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     Date: 20000608

     Dossier: IMM-1517-99

OTTAWA (Ontario), le 8 juin 2000

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE MacKAY

ENTRE :


AURANGZEB KHAN

     demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur


     Une demande de contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 5 mars 1999, que le demandeur n'était pas un réfugié au sens de la Convention ayant été présentée;

     Les avocats du demandeur et du ministre défendeur ayant été entendus le 10 novembre 1999 à Toronto, et la décision ayant alors été reportée;

     Les observations orales et écrites présentées par les parties ayant été examinées;


ORDONNANCE

     IL EST ORDONNÉ que la demande soit accueillie. La décision que la SSR a rendue le 5 mars 1999 est infirmée et la demande que le demandeur a présentée en vue d'obtenir le statut de réfugié au sens de la Convention est renvoyée pour réexamen par une formation différente de la SSR.


                             W. Andrew MacKay

                                     JUGE

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.




     Date: 20000608

     Dossier: IMM-1517-99

ENTRE :


AURANGZEB KHAN

     demandeur


et


LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L'IMMIGRATION

     défendeur



MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE MacKAY

[1]      Le demandeur sollicite le contrôle judiciaire de la décision par laquelle la section du statut de réfugié de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la SSR) a conclu, le 5 mars 1999, qu'il n'était pas un réfugié au sens de la Convention. Le demandeur a été jugé crédible et la SSR a convenu qu'il craignait avec raison d'être persécuté au Cachemire. Toutefois, la SSR ne lui a pas reconnu le statut de réfugié au sens de la Convention parce qu'elle a conclu à l'existence d'une possibilité de refuge intérieur (la PRI) ailleurs au Pakistan. La question dont la Cour est saisie est de savoir si la SSR a commis une erreur en concluant à l'existence d'une PRI.

[2]      Dans le mémoire des faits et du droit qu'il a déposé dans la présente demande de contrôle judiciaire, le demandeur soulève dix questions. Il suffit de trancher trois de ces questions pour régler la demande. Ces trois questions, que je reprendrai en me fondant sur l'énoncé du demandeur, sont les suivantes :

     A.      Étant donné que le Cachemire est un territoire non autonome disputé, la SSR a-t-elle commis une erreur en concluant qu'un résident du Cachemire qui vient de la partie du territoire qui est assujettie au contrôle du Pakistan peut avoir une PRI au Pakistan?
     B.      La SSR a-t-elle commis une erreur en concluant, en l'absence d'une preuve, que le demandeur ne serait pas persécuté par l'armée pakistanaise au Pakistan, alors qu'elle n'a pas mentionné qu'il avait déclaré craindre d'être persécuté par les autorités militaires?
     C.      La SSR a-t-elle tiré une conclusion de fait erronée abusive ou arbitraire ou encore non fondée sur les éléments dont elle disposait en concluant que le demandeur avait un passeport pakistanais et que cela avait pour effet de créer une présomption réfutable, que le demandeur n'a pas réfutée, selon laquelle il était citoyen pakistanais?

Question A : Statut du Cachemire et possibilité de refuge intérieur

[3]      Le Cachemire est un territoire disputé situé entre l'Inde et le Pakistan, divisé par ce que l'on appelle la « ligne de contrôle » . La région située au nord et à l'ouest de la ligne de contrôle est contrôlée par le Pakistan, alors que les deux tiers du territoire, au sud, sont contrôlés par l'Inde. L'examen de la question relative à la PRI en ce qui concerne les personnes qui viennent du Cachemire dépend des circonstances et de la nature de la possibilité de refuge intérieur.

[4]      La Cour d'appel fédérale a examiné les principes qui s'appliquent à la PRI dans l'arrêt Thirunavukkarasu c. MEI1, où le juge Linden a dit ce qui suit :

     Je dois tout de suite signaler que la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays n'est pas une défense légale. Ce n'est pas non plus une théorie juridique. C'est simplement une expression commode et concise qui désigne une situation de fait dans laquelle une personne risque d'être persécutée dans une partie d'un pays mais pas dans une autre partie du même pays. Le concept de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays est « inhérent » à la définition de réfugié au sens de la Convention (voir les motifs du juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam, ([1992] 1 C.F. 706), précité, à la page 710); il ne lui est pas du tout distinct. Selon cette définition, les demandeurs du statut doivent craindre avec raison d'être persécutés et, du fait de cette crainte, ils ne peuvent ou ne veulent retourner dans leur pays d'origine. S'il leur est possible de chercher refuge dans leur propre pays, il n'y a aucune raison de conclure qu'ils ne peuvent ou ne veulent pas se réclamer de la protection de ce pays. Comme l'a dit le juge Mahoney dans l'arrêt Rasaratnam, précité, à la page 710:
         ... la Commission doit être convaincue selon la prépondérance des probabilités que le demandeur ne risque pas sérieusement d'être persécuté dans la partie du pays où, selon elle, il existe une possibilité de refuge.
     Le juge Mahoney a poursuivi en ces termes, à la page 710:
         ... puisque, par définition, le réfugié au sens de la Convention doit être un réfugié d'un pays, et non d'une certaine partie ou région d'un pays, le demandeur ne peut être un réfugié au sens de la Convention s'il existe une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Il s'ensuit que la décision portant sur l'existence ou non d'une telle possibilité fait partie intégrante de la décision portant sur le statut de réfugié au sens de la Convention du demandeur. Je ne vois aucune raison de déroger aux normes établies par les lois et la jurisprudence et de traiter de la question de la possibilité de refuge dans une autre partie du même pays comme s'il s'agissait d'un refus d'accorder ou de maintenir le statut de réfugié au sens de la Convention.
     [Je souligne.]

La partie du Cachemire, appelée le Cachemire Azad, dans laquelle le demandeur craint d'être persécuté est contrôlée par le Pakistan. La SSR a tiré les conclusions suivantes au sujet de la question du contrôle de cette partie du Cachemire :

     [TRADUCTION]
     Le statut constitutionnel du Cachemire Azad est qualifié d'anormal. Il ne s'agit « ni d'un État souverain ni d'une province du Pakistan, mais plutôt d'une autorité locale responsable de la région qui lui a été assignée en vertu de l'accord de cessez-le-feu de 1951 » . Cette région possède son propre gouvernement, que le Pakistan considère comme indépendant, bien qu'il soit protégé sur le plan financier et lié au Pakistan sur le plan administratif. Il y a deux organes exécutifs; le gouvernement du Cachemire Azad à Muzaffarabad, la capitale du Cachemire Azad, et le conseil du Cachemire Azad, à Islamabad. Certaines régions importantes sont du ressort du Pakistan, qui affecte des représentants pakistanais à tous les postes importants de l'administration civile et policière pour une période de trois ans.2

[5]      Le Cachemire Azad est peut-être semi-autonome, mais la SSR a conclu qu'il ne s'agit pas d'un État souverain. Même si le demandeur affirme être citoyen du Cachemire, la SSR a conclu qu'il est citoyen pakistanais, en se fondant sur la présumée conclusion erronée selon laquelle le demandeur avait un passeport pakistanais, conclusion sur laquelle nous reviendrons ci-dessous. Dans son FRP, le demandeur a bien déclaré qu'il était ressortissant du Pakistan; normalement, il pourrait être raisonnable de conclure qu'il était citoyen du Pakistan. Si le demandeur était citoyen pakistanais, il lui incombe de demander d'abord refuge dans son pays de citoyenneté. S'il peut y trouver refuge, le demandeur n'est pas un réfugié au sens de la Convention. À mon avis, si la SSR a tiré une conclusion valable au sujet de la citoyenneté du demandeur, elle aurait raison de conclure qu'un citoyen pakistanais du Cachemire Azad peut avoir une possibilité de refuge intérieur au Pakistan même. Cependant, comme nous le verrons, le fondement de la conclusion tirée par la SSR au sujet de la citoyenneté du demandeur n'est pas étayé par la preuve.

[6]      Eu égard aux circonstances de la présente affaire, la décision de la formation selon laquelle il existait une PRI au Pakistan, laquelle était fondée sur une conclusion de fait erronée qui n'était pas étayée par la preuve, constitue une erreur justifiant l'intervention de la Cour.

Question B : Persécution possible de la part de l'armée pakistanaise au Pakistan

[7]      La SSR a conclu que le demandeur était d'une façon générale crédible. La SSR a conclu que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté par les autorités du Cachemire Azad en se fondant sur ses opinions politiques. Le demandeur déclare avoir témoigné que les autorités qu'il craignait étaient l'armée pakistanaise, le gouvernement du Cachemire Azad et son ancien parti, le Front de libération du Jammu et Cachemire (le JKLF). Le demandeur soutient qu'étant donné que l'un des persécuteurs est l'armée pakistanaise, soit un organisme qui contrôle tout le Pakistan, la SSR a commis une erreur de droit en concluant qu'il ne serait pas persécuté ailleurs au Pakistan. Le demandeur cite la décision Sharbdeen c. MEI3, où Monsieur le juge Mahoney a dit ce qui suit au nom de la Cour d'appel :

     Il suffit de préciser que nous croyons que le juge de première instance n'a pas commis d'erreur en concluant que, compte tenu de toutes les circonstances de l'espèce, la Section du statut de réfugié avait commis une erreur en concluant qu'il existait une possibilité de refuge dans une autre partie du même pays. Une fois établi le bien-fondé de la crainte du revendicateur d'être persécuté par l'armée nationale dans une partie du pays qu'elle contrôle, il n'était pas raisonnable de s'attendre que l'intimé cherche refuge dans une autre partie du Sri Lanka contrôlée par la même armée. Pareille conclusion devrait s'appuyer sur des éléments de preuve dont le juge de première instance a constaté, à juste titre, l'inexistence.

Il est uniquement possible de conclure qu'une personne dispose d'une PRI eu égard aux circonstances de l'espèce s'il est établi devant la SSR que pareille possibilité existe clairement. Tel est le principe qui a été suivi dans la décision Balasubramaniam c. MCI4, que le demandeur a également citée. Le demandeur, M. Khan, soutient qu'en l'espèce, il n'était pas établi que le risque d'être persécuté était moindre au Pakistan. La SSR a plutôt imposé au demandeur la charge de démontrer l'existence du risque :

     [TRADUCTION]
         En ce qui concerne la charge de la preuve, il incombe à l'intéressé de démontrer qu'il ne dispose pas d'une PRI. La formation conclut que l'intéressé n'a pas démontré que les régions du Pakistan situées à l'extérieur du Cachemire Azad ne lui fourniraient pas une PRI. [...]
         La formation conclut qu'il ne serait pas déraisonnable, eu égard à l'ensemble des circonstances, notamment celles qui sont propres à l'intéressé, de chercher refuge au Pakistan, ailleurs qu'au Cachemire Azad.5

[8]      Il ressort clairement d'une lecture minutieuse de la décision de la SSR que cette dernière n'a pas tiré de conclusion au sujet de la crainte d'être persécuté par l'armée pakistanaise que le demandeur avait exprimée; de fait, dans la décision il n'est pas fait mention de l'armée en tant qu'organisme relevant des autorités que le demandeur craignait. La SSR a conclu que le demandeur craignait avec raison d'être persécuté par [TRADUCTION] « les autorités du Cachemire Azad » et qu'il craint le JKLF. Le demandeur a présenté des éléments de preuve tendant à démontrer qu'il craignait l'armée pakistanaise et, à mon avis, la SSR a commis une erreur en n'examinant pas la possibilité que le demandeur soit persécuté par l'armée pakistanaise. La revendication du demandeur dépendait de la question de la PRI et, comme la Cour d'appel l'a statué, la question de la persécution par les autorités nationales est essentielle au règlement de cette question. À mon avis, il s'agissait d'une erreur susceptible de révision et la SSR a omis d'examiner cet aspect de la revendication.

Question C : Erreur concernant le passeport du demandeur

[9]      Le demandeur soutient que la SSR a tiré une conclusion de fait erronée qui était abusive ou arbitraire ou qu'elle n'a pas tenu compte des éléments dont elle disposait lorsqu'elle a conclu que le demandeur avait un passeport pakistanais, ce qui constituait le fondement exprès de la conclusion selon laquelle le demandeur était citoyen pakistanais. Devant la SSR ou dans son FRP, le demandeur n'a pas déclaré qu'il avait pareil passeport; dans son FRP, le demandeur a plutôt déclaré qu'il n'avait jamais demandé de passeport ou de document de voyage et qu'il était venu au Canada avec un passeport britannique fourni par son passeur. Le défendeur concède que la SSR a tiré une conclusion erronée, mais il soutient qu'il s'agissait d'une conclusion de fait sans conséquence. La SSR aurait pu conclure que le demandeur était un citoyen pakistanais en se fondant sur son FRP.

[10]      À mon avis, la SSR a commis une erreur à cet égard. Il s'agit d'une conclusion abusive qui n'est pas fondée sur la preuve. Étant donné que la citoyenneté du demandeur a une importance cruciale aux fins de la détermination de la PRI par la SSR, je conclus que la décision ne devrait pas être maintenue.

Conclusion

[11]      Pour les motifs susmentionnés, la décision contestée de la SSR est infirmée et la revendication du statut de réfugié au sens de la Convention est renvoyée pour réexamen par une formation différente de la SSR.

Certification d'une question

[12]      Après l'audience, le 12 novembre 1999, le demandeur a soumis la question ci-après énoncée pour qu'elle soit certifiée en vertu du paragraphe 83(1) de la Loi sur l'immigration :

     [TRADUCTION]
     Étant donné que le Cachemire n'est pas situé en deçà des frontières internationalement reconnues du Pakistan, peut-il y avoir une possibilité de refuge intérieur au Pakistan dans le cas des personnes qui viennent du Cachemire?
    

Puisque la demande est accueillie et que la décision de la SSR est infirmée, cette question n'a pas à être examinée comme fondement d'un appel devant la Cour d'appel. Aucune question n'est certifiée.


                                            W. Andrew MacKay

                                     JUGE

OTTAWA (Ontario),

le 8 juin 2000.

Traduction certifiée conforme


Martine Brunet, LL.B.

COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :      IMM-1517-99

    

INTITULÉ DE LA CAUSE :      Aurangzeb Khan c. MCI

LIEU DE L'AUDIENCE :      Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :      le 10 novembre 1999

MOTIFS DE L'ORDONNANCE du juge MacKay en date du 8 juin 2000

ONT COMPARU :

Michael Crane              pour le demandeur

Cheryl D. Mitchell              pour le défendeur


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michael Crane

Toronto (Ontario)              pour le demandeur


Morris Rosenberg

Sous-procureur général du Canada              pour le défendeur

__________________

1      [1994] 1 C.F. 589 (C.A.).

2      Décision de la SSR, p. 5 [renvois omis].

3      (1994), 23 Imm. L.R. (2d) 300, [1994] A.C.F. no 371 (C.A.).

4      [1994] A.C.F. no 1452 (1re inst.).

5      Motifs de la SSR, p. 7.

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