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Date : 20010111

Dossier : T-1058-98

Ottawa (Ontario), le 11 janvier 2001

DEVANT : MONSIEUR LE JUGE PELLETIER

ENTRE :

THE WALT DISNEY COMPANY ET AUTRES

demandeurs

- et -

M. UNTEL et MME UNETELLE et

LES AUTRES PERSONNES DONT LE NOM EST INCONNU

QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT,

PRODUISENT, IMPRIMENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT, EXPOSENT, ENTREPOSENT, EXPÉDIENT OU FONT LE COMMERCE DE MARCHANDISES

DISNEY NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES, AINSI QUE LES PERSONNES

DONT LE NOM FIGURE À L'ANNEXE « A »

défendeurs

- et -

ENTRE :

T-550-99

VIACOM HA! HOLDING COMPANY ET AUTRES

demandeurs

- et -

M. UNTEL et MME UNETELLE et

LES AUTRES PERSONNES DONT LE NOM EST INCONNU

QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT,

PRODUISENT, IMPRIMENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT, EXPOSENT, ENTREPOSENT, EXPÉDIENT OU FONT LE COMMERCE DE MARCHANDISES

SOUTH PARK NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES, AINSI QUE LES PERSONNES

DONT LE NOM FIGURE À L'ANNEXE « A »

défendeurs


- et -

ENTRE :

T-823-99

NINTENDO OF AMERICA INC. et

NINTENDO OF CANADA LTD.

demanderesses

- et -

M. UNTEL et MME UNETELLE et

LES AUTRES PERSONNES DONT LE NOM EST INCONNU

QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT,

PRODUISENT, IMPRIMENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT, EXPOSENT, ENTREPOSENT, EXPÉDIENT OU FONT LE COMMERCE DE MARCHANDISES

POKEMON NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES, AINSI QUE LES PERSONNES

DONT LE NOM FIGURE À L'ANNEXE « A »

défendeurs

- et -

ENTRE :

T-1064-98

TIME WARNER ENTERTAINMENT COMPANY, L.P.

demanderesse

- et -

M. UNTEL et MME UNETELLE et LES AUTRES PERSONNES DONT LE NOM EST INCONNU QUI OFFRENT EN VENTE, VENDENT, IMPORTENT, FABRIQUENT, PRODUISENT, IMPRIMENT, DISTRIBUENT, ANNONCENT, EXPOSENT, ENTREPOSENT, EXPÉDIENT OU FONT LE COMMERCE DE MARCHANDISES

NON AUTORISÉES OU CONTREFAITES REPRÉSENTANT DES PERSONNAGES DE LOONEY TUNES, AINSI QUE LES PERSONNES

DONT LE NOM FIGURE À L'ANNEXE « A »

défendeurs


MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE PELLETIER

[1]         Dans chacune des actions, les demandeurs ont présenté une requête en vue de faire rejeter les demandes reconventionnelles déposées par les défendeurs. Étant donné que les points litigieux et les faits sont identiques dans tous les dossiers, ces motifs s'appliquent à chacune des actions. Une ordonnance distincte est rendue dans chaque action.

[2]         Cette requête soulève la question de l'effet d'une ordonnance révisant l'exécution d'une ordonnance Anton Piller et maintenant l'ordonnance jusqu'à ce que l'action soit instruite. La question découle du dépôt par les demandeurs d'un avis de requête visant à l'obtention d'une ordonnance radiant les demandes reconventionnelles des défendeurs pour le motif, entre autres, qu'elles sont [TRADUCTION] « non pertinentes, redondantes ou frivoles et vexatoires parce qu'elles réaffirment les faits allégués sans succès par les défendeurs dans le cadre de la requête en révision » . Cela donne à entendre que les questions qui sont tranchées dans le cadre de la requête en révision constituent une chose jugée entre les parties et ne peuvent donc pas être de nouveau débattues dans l'action elle-même.


[3]         J'exposerai brièvement les faits. Chacun des demandeurs a obtenu une ordonnance Anton Piller « renouvelable » d'un juge de cette cour. Le 23 mai 1999, les représentants des demandeurs ont exécuté ces ordonnances contre les défendeurs Alnashir Tejani (M. Tejani), Ghanwa ElMerhebi, Global Fashion and Toys, Toys in Motion et Bathroom City Enterprises Ltd. (les défendeurs ElMerhebi). En même temps, des avis de requête ont été signifiés aux défendeurs éventuels, selon lesquels les requêtes en révision devaient être entendues le 7 juin 1999. Les défendeurs, qui étaient alors représentés par des avocats, ont comparu à l'audition de la requête en révision; ils ont sollicité et obtenu divers ajournements leur permettant de soumettre leurs propres documents. Les requêtes en révision n'ont donc été entendues que le 24 mars 2000.

[4]         Lors de l'audition de la requête en révision, les défendeurs ont soulevé un certain nombre de questions. Comme le montrent les motifs de l'ordonnance de Madame le juge Tremblay-Lamer, qui a entendu la requête, les défendeurs ont contesté les questions ci-après énoncées :

-            la question de savoir si les conditions en vue de la délivrance d'une ordonnance Anton Piller étaient en premier lieu remplies;

-            la question de savoir s'il existait des éléments de preuve tendant à montrer que les défendeurs en cause avaient détruit certains éléments de preuve en vue de justifier l'exécution de l'ordonnance Anton Piller;

-            la question de savoir si, au moment de son exécution, l'ordonnance Anton Piller avait été exécutée conformément aux conditions qui y étaient fixées, les explications qui devaient être fournies au moment de l'exécution, le nombre de personnes autorisées à participer à l'exécution, la possibilité pour les défendeurs éventuels de consulter un avocat et la préparation d'un inventaire exact des marchandises qui avaient été retirées des lieux;

-            la question de savoir si l'ordonnance était invalide en raison de la violation des dispositions de la Charte canadienne des droits et libertés.


[5]         Dans des motifs minutieusement rédigés, Madame le juge Tremblay-Lamer a rejeté toutes les objections et accordé l'ordonnance de révision. Un appel a été interjeté contre cette ordonnance. Une requête visant à l'obtention d'un sursis à l'exécution de l'ordonnance rendue par Madame le juge Tremblay-Lamer en attendant l'audition de l'appel a été rejetée. Monsieur le juge McKeown a accueilli une requête visant à l'obtention d'une prorogation de délai en vue du dépôt des défenses. Il a également accueilli une requête autorisant Ghanwa ElMerhebi à déposer une défense pour le compte de Bathroom City Enterprises Ltd., mais il a refusé de permettre à cette dernière de prendre d'autres mesures pour le compte de la société.

[6]         Les défenses et les demandes reconventionnelles ont finalement été déposées. Les défenses remettent en question la violation des droits de propriété intellectuelle des demandeurs; il a subsidiairement été plaidé que la violation, le cas échéant, a été commise en toute innocence. De plus, la défense qui a été déposée pour le compte des défendeurs ElMerhebi remettait en question l'omission de plaider le statut de société de Global Fashion & Toys et de Toys in Motion.

[7]         Les défenses et les demandes reconventionnelles sont reproduites ci-dessous :

[TRADUCTION]

DÉFENSE ET DEMANDE RECONVENTIONNELLE

1.              Le défendeur Alnashir Tejani (M. Tejani) nie les allégations contenues dans la déclaration, sauf dans la mesure où elles sont expressément admises.

2.              M. Tejani nie les allégations de fait contenues dans le premier paragraphe de la déclaration et nie en outre que le demandeur a droit aux réparations recherchées.

3.              M. Tejani nie en outre l'allégation de fait contenue aux paragraphes 2 à 35 inclusivement de la déclaration et exige que le demandeur présente une preuve formelle à cet égard.

4.              Sans limiter le caractère général de ce qui précède, M. Tejani nie avoir de quelque façon violé le droit d'auteur du demandeur, avoir violé la marque de commerce du demandeur, avoir été propriétaire des marchandises contrefaites ou les avoir possédées, ou avoir fait passer ses propres marchandises pour celles du demandeur, et ce, que ce soit en violation de la Loi sur le droit d'auteur, de la Loi sur les marques de commerce, de la common law ou de quelque autre façon.


5.              Sans limiter le caractère général de ce qui précède, M. Tejani nie expressément avoir possédé des produits violant les droits de propriété intellectuelle du demandeur, en avoir été propriétaire ou en avoir fait le commerce, et ce, que ce soit conformément à la Loi sur le droit d'auteur, à la Loi sur les marques de commerce ou de quelque autre façon.

6.              Subsidiairement, si M. Tejani a enfreint une disposition de la Loi sur les marques de commerce ou de la Loi sur le droit d'auteur, ou s'il a de quelque autre façon commis un acte dont le demandeur se plaint dans la déclaration, ce qui est nié, il a agi en toute innocence puisqu'il croyait honnêtement et à bon droit que les marchandises étaient conformes aux dispositions de la Loi sur le droit d'auteur et de la Loi sur les marques de commerce et qu'elles ne violaient pas par ailleurs les droits de propriété intellectuelle du demandeur, ces marchandises ayant été acquises dans le cours normal des activités de l'entreprise.

7.              Aucun acte commis par M. Tejani ne justifie l'octroi au demandeur de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires, ou de dépens sur la base avocat-client.

M. Tejani soutient donc que l'action qui a été intentée contre lui devrait être rejetée avec dépens.

DEMANDE RECONVENTIONNELLE D'ALNASHIR TEJANI

1.              M. Tejani, demandeur dans la demande reconventionnelle, travaille pour Global Fashion & Toys Ltd.

2.              Le 23 mai 1999 ou vers cette date, les demandeurs (les défendeurs dans la demande reconventionnelle) ont saisi des biens dans les locaux de Global Fashion & Toys Ltd., qui exploite son entreprise sous la raison sociale Toys in Motion, en alléguant que les biens saisis étaient fabriqués et distribués en violation de la Loi sur le droit d'auteur et de la Loi sur les marques de commerce.

3.              La saisie desdits biens a été effectuée en présence de nos enfants, sans qu'il soit tenu compte de l'effet que cet événement pourrait avoir sur eux dans l'avenir.

4.              Les actions des demandeurs (les défendeurs dans la demande reconventionnelle) étaient extrêmement intimidantes et brutales, et excédaient les exigences de l'ordonnance qu'ils avaient obtenue, de sorte qu'il convient d'accorder des dommages-intérêts exemplaires et punitifs ainsi qu'une ordonnance enjoignant aux demandeurs (les défendeurs dans la demande reconventionnelle) de payer les dépens sur la base avocat-client.

Fait le 15 juin 2000

[8]         La demande reconventionnelle qui a été présentée pour le compte de Ghanwa ElMerhebi, de Global Fashion & Toys et de Toys in Motion est reproduite ci-dessous :


[TRADUCTION]

DÉFENSE ET DEMANDE RECONVENTIONNELLE

1.              Les défendeurs Ghanwa ElMerhebi, (Mme ElMerhebi), Global Fashion et Toys in Motion (Toys) nient chacune des allégations contenues dans la déclaration, sauf celles qui sont par ailleurs expressément admises.

2.              La déclaration ne renferme aucune indication au sujet du statut juridique de Global ou de Toys.

3.              Pour qu'il existe une cause d'action, la demande doit être présentée contre une personne juridique.

4.              L'omission d'indiquer le statut juridique de Global et de Toys porte un coup fatal à la demande qui est présentée contre ceux-ci et la demande du demandeur devrait être rejetée sommairement contre Global et Toys.

5.              Subsidiairement, si on laisse entendre que Global et Toys sont l'alter ego de Mme ElMerhebi, il est inutile de les inclure à titre de parties et tous les moyens de défense qui seront ci-après soulevés par Mme ElMerhebi s'appliquent mutatis mutandis à Global et à Toys.

6.              Mme ElMerhebi nie les allégations de fait contenues dans le premier paragraphe de la déclaration et nie en outre que le demandeur ait droit aux réparations sollicitées.

7.              Mme ElMerhebi nie en outre les allégations de fait contenues dans les paragraphes 2 à 29 inclusivement de la déclaration et exige que les demandeurs présentent une preuve formelle à cet égard.

8.              Sans limiter le caractère général de ce qui précède, Mme ElMerhebi nie avoir de quelque façon violé le droit d'auteur du demandeur, avoir violé la marque de commerce du demandeur, avoir été propriétaire des marchandises contrefaites ou les avoir possédées, ou avoir fait passer ses propres marchandises pour celles du demandeur, et ce, que ce soit en violation de la Loi sur le droit d'auteur, de la Loi sur les marques de commerce, de la common law ou de quelque autre façon.

9.              Sans limiter le caractère général de ce qui précède, Mme ElMerhebi nie expressément avoir possédé des produits violant les droits de propriété intellectuelle du demandeur, ou en avoir été propriétaire ou en avoir fait le commerce, et ce, que ce soit conformément à la Loi sur le droit d'auteur, à la Loi sur les marques de commerce ou de quelque autre façon.

10.            Subsidiairement, si Mme ElMerhebi a enfreint une disposition de la Loi sur les marques de commerce ou de la Loi sur le droit d'auteur, ou si elle a par ailleurs commis l'un des actes dont se plaint le demandeur dans la déclaration, ce qui est nié, elle a agi en toute innocence puisqu'elle croyait honnêtement et à bon droit que les marchandises qu'elle possédait, dont elle était propriétaire ou dont elle faisait le commerce étaient tout à fait conformes aux dispositions de la Loi sur le droit d'auteur et de la Loi sur les marques de commerce et qu'elle n'a pas par ailleurs violé les droits de propriété intellectuelle du demandeur puisqu'elle avait légitimement acquis ces marchandises afin de les revendre dans le cours normal des activités de son entreprise.


11.            Aucun acte commis par Mme ElMerhebi ne justifie l'octroi au demandeur de dommages-intérêts punitifs ou exemplaires , ou de dépens sur la base avocat-client.

Par conséquent, les défendeurs Ghanwa ElMerhebi, Global Fashion & Toys, et Toys in Motion soutiennent que la demande du demandeur doit être rejetée avec dépens.

DEMANDE RECONVENTIONNELLE DE GHANWA ELMERHEBI, DE GLOBAL                                 FASHION & TOYS ET DE TOYS IN MOTION

1.              Mme ElMerhebi, demanderesse dans la demande reconventionnelle, est une femme d'affaires.

2.              Le 23 mai 1999 ou vers cette date, le demandeur (le défendeur dans la demande reconventionnelle) a illégalement saisi des biens appartenant à Mme ElMerhebi (les biens saisis) en alléguant entre autres que ces biens étaient fabriqués et distribués en violation de la Loi sur le droit d'auteur et de la Loi sur les marques de commerce.

3.              Les biens saisis n'étaient pas fabriqués ou distribués en violation de la Loi sur le droit d'auteur, de la Loi sur les marques de commerce ou de quelque autre droit de propriété intellectuelle du demandeur (le défendeur dans la demande reconventionnelle).

4.              La saisie était illicite et le demandeur (le défendeur dans la demande reconventionnelle) savait ou aurait dû savoir que les biens saisis comprenaient des marchandises légitimes.

5.              Mme ElMerhebi a subi un préjudice par suite de la saisie illicite, et notamment des dommages-intérêts généraux, des dommages-intérêts spéciaux et des dommages-intérêts par suite de la perte de réputation.

6.              Les actions du demandeur étaient arbitraires et importunes de sorte qu'il convient d'accorder des dommages-intérêts punitifs et exemplaires ainsi qu'une ordonnance enjoignant au demandeur (le défendeur dans la demande reconventionnelle) de payer les dépens sur la base avocat-client.

Fait le 15 juin 2000

[9]         Aucune demande reconventionnelle n'a été présentée pour le compte de la défenderesse Bathroom City Enterprises Ltd.


[10]       L'avis de requête vise à l'obtention d'une ordonnance conformément à la règle 221 des Règles de la Cour fédérale (1998), radiant les demandes reconventionnelles pour le motif qu'elles sont frivoles et vexatoires ou qu'elles constituent un abus de procédure puisqu'elles remettent en question des points qui ont été réglés dans le cadre de la requête en révision. Les demandeurs invoquent les doctrines de l'issue estoppel et de la chose jugée.

[TRADUCTION]

7.              La demande reconventionnelle présentée par Alnashir Tejani devrait être radiée en entier parce qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable. Elle est en outre non pertinente et redondante, ou frivole et vexatoire, parce qu'elle réaffirme les faits qui ont été allégués sans succès par les défendeurs dans le cadre de la requête en révision, qui a été rejetée par l'ordonnance que Madame le juge Tremblay-Lamer a rendue le 14 avril 2000, laquelle fait également l'objet d'un appel de la part des défendeurs.

8.              La demande reconventionnelle de Ghanwa ElMerhebi, de Global Fashion & Toys et de Toys in Motion devrait être radiée en entier parce qu'elle ne révèle aucune cause d'action valable. Elle est en outre non pertinente et redondante, ou frivole et vexatoire, parce qu'elle réaffirme les faits qui ont été allégués sans succès par les défendeurs dans le cadre de la requête en révision, qui a été rejetée par l'ordonnance que Madame le juge Tremblay-Lamer a rendue le 14 avril 2000, laquelle fait également l'objet d'un appel de la part des défendeurs.

[11]       À mon avis, l'issue estoppel et la chose jugée ne sont pas ici en cause; il s'agit plutôt de savoir si cette cour a compétence pour entendre une demande présentée par un particulier qui demande une réparation contre un autre particulier. Il est bien connu que la compétence de la Cour fédérale lui est conférée par la loi et que sa portée est celle qui lui est attribuée par la loi :

[par. 46] Comme tribunal d'origine législative, la Cour fédérale du Canada ne peut exercer que les compétences qui lui sont attribuées par la loi et, compte tenu du principe de la compétence générale inhérente des cours supérieures provinciales, le Parlement doit, pour attribuer compétence à la Cour fédérale, exprimer explicitement cette intention. Il est reconnu, en particulier, que la dévolution d'une compétence exclusive à un tribunal créé par loi et la perte corrélative de cette compétence par les cours supérieures provinciales (plutôt que l'exercice d'une compétence concurrente) doit être énoncée expressément en termes clairs dans la loi.

Succession Ordon c. Grail, [1998] 3 R.C.S. 437.


[12]       La compétence de la Cour en matière de propriété intellectuelle découle en partie de la Loi sur le droit d'auteur, L.R.C. (1985), ch. C-42 et de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. (1985), ch. T-13. Eu égard aux circonstances de cette affaire, la compétence nécessaire, lorsqu'il s'agit de délivrer une ordonnance Anton Piller et de fixer les dommages-intérêts, sur preuve de la contrefaçon à l'instruction, est prévue à l'article 53.2 de la Loi sur les marques de commerce :

53.2 Lorsqu'il est convaincu, sur demande de toute personne intéressée, qu'un acte a été accompli contrairement à la présente loi, le tribunal peut rendre les ordonnances qu'il juge indiquées, notamment pour réparation par voie d'injonction ou par recouvrement de dommages-intérêts ou de profits, pour l'imposition de dommages punitifs, ou encore pour la disposition par destruction, exportation ou autrement des marchandises, colis étiquettes et matériel publicitaire contrevenant à la présente loi et de toutes matrices employées à leur égard.

[13]       Toutefois, cela ne confère pas à la Cour la compétence voulue pour examiner d'autres demandes entre particuliers, même si pareille demandes prennent naissance dans le contexte d'une demande qui relève de la compétence de la Cour. Ainsi, dans l'affaire Innotech Pty. Ltd. c. Phoenix Rotary Spike Harrows Ltd., [1997] A.C.F. 855, où une action en contrefaçon de brevet avait été intentée, la Cour d'appel fédérale a radié une demande reconventionnelle par laquelle on réclamait des dommages-intérêts par suite de la violation d'une entente relative à l'octroi d'une licence et dans laquelle une allégation de contrefaçon était également invoquée comme moyen de défense :

[par. 4]     Ceci étant dit avec égards, il nous semble que bien que la défense et la demande reconventionnelle mettent en cause la même licence, celle-ci est invoquée pour des motifs différents dans chaque acte de procédure. Dans la défense, elle sert de bouclier contre une action en contrefaçon. Dans la demande reconventionnelle, elle sert d'épée, de fondement à une demande de recours contre l'appelante en vue de son application. En soi, la demande reconventionnelle pourrait être présentée de manière indépendante à titre d'action en violation de contrat et, en tant que telle, elle ne relève pas de la compétence de la Cour. Pour paraphraser l'arrêt Kellogg c. Kellogg [(1941) 1 C.P.R. 30, à la p. 39 (C.S.C.)], l'action principale vise essentiellement l'application d'un brevet. Cette demande peut être tranchée sur la base de la déclaration et de la défense et, accessoirement à la décision au sujet de la licence, il se peut bien que son existence, ses modalités et sa validité doivent être examinés. Mais la demande reconventionnelle doit être considérée comme une action distincte concernant principalement une demande découlant de la violation du contrat alléguée. Ruhrkohle Handel Inter GmbH et al. c. Fednav Ltd. et al., (1992) 42 C.P.R. (3d) 414, à la p. 418 (C.A.F.). [Renvois incorporés dans le texte.]


[14]       L'application de ce principe aux faits de l'affaire entraîne les résultats ci-après énoncés. Le premier paragraphe et le paragraphe 2 de la demande reconventionnelle de M. Tejani portent sur la question de la saisie illicite. Le paragraphe 3 traite de l'exécution de l'ordonnance en présence des enfants « sans qu'il soit tenu compte de l'effet que cet événement pourrait avoir sur eux dans l'avenir » . Dans la mesure où il s'agit d'une demande présentée par les enfants ou au nom des enfants, il s'agit d'une demande de nature délictuelle entre particuliers, soit une affaire sur laquelle la Cour fédérale n'a pas compétence. Au paragraphe 4 il est encore une fois fait mention des modalités d'exécution de l'ordonnance, et des dommages-intérêts punitifs et exemplaires sont réclamés. Il s'agit fondamentalement d'une action entre particuliers découlant d'une saisie illicite. Cette demande est logiquement liée à la compétence que cette cour possède en matière de propriété intellectuelle, mais aucune disposition législative ne permet à la Cour de statuer sur pareille demande. Les demandes de ce genre doivent être présentées devant la cour supérieure provinciale. La demande reconventionnelle de M. Tejani est donc dépourvue de tout contenu et elle doit être radiée.

[15]       Quant à la demande reconventionnelle des défendeurs ElMerhebi, elle se rapporte entièrement à la saisie illicite de marchandises qui, est-il allégué, ne sont pas contrefaites. La plaidoirie relative au fait que des articles authentiques sont en cause constitue un bon moyen de défense en ce qui concerne l'allégation de contrefaçon, mais comme dans l'affaire Innotech, supra, cette cour n'a pas compétence pour accorder des dommages-intérêts entre particuliers à la suite d'une saisie illicite. Cette demande reconventionnelle doit elle aussi être radiée.


[16]       Cela ne veut néanmoins pas dire que les défendeurs ne disposent d'aucun recours. S'il est jugé que la saisie est illicite après l'instruction, les défendeurs peuvent invoquer l'engagement que les demandeurs ont pris au sujet des dommages-intérêts, cet engagement constituant une condition de l'octroi des ordonnances Anton Piller. La Cour exige cet engagement pour la raison même qui existe en l'espèce. En effet, il se peut qu'une saisie illicite ne donne pas droit à une action, du moins devant cette cour.

[17]       Les défendeurs soutiennent que l'exécution illicite des ordonnances Anton Piller constituait un abus de procédure et que la Cour a toujours compétence pour exercer un contrôle sur l'utilisation qui est faite de sa propre procédure. Dans la mesure où l'on tente de débattre de nouveaux les questions soulevées dans la requête en révision, il s'agit d'une question qui a déjà été tranchée, et la décision lie les parties. Les remarques suivantes ont été faites dans la décision Stamper (Next friend of) v. Finnigan, [1984] N.B.J. no 65, que le protonotaire Hargrave a citées en les approuvant dans la décision Ruby Trading S.A. c. Parsons, [2000] A.C.F. no 1326 :

[TRADUCTION]

[par. 3]     En ce qui concerne la première question, il faut tout d'abord déterminer si la règle de la fin de non-recevoir fondée sur la chose jugée s'applique aux décisions rendues à l'égard de demandes interlocutoires.

[par. 4]     L'argument fondamental militant à l'encontre de la demande est que la décision judiciaire qui est rendue à l'égard d'une demande interlocutoire n'est pas « définitive » en ce sens qu'il s'agit d'une décision interlocutoire : voir les remarques qui ont été faites dans Master Peppiatt in Royal Bank v. Marringer (1984), 44 O.R. (2d) 509.

[par. 5]     Cependant, la conclusion suivante, tirée par le juge Duff en pages 315 et 316 de la décision Diamond v. Western Realty Co., [1924] R.C.S. 308, de la Cour suprême du Canada, s'impose en l'espèce :

« Il est vrai que dans un sens, cette décision était interlocutoire, c'est-à-dire que l'instance dans laquelle elle a été rendue était une procédure interlocutoire; n'empêche que c'était une décision définitive en ce que faute d'appel, elle était exécutoire pour toutes les parties. »

[par. 6]     J'adopte cette conclusion et juge que la règle de l'irrecevabilité pour cause d'autorité de la chose jugée s'applique aux décisions interlocutoires.


[18]       Tel est ici le cas. La requête en révision est une procédure interlocutoire en ce sens qu'elle ne règle pas d'une façon définitive les questions qui se posent entre les parties. Cependant, en ce qui concerne les questions qui sont examinées dans le cadre de la requête en révision, il s'agit d'une décision définitive, et ce, parce que la requête en révision est une procédure nécessaire en vertu de l'ordonnance même de la Cour aux fins de l'examen de la question de l'exécution de l'ordonnance. La nécessité de présenter pareille requête ne dépend pas d'une plainte déposée par le défendeur. La Cour demande à la personne qui a obtenu l'ordonnance Anton Piller de rendre compte de l'utilisation qui a été faite de l'ordonnance. En cas d'abus, la Cour examine la question à ce stade et, de fait, les défendeurs ont fait de leur mieux pour faire valoir cet argument devant le juge des requêtes. Leur argument a été rejeté et ils ont interjeté appel. Tel est le recours dont ils disposent.

[19]       Dans la mesure où la plaidoirie relative à l'abus de procédure est destinée à donner lieu à l'octroi de dommages-intérêts, cette cour n'a pas compétence pour examiner les demandes entre particuliers, sauf de la façon expressément prévue par la législation fédérale. Dans les deux cas, la demande reconventionnelle doit être rejetée.

[20]       Par conséquent, les demandes reconventionnelles de M. Tejani et des défendeurs ElMerhebi sont radiées pour le motif qu'elles ne relèvent pas de la compétence de la Cour. Il n'est donc pas nécessaire de proroger le délai en vue du dépôt d'une défense dans la demande reconventionnelle. Les demandeurs disposeront d'un délai de dix jours pour déposer, le cas échéant, une réponse.

                                                                                                                                        J.D. Denis Pelletier                          

                                                                                                                                                                 Juge                                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


COUR FÉDÉRALE DU CANADA

SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE

AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER

No DU DOSSIER :                                           T-1058-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         THE WALT DISNEY COMPANY ET AUTRES c. M. UNTEL et MME UNETELLE et AUTRES

No DU DOSSIER :                                        T-550-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         VIACOM HA! HOLDING COMPANY ET AUTRES c. M. UNTEL et MME UNETELLE et AUTRES

No DU DOSSIER :                                        T-823-99

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         NINTENDO OF AMERICA INC. ET AUTRES c. M. UNTEL et MME UNETELLE et AUTRES

No DU DOSSIER :                                        T-1064-98

INTITULÉ DE LA CAUSE :                         TIME WARNER ENTERTAINMENT COMPANY, L.P. c. M. UNTEL et MME UNETELLE et AUTRES

REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES.

MOTIFS DE L'ORDONNANCE DU JUGE PELLETIER EN DATE DU 11 JANVIER 2001.

ARGUMENTATION ÉCRITE :

LORNE M. LIPKUS                                                     POUR WALT DISNEY CO., VIACOM HA! HOLDING CO., ET NINTENDO OF AMERICA ET AUTRES

COLLEEN SPRING ZIMMERMAN              POUR TIME WARNER ENTERTAINMENT

MAY M. CHENG                                                            CO., L.P.

ALNASHIR TEJANI                                                        POUR LEUR PROPRE COMPTE

GHANWA ELMERHEBI


AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

KESTENBERG SIEGAL LIPKUS                                 POUR WALT DISNEY CO., et VIACOM

TORONTO (ONTARIO)                                               HA! HOLDING CO.

BLANEY MCMURTRY LLP                           POUR NINTENDO OF AMERICA INC. et

TORONTO (ONTARIO)                                                NINTENDO OF CANADA LTD.

FASKEN MARTINEAU DUMOULIN LLP    POUR TIME WARNER ENTERTAINMENT

TORONTO (ONTARIO)                                                CO., L.P.

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