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Date : 20201112


Dossier : T‑1609‑19

Référence : 2020 CF 1054

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 12 novembre 2020

En présence de madame la juge Walker

ENTRE :

DOUG DIXON

requérant

et

GROUPE BANQUE TD et

TD CANADA TRUST MME JACQUELINE ROVER

intimés

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  La présente ordonnance porte sur une requête présentée par M. Dixon en vue d’obtenir un subpoena enjoignant aux représentants des intimés (connus et inconnus) de produire des documents et des dossiers et de comparaître relativement à la demande sous‑jacente de contrôle judiciaire. M. Dixon soutient qu’il a besoin de ces documents pour étayer sa demande et qu’il doit pouvoir interroger les témoins.

[2]  M. Dixon s’est adressé à la Cour afin de contester une décision de la Commission canadienne des droits de la personne (la décision) datée du 6 septembre 2019. Dans cette décision, la Commission a informé M. Dixon qu’elle avait décidé de ne pas statuer sur la plainte de traitement discriminatoire qu’il avait déposée contre les intimés (la plainte) parce qu’elle était frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la Loi canadienne sur les droits de la personne (LCDP).

[3]  M. Dixon soulève deux questions dans sa requête. Premièrement, il soutient que les intimés ont renoncé à leur droit de participer à l’audience relative à la demande de contrôle judiciaire de la décision parce qu’ils n’ont pas déposé leur avis de comparution dans le délai prévu à l’article 305 des Règles des Cours fédérales (les Règles). Deuxièmement, et à titre subsidiaire, il soutient que la Cour doit ordonner la délivrance du subpoena demandé, étant donné qu’il a besoin des éléments en question pour étayer sa demande et que ces éléments se rapportent aux questions de savoir pourquoi la Banque n’a pas répondu à sa plainte et pourquoi la Commission a refusé de statuer sur la plainte.

[4]  M. Dixon et l’avocat des intimés ont plaidé la présente requête devant moi, par vidéoconférence Zoom, le 28 octobre 2020. J’ai examiné attentivement les observations écrites et orales des deux parties avant de rendre la présente ordonnance. Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la requête. Brièvement, je conclus que les intimés n’ont pas abandonné la présente demande. Ils se sont conformés aux Règles, telles que modifiées par les directives données par la Cour en vue de régler des problèmes concernant la signification et le dépôt des documents, dès le début de la demande. J’estime également que M. Dixon n’a pas satisfait au critère rigoureux à respecter pour délivrer un subpoena dans une demande de contrôle judiciaire.

I.  Contexte

[5]  Le 29 mars 2019, M. Dixon a déposé une plainte à la Commission, alléguant que l’intimée, la Banque Toronto‑Dominion, avait fait preuve de discrimination à son égard en raison de sa race, de son origine nationale ou ethnique, de sa couleur, de sa religion, de son âge et de sa déficience. Il a déposé la plainte après qu’il se fut rendu dans l’une des succursales de la Banque à Toronto, en février 2019, et qu’à cette occasion un autre client ait été servi avant lui, même si M. Dixon était le premier dans la file d’attente. M. Dixon affirme également que le deuxième client l’a invectivé lorsqu’il lui a mentionné qu’il était le premier dans la file. L’un des trois caissiers en service s’est alors déplacé pour servir M. Dixon et s’est excusé pour le comportement du client. Entre‑temps, deux autres caissiers ont continué de servir le deuxième client, de sorte qu’il a été, en fait, servi avant M. Dixon.

[6]  M. Dixon s’est plaint de la façon dont il a été traité tout au long des démarches qu’il a faites auprès de la Banque. Il a fait l’objet à son tour d’une plainte et la Banque a finalement mis fin aux services financiers qu’elle lui offrait.

[7]  La Commission a examiné la plainte et un agent a préparé un rapport en date du 26 juin 2019 (le rapport). Les allégations de M. Dixon y sont ainsi résumées :

[traduction]

Plus précisément [M. Dixon] allègue que la [Banque] l’a défavorisé lorsqu’elle :

a)  a omis d’intervenir en son nom lorsqu’un autre de ses clients l’a agressé verbalement;

b)  a servi son présumé agresseur avant lui;

c)  a mis fin aux services qu’elle lui offrait parce qu’il aurait, entre autres, fait des remarques racistes à l’un de ses employés.

[8]  L’agent s’est reporté au critère permettant de déterminer si une plainte est frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP et a déclaré qu’il incombe à chaque plaignant de présenter des renseignements ou des éléments de preuve suffisants pour convaincre la Commission de l’existence d’un lien entre les faits allégués et un motif de distinction illicite. L’agent a tenu pour véridiques les allégations de M. Dixon, mais il a conclu qu’il s’agissait de simples affirmations qui n’étaient pas étayées par les faits exposés dans la plainte. Il a déclaré que M. Dixon n’avait présenté aucun renseignement ou fait pour étayer ses allégations que la Banque l’avait traité différemment en raison de son âge, de sa couleur, de sa déficience, de son origine nationale ou ethnique et de sa race.

[9]  Le rapport a été envoyé aux deux parties pour commentaires. M. Dixon a fait part de ses commentaires à la Commission dans une lettre datée du 13 juillet 2019. La Banque n’a fait aucun commentaire sur le rapport.

[10]  Dans sa décision, la Commission a informé M. Dixon qu’elle avait examiné le rapport et les commentaires qu’il avait formulés en réponse. Comme je l’ai mentionné, la Commission a décidé de ne pas statuer sur la plainte parce qu’elle était frivole.

II.  La requête en vue d’obtenir un subpoena

[11]  Dans la présente requête, M. Dixon demande l’accès aux dossiers de la Banque concernant sa visite à la succursale en février 2019, y compris les enregistrements de ses interactions à la télévision en circuit fermé. Il s’appuie sur l’arrêt de la Cour d’appel fédérale (CAF), Tsleil‑Waututh Nation c Canada (Procureur général), 2017 CAF 128 (Tsleil‑Waututh), pour faire valoir que la preuve en question est nécessaire et qu’elle est sous le contrôle des intimés. M. Dixon affirme que la Commission aurait dû la demander aux intimés avant de prendre sa décision, mais qu’elle ne l’a pas fait. Il se demande également pourquoi la Banque n’a pas répondu à sa plainte ou au rapport. Il soutient qu’il ne se livre pas à une recherche à l’aveuglette et qu’il a soulevé un motif crédible qui justifie un contrôle.

[12]  Les intimés soutiennent que M. Dixon n’a pas satisfait au critère exigeant établi par la CAF pour faire droit à une requête visant à obtenir une ordonnance de production de documents et un subpoena enjoignant aux témoins de comparaître dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire. Les intimés font valoir que la preuve en question n’est pas nécessaire pour statuer sur la demande de M. Dixon, car le rôle de la Cour est d’évaluer la décision en fonction du dossier de preuve présenté à la Commission.

III.  Question préliminaire – Qualité pour agir des intimés

Historique des procédures

[13]  Dans les arguments qu’il a avancés devant moi, M. Dixon a essentiellement fait valoir que les intimés n’ont pas qualité pour agir dans la présente demande parce qu’ils n’ont pas déposé l’avis de comparution exigé à l’article 305 des Règles. Il soutient que les intimés ont abandonné l’instance, qu’il faut présumer qu’ils partagent son avis au sujet de la décision et que la demande de contrôle judiciaire doit être accueillie. M. Dixon a plusieurs fois soulevé l’argument de l’abandon de l’instance à d’autres étapes de sa demande sous‑jacente.

[14]  M. Dixon a affirmé qu’il ne devrait pas être tenu de présenter des observations sur le fond de sa requête. Il a fait valoir qu’il ne veut pas donner de crédibilité au fait que les intimés continuent de participer à l’instance, et que la Cour ne devrait pas entendre d’autres observations au sujet de la requête. J’ai dit à M. Dixon que je comprenais sa position, mais que si je lui avais demandé des observations à l’appui de sa requête, c’était pour que sa demande puisse aller de l’avant. Je lui ai également dit que la présente ordonnance contiendrait ma décision concernant son allégation d’abandon de l’instance.

[15]  Les intimés soutiennent que la question de la qualité pour agir n’a pas été dûment présentée à la Cour parce qu’elle n’a pas été soulevée dans l’avis de requête de M. Dixon. Dans l’éventualité où la Cour décidait de se pencher sur la question, alors ils font valoir que leur avis de comparution n’a pas été signifié en retard et que la Cour l’a dûment accepté aux fins du dépôt. Ils affirment que l’argument de M. Dixon au sujet de l’abandon de l’instance traduit son désaccord avec les directives dûment données par la Cour au sujet de la signification.

[16]  Bien que la question de la qualité pour agir n’ait pas été soulevée officiellement dans l’avis de requête, je vais l’examiner afin de mettre un terme à ce qui est encore une importante préoccupation pour M. Dixon.

[17]  Mon examen des dossiers de la Cour concernant la demande de contrôle judiciaire de M. Dixon révèle qu’il y a eu des retards de la part des deux parties, d’abord dans la signification et le dépôt de l’avis de demande de M Dixon, et, deuxièmement, dans la signification de l’avis de comparution des intimés à l’adresse de M. Dixon.

[18]  Le premier dossier de la Cour laisse voir que l’avis de demande a été déposé le 2 octobre 2019. Le 8 octobre 2019, l’affidavit de M. Dixon attestant que l’avis de demande avait été signifié à l’intimé, Groupe Banque TD, a été déposé devant la Cour. Le 9 octobre 2019, la Cour a reçu l’affidavit de M. Dixon attestant qu’il avait tenté de signifier l’avis de demande à l’intimée, TD Canada Trust‑Mme Rover, le 8 octobre 2019.

[19]  Les intimés ont pris connaissance de l’avis de demande, le 8 octobre 2019. M. Dixon ne l’avait pas signifié à Mme Rover, contrairement aux Règles, mais l’avocat de l’intimée lui a écrit par télécopieur pour accepter la signification, au nom de Mme Rover, le 8 octobre 2019. Les intimés ont découvert que le numéro de télécopieur de M. Dixon qui apparaissait dans l’avis de demande n’était pas valide et lui ont envoyé par courriel une copie de leur lettre du 8 octobre 2019. Depuis, l’avocat des intimés communique avec M. Dixon par courriel.

[20]  La preuve des intimés, qui n’est pas contredite, montre qu’ils ont tenté de signifier personnellement leur avis de comparution à l’adresse de signification de M. Dixon, soit à sa résidence, les 11, 12 et 15 octobre 2019, mais que M. Dixon n’a pas répondu à la porte. Chaque fois, l’huissier a frappé à la porte et a fait diverses tentatives pour vérifier si quelqu’un était à la maison. La deuxième fois, il a laissé un avis de signification sur la poignée de la porte et, la troisième fois, il a constaté que l’avis y était toujours.

[21]  Le 15 octobre 2019, l’avocat des intimés a communiqué par courriel avec M. Dixon afin de fixer un rendez‑vous pour la signification de l’avis de comparution. L’avocat a envoyé un certain nombre de courriels de suivi en octobre. M. Dixon a reconnu avoir reçu les courriels de l’avocat, mais il a déclaré qu’il n’ouvrait pas ses courriels tous les jours. Il a confirmé son adresse aux fins de signification et il a déclaré qu’il n’était pas au courant que quelqu’un avait tenté de livrer des documents à sa maison. M. Dixon n’a pas proposé de date et d’heure auxquelles il serait disponible pour recevoir signification du document.

[22]  Le 21 octobre 2019, les intimés ont envoyé par courrier recommandé une copie de l’avis de comparution à M. Dixon. Postes Canada a cependant retourné la lettre à l’expéditeur avec la mention « non réclamée ».

[23]  À la fin d’octobre 2019, à sa demande et selon les directives de la Cour, M. Dixon a obtenu une prorogation du délai pour signifier et déposer sa preuve de signification de l’avis de demande à la Commission et au procureur général du Canada. M. Dixon s’est conformé aux directives de la Cour.

[24]  Le 4 novembre 2019, la Cour a reçu une lettre dans laquelle M. Dixon demandait de façon informelle une prorogation du délai prévu à l’article 306 des Règles pour déposer son affidavit. Le 13 novembre 2019, la Cour a ordonné que la demande de M. Dixon soit suspendue et qu’il signifie aux intimés son avis de demande dans les 20 jours. Le 20 novembre 2019, l’avocat des intimés a écrit à M. Dixon pour l’informer qu’il était autorisé à recevoir signification de l’avis de demande au nom des intimés.

[25]  M. Dixon n’a pas respecté les directives de la Cour. Il a plutôt fait signifier son affidavit à l’appui à l’avocat des intimés, le 3 décembre 2019, et il a tenté de déposer l’affidavit de signification à la Cour, le 4 décembre. Une copie de l’avis de demande était jointe à l’affidavit. L’avocat des intimés a informé la Cour le 6 décembre 2019 qu’il acceptait la signification de l’affidavit comme s’il s’agissait de la signification de l’avis de demande.

[26]  Le 11 décembre 2019, la protonotaire Furlanetto a donné une directive selon laquelle l’avis de demande de M. Dixon était considéré comme ayant été signifié le 3 décembre 2019 et que la suspension était levée. M. Dixon a été autorisé à déposer la preuve de signification de son affidavit conformément à l’article 306 des Règles. Les délais subséquents devaient être calculés à compter de la date à laquelle il avait déposé la preuve de signification.

[27]  L’avis de comparution des intimés a été déposé le 11 décembre 2019.

Analyse

[28]  Je conclus que l’avis de comparution des intimés a été déposé conformément aux Règles (articles 3 et 305) et aux directives de la Cour. Subsidiairement, je conclus que les intimés ont agi de bonne foi et je suis d’avis de leur accorder une dispense pour tout manquement aux Règles qu’ils auraient pu commettre dans la signification de leur avis de comparution. L’argument de M. Dixon selon lequel les intimés ont abandonné la présente affaire n’est pas convaincant.

[29]  Depuis le début, les intimés se sont pleinement employés à répondre et à tenter de répondre à la demande de contrôle judiciaire de M. Dixon. Ils ont d’abord tenté de signifier leur avis de comparution, le 11 octobre 2019, à l’adresse fournie par M. Dixon, dans le délai initial de 10 jours prévu à l’article 305. Toujours en octobre 2019, ils ont tenté à nouveau de signifier l’avis de comparution. Que ce soit en octobre, en novembre ou en décembre 2019, jamais les intimés et leur avocat n’ont indiqué qu’ils ne contesteraient pas la présente procédure. Au contraire, ils ont tenté à plusieurs reprises de signifier et de déposer leur avis de comparution dans le délai prévu, en se fondant sur les renseignements fournis par M. Dixon.

[30]  M. Dixon a introduit la présente demande de contrôle judiciaire et, à mon avis, il doit faire des efforts raisonnables pour accepter la preuve de la signification des documents exigés des intimés. M. Dixon n’a pas répondu à sa porte quand l’huissier s’est présenté ou, s’il n’était pas à la maison, il n’a pas répondu à l’avis laissé à sa résidence, il n’a pas ouvert ses courriels et il n’a pas répondu aux demandes des intimés qui souhaitaient fixer un rendez‑vous en vue d’une signification à personne. Ce n’est pas parce que M. Dixon s’est opposé aux méthodes de l’huissier ou qu’il affirme qu’il y a d’autres façons pour les intimés d’assurer la signification qu’il a établi le bien‑fondé de sa position. La propre inaction de M. Dixon ne lui permet pas de prétendre que les intimés ont abandonné l’instance ou qu’ils n’ont pas respecté les Règles.

[31]  Le dossier montre que les intimés ont agi de bonne foi en tentant de déposer leur avis de comparution. M. Dixon savait très bien depuis le début d’octobre 2019 que les intimés participaient à l’instance et il n’a aucunement été lésé dans la poursuite de sa demande en raison des actions ou de l’inaction des intimés.

[32]  M. Dixon a contesté les directives données par les protonotaires de la Cour en l’espèce, affirmant que rien ne justifiait d’autoriser les intimés à déposer leur avis de comparution en décembre 2019. Toutefois, j’estime que les protonotaires ont tenté à plusieurs reprises, dans l’intérêt des deux parties, de résoudre les problèmes survenus au départ et de s’assurer que chacun des documents requis soit dûment signifié aux parties. Ils ont tenu compte des besoins de M. Dixon en tant que plaideur non représenté. Je reconnais que les règles et les processus de la Cour sont difficiles à suivre pour quiconque n’est pas tenu d’interagir régulièrement avec la Cour, mais il n’est pas inhabituel que, jusqu’à maintenant, celle‑ci ait dû donner des directives et rendre des décisions, particulièrement sur des questions de signification de documents et de courts délais.

IV.  Requête de M. Dixon en vue d’obtenir un subpoena

[33]  Le point de départ de mon analyse de la requête de M. Dixon est le principe général selon lequel le dossier de preuve dans une demande de contrôle judiciaire se limite à celui dont disposait le décideur (Association des universités et collèges du Canada c Canadian Copyright Licensing Agency (Access Copyright), 2012 CAF 22 au para 19 (Access Copyright). La règle reflète les différents rôles que le législateur a attribués au décideur (la Commission) et à la cour. Le décideur décide du bien‑fondé de l’affaire en fonction de la preuve dont il dispose. La cour de révision examine la légalité générale de la décision à la lumière de cette preuve et ne procède pas à une nouvelle audition des questions soumises au décideur (Access Copyright, aux para 17 à 19). La cour de révision n’admettra de nouveaux éléments de preuve que dans des circonstances exceptionnelles (Tsleil‑Waututh, au para 97).

[34]  Souvent, la règle générale interdisant l’admission de nouveaux éléments de preuve à l’appui d’une demande de contrôle judiciaire entre en jeu lorsqu’un demandeur cherche à présenter de nouveaux éléments de preuve qu’il a en sa possession. En l’espèce, M. Dixon cherche d’abord à obtenir ces nouveaux éléments de la Banque et à les utiliser ensuite pour appuyer sa contestation de la décision de la Commission.

[35]  Dans l’arrêt Tsleil‑Waututh (au para 103), la Cour d’appel fédérale a établi le critère pour délivrer un subpoena dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire :

[103]  Dans certains cas, il arrive que les témoins ne se montrent pas coopératifs. Dans de rares cas, on peut assigner des témoins à produire un document ou d’autres éléments matériels dans le cadre d’un contrôle judiciaire (paragraphe 41(1) et alinéa 41(4)c) des Règles). Le pouvoir d’assignation conféré par l’article 41 des Règles s’applique à une « instance », et suivant l’article 300 des Règles, une demande de contrôle judiciaire constitue une « instance ». La Cour peut délivrer le subpoena dans les circonstances suivantes :

  la preuve est nécessaire ;

  il n’y a aucun autre moyen d’obtenir la preuve;

  il est évident que le demandeur ne se livre pas à une recherche à l’aveuglette, mais a soulevé un motif crédible qui justifie un contrôle et n’est pas fondé uniquement sur ses dires;

  il est probable qu’un témoin détient des éléments de preuve pertinents.

[36]  La première question que je dois me poser est celle de savoir si les éléments de preuve demandés par M. Dixon sont nécessaires à l’examen de la décision de la Commission par la Cour. Cette question m’oblige à examiner les motifs sur lesquels repose la décision rendue par la Commission au titre de l’alinéa 41(1)d).

[37]  L’alinéa 41(1)a) de la LCDP est ainsi libellé :

41 (1) Sous réserve de l’article 40, la Commission statue sur toute plainte dont elle est saisie à moins qu’elle estime celle‑ci irrecevable pour un des motifs suivants :

41 (1) Subject to section 40, the Commission shall deal with any complaint filed with it unless in respect of that complaint it appears to the Commission that

[. . .]

[. . .]

d) la plainte est frivole, vexatoire ou entachée de mauvaise foi;

(d) the complaint is trivial, frivolous, vexatious or made in bad faith;

[. . .]

[. . .]

[38]  Une décision prise par la Commission en vertu de l’alinéa 41(1)d) est une décision prise à l’issue d’un examen préalable. Cette disposition permet à la Commission d’exercer son pouvoir discrétionnaire de rejeter une plainte sans autre enquête si les faits et les éléments de preuve exposés dans la plainte, dans la mesure où ils sont véridiques, ne permettent pas d’établir un lien entre les actes faisant l’objet de la plainte et un motif de distinction illicite (Hartjes c Canada (Procureur général)), 2008 CF 830 aux para 12 à 15); Hérold c Canada (Agence du revenu), 2011 CF 544 au para 33 (Hérold)).

[39]  Dans les cas où, comme en l’espèce, la Commission examine le rapport d’un de ses agents et motive très brièvement sa décision, la Cour considère le rapport comme s’il s’agissait des motifs de la Commission (Sketchley c Canada (Procureur général), 2005 CAF 404 au para 37; Guerrier c Banque Canadienne Impériale de Commerce (CIBC), 2013 CF 937 au para 10 (Guerrier). Par conséquent, mon examen de la décision porte autant sur la lettre datée du 6 septembre 2019 que sur le rapport.

[40]  Les paramètres et l’issue de l’examen préalable que la Commission a fait de la plainte de M. Dixon sont les suivants :

  1. M. Dixon devait exposer dans sa plainte les faits matériels et les éléments de preuve à l’appui de ses allégations qui établissaient un lien entre les actes discriminatoires allégués et un des motifs de distinction illicite prévus par la LCDP (Stukanov c Canada (Procureur général), 2018 CF 854 au para 18);

  2. La Commission devait fonder sa décision sur la preuve présentée par M. Dixon et considérer les faits allégués comme véridiques;

  3. La Commission a ensuite appliqué le critère juridique permettant de déterminer si la plainte était frivole au sens de l’alinéa 41(1)d) de la LCDP, à savoir si, au vu des éléments de preuve exposés dans la plainte, il semblait manifeste et évident que la plainte était vouée à l’échec (Konesavarathan c University of Guelph Radio, 2018 CF 1217 au para 33; Hérold, au para 35);

  4. La Commission n’était pas tenue de procéder à une enquête à cette étape et elle ne l’a pas fait;

  5. La Commission a conclu que les faits exposés dans la plainte n’étaient pas suffisants pour établir un lien entre le traitement allégué par M. Dixon et un motif de distinction illicite. Par conséquent, il était manifeste et évident que la plainte était vouée à l’échec.

[41]  La nature de la décision de la Commission est au cœur de mon examen de la présente requête parce que c’est elle qui détermine la portée de la preuve dont la Cour tiendra compte lorsqu’elle procédera au contrôle de la décision. Dans le cadre d’une enquête préalable menée en vertu de l’alinéa 41(1)d), la décision de Commission repose uniquement sur la plainte et les commentaires sur le rapport transmis par le plaignant ou la partie intimée. En contrôle judiciaire, la Cour devra déterminer si la décision était raisonnable en se fondant uniquement sur les renseignements dont disposait la Commission.

[42]  Il s’ensuit que la Cour ne tiendra compte d’aucun nouvel élément de preuve pour procéder au contrôle de la décision, et j’estime que M. Dixon n’a pas satisfait à la première condition du critère de l’arrêt Tsleil‑Waututh. L’introduction de nouveaux éléments de preuve distrairait l’attention de la Cour de l’évaluation de la plainte par la Commission. Si la Cour devait admettre de nouveaux éléments de preuve, elle se placerait à tort dans le rôle de décideur du bien‑fondé de la plainte de M. Dixon.

[43]  Le critère de l’arrêt Tsleil‑Waututh est conjonctif, ce qui signifie que le demandeur doit satisfaire à chacune des quatre conditions. Comme M. Dixon n’a pas satisfait à la première condition, sa requête sera rejetée.

[44]  Je souligne que M. Dixon soutient que la Commission avait l’obligation de tenter d’obtenir des éléments de preuve auprès des intimés avant de rendre sa décision. Je ne suis pas de cet avis. Comme je l’ai mentionné, il incombait à M. Dixon de décrire dans la plainte les faits et les éléments de preuve qui auraient permis d’établir un lien entre le comportement allégué et un motif de distinction illicite. Aucune des décisions invoquées par lui ne porte sur une décision préalable prise par la Commission en vertu de l’alinéa 41(1)d). Les décisions Lubaki c. Banque de Montréal (Groupe financier), 2014 CF 865, et Guerrier portaient sur des allégations selon lesquelles l’enquête de la Commission était lacunaire et, de toute façon, aucun des demandeurs dans ces affaires n’avait tenté de présenter de nouveaux éléments de preuve à la Cour. La Cour a statué sur la demande en fonction du dossier dont disposait la Commission. Les autres décisions invoquées portent sur des procédures introduites devant le Tribunal canadien des droits de la personne et non devant la Commission.

[45]  M. Dixon soutient également que les intimés auraient dû, de leur propre chef, présenter une preuve en réponse à la plainte et au rapport. Or, les intimés avaient toute discrétion pour répondre à la plainte en première instance ou encore au rapport. Ils n’étaient pas tenus de présenter des commentaires ou d’autres éléments de preuve après avoir reçu le rapport. La lettre de présentation que la Commission a envoyée aux intimés en date du 28 juin 2019 mentionnait que, s’ils acceptaient les conclusions du rapport, ils pouvaient communiquer avec l’agent affecté au dossier pour renoncer à leur droit de répondre. Dans le cas contraire, les intimés pouvaient y répondre, mais ils n’étaient pas tenus de le faire.

V.  Conclusion

[46]  M. Dixon ne peut, par la présente requête, chercher à obtenir d’autres éléments de preuve pour étayer sa plainte. Comme le juge Stratas l’a déclaré dans l’arrêt Tsleil‑Waututh, la délivrance d’un subpoena dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire est rare. M. Dixon n’a pas établi l’existence de circonstances inhabituelles ou rares qui pourraient convaincre la Cour de lui permettre de chercher d’autres faits susceptibles d’étayer sa plainte. À cet égard, je ne qualifie pas la demande de M. Dixon de recherche à l’aveuglette. Il ressort clairement de ses observations qu’il croit sincèrement que les éléments de preuve qu’il demande sont pertinents quant au rôle qui incombe à la Cour dans la présente demande. Toutefois, la requête vise à permettre à M. Dixon de présenter à la Cour d’autres preuves substantielles afin de contester le caractère raisonnable de la décision de la Commission.

[47]  La requête sera rejetée. Je conclus que M. Dixon n’a pas satisfait au critère qui aurait permis de délivrer un subpoena pour qu’il puisse obtenir des documents et des dossiers supplémentaires, et interroger des témoins, et ainsi étayer sa demande de contrôle judiciaire.

[48]  Je conclus également que les intimés n’ont jamais abandonné leur rôle dans la présente demande et qu’ils continuent d’avoir qualité pour agir à titre d’intimés.

[49]  Les intimés n’ont pas demandé de dépens dans la présente demande et la Cour n’en accorde aucuns.

 


ORDONNANCE DANS LE DOSSIER T‑1609‑19

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête du demandeur en vue d’obtenir un subpoena enjoignant aux représentants des intimés (connus et inconnus) de produire des documents et des dossiers et de comparaître, est rejetée.

  2. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Elizabeth Walker »

Juge

Traduction certifiée conforme

Édith Malo, LL.B.


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T‑1609‑19

 

INTITULÉ :

DOUG DIXON c GROUPE BANQUE TD et

TD CANADA TRUST MME JACQUELINE ROVER

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À TORONTO (ONTARIO) ET À OTTAWA (ONTARIO)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 28 OCTOBRE 2020

 

ORDONNANCE ET MOTIFS :

LA JUGE WALKER

 

DATE DES MOTIFS :

LE 12 novembre 2020

 

COMPARUTIONS :

Doug Dixon

 

POUR LE DEMANDEUR

(EN SON PROPRE NOM)

 

Bonny Mak

Justin P’ng

 

Pour les intimés

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Fasken Martineau DuMoulin, s.r.l.

Avocats

Toronto (Ontario)

 

Pour les intimés

 

 

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