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Date : 20040625

Dossier : T-64-02

Référence : 2004 CF 915

Ottawa (Ontario), le 25 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE BLAIS

ENTRE :

                                            SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                             UNITED STATES POSTAL SERVICE

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                La présente requête vise à obtenir les mesures suivantes :

1.          Une ordonnance accordant à la demanderesse l'autorisation de déposer et de signifier un avis de demande modifié de nouveau correspondant au projet d'avis de demande modifié de nouveau joint aux présentes à titre d'annexe A dans les sept jours du prononcé de l'ordonnance de la Cour;

2.          Une ordonnance accordant à la demanderesse l'autorisation de déposer des affidavits supplémentaires à l'appui des nouvelles allégations articulées dans l'avis de demande modifié de nouveau;

3.          Pour le cas où la demanderesse obtiendrait les réparations réclamées aux paragraphes (1) et (2), une ordonnance de mise au rôle portant sur les étapes qu'il reste à franchir en ce qui concerne la demande, le tout conformément au projet d'ordonnance de mise au rôle qui sera soumis, avec l'accord des parties, dans les dix jours du prononcé de l'ordonnance de la Cour ou, à défaut d'accord des parties, selon les modalités fixées par la Cour;


4.          Pour le cas où la demanderesse n'obtiendrait pas les réparations réclamées aux paragraphes (1) et (2), une ordonnance prorogeant de 30 jours après la date du prononcé de l'ordonnance de la Cour le délai imparti à la demanderesse pour déposer et signifier son dossier dans la présente instance;

5.          La somme de 1 500 $ à titre de dépens de la présente requête, payables sur-le-champ;

6.          Toute autre réparation que l'avocat peut réclamer et que la Cour peut juger bon d'accorder.

[2]                La demanderesse a admis devant la Cour que, si elles sont acceptées, les modifications qu'elle propose auront pour effet de soulever une nouvelle question devant la Cour. Elle s'empresse toutefois d'ajouter que cette mesure est nécessaire, vu la situation particulière que suscite une marque officielle.

[3]                En fait, la nouvelle question est précisée au paragraphe 4 du projet d'avis de demande modifié de nouveau : [TRADUCTION] « En ce qui concerne certaines des présumées marques officielles ci-après énumérées, la demande de publication du défendeur et l'acceptation des présumées marques officielles sont contraires à l'ordre public, parce que les marques officielles en question étaient et sont identiques, ou essentiellement identiques, aux appellations couramment utilisées à titre de termes génériques par d'autres services postaux pour désigner divers produits et services postaux, dont certains font partie de la documentation de l'Union postale universelle (UPU), un organisme qui regroupe diverses administrations postales, ainsi qu'il est précisé ci-après [...] » [Non souligné dans l'original.]

[4]                À mon avis, la demanderesse était au courant de ces faits lorsqu'elle a déposé son avis de demande, ainsi que l'a reconnu l'avocat de la demanderesse, et ainsi qu'il a été admis dans les diverses pièces versées au dossier, dont l'affidavit souscrit par M. Dennis Jarvis le 7 janvier 2003.

[5]                Je conclus sans hésiter que la demanderesse a fait preuve d'une certaine négligence en ne soulevant pas cette question au moment du dépôt de son avis de demande, le 11 janvier 2002.

[6]                L'avocat de la demanderesse a reconnu qu'il n'y avait pas de véritable élément de preuve expliquant pourquoi il avait fallu deux ans et demi pour soumettre cette modification.

[7]                Il est par ailleurs de jurisprudence constante que « les demandes de contrôle judiciaire sont des procédures sommaires dont la décision ne devrait pas souffrir de retard injustifié. Par conséquent, le pouvoir discrétionnaire de la Cour de permettre le dépôt de documents additionnels devrait être exercé avec une grande circonspection » (Mazhero c. Conseil canadien des relations industrielles et autre, (2002), 292 N.R. 187 (CAF), au paragraphe 5 [Non souligné dans l'original]).


[8]                La demanderesse a également demandé à la Cour, au cas où elle serait autorisée à modifier l'avis de demande, d'être également autorisée à déposer de nouveaux affidavits. Sur ce point bien précis, la Cour d'appel fédérale a déjà expliqué que le dépôt de nouveaux documents doit être abordé d'une manière très restrictive :

. . . Exceptionnellement, la règle 312 prévoit qu'une partie peut, avec l'autorisation de la Cour, déposer des affidavits complémentaires. Aux termes de cette règle, la Cour peut autoriser le dépôt d'affidavits complémentaires lorsque les conditions suivantes sont réunies :

i)               Les éléments de preuve vont dans le sens des intérêts de la justice;

ii)            Les éléments de preuve aideront la Cour;

iii)           Les éléments de preuve ne causeront pas de préjudice grave à la partie adverse (voir Eli Lilly and Co. v. Apotex Inc. (1997), 76 C.P.R. (3d) 15 (C.F. 1re inst.); Robert Mondavi Winery c. Spagnol's Wine & Beer Making Supplies Ltd. (2001), 10 C.P.R. (4th) 331 (1re inst.).

[9]    De plus, lorsqu'il sollicite l'autorisation de déposer des documents complémentaires, le demandeur doit démontrer que les éléments de preuve qu'il cherche à produire n'étaient pas disponibles avant le contre-interrogatoire relatif aux affidavits de la partie adverse. Une partie ne peut se servir de la règle 312 pour diviser sa cause et elle est tenue de présenter la meilleure preuve le plus tôt possible (voir Salton Appliances (1985) Corp. c. Salton Inc. (2000), 181 F.T.R. 146, 4 C.P.R. (4th) 491 (1re inst.); Inverhuron & District Ratepayers Assn. c. Canada (Ministre de l'Environnement) (2000), 180 F.T.R. 314 (1re inst.)).

[10] . . . [E]n second lieu, il est évident que la défenderesse n'a pas réussi à démontrer que les éléments de preuve qu'elle veut présenter n'étaient pas disponibles auparavant.

Lapointe Rosenstein c. Atlantic Engraving Ltd., dossier A-682-01 (C.A.F.), 16 décembre 2002.

[9]                Je répondrais à cet aspect bien précis en disant que, bien sûr, si la modification à l'avis de requête soulève une nouvelle question, certains éléments doivent être présentés à l'appui de ce nouveau moyen. Il faut distinguer la présente espèce de l'affaire Lapointe Rosenstein, précitée, puisque, dans le cas qui nous occupe, il n'a pas été possible pour la demanderesse de soumettre de tels éléments parce que la question ne faisait pas encore partie de l'avis de demande.

[10]            Voici, à ce propos, ce qu'on trouve dans l'arrêt Ordre des architectes de l'Ontario c. Association of Architectural Technologists of Ontario, [2003] 1 C.F. 331, 19 C.P.R. (4th) 417, infirmant [2001] 1 C.F. 577, 9 C.P.R. (4th) 496 (C.A.F.) à la page 430 [au paragraphe 34 C.F.] :

[...] De plus, le registraire ne peut refuser de donner avis public d'adoption et emploi d'une marque comme marque officielle pour des marchandises ou services pour le motif qu'elle est simplement descriptive, qu'elle ne permet pas de distinguer les marchandises ou services de l'autorité publique ou qu'elle est susceptible d'être confondue avec la marque d'un tiers. De fait, le registraire n'a virtuellement pas le pouvoir discrétionnaire de refuser de donner avis public d'adoption et emploi d'une marque comme marque officielle, une fois que l'auteur de la demande établit qu'il a satisfait aux critères de la loi : Mihaljevic c. British Columbia (1988), 22 F.T.R. 59, aux pp. 88 et 89, conf. par (1990), 34 C.P.R. (3d) 54 (C.A.F.).

[11]            C'est probablement la décision qui pourrait me persuader, en fin de compte, d'autoriser la modification demandée.

[12]            En fait, le juge Muldoon a déclaré ce qui suit dans cette affaire :

Il est possible de différer d'opinion avec le juge Cattanach quant au pouvoir de contrôle du registraire, ne serait-ce qu'à l'égard de la vérification de l'authenticité de l'autorité publique putative qui demande au registraire de publier des avis. Une fois encore, en supposant que l'on procède à la vérification de l'authenticité, il faut alors songer à l'impensable. Une telle proposition est sans doute impensable, mais si le gouvernement de la Colombie-Britannique cherchait à faire déposer une marque officielle laissant faussement croire que des produits de la mer pêchés sur la côte ouest ont été transformés et emballés à Terre-Neuve, le registraire n'aurait d'autre choix que de refuser la demande pour des motifs d'intérêt public. Par ailleurs, si, de par sa composition, une marque officielle avait pour effet d'exprimer une obscénité dans l'autre langue officielle, le registraire serait contraint de refuser d'en donner avis. Dans tout cas de ce genre, l'autorité publique sollicitant la publication d'un tel avis pourrait demander à la Cour de trancher le litige. L'indépendance de la magistrature canadienne est telle que même la Couronne (dans un rôle institutionnel, à tout le moins) participe au litige devant ses tribunaux.

[...]


La marque « 86 » illustrée par un dessin stylisé, sous forme de feuille de trèfle inclinée ou de bretzel, ou encore utilisée avec le mot « Expo » , a un caractère tout aussi distinctif, elle avait un tel caractère antérieurement et est donc inattaquable; toutefois, la marque 86 exprimée sous forme de simples chiffres n'est pas enregistrable et devrait être radiée. Même si la simple marque « 86 » était annoncée comme une marque officielle, il serait contraire à l'ordre public d'accorder, même à la Souveraine et au gouvernement, un monopole sur le simple nombre « 86 » , qui désigne une année de l'histoire du monde que les humains n'ont d'autre choix que de vivre ou de subir. Un trop grand nombre de sociétés, de modèles d'automobiles et d'autres machines ou services en tous genres ne manqueront pas d'avoir besoin du nombre « 86 » dans leur désignation et leur publicité, pour que l'on permette que celui-ci fasse l'objet, par le biais d'une marque de commerce, d'un monopole le rendant inaccessible. Il est nécessaire, pour des raisons d'ordre public, que le nombre « 86 » puisse être utilisé librement par tous, sous forme de chiffres, sans qu'il soit nécessaire d'utiliser les mots « eighty-six » ou « quatre-vingt-six » . Déposer la marque « 86 » équivaudrait à créer un monopole en déposant les articles définis « the » ou « le » ou « la » ou encore le chiffre « 1 » ou quelque autre chiffre arabe ou romain. Les chiffres et expressions numériques décrivant les années qui s'écoulent appartiennent à tous. Comme tous les autres chiffres, dont « 86 » , appartiennent au public, il est d'ordre public qu'ils soient accessibles. Étant donné que cette marque n'a jamais été enregistrable, elle ne l'était manifestement pas à la date de son dépôt, ainsi que le prévoit l'alinéa 18(1)a) de la Loi. La marque de commerce « 86 » , déposée sous le numéro 307 702 doit être radiée.

[13]            J'ai déjà signalé à la demanderesse que j'estimais qu'elle avait fait preuve d'une certaine négligence en ne soulevant pas cette question dès le début. Il n'en demeure pas moins que la demanderesse m'a convaincu de l'importance de soulever la question de l'ordre public compte tenu de la jurisprudence précitée et de la nécessité de soulever cette question devant le juge de première instance.

[14]            En revanche, je dois également me demander si le défendeur subirait un préjudice si la demande était accueillie.


[15]            Il semble que le seul préjudice que subirait le défendeur est une condamnation aux dépens. De toute évidence, si j'autorise le dépôt de l'avis de demande modifié de nouveau, certains documents, dont des affidavits, seront déposés et il faudra procéder à un contre-interrogatoire sur ces affidavits. Même s'il ne s'agit pas d'une réouverture du dossier, cette mesure entraîne des frais pour les deux parties et suppose certains délais avant qu'elles soient en mesure de présenter une demande d'audience.

[16]            Dans ses observations écrites, le défendeur explique que si la demanderesse obtient l'autorisation de déposer des affidavits supplémentaires, il devrait être autorisé à déposer d'autres affidavits en réponse aux affidavits supplémentaires de la demanderesse et à contre-interroger les auteurs de ces affidavits.

[17]            Bien sûr, par souci d'équité, je vais permettre aux deux parties de déposer de nouveaux affidavits et de procéder à un contre-interrogatoire.

[18]            En ce qui concerne les dépens, je vais également tenir compte du paragraphe 34 des observations écrites du défendeur pour déterminer le montant de dépens qui pourrait être adjugé en l'espèce, ce qui comprendra aussi les frais supplémentaires à supporter par le défendeur.

[19]            Le défendeur a également suggéré - et les deux parties ont, à mon avis, accepté cette suggestion - qu'un projet d'ordonnance de mise au rôle portant sur les étapes qu'il reste à franchir dans la présente demande soit soumis à la Cour, sur accord des parties, dans les dix jours du prononcé de l'ordonnance de la Cour ou, à défaut d'accord des parties, selon les modalités fixées par la Cour.


                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE donc ce qui suit :

1.          La requête est accueillie;

2.          La demanderesse est autorisée à déposer et à signifier l'avis de demande modifié de nouveau correspondant au projet d'avis de demande modifié de nouveau joint aux présentes à titre d'annexe A dans les sept jours du prononcé de l'ordonnance de la Cour;

3.          La demanderesse est autorisée à déposer des affidavits supplémentaires à l'appui des nouvelles allégations articulées dans l'avis de demande modifié de nouveau;

4.          Le défendeur est autorisé à déposer d'autres affidavits en réponse aux affidavits supplémentaires de la demanderesse;

5.          Les deux parties sont autorisées à contre-interroger les auteurs de ces affidavits;


6.          La demanderesse devra soumettre un projet d'ordonnance de mise au rôle portant sur les étapes qu'il reste à franchir en ce qui concerne la demande, sur accord des parties, dans les dix jours du prononcé de l'ordonnance de la Cour ou, à défaut d'accord des parties, selon les modalités fixées par la Cour sur requête présentée au juge de service;

7.          Le défendeur aura droit, s'il y a lieu, aux dépens afférents à la préparation et au dépôt de ses affidavits supplémentaires et à la préparation de leur auteur en vue de leur comparution et de leur contre-interrogatoire. La Cour fixe ces dépens à la somme de 2 000 $, payables sur-le-champ;

8.          Le défendeur a également droit aux autres frais et débours raisonnables et connexes que l'officier taxateur devra taxer conformément à l'article 405 des Règles de la Cour fédérale (1998);

9.          Le défendeur a également droit aux dépens de la présente requête, qui sont fixés à 2 000 $, payables sur-le-champ.

                                                                                                                                     « Pierre Blais »                

                                                                                                                                                     Juge                        

Traduction certifiée conforme

Suzanne M. Gauthier, trad. a., LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        T-64-02

INTITULÉ :

                                            SOCIÉTÉ CANADIENNE DES POSTES

                                                                                                                                    demanderesse

                                                                             et

                                             UNITED STATES POSTAL SERVICE

                                                                                                                                           défendeur

LIEU DE L'AUDIENCE :                VIA VIDÉO CONFÉRENCE À OTTAWA

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 24 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                      M. LE JUGE BLAIS

DATE DES MOTIFS :                     LE 25 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

A. David Morrow                                                                      pour la demanderesse

Jeremy E. Want

Anthony Prenol                                                                          pour le défendeur

Antonio Turco

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Smart & Biggar                                                                         pour la demanderesse

55, rue Metcalfe, bureau 900

C.P. 2999, succursale D

Ottawa (Ontario)

K1P 5Y6

Blake, Cassels & Graydon srl                                                    pour le défendeur

Box 25, Commerce Court West

Toronto (Ontario)

M5L 1A9


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