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     Date : 19990428

    

     Dossier : T-1524-98

     AFFAIRE INTÉRESSANT LA LOI SUR LA CITOYENNETÉ,

     L.R.C. (1985), ch. C-29,

     ET un appel de la

     décision d'un juge de la citoyenneté,

     ET

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

     demandeur,

     et

     FAI SOPHIA LAM,

     défenderesse.

     MOTIFS DU JUGEMENT

LE JUGE SIMPSON

[1]      Il s'agit d'un appel par voie de demande de la décision du juge de la citoyenneté, en date du 4 juin 1998, par laquelle ce dernier a approuvé l'octroi de la citoyenneté canadienne à Mme Fai Sophia Lam (la défenderesse). Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration (le ministre) interjette appel de cette décision en vertu de la règle 300c) des Règles de la Cour fédérale (1998), et du paragraphe 14(5) de la Loi sur la citoyenneté, L.R.C. (1985), ch. C-29 (la Loi), au motif que le juge de la citoyenneté a commis une erreur en concluant que la défenderesse remplissait les exigences en matière de résidence prévues à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. Cet alinéa prévoit :

             Attribution de la citoyenneté             
             5. (1) 5. (1) Le ministre attribue la citoyenneté à toute personne qui, à la fois :             
             [...]             
             c) a été légalement admise au Canada à titre de résident permanent, n'a pas depuis perdu ce titre en application de l'article 24 de la Loi sur l'immigration, et a, dans les quatre ans qui ont précédé la date de sa demande, résidé au Canada pendant au moins trois ans en tout, la durée de sa résidence étant calculée de la manière suivante :             
             (i) un demi-jour pour chaque jour de résidence au Canada avant son admission à titre de résident permanent,             
             (ii) un jour pour chaque jour de résidence au Canada après son admission à titre de résident permanent; [...]             

LES FAITS

[2]      La défenderesse est une jeune femme qui, au moment où elle est entrée au Canada avec sa famille le 26 mars 1994, avait environ 22 ans. Elle était accompagnée par son père, sa mère, son frère et sa soeur. Elle est demeurée au Canada seulement dix jours. Par la suite, le 5 avril 1994, elle est retournée à l'école aux États-Unis pour poursuivre des études qu'elle avait commencées avant que sa famille ne déménage au Canada. Le dossier indique que la défenderesse est demeurée aux États-Unis du 5 avril 1994 au 12 juin 1995. Toutefois, les motifs du juge de la citoyenneté font état du fait que la défenderesse est venue au Canada pendant les vacances quand elle était aux études aux États-Unis. Comme le dossier ne contenait aucune preuve étayant cette conclusion, l'avocat de la défenderesse a demandé une autorisation pour que cette dernière puisse témoigner. Avec l'assentiment de l'avocat du ministre, la défenderesse a été autorisée à témoigner de vive voix sur cette question.

[3]      La défenderesse a témoigné que, quand elle a terminé le trimestre du printemps 1994, elle est revenue au Canada en juin 1994 et y est demeurée environ deux mois. Pendant cette période, elle habitait avec sa famille dans leur maison de Toronto. Elle n'a pas occupé d'emploi d'été. Elle a également témoigné qu'elle est retournée poursuivre ses études aux États-Unis le ou vers le 1er août 1994, et est demeurée aux États-Unis sans faire d'autres visites au Canada jusqu'à son retour le 12 juin 1995.

[4]      En évaluant la véracité de ce témoignage, je suis attentive au fait que, alors qu'elle se trouvait aux États-Unis, la défenderesse étudiait en vue d'obtenir un diplôme en administration des affaires avec une majeure en gestion de la production. Compte tenu de son niveau de scolarité, je trouve difficile de croire que, à la fois sur son questionnaire en matière de résidence et sur sa demande de citoyenneté, la défenderesse n'a pas mentionné les deux mois de vacances d'été qu'elle a passées au Canada en 1994. Ces deux documents contredisent son témoignage. Je trouve également surprenant le fait qu'elle n'a pas de preuve documentaire de son passage à la frontière dans un sens ou dans l'autre au moment où elle est rentrée à la maison pour la visite de l'été 1994. Elle en a expliqué la raison par le fondement extraordinaire que la frontière États-Unis/Canada n'est pas une frontière internationale. Enfin, son témoignage n'a pas été donné de manière catégorique. Elle a commencé pratiquement toutes ses déclarations importantes en disant que les événements étaient [TRADUCTION] "probablement" survenus. Compte tenu des circonstances, je n'accepte pas le témoignage de la défenderesse qu'elle a passé deux mois au Canada à l'été 1994.

[5]      Il n'est pas contesté que, après son retour de l'école le 12 juin 1995, la défenderesse a passé cinq jours au Canada et a par la suite passé quatre mois à Hong Kong en voyage d'agrément, soit du 16 juin 1995 au 10 octobre 1995, pour un total de 116 jours. Pendant ce séjour, elle habitait avec sa tante. La défenderesse est retournée au Canada pour une période de six mois le 10 octobre 1995. Pendant ce premier séjour important au Canada, la défenderesse a travaillé à Scarborough comme vendeuse dans une boutique de cosmétiques. Il s'agissait d'un travail au salaire minimum qui n'avait aucun rapport avec ses diplômes. Pendant cette période, elle a également ouvert son propre compte bancaire à la CIBC et a obtenu une carte de crédit Visa CIBC.

[6]      En mars 1996, la défenderesse s'est rendue à Hong Kong une deuxième fois et y a demeuré avec sa tante pendant 92 jours. Elle est alors retournée au Canada le 30 juin 1996, et y a demeuré pendant plus d'un an. Au Canada, la défenderesse a fait les magasins, est allée au cinéma et dans un centre de conditionnement physique, et a fréquenté des clubs vidéos. Elle a emmené son chat chez le vétérinaire et est allée à des rendez-vous médicaux chez son médecin de famille. En outre, elle est également devenue membre de la bibliothèque de l'Université de Toronto, de Costco Wholesale, et du Women's International Bowling Congress. Elle a également occupé deux postes de vendeuses pour lesquels elle a gagné de nouveau le salaire minimum. Le deuxième emploi a pris fin en juillet 1997 et, le 8 août, la défenderesse est encore une fois partie pour Hong Kong. Toutefois, le 18 juin 1997, avant son départ, elle a présenté une demande en vue d'obtenir la citoyenneté canadienne.

[7]      Compte tenu des ces faits, ma tâche consiste à évaluer si le juge de la citoyenneté a correctement1 conclu que la défenderesse remplissait l'exigence en matière de résidence prévue à l'alinéa 5(1)c) de la Loi. La période pertinente pour l'évaluation est la période de quatre ans précédant le 18 juin 1997 (la période). Par conséquent, la période commence le 18 juin 1993. Au cours de la période, la Loi exige qu'un demandeur réside pendant trois ans ou 1095 jours. Dans la présente affaire, la défenderesse était à l'extérieur du Canada 561 jours des 1095 jours qu'elle devait passer ici comme résidente. La question à trancher est donc de savoir si la défenderesse peut être réputée avoir été résidente alors qu'elle n'était pas physiquement présente pour justifier 561 jours de sa prétention de résidence. Pour décider de ce point, je dois évaluer son comportement réel pour voir si je peux conclure qu'elle a centralisé sa vie au Canada et maintenu ce statut pendant 1 095 jours de cette période.

[8]      Le juge de la citoyenneté s'est fondé sur l'affaire Papadogiorgakis, [1978] 2 C.F. 208 (1re inst.). Toutefois, à mon avis, il s'agissait d'une affaire qui présentait une situation exceptionnelle et qui, en conséquence, devrait se limiter à ses propres faits. Dans cette affaire, un étudiant qui n'avait pratiquement jamais été présent physiquement au Canada pendant la période d'évaluation pertinente de quatre ans, avait auparavant vécu ici pendant quatre ans et avait établi un mode de vie centralisé au Canada avant son départ pour aller étudier à l'étranger. En outre, pendant son absence il a conservé un domicile au Canada, y est revenu de façon régulière et a passé la majorité de ses vacances au Canada.

[9]      La décision Papadogiorgakis montre que la Cour peut traiter un étudiant comme un résident, malgré une absence physique importante, si cet étudiant a établi et conservé une résidence au Canada en y centralisant son mode de vie, et ne se trouvait à l'étranger que pour des études temporaires et revenait fréquemment.

[10]      Toutefois, la décision Papadogiorgakis ne permet pas de conclure qu'un étudiant peut venir au Canada pour une courte période, ne pas y établir une première résidence, puis passer de longues périodes d'études et de vacances à l'étranger et, sur ce fondement, s'attendre à remplir les exigences en matière de résidence pour obtenir la citoyenneté canadienne. Je devrais faire remarquer qu'établir une résidence n'est pas seulement une question de rassembler les documents habituels liés à la résidence (carte santé, carte d'assurance-sociale, carte bancaire, déclaration d'impôts, carte de bibliothèque, permis de conduire, etc.). À mon avis, il faut également faire des efforts pour s'intégrer et participer à la société canadienne, ce qui pourrait se faire dans un lieu de travail, dans un groupe de bénévoles, ou dans une activité sociale ou religieuse, pour ne nommer que quelques possibilités.

[11]      Dans ce contexte, je remarque que la défenderesse ne s'est pas établie comme résidente avant de quitter pour la première fois le Canada. Elle n'y a passé que dix jours. De plus, elle n'est pas revenue pendant l'année scolaire 1994-1995 à chaque fois que c'était possible. Je conclus qu'elle n'est pas revenue à l'été 1994, et qu'il n'existe aucune preuve qu'elle a fait des voyages au Canada à l'action de grâces, à Noël ou au nouvel an, ni aux vacances scolaires du jour du président. De même, quand l'école a pris fin, elle est retournée au Canada pour seulement cinq jours et est alors partie passer presque quatre mois à Hong Kong. Je crois que la défenderesse n'a même pas commencé à établir une résidence canadienne avant son retour de Hong Kong, le 10 octobre 1995. Toutefois, cette période de résidence n'a duré que six mois. Par la suite, elle est repartie pendant trois mois à Hong Kong avant sa dernière année au Canada.

CONCLUSION

[12]      Compte tenu des circonstances, l'affaire Papadogiorgakis ne s'applique pas et la demande de citoyenneté de la défenderesse était prématurée. Par conséquent, l'appel du ministre est accueilli.

                             " Sandra J. Simpson "

                                     Juge

Vancouver (Colombie-Britannique)

Le 28 avril 1999.

Traduction certifiée conforme

Martine Brunet, LL.B.

    

     AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

     AFFAIRE INTÉRESSANT la Loi sur la citoyenneté,

     L.R.C. (1985), ch. C-29,

     ET un appel

     de la décision d'un juge de la citoyenneté,

     ET

ENTRE :

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

     ET DE L'IMMIGRATION,

                                         demandeur,

     et

     FAI SOPHIA LAM,

                                             défenderesse.

NO DU GREFFE :                  T-1524-98

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

DATE DE L'AUDIENCE :              le 23 mars 1999

MOTIFS DU JUGEMENT :              le juge SIMPSON

EN DATE DU :                  28 avril 1999

ONT COMPARU :

     M. Stephen H. Gold                  pour le demandeur

     M. Edward F. Hung                      pour la défenderesse

     M. Peter K. Large                      pour l'amicus curiae

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

     M. Morris Rosenberg                  pour le demandeur

     Sous-procureur général du Canada

     E.F. Hung                          pour la défenderesse

     Toronto (Ontario)

     Peter K. Large                      pour l'amicus curiae

     Toronto (Ontario)

__________________

1      Les décisions suivantes rendues récemment par la Cour ont conclu que la décision correcte est la norme de contrôle appropriée :              Kit May Phoebe Lam c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration,              [1999] A.C.F. no 410 (1re inst.), le juge Lutfy;              Doru-Octavian Dumitra c. Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration              (non publié, T-1638-98, 31 mars 1999, C.F. 1re inst., juge Reed).

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