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Date : 20201211


Dossier : IMM‑614‑20

Référence : 2020 CF 1147

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 12 décembre 2020

En présence de monsieur le juge Martineau

ENTRE :

RUZIBUKIRA CLAUDE MUGANIZI

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

[1]  Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision rendue par la Section d’appel des réfugiés [la SAR] de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié qui a confirmé la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] selon laquelle il n’est ni réfugié au sens de la Convention ni personne à protéger au sens des articles 96 et 97 de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], respectivement.

Contexte

[2]  Le demandeur, d’origine tutsie congolaise, est né en République démocratique du Congo [la RDC] en 1972 et a obtenu la citoyenneté rwandaise en 1998. En avril 2012, la rébellion du mouvement M23, soutenue par le Rwanda, a débuté en RDC. En 2012 et 2013, les combattants du M23 ont commis des crimes de guerre généralisés dans l’est du Congo.

[3]  Le demandeur allègue que le 17 janvier 2013, et à nouveau quelques jours plus tard, deux membres du M23 se sont présentés à son domicile à Kigali, au Rwanda, pour le recruter. Le demandeur a refusé de se joindre au groupe. Par la suite, la maison du demandeur a fait l’objet d’une introduction par effraction et il a reçu un appel téléphonique lui demandant s’il avait changé d’idée au sujet de son recrutement au sein du M23. Le demandeur a dit qu’il craignait de s’adresser à la police parce qu’il croyait que le gouvernement rwandais soutenait le M23. Le demandeur s’est caché et l’ami qui avait donné son nom au M23 en tant que recrue potentielle a communiqué avec lui. Il a affirmé au demandeur que la vie de ce dernier était en danger et il l’a aidé à fuir le Rwanda. Le demandeur a quitté le Rwanda le 27 janvier 2013 et s’est rendu aux États‑Unis, où il a présenté une demande d’asile; sa demande a été rejetée. Le 14 mars 2017, le demandeur a demandé l’asile au Canada.

[4]  Le 24 mai 2018, la SPR a rejeté la demande d’asile. La SPR a estimé que le demandeur avait fait de fausses déclarations dans sa demande d’asile aux États‑Unis et que sa crédibilité en avait été négativement affectée. Cependant, la SPR lui a tout de même accordé le bénéfice du doute et a accepté le reste de sa preuve. Quoi qu’il en soit, la SPR a conclu que le demandeur n’avait pas établi qu’advenant son retour au Rwanda, il existerait une possibilité sérieuse qu’il soit persécuté ou qu’il soit soumis à la torture, qu’il perde la vie ou qu’il subisse des peines cruelles et inusitées. En particulier, la SPR a conclu que le M23 avait été défait et désarmé en 2013 et que la preuve dont elle disposait n’établissait pas que ce groupe continuait d’exister. Elle a également conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle le gouvernement rwandais était impliqué dans le recrutement de membres du M23 était purement hypothétique.

[5]  Le demandeur a interjeté appel auprès de la SAR. Cet appel a été rejeté le 13 novembre 2019 (avec motifs déposés le 10 janvier 2020), ce qui a mené à la présente demande de contrôle judiciaire.

Norme de contrôle

[6]  La question déterminante dans l’appel était de savoir si la SPR avait commis une erreur en concluant que le demandeur n’avait pas une crainte raisonnable de persécution ou ne serait pas exposé à une menace à sa vie s’il retournait au Rwanda. La SAR a conclu que le rejet par la SPR de la demande d’asile du demandeur était fondé parce que le demandeur n’avait pas démontré que le M23 existait toujours ou qu’il y avait un risque de persécution de la part du gouvernement rwandais en raison de ses opinions politiques (imputées), fondées sur son refus d’être recruté par le M23 en janvier 2013, ou de ses demandes d’asile aux États‑Unis et au Canada.

[7]  La norme de la décision raisonnable s’applique au contrôle de la décision de la SAR de rejeter l’appel. Comme l’a souligné la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov]), le nouveau cadre d’analyse révisé « repose sur la présomption voulant que la norme de la décision raisonnable soit la norme applicable chaque fois qu’une cour contrôle une décision administrative » (au para 16), sauf lorsque l’intention du législateur ou la primauté du droit indique le contraire (au para 23). En l’espèce, aucun facteur n’indique que la norme de la décision raisonnable ne devrait pas s’appliquer. La cour de révision « doit donc se demander si la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité, et si la décision est justifiée au regard des contraintes factuelles et juridiques pertinentes qui ont une incidence sur celle‑ci » (Vavilov au para 99).

[8]  Cela dit, la norme de la décision correcte s’applique toujours aux questions d’équité procédurale (Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 au para 43; Établissement de Mission c Khela, 2014 CSC 24 au para 79).

Analyse

[9]  La présente demande de contrôle judiciaire doit être rejetée, puisque la Cour conclut qu’aucune erreur susceptible de contrôle n’a été commise par la SAR et que la décision contestée est raisonnable. En l’espèce, il ne s’agit pas d’un appel. La question n’est pas de savoir si notre Cour aurait tiré la même conclusion. Dans la présente affaire, les motifs énoncés par la SAR sont transparents et intelligibles et fournissent une justification rationnelle appuyée par la preuve documentaire. De plus, il n’y a eu aucun manquement à l’équité procédurale.

A.  Nouveaux éléments de preuve

[10]  Le demandeur a présenté deux documents à la SAR à titre de nouveaux éléments de preuve : 1) un rapport de mars 2017 de la Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en RDC; et 2) un article du site Web du Poste de commandement daté du 20 juin 2019. La SAR a refusé d’admettre les deux documents. Devant notre Cour, le demandeur ne conteste que le refus de la SAR d’admettre le deuxième document.

[11]  Le demandeur souligne que la SAR a refusé d’admettre l’article du Poste de commandement parce que sa présentation ne satisfaisait pas aux exigences formelles de l’article 29 des Règles de la Section d’appel des réfugiés, DORS/2012‑257 [les Règles de la SAR], et du paragraphe 110(4) de la LIPR et parce que les renseignements n’étaient pas fiables. Le demandeur fait valoir que la lettre d’accompagnement soumise par son conseil le 2 octobre 2019 satisfaisait aux exigences essentielles des Règles et de la Loi, en demandant l’admission en preuve et en expliquant la pertinence du document. Comme l’article n’avait été publié qu’en juin 2019, la raison pour laquelle il n’avait pas pu être soumis plus tôt était claire. Toute question concernant la fiabilité et le poids relatif aurait dû être abordée une fois le document admis comme nouvel élément de preuve.

[12]  Le défendeur répond que le demandeur n’a pas demandé à la SAR la permission de déposer le document en retard, qu’il n’en a pas expliqué clairement la pertinence et qu’il n’a pas fourni de renseignements sur la source de l’article. Après tout, c’est au demandeur qu’il incombe de convaincre la SAR que l’article devrait être admis comme nouvel élément de preuve. De fait, le défendeur soutient que le conseil du demandeur a admis, dans ses observations écrites supplémentaires adressées à la SAR le 4 novembre 2019, que la fiabilité et la valeur probante de l’information contenue dans l’article du site Web du Poste de commandement soulevaient des problèmes. Le défendeur soutient également que l’article ne faisait que répéter des faits déjà examinés par la SPR.

[13]  Les paragraphes 29(2) et (3) des Règles de la SAR portent qu’un appelant qui veut utiliser un document n’ayant pas été transmis au préalable doit présenter sans délai une demande écrite contenant une explication des raisons pour lesquelles le document est conforme à l’exigence du paragraphe 110(4) de la LIPR – à savoir qu’on ne pouvait raisonnablement pas s’attendre à ce que le demandeur présente le document avant le rejet de la demande d’asile. Le paragraphe 29(4) des Règles de la SAR énonce trois éléments pertinents : 1) la pertinence et la valeur probante du document; 2) toute nouvelle preuve que le document apporte à l’appel; 3) la question de savoir si la personne en cause aurait pu, en faisant des efforts raisonnables, transmettre le document avec le dossier de l’appelant ou le dossier de réplique.

[14]  En l’espèce, même si la lettre soumise par le conseil du demandeur n’était pas une demande officielle, elle exprimait le désir de soumettre l’article du Poste de commandement et elle indiquait que cet article portait sur la question de savoir si le groupe M23 était toujours actif. La lettre était sous forme écrite et elle a été soumise en temps opportun. L’article a été publié en juin 2019 et n’aurait manifestement pas pu être déposé avant le rejet par la SPR de la demande d’asile du demandeur en mai 2018. Les vices procéduraux de la demande ne devraient pas, en soi, être fatals.

[15]  Quoi qu’il en soit, il est évident que la SAR, avant d’exercer son pouvoir discrétionnaire, a tenu compte de tous les éléments pertinents mentionnés au paragraphe 110(4) de la LIPR et aux paragraphes 29(3) et (4) des Règles de la SAR. Je ne vois aucune erreur susceptible de contrôle dans les motifs de la Commission à cet égard (voir les para 6 à 15). Au passage, je note que l’article du Poste de commandement ne concerne que le recrutement d’anciens membres du M23 par le gouvernement rwandais et ne fournit pas de preuve claire que le M23 continue d’exister ou a été en activité récemment, notamment en 2018 et 2019. Par conséquent, la Cour conclut que le rejet du document en question par la SAR était raisonnable.

B.  Équité procédurale

[16]  Dans sa décision, la SAR a affirmé que l’explication du demandeur concernant l’incident inventé inclus dans sa demande d’asile aux États‑Unis – à savoir que l’incident allégué aurait pu lui arriver, mais que cela n’a pas été le cas – n’était pas acceptable et avait miné la crédibilité du demandeur devant la SPR (para 26 des motifs de la SAR). Le demandeur soutient que cette déclaration démontre que la question de sa crédibilité a été réexaminée par la SAR. Comme le demandeur n’a pas été informé que la crédibilité serait en cause dans l’appel, il soutient que cela équivalait pour la SAR à soulever une nouvelle question litigieuse sans l’en informer (Isapourkhoramdehi c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 819 [Isapourkhoramdehi]). Par conséquent, il y a eu manquement à l’équité procédurale.

[17]  Le défendeur réplique que la SAR n’a pas soulevé une nouvelle question relative à la crédibilité et qu’elle a seulement répété la conclusion de la SPR concernant l’effet défavorable sur la crédibilité du demandeur entraîné par la divergence dans sa demande d’asile aux États‑Unis. Le défendeur soutient également que la crédibilité n’était pas déterminante dans la décision de la SAR. En effet, au sujet de la situation concernant le M23 (para 21 à 27), au paragraphe qui suit le commentaire sur la crédibilité (para 26), la SAR a conclu que la SPR n’avait commis aucune erreur et que, compte tenu de l’ensemble de la preuve, le demandeur n’avait pas démontré qu’il craignait avec raison d’être persécuté ou que sa vie serait menacée à cause du mouvement M23.

[18]  Je suis d’accord avec le défendeur. Il est vrai que, dans la décision Isapourkhoramdehi, notre Cour a conclu que le fait que la SAR avait soulevé de nouveaux motifs de remise en question de la crédibilité de l’appelant équivalait au fait pour la SAR de soulever une nouvelle question sans préavis. Toutefois, en l’espèce, la SAR n’a pas soulevé de nouveaux motifs de remise en question de la crédibilité du demandeur; elle a simplement réitéré la conclusion de la SPR selon laquelle la demande aux États‑Unis était malhonnête, ainsi que l’effet négatif que cela avait eu sur sa crédibilité. De plus, la question de la crédibilité n’était pas déterminante dans cet appel. Objectivement, la SAR a confirmé la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’est ni un réfugié au sens de la Convention ni une personne à protéger, au motif que le mouvement rebelle M23 n’existe plus et que le demandeur n’a pas établi de faits pouvant étayer une crainte qu’il soit persécuté par le gouvernement rwandais.

[19]  Par conséquent, la Cour conclut que la SAR n’a pas manqué à son obligation d’équité procédurale.

C.  Caractère raisonnable

[20]  Le demandeur soutient que la décision de la SAR de confirmer la conclusion de la SPR selon laquelle le demandeur n’avait pas une crainte de persécution future était déraisonnable pour deux raisons : 1) la SAR n’a pas tenu compte de la preuve concernant l’existence continue du M23; et 2) la SAR a exigé à tort que le demandeur démontre que les autorités rwandaises avaient connaissance de son opposition politique.

(1)  La SAR a‑t‑elle omis de tenir compte d’éléments de preuve relatifs au mouvement M23?

[21]  La preuve dont la SAR a fait abstraction, au dire du demandeur, comprend notamment : 1) la Réponse à la demande d’information COD104769.E, publiée en février 2014 [le document de 2014]; et 2) le rapport de Human Rights Watch intitulé « Mission spéciale : Recrutement de rebelles du M23 pour réprimer les manifestations en République démocratique du Congo », publié en décembre 2017 [le document de 2017]. Le premier document précise que, selon des [traduction] « rapports crédibles », le M23 a poursuivi son recrutement après sa défaite militaire au moins jusqu’en janvier 2014. Le deuxième document précise que les forces de sécurité congolaises ont recruté d’anciens combattants du M23 au Rwanda et en Ouganda en décembre 2016 et entre mai et juillet 2017.

[22]  Le demandeur admet d’emblée que des éléments de preuve au dossier appuient la conclusion tirée en premier lieu par la SPR selon laquelle le M23 a été défait en novembre 2013 et un cessez‑le‑feu a été conclu. Néanmoins, le demandeur fait valoir que les documents de 2014 et 2017 démontrent que le M23 était toujours en activité après sa défaite militaire de 2013. Le demandeur soutient en outre que la SAR a conclu que ces documents n’étaient pas pertinents au motif que le demandeur confondait les activités menées par le M23 pendant le conflit et par la suite. Après la fin du conflit, l‘orientation du M23 a changé, passant du statut de mouvement rebelle au statut d’une force employée par le gouvernement de la RDC pour réprimer les manifestations contre le président Kabila. Le demandeur affirme que ce changement d’orientation n’est pas pertinent par rapport à la menace potentielle que représente ce groupe pour lui et que, faute d’explication de cette prétendue pertinence, la décision de la SAR est inintelligible et n’est pas fondée sur la preuve.

[23]  Le défendeur soutient que le M23 est inactif et désarmé depuis 2013. Il soutient en outre que la preuve documentaire traite des activités d’anciens membres du M23 et ne démontre pas le maintien en existence de ce mouvement rebelle. Les motifs énoncés par la SAR sont clairs et intelligibles. Ils fournissent une justification rationnelle. Joseph Kabila n’est plus président de la RDC et il n’y a aucune raison de croire que le nouveau gouvernement de la RDC utiliserait de nouveau les anciens combattants du M23. Rien n’indiquait qu’en 2019 (ou aujourd’hui), le M23 s’emploierait à recruter le demandeur ou le persécuterait s’il retournait au Rwanda.

[24]  Il n’y a aucune raison qui justifie une intervention ou la modification de la conclusion de la SPR et de la SAR concernant le mouvement M23 et la menace que celui‑ci représenterait pour la vie ou la sécurité du demandeur à l’avenir.

[25]  La SPR a pris en considération le document de 2014 et a noté qu’en plus de citer des [traduction] « rapports crédibles » de poursuite du recrutement par le M23, ce document indiquait également que le M23 lui‑même niait les allégations de recrutement (décision de la SPR au para 31). La SPR a également pris en considération le document de 2017 et a conclu qu’il ne démontrait pas que le M23 était toujours en existence et recrutait de nouveaux membres par la force, comme le prétendait le demandeur (décision de la SPR aux para 34 à 36 et 39). Par ailleurs, la SAR a fondé sa conclusion sur son analyse du dossier et a conclu que la preuve documentaire la plus récente (United States Department of State, « Rwanda : Country Report on Human Rights Practices in 2018 » (13 mars 2019), dans Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Cartable national de documentation : Rwanda (31 juillet 2019), onglet 2.1; Conseil de sécurité des Nations Unies, « Mission de l’Organisation des Nations Unies pour la stabilisation en République démocratique du Congo : Rapport du Secrétaire général », S/2019/218 (7 mars 2019), dans Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada, Cartable national de documentation : Congo, République démocratique du (31 juillet 2019), onglet 2.3) n’appuie pas la conclusion selon laquelle le M23 existe et voudrait recruter le demandeur s’il retournait au Rwanda.

[26]  La Cour conclut que la SAR n’a pas fait abstraction des documents de 2014 et de 2017 invoqués par le demandeur. Au mieux, la preuve démontre que le M23 a peut‑être recruté des membres en janvier 2014. Rien n’indique que cela s’est poursuivi depuis. La preuve démontre également que les forces de sécurité de la RDC ont recruté d’anciens combattants du M23 en 2016 et en 2017. Cela ne démontre pas que le M23 continue d’exister ou de recruter activement de nouveaux membres. Le raisonnement de la SAR est transparent et intelligible. Par conséquent, la SAR a confirmé à juste titre les conclusions de la SPR sur cette question.

(2)  La SAR a‑t‑elle appliqué la mauvaise norme à l’allégation d’opposition politique?

[27]  La demande d’asile du demandeur était également fondée sur son allégation que [traduction] « son refus d’être recruté par le M23 constituait une opposition politique imputée au gouvernement rwandais lui‑même ». Bien que la SPR ait rejeté cette prétention au motif qu’il n’y avait pas de relation symbiotique entre le M23 et le gouvernement rwandais, le demandeur soutient que la SAR l’a rejetée parce que le demandeur n’avait pas établi de faits concrets démontrant que le gouvernement rwandais était au courant du refus du demandeur ou de sa déclaration contre le gouvernement rwandais dans ses demandes d’asile (voir les para 28 et 29 de la décision de la SAR). De fait, le demandeur prétend qu’il n’est pas nécessaire qu’un gouvernement soit au courant de l’opposition politique d’un demandeur pour que le statut de réfugié au sens de la Convention soit reconnu (Guide des procédures et critères à appliquer pour déterminer le statut de réfugié au regard de la Convention de 1951 et du Protocole de 1967 relatifs au statut des réfugiés, HCR/1P/4/ENG/REV. 4, HCR (2019) (en anglais seulement), au para 83; James C. Hathaway et Michelle Foster, The Law of Refugee Status, 2e éd. (Cambridge University Press : 2014), à la page 408). Il soutient que la SAR aurait plutôt dû se demander si le gouvernement rwandais pouvait raisonnablement prendre connaissance de ce fait à son retour.

[28]  Le défendeur soutient que c’est au demandeur qu’il incombe de produire une preuve à l’appui de ses prétentions d’une crainte de persécution future à son retour au Rwanda, et qu’il n’a pas produit une telle preuve en l’espèce. De plus, il fait valoir qu’il n’y a aucune preuve crédible et objective démontrant que le gouvernement rwandais prendrait connaissance du refus du demandeur d’être recruté il y a six ans ou que le demandeur serait persécuté pour cela. En ce qui concerne les déclarations faites dans les demandes d’asile, la SAR n’a pas commis d’erreur de droit relativement à la norme de preuve applicable.

[29]  Ce dernier motif de contestation du demandeur quant au caractère raisonnable du rejet de son allégation fondée sur des opinions politiques imputées est rejeté par la Cour.

[30]  La SPR a conclu que l’allégation du demandeur selon laquelle le gouvernement rwandais était à ce point impliqué dans le recrutement de membres du M23 qu’il considérerait un refus d’être recruté comme une opposition politique n’était qu’hypothétique (décision de la SPR au para 40). La SPR a également conclu que les demandes d’asile sont confidentielles et que les renseignements qui y sont contenus ne seraient pas divulgués au gouvernement rwandais (décision de la SPR au para 45). Par ailleurs, la SAR a conclu que le demandeur n’avait pas démontré que les autorités rwandaises « sauraient » qu’il avait refusé d’être recruté (décision de la SAR au para 29). La Cour ne voit pas clairement en quoi cela est incompatible avec la norme ci‑dessus proposée par le demandeur ou avec la jurisprudence.

[31]  Quoi qu’il en soit, le demandeur n’a pas démontré à la satisfaction de la Cour que le résultat aurait été différent. Le demandeur n’a pas présenté de preuve ou d’argument pour montrer que le gouvernement rwandais pourrait raisonnablement prendre connaissance de son refus d’être recruté. Bien qu’il y ait des éléments de preuve selon lesquels le gouvernement rwandais persécute les dissidents politiques, le demandeur n’a pas démontré comment son refus d’être recruté par le M23 pouvait être perçu comme une opposition politique par le gouvernement rwandais, comment le gouvernement rwandais pouvait raisonnablement prendre connaissance de son refus d’être recruté il y a sept ans, comment ses déclarations relatives au soutien du M23 par le gouvernement rwandais pouvaient être perçues comme une opposition politique ou comment le gouvernement rwandais pourrait prendre connaissance du contenu de ses demandes d’asile.

[32]  Par conséquent, la conclusion de la SAR relative à la situation concernant les autorités rwandaises était raisonnable.

Conclusion

[33]  Pour les motifs qui précèdent, la demande est rejetée. Aucune question de portée générale n’a été soulevée par les avocats, et aucune question ne sera certifiée par la Cour.

 


JUGEMENT dans le dossier IMM‑614‑20

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée.

« Luc Martineau »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑614‑20

 

INTITULÉ :

RUZIBUKIRA CLAUDE MUGANIZI c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À MONTRÉAL (QUÉBEC)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 8 DÉCEMBRE 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE MARTINEAU

 

DATE DU JUGEMENT ET DES MOTIFS :

LE 11 DÉCEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Me Pia Zambelli

 

POUR LE DEMANDEUR

Me Anne‑René Touchette

 

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Joseph W. Allen & Associates

Montréal (Québec)

 

POUR LE DEMANDEUR

 

Procureur général du Canada

Montréal (Québec)

 

POUR LE DÉFENDEUR

 

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