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Date : 20000706


Dossier : T-2503-96


OTTAWA (Ontario), le 6 juillet 2000


PRÉSENTE : MADAME LE JUGE HENEGHAN


ENTRE :

     CORNELL TRADING LIMITED,

     appelante,

     - et -

     SAAN STORES LTD.

     et

     LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,


     intimés.



     ORDONNANCE


     L'appel est rejeté avec dépens.


     E. Heneghan

     J.C.F.C.


Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.





Date : 20000706


Dossier : T-2503-96



ENTRE :

     CORNELL TRADING LIMITED,

     appelante,

     - et -

     SAAN STORES LTD.

     et

     LE REGISTRAIRE DES MARQUES DE COMMERCE,

     intimés.



     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE HENEGHAN


[1]          Il s'agit d'un appel interjeté en vertu des articles 56 et 59 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13, à l'encontre d'une décision du registraire des marques de commerce (le registraire) rendue le 18 septembre 1996. Dans cette décision, le registraire rejetait l'opposition produite par Cornell Trading Limited (l'appelante) à la demande n 711 186, visant l'enregistrement de la marque de commerce « CACHE CREEK » et produite par Saan Stores Limited (l'intimée).

Les faits

[2]          Le 20 août 1992, l'intimée a produit la demande n 711 186 (la demande). Cette demande visait l'enregistrement de la marque de commerce CACHE CREEK. L'usage projeté de la marque au Canada était en liaison avec la vente de « vêtements, à savoir chandails, hauts, chemisiers, chemisettes, vestes, manteaux, combinaisons-pantalons, barboteuses, ensemble-shorts, shorts, jupes, robes, ensemble-jupes, tailleurs et T-shirts » dans les magasins de détail exploités par l'intimée.

[3]          La demande de l'intimée a été publiée dans le Journal des marques de commerce le 14 avril 1993 en vue de la procédure d'opposition.

[4]          L'appelante est propriétaire des enregistrements n 339 381 et 349 959 visant la marque « LA CACHE » . Le premier enregistrement de la marque LA CACHE est à l'égard de marchandises, notamment vêtements pour femmes et pour hommes (à l'exception des sous-vêtements), linge de maison et ameublement, vaisselle et articles de cadeau, et objets d'art1. Le second enregistrement est à l'égard de l'exploitation de magasins de détail pour la vente de vêtements (à l'exception des sous-vêtements), linge de maison, ameublement, vaisselle, articles de cadeau et objets d'art2.

[5]          Le 11 juin 1993, l'appelante a produit une déclaration d'opposition à l'encontre de la marque de commerce projetée, CACHE CREEK, fondée sur les motifs suivants :


     [TRADUCTION] La marque de commerce CACHE CREEK de Saan Stores n'est pas enregistrable en vertu de l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce, du fait qu'elle crée de la confusion avec la marque de commerce des appelantes LA CACHE, enregistrée sous les numéros d'enregistrement 339 381 et 349 959;
     Saan Stores n'est pas la personne ayant droit à l'enregistrement de la marque de commerce CACHE CREEK en vertu du paragraphe 16(3) de la Loi sur les marques de commerce;
     La marque CACHE CREEK de Saan Stores n'est pas distinctive au sens de l'article 2 de la Loi sur les marques de commerce.



[6]          L'appelante, en qualité d'opposante, et l'intimée, en qualité de requérante, ont produit des affidavits et des observations écrites dans la procédure d'opposition.

[7]          L'appelante a produit l'affidavit de David Hynes, contrôleur de Cornell Trading Ltd. Cet affidavit portait sur l'activité de la société, son commerce de détail et les chiffres de vente approximatifs des années 1987 à 1993. L'affidavit comportait également des précisions sur la publicité et la promotion des marchandises portant la marque de commerce LA CACHE et des renseignements sur les dépenses effectuées pour la publicité et les activités de promotion de 1987 à 1993. Les données indiquées pour les ventes et les coûts de publicité de 1993 étaient présentées comme incomplètes.

[8]          De son côté, l'intimée a produit les affidavits de Catherine Burnside et Lionel Walz. Mme Burnside, recherchiste en marques de commerce, déposait au sujet de l'état du registre à propos des marques de commerce contenant l'élément « cache » pour les marchandises dans le domaine du vêtement.

[9]          Dans son affidavit, M. Walz, directeur du Service de marchandises pour les vêtements d'enfant chez Saan Stores Ltd., a déposé au sujet du commerce de détail de l'intimée dans le domaine du vêtement et des articles chaussants. M. Walz indiquait le type d'étiquettes utilisées pour présenter la marque CACHE CREEK ainsi que la valeur des ventes de détail de vêtements et d'articles chaussants du 1er septembre 1993 à octobre 1994. Il présentait des échantillons de la publicité utilisée relativement aux marchandises et donnait le coût durant cette même période. Enfin, M. Walz présentait des éléments de preuve au sujet de l'emploi au Canada, par d'autres fabricants, de marques de commerce contenant le mot « cache » .

La décision du registraire

[10]          Dans sa décision, le registraire a indiqué que chacun des motifs d'opposition reposait sur la confusion entre la marque de commerce demandée, CACHE CREEK, et les deux enregistrements de l'opposante portant sur la marque LA CACHE. Toutefois, après avoir examiné la preuve et les observations des avocats, le registraire a conclu que le marque demandée, CACHE CREEK, pour les vêtements et les articles chaussants ne créait pas de confusion avec la marque de l'opposante, LA CACHE, employée et enregistrée en liaison avec, notamment, des vêtements et des services de magasins de vente au détail de vêtements.

                                

[11]          Le registraire a conclu en ces termes :


[TRADUCTION] Considérant tous les facteurs traités ci-dessus, et en ayant à l'esprit que la confusion s'apprécie en fonction de la première impression et d'un souvenir imparfait, je conclus que la marque demandée CACHE CREEK pour les vêtements et les articles chaussants ne crée pas de confusion avec la marque de l'opposante LA CACHE utilisée et enregistrée en liaison avec, notamment, des vêtements et des services de magasins de vêtements. Pour arriver à cette conclusion, j'ai tenu compte de façon particulière du caractère distinctif inhérent relativement faible des marques des parties ainsi que de l'absence de preuve sur le caractère distinctif acquis par la marque LA CACHE en liaison avec les vêtements ou la vente au détail de vêtements; des idées différentes suggérées par les marques en cause; de la preuve de quelque emploi à tout le moins par des tiers de l'élément CACHE dans des marques de vêtements; et de la preuve des activités réelles exercées par les parties [à cet égard, voir McDonald`s Corporation c. Coffee Hut Stores Ltd. (n du greffe A-278-94; 5 juin 1996, C.A.F.).
         Pour les motifs exposés ci-dessus, l'opposition est rejetée.


L'avis d'appel

[12]          L'appelante a déposé son avis d'appel de la décision du registraire le 14 novembre 1996. Elle y invoquait plusieurs moyens d'appel :

         [TRADUCTION]

10.      Le registraire (l'intimé) a conclu à tort que la marque de l'appelante LA CACHE comme un tout possédait un caractère distinctif inhérent relativement faible en liaison avec les marchandises de l'appelante, notamment les articles de vêtement et l'exploitation de magasins.
11.      L'intimé a conclu à tort que la marque CACHE CREEK de l'intimé Saan Stores Ltd. possédait un caractère distinctif inhérent plus grand que la marque de l'appelante.
12.      L'intimé a conclu à tort qu'il n'y avait pas de réputation significative rattachée à la marque de l'appelante pour un magasin de vêtements ou pour des vêtements en tant que tels.
13.      L'intimé a conclu à tort que l'utilisation par l'appelante de la marque de commerce LA CACHE en liaison avec les vêtements depuis 1975 et avec les magasins de détail depuis 1978 n'était pas un facteur qui favorisait nettement l'appelante.
14.      L'intimé a conclu à tort que les idées suggérées par les marques des parties étaient différentes, la marque de l'appelante suggérant une cachette alors que celle de l'intimée Saan Stores Ltd. suggérait un ruisseau caché.
15.      L'intimé a conclu à tort que la marque de l'intimée Saan Stores Ltd. CACHE CREEK pour les vêtements et les articles chaussants ne créait pas de confusion avec la marque de l'appelante LA CACHE utilisée et enregistrée en liaison avec, notamment, des vêtements et des services de magasins de vêtements.
16.      L'intimé a accordé de l'importance à tort au fait que l'appelante n'a pas présenté de preuve de cas de confusion réelle. Ce faisant, il a erré en droit en appliquant incorrectement le fardeau de preuve dans la procédure d'opposition. En fait, il s'est trouvé à renverser le fardeau de la preuve.
17.      L'intimé aurait dû conclure que la demande de la marque de commerce CACHE CREEK n'était pas enregistrable et que Saan Stores Ltd. (l'intimée) ne s'était pas acquittée du fardeau de preuve qui lui incombait sur la question de la confusion et du droit à la marque.
18.      L'intimé aurait dû conclure, compte tenu de toute la preuve et du droit applicable, que la marque de l'intimée causerait vraisemblablement de la confusion avec la marque de commerce enregistrée de l'appelante ainsi qu'il est prévu à l'alinéa 12(1)d) de la Loi sur les marques de commerce et que l'intimée n'avait pas le droit d'obtenir l'enregistrement pour sa demande de la marque de commerce CACHE CREEK compte tenu de l'emploi antérieur au Canada par l'appelante Cornell Trading Ltd. de la marque de commerce LA CACHE.



Les arguments de l'appelante

[13]          À l'audience, l'appelante a concentré son argumentation sur les points suivants. Premièrement, elle a plaidé que c'est à tort que le registraire a jugé qu'il n'y avait pas de preuve de cas de confusion réelle entre la marque de l'appelante LA CACHE et la marque projetée CACHE CREEK.

[14]          Deuxièmement, l'appelante soutient que le registraire a encore erré sur la question du caractère distinctif inhérent en ne regardant pas les deux enregistrements de la marque LA CACHE, se rapportant l'un aux marchandises et l'autre à l'exploitation de magasins de détail, en vue d'apprécier le caractère distinctif. Elle prétend que le registraire n'a pas considéré le caractère distinctif relativement aux activités de détail et n'a pas considéré la preuve concernant l'emballage, les cartes et les rubans utilisés dans les activités de détail, pour arriver à sa conclusion sur le caractère distinctif.

[15]          Troisièmement, l'appelante a plaidé que le registraire s'est trompé dans son analyse de la question du caractère distinctif acquis. En particulier, elle soutient que l'analyse du registraire au sujet du caractère distinctif acquis et de la mesure dans laquelle la marque LA CACHE était connue constitue l'erreur la plus importante de la décision. Le registraire a noté la bonne réputation acquise par la marque de commerce LA CACHE au Canada en liaison avec l'exploitation de magasins de détail offrant des fournitures de tous genres. L'appelante prétend que c'est à tort que le registraire a relié de façon particulière la preuve présentée à la question de l'emploi en liaison avec les vêtements pour arriver à sa conclusion au sujet de l'absence de réputation significative de la marque de commerce de l'appelante. Bref, elle soutient que le registraire n'a pas apprécié correctement sa réputation en liaison avec les vêtements ou la vente de vêtements pour déterminer si la marque LA CACHE avait acquis un caractère distinctif.


Les arguments de l'intimée

[16]          L'intimée soutient que le registraire n'a pas erré en concluant que les marques ne créaient pas de confusion. Elle plaide que les marques, par leur apparence et par leur son, suggèrent des idées différentes. Elle soutient également que la marque de l'appelante fait l'éloge de ses marchandises.

[17]          L'intimée allègue encore que le preuve présentée par l'appelante n'établit pas que la marque était devenue connue des consommateurs comme provenant d'une source particulière.

[18]          Selon l'intimée, la preuve présentée par l'appelante conduit à la conclusion que la marque avait été employée en liaison avec l'exploitation d'un magasin de détail et que l'on n'a qu'une estimation disant que 50 % ou plus des ventes au Canada se rapportaient à la vente de vêtements.

    

[19]          L'intimée fait également valoir que, dans le cas de marques sans caractère distinctif inhérent, la simple ressemblance des marchandises liées aux marques de commerce ne suffit pas à créer de la confusion sur le marché. Elle soutient que, pour apprécier la nature du commerce, il faut prendre en compte l'ensemble des circonstances entourant ce commerce. Elle prétend que l'activité effective exercée par les parties est tout à fait différente, ce qui diminue le risque de confusion.

        

[20]          Enfin, l'intimée soutient que la Commission n'a pas commis d'erreur en accordant de l'importance au fait qu'aucune preuve de cas de confusion réelle n'avait été présentée par l'appelante.

La norme de contrôle

[21]          La première question à traiter est celle de la norme de contrôle applicable à l'appel d'une décision du registraire des marques de commerce en vertu des articles 56 et 59 de la Loi sur les marques de commerce.


[22]          Les articles 56 et 59 de la Loi sur les marques de commerce sont ainsi conçus :



56. (1) An appeal lies to the Federal Court from any decision of the Registrar under this Act within two months from the date on which notice of the decision was dispatched by the Registrar or within such further time as the Court may allow, either before or after the expiration of the two months.

56. (1) Appel de toute décision rendue par le registraire, sous le régime de la présente loi, peut être interjeté à la Cour fédérale dans les deux mois qui suivent la date où le registraire a expédié l'avis de la décision ou dans tel délai supplémentaire accordé par le tribunal, soit avant, soit après l'expiration des deux mois.

59. (1) Where an appeal is taken under section 56 by the filing of a notice of appeal, or an application is made under section 57 by the filing of an originating notice of motion, the notice shall set out full particulars of the grounds on which relief is sought.

(2) Any person on whom a copy of the notice described in subsection (1) has been served and who intends to contest the appeal or application, as the case may be, shall file and serve within the prescribed time or such further time as the court may allow a reply setting out full particulars of the grounds on which he relies.

(3) The proceedings on an appeal or application shall be heard and determined summarily on evidence adduced by affidavit unless the court otherwise directs, in which event it may order that any procedure permitted by its rules and practice be made available to the parties, including the introduction of oral evidence generally or in respect of one or more issues specified in the order.

59. (1) Lorsqu'un appel est porté sous le régime de l'article 56 par la production d'un avis d'appel, ou qu'une demande est faite selon l'article 57 par la production d'un avis de requête, l'avis indique tous les détails des motifs sur lesquels la demande de redressement est fondée.

(2) Toute personne à qui a été signifiée une copie de cet avis, et qui entend contester l'appel ou la demande, selon le cas, produit et signifie, dans le

délai prescrit ou tel nouveau délai accordé par le tribunal, une réplique indiquant tous les détails des motifs sur lesquels elle se fonde.


(3) Les procédures sont entendues et décidées par voie sommaire sur une preuve produite par affidavit, à moins que le tribunal n'en ordonne autrement, auquel cas il peut prescrire que toute procédure permise par ses règles et sa pratique

soit rendue disponible aux parties, y compris l'introduction d'une preuve orale d'une façon générale ou à l'égard d'une ou de plusieurs questions spécifiées dans l'ordonnance.

[23]          La norme de contrôle applicable à la conclusion du registraire au sujet de la confusion a reçu une nouvelle formulation dans deux affaires récentes en fonction de l'analyse pragmatique et fonctionnelle qui est apparue en droit administratif. Dans l'affaire Garbo Group Inc. c. Harriet Brown & Co.3, le juge Evans a écrit :

         En guise de conclusion, j'estime, après avoir évalué ces facteurs, que, malgré l'ajout dans la Loi sur les marques de commerce d'un droit d'appel non restreint et du droit de présenter des éléments de preuve additionnels, la cour d'appel doit faire preuve d'un degré considérable de retenue envers les conclusions de fait tirées par le registraire, à la condition du moins qu'aucun nouvel élément de preuve de poids n'ait été fourni relativement à une question de fait et qu'aucune erreur de droit n'ait été invoquée.
         Compte tenu, plus particulièrement, des connaissances spécialisées du registraire en ce qui touche la question de la confusion, des raisons pour lesquelles on a conféré les pouvoirs décisionnels au registraire, et de la nature des droits en jeu, la plus appropriée des trois normes de contrôle actuelles est celle de la « décision déraisonnable simpliciter » . Selon l'arrêt Southam , précité, cette expression est synonyme de « décision manifestement erronée » .
         Je suis conforté dans cette conclusion par l'opinion analogue formulée par le juge Lutfy dans la décision Young Drivers, précitée, même s'il n'a pas jugé nécessaire, à la lumière des faits de cette espèce, de prononcer une conclusion définitive sur la question. Voici ce qu'il a déclaré :
                 Si l'on peut à juste titre qualifier la question de la confusion de question mélangée de droit et de fait, la norme de contrôle applicable est encore plus éloignée de celle du bien-fondé de la décision. Les connaissances et compétences spéciales du registraire commandent peut-être une plus grande retenue judiciaire lorsqu'aucun nouvel élément de preuve n'est présenté en appel. La décision à rendre en appel consiste davantage à déterminer si la décision du registraire est « manifestement erronée » ou « déraisonnable » .4     

[24]          Dans l'affaire Brasseries Molson c. John Labatt Ltée5, le juge Rothstein a formulé des observations semblables au sujet de la retenue qui s'impose à l'égard de la décision du registraire :

Je pense que l'approche suivie dans les affaires Benson & Hedges et McDonald's Corp. est conforme à la conception moderne de la norme de contrôle. Même s'il y a, dans la Loi sur les marques de commerce, une disposition portant spécifiquement sur la possibilité d'un appel à la Cour fédérale, les connaissances spécialisées du registraire sont reconnues comme devant faire l'objet d'une certaine déférence. Compte tenu de l'expertise du registraire, et en l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, je considère que les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire6.

[25]          À la lumière de ces deux décisions récentes, il est nécessaire d'examiner les affidavits supplémentaires produits par l'appelante et l'intimée en vue de décider s'ils auraient eu un effet important sur les conclusions de fait du registraire ou sur son appréciation discrétionnaire.

La nouvelle preuve

[26]          L'appelante a présenté des affidavits supplémentaires souscrits par Robert White et Clara Gomez. Quant à l'intimée, elle a déposé les affidavits de Karen Messer, Karen Paquette-Adams et Jason Gudofsky.

[27]          En ce qui concerne la nouvelle preuve déposée par l'appelante, l'affidavit White visait à fournir des renseignements provenant de l'Audit Bureau of Circulation pour démontrer l'audience de la publicité des marques LA CACHE. L'affidavit donnait des renseignements sur les chiffres de circulation pour la publicité portant sur les marchandises de l'appelante au cours de la période allant de 1986 à 1995. Quant à l'affidavit Gomez, il visait à corriger certaines erreurs contenues dans l'affidavit de David Hynes au sujet des données annuelles sur les ventes et les dépenses de publicité et de promotion.

[28]          Quant à l'intimée, elle a déposé deux affidavits de Karen Messer, un affidavit de Karen Paquette-Adams et un affidavit de Jason Gudofsky. Les affidavits de Karen Messer, recherchiste en marques de commerce, donnaient des renseignements sur l'état du registre à propos des marques de commerce contenant l'élément CACHE en liaison avec les vêtements, postérieurement à la décision du registraire.

[29]          L'affidavit de Karen Paquette-Adams contenait des renseignements au sujet d'une visite qu'elle a faite à un magasin LA CACHE à Ottawa et de son examen des vêtements à ce magasin. En particulier, elle a déposé qu'elle a constaté qu'aucun vêtement, ni aucun autre article, ne portait d'étiquette LA CACHE7.

[30]          Enfin, l'affidavit Gudofsky donnait des renseignements sur la signification du mot « cache » dans les dictionnaires anglais et français.

[31]          L'appelante soutient qu'elle a présenté, en appel, une nouvelle preuve d'une telle importance que la Cour devrait traiter l'affaire comme un procès de novo. Elle plaide que le registraire a erré en droit, comme elle l'a exposé dans ses observations, et que la Cour peut intervenir relativement aux conclusions sur l'absence de confusion ou de caractère distinctif.

[32]          L'intimée soutient qu'il faut une nouvelle preuve significative en appel pour que la Cour puisse exercer son pouvoir discrétionnaire sans aucune entrave. Selon elle, la nouvelle preuve n'est pas suffisamment importante et, par conséquent, il faut un degré élevé de retenue à l'endroit de la décision du registraire.

[33]          La norme de contrôle applicable en l'espèce est celle qui est formulée par notre Cour dans l'affaire Garbo, précitée, et par la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Molson, précitée. Le contrôle de la décision du registraire doit se faire selon la norme du caractère raisonnable, à moins que la nouvelle preuve, dont il n'était pas saisi, ne soit telle qu'elle aurait eu une incidence importante sur sa décision.

[34]          Selon la Cour d'appel fédérale dans l'affaire Molson, précitée, l'introduction d'une nouvelle preuve dans un appel fondé sur le paragraphe 56(5) de la Loi sur les marques de commerce doit être examinée en fonction de l'importance de l'incidence qu'elle aurait eue sur la décision du registraire si elle lui avait été présentée.

[35]          La nouvelle preuve présentée par l'appelante est supposée compléter les renseignements fournis au registraire au départ. L'affidavit de Clara Gomez contient des renseignements « nouveaux » au sujet de l'exploitation des magasins sous la marque de commerce LA CACHE, tant les magasins appartenant à l'appelante que les magasins exploités en franchise. Cet affidavit introduit également des photographies de certains magasins de détail. Il donne également des renseignements supplémentaires sur le chiffre des ventes annuelles de vêtements et présente des illustrations d'affiches publicitaires, l'emballage, des rubans, des cartes ainsi qu'un sac servant à emballer les achats. Quant à l'affidavit de Clara Gomez, il contient aussi des exemples de publicité et des renseignements sur les dépenses reliées à la participation à des salons professionnels.

[36]          La nouvelle preuve présentée par l'appelante est de la même nature, mais en plus grande quantité, que la preuve présentée au départ. Il n'existe pas de différence importante entre la preuve initiale de David Hynes et celle qui a été présentée par l'appelante en appel.

[37]          À mon avis, la nouvelle preuve présentée par l'appelante au stade de l'appel n'est pas telle qu'elle aurait eu une incidence importante sur la conclusion du registraire à l'égard des questions de la confusion et du caractère distinctif.

[38]          Ayant décidé qu'il ne s'agit pas d'une situation dans laquelle je devrais traiter l'affaire de novo, il me faut maintenant examiner les conclusions du registraire sur les questions centrales de la confusion et du caractère distinctif pour juger si elles sont raisonnables.

Les questions

[39]          L'appelante a indiqué qu'il y avait deux questions à trancher en appel, à savoir :

     1)      Est-ce à tort que le registraire a jugé que la marque de Saan Stores CACHE CREEK est distinctive et ne crée pas de confusion avec la marque enregistrée de l'appelante LA CACHE, qui est également employée en liaison avec les vêtements?
     2)      Est-ce à tort que le registraire a conclu que la marque de Saan Stores CACHE CREEK était enregistrable sur le fondement de l'emploi projeté en liaison avec les vêtements?

Analyse

[1]          La clé du présent appel est la question de la confusion. La confusion est aussi le motif sur lequel l'appelante a fondé son opposition à la demande d'enregistrement de la marque CACHE CREEK présentée par l'intimée.

[2]          Dans la procédure d'opposition, il incombe à la partie qui demande l'enregistrement de la marque d'établir l'absence de risque de confusion. Par conséquent, l'opposant n'a pas de fardeau de preuve8.

[3]          C'est pour cette raison que l'opposant n'a pas à présenter de preuve de confusion réelle9.

[4]          À mon avis, le registraire a formulé correctement le critère de la confusion dans sa décision. Il a considéré les facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce. Il n'a pas fondé sa conclusion que les marques étaient semblables au point de prêter à confusion sur l'absence de preuve de confusion réelle. Il a manifestement considéré les facteurs pertinents avant de faire allusion au fait [TRADUCTION] qu' « il n'y a pas de preuve de cas de confusion réelle malgré l'emploi simultané des marques depuis 1993 » . À mon avis, le registraire ne faisait que constater qu'on ne trouvait dans la preuve aucun cas de confusion réelle; il n'indiquait pas qu'il introduisait dans son analyse ou son raisonnement l'exigence d'une preuve de confusion réelle.

[5]          Après avoir jugé que le registraire n'avait pas erré dans son appréciation du fardeau de preuve dans la procédure d'opposition, il est nécessaire de décider si le registraire a erré d'une autre manière pour arriver à la conclusion que la marque CACHE CREEK ne crée pas de confusion avec la marque de l'opposante LA CACHE, enregistrée à la fois pour les marchandises et les services.

[6]          L'article 6 de la Loi sur les marques de commerce, particulièrement les paragraphes (1), (2) and (5) sont pertinents par rapport au présent appel. Ces paragraphes sont ainsi conçus :

6(1) For the purposes of this Act, a trade-mark or trade-name is confusing with another trade-mark or trade-name if the use of the first mentioned trade-mark or trade-name would cause confusion with the last mentioned trade-mark or trade-name in the manner and circumstances described in this section.



(2) The use of a trade-mark causes confusion with another trade-mark if the use of both trade-marks in the same area would be likely to lead to the inference

that the wares or services associated with those trade-marks are manufactured, sold, leased, hired or performed by the same person, whether or not the wares or services are of the same general class.

                    

     . . .

(5) In determining whether trade-marks or trade-names are confusing, the court or the Registrar, as the case may be, shall have regard to all the surrounding circumstances including

(a) the inherent distinctiveness of the trade-marks or trade-names and the extent to which they have become known;

(b) the length of time the trade-marks or trade-names have been in use;

(c) the nature of the wares, services or business;

(d) the nature of the trade; and

(e) the degree of resemblance between the trade-marks or trade-names in appearance or sound or in the ideas suggested by them.

6(1) Pour l'application de la présente loi, une marque de commerce ou un nom commercial crée de la confusion avec une autre marque de commerce ou un autre nom commercial si l'emploi de la marque de commerce ou du nom commercial en premier lieu mentionnés cause de la confusion avec la marque de commerce ou le nom commercial en dernier lieu mentionnés, de la manière et dans les circonstances décrites au présent article.

(2) L'emploi d'une marque de commerce crée de la confusion avec une autre marque de commerce lorsque l'emploi des deux marques de commerce dans la même région serait susceptible de faire conclure que les marchandises liées à ces marques de commerce sont fabriquées, vendues, données à bail ou louées, ou que les services liés à ces marques sont loués ou exécutés, par la même personne, que ces marchandises ou ces services soient ou non de la même catégorie générale.

     . . .

(5) En décidant si des marques de commerce ou des noms commerciaux créent de la confusion, le tribunal ou le registraire, selon le cas, tient compte de toutes les circonstances de l'espèce, y compris :

a) le caractère distinctif inhérent des marques de commerce ou noms commerciaux, et la mesure dans laquelle ils sont devenus connus;

b) la période pendant laquelle les marques de commerce ou noms commerciaux ont été en usage;

c) le genre de marchandises, services ou entreprises;

d) la nature du commerce;

e) le degré de ressemblance entre les marques de commerce ou les noms commerciaux dans la présentation ou le son, ou dans les idées qu'ils suggèrent.

[7]          La formulation du paragraphe 6(5) donne à penser que ces facteurs ne sont pas exhaustifs et la jurisprudence a confirmé que ces facteurs n'ont pas tous le même poids10.

Le caractère distinctif inhérent

[8]          Le premier facteur énuméré au paragraphe 6(5) est le caractère distinctif inhérent et la mesure dans laquelle les marques sont devenues connues.

[9]          En l'espèce, le registraire a jugé, d'après la preuve dont il était saisi, que la marque de l'appelante LA CACHE comportait un caractère distinctif inhérent faible en liaison avec les marchandises et l'exploitation de magasins de détail.

[10]          L'appelante plaide que le registraire a erré en ce qu'il n'a pas regardé la marque eu égard aux deux enregistrements pour la marque LA CACHE, à savoir les marchandises et l'exploitation de magasins de détail.

[11]          Je ne puis retenir cette argumentation. Le registraire a considéré les deux enregistrements de la marque LA CACHE en décidant que la marque comportait un caractère distinctif inhérent faible, et par conséquent, je suis d'avis qu'il n'y a pas de motifs d'infirmer sa décision.

[12]          Je renvoie à la décision de la Cour d'appel fédérale dans l'affaire United Artists c. Pink Panther Beauty Corp.11 :

Une marque possède un caractère distinctif inhérent lorsque rien en elle n'aiguille le consommateur vers une multitude de sources.

    

[13]          Enfin, il convient de relever que le caractère distinctif inhérent ne constitue que l'un des facteurs énumérés au paragraphe 6(5) de la Loi sur les marques de commerce et qu'on ne saurait le considérer isolément des autres facteurs qui y sont énumérés.

Le caractère distinctif acquis

[14]          De plus, on n'a présenté de preuve ni à moi ni au registraire pour établir que les marchandises en question, à savoir les vêtements, portaient la marque LA CACHE.

[15]          Le paragraphe 4(1) définit l'emploi d'une marque de commerce. Il est ainsi conçu :


4. (1) A trade-mark is deemed to be used in association with wares if, at the time of the transfer of the property in or possession of the wares, in the

normal course of trade, it is marked on the wares themselves or on the packages in which they are distributed or it is in any other manner so associated with the wares that notice of the association is then given to the person to whom the

property or possession is transferred.

(2) A trade-mark is deemed to be used in association with services if it is used or displayed in the performance or advertising of those services.

(3) A trade-mark that is marked in Canada on wares or on the packages in which they are contained is, when the wares are exported from Canada, deemed to be used in Canada in association with those wares.


4. (1) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des marchandises si, lors du transfert de la propriété ou de la possession de ces marchandises, dans la pratique normale du commerce, elle est apposée sur les marchandises mêmes ou sur les colis dans lesquels ces marchandises sont distribuées, ou si elle est, de toute autre manière, liée aux marchandises à tel

point qu'avis de liaison est alors donné à la personne à qui la propriété ou possession est transférée.

(2) Une marque de commerce est réputée employée en liaison avec des services si elle est employée ou montrée dans l'exécution ou l'annonce de ces services.

(3) Une marque de commerce mise au Canada sur des marchandises ou sur les colis qui les contiennent est réputée, quand ces marchandises sont exportées du Canada, être employée dans ce pays en liaison avec ces marchandises.

[16]          On trouve dans l'affidavit Gomez la déclaration suivante :

[TRADUCTION] Pour illustrer partiellement l'emploi que la société fait maintenant, et a fait, dans tout le Canada de la marque LA CACHE, les pièces suivantes sont jointes en annexe au présent affidavit :
Pièce CG-11 :      copies d'affiches publicitaires placées dans divers magasins LA CACHE;
Pièce CG-12 :      dépliant distribué dans divers magasins LA CACHE;
Pièce CG-13 :      rubans utilisés dans l'emballage de cadeaux dans les magasins LA CACHE;
Pièce CG-14 :      cartes distribuées dans divers magasins LA CACHE;
Pièce CG-15:      sac dans lequel sont placés les achats de clients dans les magasins LA CACHE.

    

[17]          Compte tenu de cette preuve et de la preuve contenue dans l'affidavit de Karen Paquette-Adams, présenté par l'intimée et indiquant que les vêtements ne portaient pas la marque LA CACHE et portaient même d'autres étiquettes, je ne puis conclure, sur le fondement de la preuve dont je suis saisie, que l'appelante avait acquis une réputation significative au point que la marque LA CACHE aurait acquis un caractère distinctif en liaison avec les vêtements ou un magasin de vêtements.

[18]          Donc, malgré le fort volume des ventes de vêtements signalé par l'appelante, et les dépenses de publicité et de promotion qui ont été faites, je ne puis toujours pas conclure que c'est à tort que le registraire a décidé que les marques LA CACHE n'avaient pas acquis de caractère distinctif, en liaison avec les vêtements et la vente au détail de vêtements.

                                    

[19]          Comme l'a fait observer le juge Linden dans l'arrêt Pink Panther12, précité,

Pour établir ce caractère distinctif acquis, il faut démontrer que les consommateurs savent que cette marque vient d'une source en particulier.

[20]          Ce n'est pas le cas en l'espèce. Il n'y a que des estimations au sujet des ventes de vêtements et des ventes annuelles de vêtements. L'appelante a plutôt fourni certains renseignements au sujet des ventes et des frais de promotion et invite la Cour à en déduire un caractère distinctif acquis. À mon avis, la nouvelle preuve présentée par l'appelante ne justifie pas une telle déduction.

[21]          Quant aux autres moyens de l'appelante, je suis d'avis que les conclusions du registraire au sujet de la période pendant laquelle les marques ont été en usage, la nature du commerce et le degré de ressemblance entre les marques doivent rester telles quelles. L'appelante n'a présenté aucune nouvelle preuve ayant une incidence importante sur ces conclusions. En outre, la décision du registraire dans son ensemble est raisonnable, au vu de la preuve dont je suis saisie.

[22]          Je suis donc convaincue que le registraire n'a pas erré en concluant qu'il n'y avait pas de risque raisonnable de confusion entre la marque demandée CACHE CREEK et la marque de l'appelante LA CACHE.

[23]          L'appel est rejeté avec dépens.


     E. Heneghan

     J.C.F.C.

OTTAWA (Ontario)

Le 6 juillet 2000



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

COUR D'APPEL DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


AVOCATS ET AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER



N DU GREFFE :              T-2503-96
INTITULÉ DE LA CAUSE :      CORNELL TRADING LTD. c. SAAN STORES LTD. ET AL.
LIEU DE L'AUDIENCE :          Montréal (Québec)
DATE DE L'AUDIENCE :          le 5 janvier 2000

MOTIFS DU JUGEMENT DE MADAME LE JUGE HENEGHAN

EN DATE DU :              6 juillet 2000


ONT COMPARU :


Me Judith Robinson et Me Frédérique Amrouni          POUR L'APPELANTE
Me Mirko Bibic et Me Justine Whitehead              POUR L'INTIMÉE


AVOCATS AU DOSSIER :


Ogilvy, Renault                          POUR L'APPELANTE

Montréal (Québec)

Stikeman, Elliott                          POUR L'INTIMÉE

Ottawa (Ontario)

__________________

1Pièce DH-1 annexée à l'affidavit de David Hynes.

2Ibid.

3(1999), 3 C.P.R. (4th) 224 (C.F. 1re inst.).

4Ibid. aux p. 234 et 235.

5[2000] A.C.F. n 159, A-428-98 (3 février 2000).

6Ibid. au par. 51.

7Affidavit de Karen Paquette-Adams, Dossier de demande de l'appelante, p. 952.

8Conde Nast Publications Inc. c. Gozlan Brothers Ltd. (1980), 49 C.P.R. (2d) 250, à la p. 253 (C.F. 1re inst.).

9Standard Coil Products (Canada) Ltd. c. Standard Radio Corp. (1971), 1 C.P.R. (2d) 155, à la p. 170 (C.F. 1re inst.), appel rejeté sans motifs (1976), 26 C.P.R. (2d) 288 (C.A.F.).

10Voir Gainers Inc. c. Tammy L. Marchildon et le registraire des marques de commerce (12 mars 1996, T-19530-94).

11(1998), 80 C.P.R. (3d) 247 (C.A.F.) 247, à la p. 259.

12Ibid. at 259.

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