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Date : 20040422

Dossier : IMM-3085-04

Référence : 2004 CF 596

Ottawa (Ontario), le 22 avril 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE MOSLEY                            

ENTRE :

                                        MARY REGINA JESUDHASMANOHARARAJ

MARY JEYANTHINI JESUDHASMANOHARARAJ

demanderesses

et

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Les demanderesses, qui sont mère (Mary Regina) et fille (Mary Jeyanthini, âgée de 19 ans), sont des citoyennes du Sri Lanka. Elles ont présenté une requête dans laquelle elles demandent à la Cour de surseoir à l'exécution d'une mesure de renvoi qui doit être mise en oeuvre le 25 avril 2004 jusqu'à ce qu'il soit statué sur une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire de la décision d'un agent d'examen des risques avant renvoi (ERAR).


[2]                Les demanderesses sont venues au Canada en juin 1997 avec l'aide d'un intermédiaire et munies de faux papiers. Elles ont demandé l'asile, mais leur demande a été rejetée par la Commission de l'immigration et du statut de réfugié le 5 août 1998. La Commission a conclu que les demanderesses pouvaient vivre en sécurité à Colombo. Une demande d'autorisation et de contrôle judiciaire a été rejetée le 9 janvier 1999. Une demande de résidence permanente fondée sur des considérations d'ordre humanitaire a également été rejetée, et l'autorisation de demander le contrôle judiciaire de cette décision a été sollicitée.

[3]                Une demande d'inclusion dans la catégorie des demandeurs non reconnus du statut de réfugié au Canada, qui a par la suite été convertie en une demande d'ERAR, a été présentée. Cette demande a été rejetée le 16 octobre 2003. Avant que la décision définitive de l'agent ne fût prononcée, les demanderesses ont été informées de l'opinion de celui-ci concernant le risque, et on leur a donné la possibilité de formuler des commentaires sur les conclusions. Elles ne l'ont pas fait.


[4]                Les demanderesses soutiennent que l'agent a commis une erreur en omettant de tenir compte de leur crainte de voir Mary Jeyanthini recrutée de force par les Tigres de libération de l'Eelam tamoul (les TLET) si elles retournent au Sri Lanka. Il s'agit là de la principale préoccupation qui a été soulevée lors de l'audition de leur demande d'asile même si, à l'époque, on avait plutôt insisté sur le fait que les TLET avaient coutume d'enrôler les enfants. Les demanderesses font également valoir qu'il y avait de nouveaux éléments de preuve à prendre en considération, c'est-à-dire le fait que Mary Jeyanthini a désormais atteint un âge qui la rend plus susceptible d'être recrutée de force ainsi que les nouveaux éléments de preuve selon lesquels la situation dans le pays a récemment changé d'une façon qui les expose toutes les deux à un risque de préjudice grave. Les demanderesses soutiennent donc que leur demande principale soulève des questions sérieuses à trancher, qu'elles subiront un préjudice irréparable si elles sont renvoyées et que la prépondérance des inconvénients milite en leur faveur.

[5]                Les demanderesses font également valoir que les membres de leur famille étendue qui vivent au Canada, c'est-à-dire une soeur, un neveu et leurs enfants, subiraient un préjudice émotionnel si elles devaient partir. Il existe des précédents qui permettent d'affirmer que le critère du préjudice irréparable de l'arrêt Toth c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), 86 N.R. 302 (C.A.F.), est rempli lorsque les enfants du demandeur sont sérieusement et directement affectés. Je suis d'avis que ceci ne s'applique pas aux tiers, comme les membres de la famille étendue.


[6]                Les demanderesses sont des Tamoules chrétiennes originaires du Nord du Sri Lanka. Elles se sont bien établies au Canada au cours des sept années qu'elles ont passées ici. Mary Regina avait jusqu'à récemment un emploi, et Mary Jeyanthini fréquente le collège Humber. Le mari de la demanderesse la plus âgée et le père de la plus jeune demanderesse travaille depuis longtemps pour le gouvernement sri-lankais, et il est resté dans ce pays. Au tout début, lorsqu'elle a présenté le Formulaire de renseignements personnels à l'appui de sa demande d'asile, la demanderesse la plus âgée a faussement déclaré qu'elle ne savait pas où il se trouvait. Ceci a été corrigé au début de l'audience. Dans la présente requête, Mary Regina a attesté qu'elle n'avait pas eu de contacts avec son mari depuis un an et qu'elle se considérait comme étant séparée de lui. Apparemment, son mari vit actuellement dans une région du district de Mannar contrôlée par le gouvernement sri-lankais, et il continue à travailler pour le compte du gouvernement.

[7]                La demanderesse s'appuie sur la décision rendue récemment par le juge Rouleau dans Sabaratnam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (5 décembre 2003), IMM-8929-03, (non publiée), pour affirmer qu'un agent d'ERAR doit procéder à une analyse approfondie de la question de la possibilité que les demandeurs fassent l'objet de recrutement forcé lorsqu'ils sont en âge d'être enrôlés. Le défendeur soutient qu'une distinction factuelle peut facilement être faite entre la présente affaire et l'affaire Sabaratnam, parce que dans cette dernière le père du demandeur occupait un rang élevé dans une organisation qui s'opposait aux TLET et avait en fait été kidnappé et probablement assassiné à Jaffna en 1990. La Cour ne dispose pas d'éléments de preuve semblables dans la présente affaire, et les allégations concernant le risque sont vagues et conjecturales. Il ressort clairement de l'analyse de l'agent d'ERAR qu'avant de parvenir à sa décision celui-ci a soigneusement étudié les nombreux documents portant sur le pays et les observations des demanderesses au sujet du recrutement forcé.


[8]                Le dossier de requête comprend une liasse de documents additionnels concernant les nouveaux développements touchant le processus de paix et le cessez-le-feu au Sri Lanka. L'avocat des demanderesses a attiré l'attention de la Cour sur les nombreuses mentions de la fragilité de la situation au Sri Lanka dans ces documents, et notamment sur les efforts continus de recrutement des TLET, les assassinats sectaires et les violations du cessez-le-feu dont ils faisaient état. Le défendeur a toutefois fait valoir que la plupart des documents en question étaient postérieurs à la décision relative à l'ERAR et qu'ils n'avaient pas été soumis à l'agent. De plus, ils avaient trait à des événements qui s'étaient produits pour la plupart dans l'Est du Sri Lanka et à des conflits internes au sein des TLET. Rien de ce qui précède ne permet raisonnablement de conclure que les demanderesses dans la présente instance seraient exposées à un risque si elles retournaient au Sri Lanka et s'établissaient à Colombo. Les demanderesses ne sont pas originaires des régions du Sri Lanka où les incidents se sont produits.


[9]                Pour statuer sur la présente requête, la Cour n'a pas à se prononcer sur le sort de la demande d'autorisation présentée par les demanderesses pour contester la décision de l'agent d'ERAR. Cependant, j'ai de la difficulté à accepter la proposition selon laquelle elles ont soulevé une question sérieuse relativement à cette décision, et ce, même si l'on retient un critère peu exigeant. Toutefois, même en supposant que le premier volet du critère énoncé dans l'arrêt Toth, précité, ait été rempli, les éléments de preuve dont je dispose ne me permettent pas de conclure que les demanderesses subiront un préjudice irréparable si la mesure de renvoi est mise en oeuvre. Pour ce qui est de la prépondérance des inconvénients, j'accepte les prétentions des demanderesses selon lesquelles elles sont des personnes honnêtes qui travaillent fort, qui n'ont pas été un fardeau pour la société canadienne et qui n'ont pas pris part à des activités criminelles. Je suis cependant d'avis que ces considérations ne l'emportent pas sur l'intérêt qu'a le public dans l'administration efficace des lois en matière d'immigration. Les demanderesses ne bénéficient pas d'un droit inconditionnel de rester au Canada, et les préoccupations qu'elles ont au sujet de leur retour dans leur pays d'origine ne sont pas étayées par la preuve.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE que la requête en sursis à l'exécution des mesures de renvoi prises contre les demanderesses soit rejetée.

_ Richard G. Mosley _

    Juge

Traduction certifiée conforme

Aleksandra Koziorowska, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                        IMM-3085-04

INTITULÉ :                                       MARY REGINA JESUDHASMANOHARARAJ

MARY JEYANTHINI JESUDHASMANOHARARAJ

c.

LE SOLLICITEUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L'AUDIENCE :                TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :               LE 20 AVRIL 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                     LE JUGE MOSLEY

DATE DES MOTIFS :                     LE 22 AVRIL 2004

COMPARUTIONS:

John Grant                                           POUR LES DEMANDERESSES

Rhonda Marquis                                  POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

John Grant                                           POUR LES DEMANDERESSES

Mississauga (Ontario)

Morris Rosenberg                                POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

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