 458 $ plus TPS, pour un montant de 51 850 $.

La thèse des demanderesses


[2]                 Les demanderesses ont fait observer que Robert Mitchell n'était pas avocat, mais bien un agent de brevets canadien qui a traité deux des trois questions de fond soulevées dans le cadre du présent litige. Il n'a effectué aucune tâche propre aux avocats et, vu que la Cour a accepté son témoignage et qu'elle s'est rangée à son avis, ses honoraires d'expert de 29 289,81 $ ne constituent pas des honoraires d'avocat. À titre d'exemple, sa facture datée du 28 avril 1998 (1 983,97 $) révèle qu'il s'est préparé en vue de son contre-interrogatoire, ce qui ne fait pas partie du travail d'un avocat. Selon les demanderesses, sa facture du 31 janvier 1996 (13 297,37 $) pourrait être réduite de 100 $ pour la signature de l'affidavit du Dr James Wuest, si ce service est réputé constituer du travail d'avocat. Les demanderesses ont fait valoir que le contact qu'a établi M. Mitchell avec Marino Porzio, dont fait foi la dite facture, n'était pas non plus assimilable à un travail d'avocat puisqu'il s'agissait de travaux de base en vue de préparer le témoignage d'expert de ce dernier.


[3]                 Les demanderesses ont soutenu généralement que l'ampleur et l'importance de la présente instance, soit les ventes de médicaments se chiffrant annuellement à plusieurs centaines de millions de dollars, justifiaient le recours à divers experts, dont les témoignages ont tous été acceptés par la Cour. En ce qui concerne le Dr Wuest (29 929,60 $ pour son témoignage d'expert sur les brevets étrangers), les demanderesses ont affirmé que le témoignage de l'avocat comparaissant à la taxation, qui l'a embauché et supervisé, constituait une confirmation acceptable du fait que le Dr Wuest avait effectué un travail, non pas d'avocat, mais bien d'expert. La Cour a accepté son témoignage. Selon les demanderesses, le Dr Wuest n'a jamais prétendu être la « Cadillac » des experts et ses honoraires ne sont pas les plus élevés dans son domaine. En outre, la défenderesse ne précise nullement dans ses observations quelle tâche figurant sur ses factures constituerait des services d'avocat.

[4]                 Les demanderesses se fondent sur la facture du 22 décembre 1995 au montant de 1 000 $US qu'a établie le Dr Lester Mitscher, un chimiste, ainsi que sur l'inscription dans le registre comptable du cabinet d'avocats, le 23 janvier 1996, faisant état de ses honoraires de 1 420,20 $. En fin de compte, il n'a pas déposé de rapport, mais il a donné de judicieux conseils d'expert.

[5]                 Les demanderesses ont fait observer que leur expert, le Dr Peter Bailly (1 838,16 $), est un agent de brevets de la filiale allemande de l'entreprise et qu'il n'était pas possible de repérer tous ses relevés de temps. En conséquence, le montant de 1 838,16 $ exclut les honoraires pour le temps consacré au dossier et ne couvre que ses frais de déplacement. Selon les demanderesses, ce montant est modeste et, de toute évidence, en-deçà des honoraires réels pour lesquels la documentation est incomplète.


[6]                 Les demanderesses font remarquer que la somme versée représente un moins-payé par rapport au montant de 20 480,70 $US inscrit sur la facture d'un cabinet d'avocats aux États-Unis, en date du 3 novembre 1997, pour le compte de M. Gerald Bjorge au titre des frais de représentation, car le paiement a été effectué en devise canadienne. Il est peu vraisemblable que le montant sur la facture n'ait pas été indiqué en dollars américains car, par exemple, un vol entre Washington et New York ne coûtait pas 202 $CAN. Les demanderesses onf fait valoir que la défenderesse a entrepris de soulever la question du droit américain, ce qui a nécessité le dépôt du rapport d'expert de M. Bjorge, auquel la Cour a souscrit. Les demanderesses ont soutenu que des éléments de preuve (facture datée du 31 décembre 1997 produite par l'avocat inscrit au dossier) attestent l'existence d'une seconde facture datée du 15 décembre 1997 (8 997,17 $) pour le temps consacré par M. Bjorge, même si cette facture est à présent introuvable. Après avoir comparu à la taxation, l'avocat des demanderesses a communiqué des documents confirmant que ce second montant équivalait, en dollars canadiens, au manque à gagner en dollars américains, vu le paiement du montant de 20 480,70 $ en dollars canadiens plutôt qu'en dollars américains.

[7]                 Les demanderesses ont souligné que les honoraires pour le second expert réclamés au chapitre des frais de représentation étaient ceux de Ramon Leiva, un avocat chilien d'expérience spécialisé en brevets d'invention qu'on a chargé d'exposer l'état du droit des brevets au Chili en 1980. Sa collaboration a pris fin pour cause de maladie, mais il faut tenir compte de ses honoraires (5 305,16 $) étant donné que son affidavit a été joint à celui de Santiago Larraguibel Zavala. La Cour (le 21 août 1998) a radié l'affidavit de M. Leiva, mais a validé celui de M. Zavala. Devant moi, les demanderesses ont produit une réclamation de 6 171,10 $ en l'absence de facture pour des services rendus par M. Leiva, mais elles l'ont par la suite retirée.


[8]                 Les demanderesses ont fait remarquer que le troisième expert pour lequel elles réclament des frais de représentation, M. Zavala (10 000 $US = 13 040 $CAN plus 8 000 $US = 10 520 $CAN), avait traité du droit et de la pratique en matière de brevets au Chili, en plus de fournir d'autres renseignements sur le contexte canadien. Elles ont fait valoir que, même si l'affidavit de M. Leiva apparaissait en pièce jointe, l'affidavit de M. Zavala traitait en outre des questions soulevées en réponse. Ses honoraires comprennent la préparation en vue du contre-interrogatoire.

[9]                 Les demanderesses ont souligné que le quatrième expert pour lequel elles réclament des frais de représentation, Ivan Vrsalovic (3 500,00 $US), était un commissaire du Bureau des brevets qui connaissait l'évolution du droit des brevets au Chili. Il a examiné le contenu du témoignage de M. Zavala pour en vérifier l'exactitude. Les demanderesses prétendent que le statut de M. Vrsalovic l'empêchait de déposer un rapport ou de témoigner, à moins que le gouvernement ou la Cour ne l'invitent à le faire. Il s'est rendu disponible à cette fin, mais ni la Cour ni la défenderesse n'ont agi. Quant au cinquième expert dont les frais de représentation sont réclamés, l'avocat canadien Paul Herbert (3 129,75 $), les demanderesses ont soutenu que les honoraires afférents à son avis sont prudents et recouvrables, et ce, même si aucun rapport n'a été produit.


[10]            Selon les demanderesses, sur le montant de 46 749,50 $ facturé au titre des photocopies, le dossier de l'audience, les résumés de l'audience destinés à aider la Cour à suivre les arguments ainsi que le cahier de la jurisprudence et de la doctrine comptaient respectivement pour 8 750 $, 1 050 $ et 3 150 $. De plus, le dépôt de 21 requêtes préliminaires représente un montant de 1 312,50 $. De ce montant, la somme de 499,80 $ (0,25 $ par page x 5 copies x 50 pages) se rapporte à l'octroi des dépens de huit requêtes. Les demanderesses ont fait valoir que le juge de première instance avait autorisé le recouvrement du solde de 1 312,50 $ relativement aux ordonnances muettes sur la question des dépens (NOTE : la thèse de la défenderesse sur ce dernier point ne sera pas résumée, car je suis intervenu pour dire que les présents motifs justifieraient le refus de ce montant). Les demanderesses ont recalculé les montants ci-dessus pour réclamer un montant total de 9 750 $ au titre de leurs articles connexes, en plus du solde de 46 749,50 $ couvrant les frais de gestion de l'instance liés aux clients à l'étranger, à la correspondance, à la recherche jurisprudentielle et à la tournure quotidienne des événements tout au long du litige. Les demanderesses ont affirmé que ce litige revêtait une grande importance à leurs yeux et que leur avocat a dû se déplacer à New York pour examiner 400 boîtes de documents plutôt que de les faire photocopier. À titre comparatif, elles ont fait remarquer que la Cour de l'Ontario (Division générale) avait adjugé des dépens considérables comme entre procureur et client dans un dossier mettant en cause les parties à l'instance.


[11]            En ce qui concerne la reliure (5 315,06 $), les demanderesses ont soutenu que le coût de chaque article parmi les 354 articles reliés (dos de reliure, couverture avant, couverture arrière) s'élevait à 15 $. Six copies du dossier de demande représentent 120 articles. Les copies des transcriptions, y compris celle du client, représentent 96 articles. Les copies de la jurisprudence destinées à la Cour et les cinq copies des huit dossiers de requête ayant mené à l'octroi de dépens représentent respectivement 24 et 40 articles. La préparation du dossier compte pour les 74 unités restantes.

[12]            Au titre de l'article 26, les demanderesses ont réclamé des honoraires d'avocat pour la présente taxation des dépens, au motif que le règlement dont elles avaient convenu en matière d'honoraires d'avocat n'a pu prendre en compte ou prévoir le règlement, lors de la taxation, d'un certain nombre d'articles constituant des débours. De plus, elles ont dû consacrer beaucoup de temps à se préparer afin de parvenir à ce règlement.

La thèse de la défenderesse


[13]            En ce qui a trait à M. Mitchell, la défenderesse a soutenu que les exemples tirés de la facture du 31 janvier 1996, tels que [TRADUCTION] « examen de la lettre de Marino Porzio » , [TRADUCTION] « révision...ébauche de l'affidavit de Mary Sprigings » et [TRADUCTION] « dispositions pour signature de l'affidavit du Dr Wuest, préparation et touche finale... et envoi de copies » , confirment que M. Mitchell a effectivement agi à titre d'avocat dans la préparation du dossier, plutôt qu'à titre d'expert. Qui plus est, la lettre d'accompagnement et la facture de M. Mitchell, toutes deux datées du 31 janvier 1997, révèlent qu'il a notamment examiné les affidavits d'autres personnes et pris des dispositions pour obtenir la signature du Dr Wuest; ce sont là des fonctions qui vont au-delà du rôle d'un expert et qui établissent les honoraires d'avocats au-delà des unités fixées par le tarif. La défenderesse a prétendu que les factures de M. Mitchell en date du 28 avril 1998 et du 31 octobre 1997 présentaient la même difficulté. Selon elle, vu que les honoraires d'avocats avaient fait l'objet d'un règlement, seule une petite partie des honoraires de M. Mitchell devrait être attribuable au rôle d'expert. De plus, on devrait procéder à l'examen de son affidavit d'expert et de la transcription de son contre-interrogatoire afin d'évaluer le caractère raisonnable du montant de 29 289,81 $ facturé pour ses services. La défenderesse a fait valoir qu'il ne s'agit pas de savoir si M. Mitchell est avocat ou non, mais bien si le travail qu'il a effectué était assimilable à celui d'un avocat pour lequel le tarif fixe une limite d'indemnité, et s'il relève d'une matière ayant déjà fait l'objet d'un règlement entre les parties.

[14]            La défenderesse a admis le rôle d'expert assumé par le Dr Wuest, mais a plaidé qu'il était inacceptable de devoir se fier à des relevés produits par l'avocat à la taxation plutôt que de disposer d'une preuve directe des honoraires de cet expert. Étant donné leur caractère général, les factures de M. Mitchell ne désignent pas clairement les services justifiant les honoraires du Dr Wuest. La défenderesse a affirmé que certaines factures du Dr Wuest font état d'un travail de consultation qui s'écarte du rôle d'un expert, soit la relecture et la correction de la transcription de l'interrogatoire de l'expert de la défenderesse, le Dr Robert McClelland. La défenderesse a prétendu que le rapport d'expert du Dr Wuest ne justifiait pas une réclamation de 29 929,69 $ et que, conformément à la décision Apotex Inc. c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., [1999] A.C.F. no 1465 (C.F. 1re inst.), au par. 20, si « une partie décide d'engager la " cadillac " des experts, la partie adverse qui succombe n'est pas tenue de l'indemniser de ses extravagances » .


[15]            La défenderesse a prétendu qu'elle n'a pas été mise au fait de la participation du Dr Mitscher au dossier avant la présente taxation des dépens et que, suivant la jurisprudence, les honoraires d'expert ne peuvent être taxés en l'absence d'un rapport d'expert. Elle invoque les décisions Arnusch c. Saskatchewan School Division No. 4, [1998] S.J. No. 10 (B.R.), Abate (Litigation Guardian of) c. Borges (1992), 12 C.P.C. (3d) 391 (Div. gén. Ont.), Apotex Inc. c. Wellcome Foundation Ltd., (1998) 84 C.P.R. (3d) 303, et Apotex c. Syntex Pharmaceuticals International Ltd., précitée, pour affirmer qu'en raison de l'absence de détails, la facture ne permet pas d'établir la nécessité raisonnable, la pertinence, l'absence de duplication, le caractère raisonnable des honoraires et l'absence d'enrichissement injustifié. Selon la défenderesse, les honoraires réclamés pour un employé de l'entreprise, soit le Dr Bailly, ne sauraient être recouvrables sur la base des dépens partie-partie.


[16]            La défenderesse a avancé que le travail de M. Bjorge n'a eu aucune incidence quant à l'issue du présent litige étant donné que la Cour n'a pas tenu compte du facteur du droit américain, s'appuyant plutôt sur d'autres considérations. La défenderesse a fait valoir que la preuve des honoraires de M. Bjorge est confuse, en ce que la facture du 3 novembre 1997 paraît couvrir des activités allant jusqu'à la fin de son contre-interrogatoire, alors que la description de sa facture manquante (entrée datée du 15/12/97 dans le système informatique, au montant de 8 997,17 $) indique des honoraires distincts pour la préparation du contre-interrogatoire et la présence au contre-interrogatoire. Quoi qu'il en soit, des honoraires de près de 30 000 $ en tout pour cet expert s'avèrent excessifs.

[17]            La défenderesse a affirmé que les motifs de la Cour en date du 20 août 1998 n'étayent pas la thèse des demanderesses en ce qui concerne M. Leiva; elle s'est appuyée à cet égard sur l'ordonnance du 21 août 1998 portant radiation de l'affidavit de M. Leiva pour faire valoir qu'aucuns dépens ne devraient être adjugés à son égard, vu l'inutilité de son travail dans le présent litige. La défenderesse a plaidé que le témoignage de M. Zavala ne s'est pas avéré très utile au procès et que, de l'avis de la Cour, il avait exagéré ses compétences. La défenderesse a fait observer qu'en raison de l'imprécision des deux factures de M. Zavala, il était difficile d'en apprécier le caractère raisonnable, d'autant plus que son affidavit se trouvait à être un document de remplacement qui reprenait le travail de M. Leiva.

[18]            Selon la défenderesse, l'absence d'une ordonnance requérant le témoignage de M. Vrsalovic renforce la non-justification du recouvrement de ses honoraires sur la base des dépens partie-partie. M. Herbert, soutient la défenderesse, ne possédait pas les compétences d'un expert en la matière et le coût lié à l'embauche infructueuse d'un expert ne saurait se justifier sur la base des dépens partie-partie.


[19]            La défenderesse a prétendu que cinq copies des documents (trois pour la Cour et deux pour les parties à l'instance), plutôt que sept, étaient suffisantes et qu'en conséquence il y aurait lieu de réduire généralement de 25 p. cent les coûts afférents aux photocopies. Mis à part les coûts déjà précisément établis pour ce qui est des huit requêtes, des résumés de l'audience et du dossier de l'audience, le montant réclamé au titre des photocopies est élevé, à raison de 0,25 $ la page, ce qui signifie que des coûts supplémentaires ont été encourus relativement à des ordonnances interlocutoires restées muettes sur la question des dépens et à des copies inutiles effectuées pour le compte des clients et du second avocat. La défenderesse a avancé le montant total de 8 000 $ pour les photocopies, ce qui demeure un montant considérable et tient compte des nombreuses requêtes muettes sur la question des dépens. Si les clients ont donné comme directive à leurs avocats de ne pas regarder à la dépense aux fins du procès, c'est là une question comptable qui les concerne mais, en l'absence d'une preuve de nécessité, il est déraisonnable de procéder au recouvrement complet des coûts supplémentaires sur la base des dépens partie-partie.

[20]            La défenderesse a cité à l'appui de sa thèse la décision Ontario Cruisemarine Ltd. c. Canada [1991] A.C.F. no 1077 (O.T.), qui a établi que les frais de reliure ne sont pas appropriés. Elle a soutenu qu'un trombone aurait suffi et qu'il s'agit là de frais généraux, c'est-à-dire que si un avocat est à court de stylos, il ne facture pas à ses clients les coûts de remplacement. Selon elle, rien ne devrait être taxé en ce qui concerne l'article 26, car le résultat à la taxation sera beaucoup moins élevé que le montant réclamé.


Taxation

[21]            J'applique aux témoignages des experts dans le présent litige les principes et la méthode que j'ai exposés dans la décision Merck & Co. Inc. et al. c. Apotex Inc., 2002 CFPI 842 (O.T.), confirmé par 2002 CFPI 1037 (C.F. 1re inst.). Je crains bien que Robert Mitchell se soit aventuré dans des matières réservées aux avocats et que, par le fait même, le principe de l'indemnité partielle lui soit rendu applicable. La concession sur la diminution de 100 $ pour les dispositions relatives à l'affidavit du Dr Wuest n'y change rien. Par exemple, la facture du 31 janvier 1997 comprend le travail de révision de l'affidavit du Dr Wuest. Quoique de tels coûts aient été vraisemblablement prudents et justifiés au titre des dépens avocat-client, je ne suis pas convaincu au vu du dossier qu'ils sont appropriés dans le cadre des dépens partie-partie; autrement dit, je crains que le travail que M. Mitchell a effectué auprès des autres experts ait supplanté le travail qui revenait à juste titre à l'avocat supervisant la cause, dont les coûts recouvrables se limitent à une indemnité partielle. Le fait de revoir ou de réviser des documents émanant de collègues experts se distingue du travail qui consiste à évaluer les conséquences possibles des témoignages des experts de la partie adverse, cette dernière fonction étant susceptible à mon avis de faire l'objet d'une indemnité. J'autorise le montant de 19 000 $. Les documents déposés à l'appui du travail effectué par le Dr Wuest ne font nullement état d'un contact avec M. Mitchell, et dans ces circonstances j'estime quelque peu malaisé d'établir ce lien entre experts, surtout dans une perspective de double emploi. J'autorise le montant de 25 500 $ pour le Dr Wuest.

[22]            Il ressort de la facture du Dr Mitscher que le résumé des tâches qu'il a effectuées se trouve sous [TRADUCTION] « services rendus » . En ce qui a trait aux circonstances dans lesquelles l'avocat supervisant la cause a dû recourir à un autre expert, le dossier ne justifie pas le recouvrement des frais engagés à ce titre. Le Dr Bailly a signé un affidavit au soutien de la requête en interdiction. Dans la décision Wellcome Foundation Ltd. c. Apotex Inc., 2001 CFPI 174, la Cour a statué au paragraphe 19 que les frais liés aux employés n'étaient pas recouvrables, ce qui exclut l'indemnisation du temps rémunéré. Dans cette décision, la Cour a traité tout particulièrement des frais de déplacement d'un expert embauché par l'une des parties, soit un agent de brevet travaillant au sein de son entreprise, et a déclaré que, sauf circonstances exceptionnelles justifiant une dérogation à ce principe, « les frais qu'une partie engage en vue de faciliter la présentation de sa preuve doivent en général être supportés par cette dernière » . Je n'accorde donc aucun montant pour le Dr Bailly.


[23]            Aux paragraphes 38 à 40 de ses motifs datés du 3 novembre 1998, le juge de première instance a répondu aux préoccupations des deux parties quant à la crédibilité et à la compétence des experts. Mise à part l'observation mentionnée précédemment sur l'exagération des compétences d'un des experts des demanderesses en matière de droit chilien des brevets, la Cour n'a émis aucun commentaire défavorable à l'égard des experts. Le juge de première instance ne s'est pas attardé sur la jurisprudence américaine dans le cadre de ses motifs, ce qui ne signifie pas que les demanderesses auraient dû traiter ce facteur de manière superficielle. Dans la décision James L. Ferguson c. Arctic Transportation Ltd. et al. (no du greffe T-1941-93, le 29 juillet 1999), j'ai conclu que, dans les limites de l'indemnisation partielle des dépens partie-partie, l'avocat étranger pouvait être entièrement indemnisé pour son expertise juridique allant au-delà des normes professionnelles auxquelles sont soumis les avocats canadiens admis, par les barreaux canadiens, à pratiquer le droit au Canada. L'explication fournie par l'avocat des demanderesses à la suite de sa comparution à la taxation pour justifier le deuxième paiement de 8 997,17 $ versé à M. Bjorge porte sur la question du double emploi découlant de l'entrée du 15 décembre 1997 dans le système informatique. Cette réclamation de 29 477,87 $ surprend quelque peu du fait qu'elle se rapporte à une question qui ne s'est pas avérée fondamentale dans la décision de la Cour, mais l'avocat a agi de manière diligente en examinant la question. Le recours à des agents dont les services sont parfois très coûteux est une réalité du procès : j'autorise le montant de 29 477,87 $ tel qu'on me l'a soumis.

[24]            En ce qui concerne Ramon Leiva et Santiago Larraguibel Zavala, les motifs de la Cour datés du 21 août 1998 faisaient état des difficultés causées par la non-disponibilité de M. Leiva aux fins du contre-interrogatoire, ces difficultés ayant été caractérisées, aux paragraphes 8 et 10, comme émanant de « déclarations inexactes faites de bonne foi » . Quoique je convienne qu'il n'y avait pas là le moindre acte répréhensible, j'estime que la défenderesse ne devrait pas avoir à porter à elle seule le fardeau des dépenses supplémentaires engagées par inadvertance, indépendamment du fait que ce fardeau ait découlé exclusivement du présent litige. J'accepte un montant total de 20 500 $ pour M. Leiva et M. Zavala.

[25]            Quant à Ivan Vrsalovic, j'estime que l'évolution rapide des courants de pensée dans certains champs d'expertise peut commander une vérification indépendante par des experts. Je ne suis pas convaincu au vu du dossier que de tels coûts soient justifiés en l'espèce. Les régimes de protection des brevets sont généralement stables. N'eut été son statut, M. Vrsalovic aurait pu constituer le meilleur choix. Cependant, compte tenu des renseignements versés au dossier au sujet de M. Leiva et de M. Zavala, il n'était pas le seul candidat disponible. Je n'accorde aucun montant à son égard.


[26]            La Canadian Law List de 2002 confirme que Paul Herbert a été admis au barreau en 1974. Il se spécialise dans le droit de la propriété intellectuelle. Dans sa facture datée du 12 mars 1996, le travail d'avocat qu'il a effectué paraît être visé par les articles sur l'indemnité partielle du tarif B. À mon sens, la réclamation de M. Herbert ne constitue pas l'exception permettant de déroger au principe de l'indemnité partielle, c'est-à-dire que son travail n'équivalait pas à une expertise juridique allant au-delà des normes professionnelles auxquelles sont soumis les avocats canadiens admis par les barreaux canadiens à pratiquer le droit au Canada, comme l'a fait ressortir la décision Ferguson c. Arctic Transportation Ltd. et al., précitée. La question de savoir si l'avocat des demanderesses inscrit au dossier possédait les compétences particulières de M. Herbert dans les litiges en matière de propriété intellectuelle est sans importance. Le dossier ne justifie pas le recouvrement des coûts liés au temps consacré par cet avocat additionnel au-delà des limites ordinaires de l'indemnité partielle que prescrit le tarif B et au-delà du montant des honoraires d'avocats dont il a été convenu par règlement. Aucun montant n'est autorisé pour M. Herbert.

[27]            Je reconnais les difficultés liées à la justification de la pertinence de chaque photocopie. L'avocat de la défenderesse, il faut le souligner, a fait preuve de sens pratique lorsqu'il a reconnu ce fait comme une réalité du procès. J'ai estimé que les frais de photocopie, pour lesquels on réclame 46 749,50 $, cadrent avec les considérations relatives au seuil du fardeau de preuve sur lesquelles je m'étais penché dans les décisions Carlile c. La Reine, 97 D.T.C. 5284, et Section locale 4004, Division du transport aérien du Syndicat canadien de la fonction publique c. Air Canada (no du greffe T-323-98, le 25 mars 1999). Je souscris au principe (relatif aux honoraires des avocats) qu'a exposé le lord juge Russell dans Re Eastwood (deceased) (1974) 3 All E.R. 603, à la p. 608, sur la démarche concrète à adopter en matière de dépens :

[Traduction] [...]À notre avis, il y a beaucoup à dire en faveur du système relativement simple de l'application directe de cette approche à la taxation du mémoire d'un avocat indépendant dans une affaire comme celle-ci, et la chose semble avoir fonctionné pendant de nombreuses années, sans que l'on croie que cela donne lieu à une injustice flagrante en matière de taxation, la justice étant de toute façon rendue, en pareil cas, d'une façon sommaire, en ce sens que de nombreuses approximations sensées sont faites [...]

                                                                                                                                      [Je souligne]


et j'autorise le montant de 31 000 $. Ce montant réduit au titre des photocopies tient compte des copies effectuées pour le client et des ordonnances muettes sur la question des dépens. La définition d' « officier taxateur » contenue à la règle 2 et la composition de la Cour, dont fait état l'article 5 de la Loi sur la Cour fédérale, m'empêchent d'exercer la compétence que me confère le paragraphe 400(1) des Règles. En application du paragraphe 400(1), la Cour doit visiblement exercer son pouvoir discrétionnaire en matière de dépens. La Cour ne l'a pas fait dans le cadre de treize ordonnances interlocutoires qui sont demeurées muettes sur la question des dépens, et je n'ai nullement compétence pour modifier ces décisions en autorisant des frais y afférents. J'ai l'habitude d'autoriser les frais de reliure, car ils portent sur un service ponctuel attribuable à un litige particulier et qui facilite sans doute le traitement efficace des dossiers. Cependant, les frais afférents aux documents personnels destinés au client ne peuvent faire l'objet d'une indemnité. J'autorise en conséquence un montant réduit, que je fixe à 4 650 $.


[28]            Le dossier révèle un mémoire de frais pour des honoraires sur lequel la mention d'un règlement a été apposée et comprend une déclaration selon laquelle [TRADUCTION] « Le mémoire de frais pour les honoraires dans le présent dossier a fait l'objet d'un règlement » . On n'y trouve aucun article plus élevé que l'article 24 dans la liste des services fournis par les avocats prévus au tarif B. En plus de l'article 26 (taxation des frais), les demanderesses auraient pu réclamer une indemnité sur le fondement de l'article 25 (services rendus après le jugement) ou de l'article 27 (services non prévus au tarif). Leur omission peut être accidentelle ou délibérée. La pratique courante en matière de mémoires de frais veut qu'on ne précise pas le montant réclamé au titre de la taxation des dépens au motif que, contrairement aux autres articles relatifs aux honoraires des avocats, la taxation des dépens concerne une indemnité versée pour un événement futur qu'on ne peut raisonnablement évaluer jusqu'à ce qu'apparaissent les difficultés particulières à la taxation. En l'espèce, je crois qu'un processus long et difficile de règlement des honoraires a donné lieu à l'omission de l'article 26 et d'autres articles. Je ne m'immiscerai pas dans les modalités du règlement, ni dans la directive donnée par la Cour, qui avait fixé les honoraires à 45 225 $.

[29]            Les montants que j'ai accordés pour les articles assujettis à la TPS incluent la dite TPS. Le mémoire de frais des demanderesses uniquement pour les débours, établi à 426 226,35 $, est taxé et accepté au montant de 181 977,87 $.

« Charles E. Stinson »

        Officier taxateur

  

FAIT À Vancouver (Colombie-Britannique), le 29 novembre 2002.

Traduction certifiée conforme

Thanh-Tram Dang, B.C.L., LL.B.

   

                          COUR FÉDÉRALE DU CANADA

                     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

                       AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

    

DOSSIER :                                   T-35-96

INTITULÉ :                                 BAYER AG et al. c. APOTEX INC. et al.

                                                         

LIEU DE L'AUDIENCE :                   Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :                 Le 1er mai 2002

TAXATION DES DÉPENS - MOTIFS :      Charles E. Stinson

DATE DES MOTIFS :                        Le 29 novembre 2002

   

COMPARUTIONS :

Neil Belmore                                  pour les demanderesses

Andrew Brodkin                           pour la défenderesse Apotex Inc.

Jerry Topulski

  

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Gowling Lafleur Henderson LLP            pour les demanderesses

Toronto (Ontario)

Goodmans LLP                              pour la défenderesse Apotex Inc.

Toronto (Ontario)

Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada                     pour le défendeur le ministre de la Santé nationale et du Bien-être social

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