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Date : 20201105


Dossier : IMM-5709-19

Référence : 2020 CF 1035

[traduction française]

Ottawa (Ontario), le 5 novembre 2020

En présence de monsieur le juge Southcott

ENTRE :

DERRICK WESLEY BERNARD

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE

ET DE LA PROTECTION CIVILE

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision [la décision] d’un agent d’exécution de la loi [l’agent] de l’Agence des services frontaliers du Canada [l’ASFC], en date du 24 septembre 2019, refusant de reporter le renvoi du demandeur, Derrick Wesley Bernard, du Canada aux termes du paragraphe 48(2) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR]. Le renvoi du demandeur était prévu pour le 27 septembre 2019. Le 25 septembre 2019, le juge Campbell a sursis au renvoi en attendant l’issue du présent contrôle judiciaire.

[2]  Comme il est expliqué plus en détail ci-après, la présente demande est rejetée, étant donné que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable, et que les arguments du demandeur n’établissent pas que la décision est déraisonnable.

II.  Contexte

[3]  Le demandeur est un citoyen de Trinité‑et‑Tobago qui est entré pour la première fois au Canada en 2001 en tant que travailleur agricole saisonnier au titre du Programme des travailleurs étrangers temporaires. Il a fait l’aller-retour chaque année entre Trinité‑et‑Tobago et le Canada jusqu’en 2007, lorsqu’il est entré au Canada et qu’il y est demeuré à l’issue de sa période de travail en tant que travailleur agricole saisonnier.

[4]  Le demandeur a rencontré la femme qui est maintenant son épouse en 2005. Cette dernière est citoyenne canadienne. Ils ont commencé à se fréquenter et ont emménagé ensemble en 2007. L’épouse du demandeur avait deux fils d’une relation précédente (qui ont maintenant 12 et 15 ans), que le demandeur a élevés comme s’ils étaient ses propres enfants. Le couple a aussi eu un fils ensemble, qui a maintenant deux ans. L’épouse du demandeur est à l’heure actuelle le soutien de la famille, et le demandeur voit aux tâches ménagères et à l’éducation des enfants.

[5]  Le demandeur a présenté une demande d’asile au Canada en 2011, et l’ASFC a alors saisi son passeport. La demande a été rejetée en 2013. En février 2014, le demandeur s’est présenté à une entrevue préalable au renvoi avec un agent de l’ASFC qui lui accordé un report du renvoi de sorte qu’il puisse présenter une demande de résidence permanente dans la catégorie du parrainage conjugal. Le demandeur a présenté sa demande de parrainage conjugal à Citoyenneté et Immigration Canada [CIC] en octobre 2014.

[6]  Le 11 avril 2016, CIC a envoyé une lettre au demandeur l’informant qu’il était admissible à la résidence permanente, mais que, pour que CIC puisse poursuivre le traitement de sa demande et rendre une décision finale à ce sujet, il devait produire dans les 30 jours copie d’un passeport valide ou renouvelé de Trinité‑et‑Tobago et un formulaire Annexe A Antécédents / Déclaration nouvellement rempli, portant une signature originale et sans intervalle entre les dates qui y sont inscrites.

[7]  Le demandeur a écrit à CIC le 6 mai 2016, affirmant qu’il ne pouvait pas fournir les renseignements demandés alors pour des raisons financières, mais qu’il enverrait tous les documents au plus tard à la fin de mai. Il expliquait aussi dans sa lettre qu’il ne pouvait pas fournir une copie de son passeport parce que celui-ci était détenu par les autorités de l’immigration. Le 20 septembre 2016, CIC (rebaptisé Immigration, Réfugiés et Citoyenneté Canada [IRCC]) a rejeté la demande de parrainage conjugal du demandeur parce que ce dernier n’avait pas produit les documents voulus.

[8]  Le demandeur a présenté une demande de réexamen de sa demande de parrainage conjugal le 1er février 2017, demande qu’a refusée IRCC. Le demandeur a demandé un examen des risques avant renvoi en juillet 2019, mais cette demande a aussi été rejetée. Le 21 septembre 2019, le demandeur a présenté une nouvelle demande de réexamen de sa demande de parrainage conjugal. Cette demande comprenait un formulaire Annexe A Antécédents / Déclaration nouvellement rempli et une mention expliquant que l’ASFC détenait le passeport du demandeur et que, pour cette raison, ce dernier ne pouvait pas le renouveler.

[9]  Le renvoi du demandeur était prévu pour le 27 septembre 2019. Le 11 septembre 2019, l’avocate du demandeur a transmis des observations à l’ASFC, suivies d’observations supplémentaires plus tard en septembre, à l’appui d’une demande présentée à l’ASFC concernant le report du renvoi du demandeur du Canada. Cette demande a été rejetée le 24 septembre 2019 par l’agent dans la décision qui fait l’objet de la présente demande. Le 25 septembre 2019, le juge Campbell a accordé un sursis au renvoi du demandeur demeurant en vigueur jusqu’à ce que la présente demande de contrôle judiciaire soit tranchée de façon définitive.

[10]  IRCC a fait savoir au demandeur le 21 octobre 2019 que sa demande de réexamen de la demande de parrainage conjugal était rejetée. Le demandeur a été invité à soumettre une nouvelle demande.

III.  Décision faisant l’objet du contrôle

[11]  Dans la décision contestée en l’espèce, l’agent a pris en compte les arguments présentés par le demandeur quant aux raisons pour lesquelles son renvoi devrait être reporté : 1) le demandeur avait l’intention de présenter une demande de résidence permanente fondée sur des motifs d’ordre humanitaire; 2) le demandeur a présenté une demande de réexamen du rejet de la demande de parrainage conjugal; 3) le report serait dans l’intérêt supérieur des enfants [l’ISE].

[12]  L’agent n’a pas été convaincu de reporter le renvoi du demandeur parce que celui-ci avait l’intention de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Il a souligné que la présentation d’une telle demande ne reporte ou ne repousse pas le renvoi. Il a précisé que le demandeur avait eu amplement le temps de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire du Canada avant la date de son renvoi et qu’il n’y avait pas de preuve que le demandeur ne pourrait pas présenter sa demande de l’étranger.

[13]  En ce qui concerne la demande présentée par le demandeur de reporter son renvoi en attendant le réexamen de sa demande de parrainage conjugal, l’agent a conclu que la demande de réexamen n’empêchait pas le renvoi. Il a souligné qu’IRCC avait envoyé de multiples lettres au demandeur, lui demandant de fournir les documents requis, avant le rejet de sa demande de parrainage. De plus, le demandeur avait déjà présenté une demande de réexamen de la décision défavorable rendue quant au parrainage conjugal, et cette demande avait été rejetée.

[14]  En ce qui a trait à l’intérêt supérieur des enfants touchés par le renvoi du demandeur du Canada, l’agent a souligné l’étendue de son pouvoir d’examiner la question, affirmant qu’il n’avait pas le pouvoir d’effectuer une appréciation exhaustive des motifs d’ordre humanitaire et que le report du renvoi vise à contourner ou à éliminer des obstacles temporaires sur le plan pratique au renvoi.

[15]  L’agent a souligné que le demandeur est le principal responsable de l’éducation des enfants lorsque son épouse travaille et a reconnu que le demandeur voudrait rester et continuer de s’occuper des enfants en tant que figure paternelle. Il a aussi pris en compte les éléments de preuve présentés par le demandeur relativement aux défis particuliers que la famille avait dû affronter, ainsi que des documents se rapportant aux conséquences lorsqu’une famille est séparée du père. L’agent a toutefois conclu que les enfants auront l’amour et le soutien de leur mère, ce qui pourrait atténuer la période d’adaptation pour eux à la suite du départ du demandeur et a souligné qu’en tant que citoyens canadiens, les enfants auront accès aux ressources offertes par les services sociaux et le système d’éducation du Canada. Même s’il reconnaissait qu’il pourrait être difficile pour le demandeur et les enfants de se séparer, l’agent n’était pas disposé à reporter le renvoi pour ces raisons.

[16]  L’agent conclut la décision en affirmant qu’il a pris en compte les tentatives effectuées par le demandeur par le passé pour régulariser sa situation, les questions d’intérêt public relatives au statut implicite pendant la période applicable à la demande de parrainage conjugal, la difficulté de présenter une demande sans être représenté par un avocat, la saisie du passeport du demandeur, le fait que son épouse a assumé le rôle de soutien de famille, le fait que les enfants sont nés au Canada, et les moyens financiers limités de la famille. Il a reconnu qu’il peut être difficile pour le demandeur de quitter sa famille, mais il a conclu que celui-ci n’avait pas produit suffisamment d’éléments de preuve démontrant que la séparation d’avec sa famille durerait indéfiniment ou qu’elle causerait un préjudice irréparable à la famille.

IV.  Questions en litige et norme de contrôle

[17]  Dans son mémoire des faits et du droit, le demandeur a énoncé les questions suivantes à l’intention de la Cour :

  1. Les conclusions de l’agent étaient-elles raisonnables?

  2. L’agent a-t-il commis une erreur de fait ou de droit?

  3. La procédure suivie était-elle équitable?

[18]  Les deux parties ont affirmé dans leur mémoire que la norme de contrôle qui s’applique est celle de la décision raisonnable. J’ai par conséquent demandé à l’avocate du demandeur à l’audience si elle avait l’intention, comme le portent à croire les questions énoncées précédemment, de faire valoir un manquement à l’équité procédurale (ce qui commanderait une autre norme de contrôle). L’avocate a expliqué que le demandeur estimait que la procédure à suivre pour faire progresser la demande de parrainage conjugal était inéquitable en soi. Plus particulièrement, en ce qui concerne l’obligation de produire un passeport et un formulaire Annexe A nouvellement rempli, le demandeur affirme qu’il est fastidieux pour un demandeur qui se représente lui-même : a) de comprendre comment obtenir et/ou fournir à CIC un passeport qui a été saisi par l’ASFC; b) de comprendre la signification des [traduction] « intervalles » qu’il faut éviter en remplissant le formulaire Annexe A. Le demandeur souligne aussi que la période au cours de laquelle il devait s’occuper de sa demande de parrainage coïncidait avec celle où CIC a fermé ses bureaux et a rendu ses services accessibles seulement par Internet ou par téléphone, ce qui a accentué les problèmes rencontrés par les demandeurs qui se représentent seuls, dont certains ne disposent pas d’un ordinateur à la maison.

[19]  Le défendeur soutient que ces arguments se rapportent à l’équité du processus applicable à la demande de parrainage conjugal, et non pas à l’équité du processus par lequel le demandeur a demandé le report de son renvoi. La seule décision qui fait l’objet du contrôle est la décision de refuser le report du renvoi. Si le demandeur voulait contester l’équité de la demande de parrainage, il aurait dû demander le contrôle judiciaire de la décision rejetant la demande de parrainage.

[20]  Je souscris à la position que fait valoir le défendeur. Le demandeur n’a soulevé aucun argument d’équité procédurale concernant la décision faisant l’objet du présent contrôle. Les arguments du demandeur contestant la décision sont tous susceptibles de contrôle selon la norme de la décision raisonnable.

V.  Analyse

A.  Demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire

[21]  Le défendeur fait remarquer que le mémoire des faits et du droit du demandeur ne soulève aucun argument contestant les motifs pour lesquels l’agent n’a pas reporté son renvoi afin qu’il puisse présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire. Étant donné que les arguments qu’a formulés le demandeur à l’audience ont abordé brièvement cet aspect de la décision, le défendeur a demandé l’autorisation de présenter des observations supplémentaires par écrit au cas où la décision de la Cour reposerait sur ces arguments.

[22]  Je n’ai pas besoin d’observations supplémentaires à ce sujet, étant donné que les arguments formulés par le demandeur quant à la demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire qu’il avait l’intention de présenter ne font ressortir aucune erreur susceptible de contrôle dans la décision. Le demandeur souligne que, selon le paragraphe 25(1) de la LIPR, lorsqu’un étranger se trouvant au Canada demande le statut de résident permanent et invoque des considérations d’ordre humanitaire, le ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration doit étudier son cas. En revanche, le paragraphe 25(1) prévoit que le ministre « peut » étudier le cas d’un étranger qui présente la demande se trouvant hors du Canada.

[23]  Cet argument n’appuie pas la conclusion voulant que la décision est déraisonnable. Comme le soutient le défendeur, la Cour d’appel fédérale a statué dans l’arrêt Baron c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2009 CAF 81 [Baron] au para 51, qu’à moins qu’il n’existe des considérations spéciales, les demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire ne justifient un report que si elles sont fondées sur une menace à la sécurité personnelle. Dans l’arrêt Lewis c Canada (Sécurité publique et Protection civile), 2017 CAF 130 [Lewis], la Cour d’appel fédérale a respecté l’arrêt Baron, en statuant que le fait qu’une demande CH ait été faite peu avant la date butoir par les personnes susceptibles d’être renvoyées ne signifie pas que le report de la mesure de renvoi est justifié (au para 57).

[24]  J’estime que la façon dont l’agent a traité l’observation du demandeur selon laquelle il avait l’intention de présenter une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire est conforme à cette jurisprudence. L’agent a souligné qu’aucune demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire n’avait encore été présentée, que le demandeur avait amplement eu le temps de présenter une telle demande et qu’une demande de ce genre n’est pas considérée comme un obstacle au renvoi. L’agent a aussi précisé qu’il n’y avait aucune preuve que cette demande ne pouvait pas être présentée de l’étranger. Bien que je comprenne le point de vue du demandeur, soit que le paragraphe 25(1) traite différemment les demandes présentées de l’étranger, l’affirmation de l’agent ne porte pas à croire qu’il a agi selon une erreur de fait ou de droit susceptible de miner le caractère raisonnable de la décision.

[25]  De plus, le demandeur relève l’affirmation de l’agent voulant que le traitement des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire peut prendre 32 mois. Il soutient que ce délai varie et que l’approbation de principe peut ne prendre que douze mois. Toutefois, le demandeur n’a pas renvoyé à des éléments de preuve montrant que le temps de traitement décrit par l’agent était inexact. De plus, peu importe le temps de traitement qui peut s’appliquer, à la lumière de la jurisprudence énoncée précédemment quant à l’incidence des demandes fondées sur des motifs d’ordre humanitaire en instance sur les demandes de report, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans cet aspect de la décision.

B.  Demande de parrainage conjugal

[26]  L’argument principal du demandeur, relativement à sa demande de réexamen de sa demande de parrainage conjugal, a trait à l’explication qu’il a donnée dans sa demande de report du renvoi, selon laquelle il avait précisé qu’il ne disposait pas de son passeport dans ses communications avec CIC/IRCC en 2016 et en 2017 parce que les autorités de l’immigration avait saisi le document. Il soutient qu’étant donné qu’il était une personne peu instruite et non représentée dans sa demande de parrainage conjugal, il n’a pas compris la distinction entre CIC/IRCC, qui traitait la demande, et l’ASFC, qui détenait le passeport. Le demandeur invoque également un bulletin opérationnel d’IRCC, daté du 17 octobre 2013, [le Bulletin opérationnel], qui contient des instructions à l’intention d’IRCC sur la façon de récupérer un passeport confié à la garde de l’ASFC, ainsi que des directives quant au pouvoir discrétionnaire des agents relativement à la dispense de l’exigence du passeport.

[27]  Le défendeur affirme que l’omission de produire un passeport n’était pas le seul obstacle à l’approbation de la demande de parrainage du demandeur. Ce dernier a aussi omis de produire un formulaire Annexe A nouvellement rempli et n’a pas formulé d’observations dans sa demande de report expliquant cette omission. Comme il est mentionné dans la lettre d’IRCC du 20 septembre 2016 rejetant la demande de parrainage, l’Annexe A est nécessaire pour établir si un demandeur peut être interdit de territoire pour des raisons de sécurité. Le défendeur souligne que le Bulletin opérationnel prévoit que l’ASFC ne doit répondre aux demandes de récupération d’un passeport que lorsque toutes les vérifications relatives à l’état médical, aux antécédents criminels et à la sécurité ont été réussies et que la rétention du passeport pourrait nuire au traitement de la demande de résidence permanente.

[28]  Il ressort des affirmations du défendeur qu’en raison de l’incidence de l’absence de l’Annexe A lorsque sa demande de parrainage a été rejetée, les arguments formulés par le demandeur concernant les efforts qu’il a déployés pour récupérer son passeport auprès de l’ASFC ne représentent pas un cas convaincant pour la réouverture de sa demande de parrainage. À l’audience, l’avocate du demandeur a formulé des observations selon lesquelles : a) le demandeur n’avait pas compris ce que signifiait l’exigence de remplir un nouveau formulaire Annexe A, sans intervalles entre les dates; et b) il avait bel et bien essayé d’envoyer une nouvelle Annexe A. Aucun de ces arguments ne favorise la position du demandeur. Les observations formulées par le demandeur à l’intention de l’agent ne mentionnent pas que celui-ci a eu de la difficulté à comprendre la façon de remplir l’Annexe A, et le demandeur n’a pas envoyé un formulaire Annexe A actualisé avant que soit rendue la décision rejetant sa demande de parrainage.

[29]  Surtout, la Cour a rejeté la position voulant que les « considérations spéciales », qui selon l’arrêt Baron peuvent justifier le report du renvoi même en l’absence d’une menace à la sécurité personnelle, comprennent la force ou la nature impérieuse d’une demande de résidence permanente en instance (voir Newman c Canada (Ministre de la Sécurité publique et de la Protection civile), 2016 CF 888 aux para 29 et 34). L’agent a souligné que le demandeur avait déjà présenté une demande de réexamen de sa demande de parrainage et que cette demande avait été rejetée. Je ne relève aucun aspect déraisonnable dans la conclusion de l’agent selon laquelle le fait de présenter à nouveau une demande de réexamen ne justifiait pas le report du renvoi.

C.  Intérêt supérieur des enfants

[30]  Le demandeur affirme que même s’il est écrit dans la décision que l’agent est réceptif, attentif et sensible à la situation des enfants, elle ne démontre pas que c’est bien le cas. Le demandeur invoque largement la décision Inniss c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CF 567 [Inniss], dans laquelle le juge Campbell a statué que dans une analyse de l’ISE, l’agent doit d’abord déterminer quel résultat serait dans l’intérêt supérieur des enfants (au para 17) et qu’il n’y a pas de « critère minimal en matière de difficultés » pour que les considérations liées à l’ISE l’emportent (au para 22). Le demandeur soutient que la décision n’est pas conforme à ces principes.

[31]  Toutefois, comme l’affirme le défendeur, la décision Inniss concernait le contrôle judiciaire d’une décision défavorable à l’égard d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, et non pas une décision quant à une demande de report. Le défendeur prétend que l’arrêt Baron fait autorité en ce qui concerne le rôle de l’agent de l’ASFC qui doit traiter des observations relatives à l’ISE à l’appui d’une demande de report. Dans l’arrêt Baron, la Cour d’appel fédérale a confirmé que l’agent n’est pas tenu d’effectuer un examen approfondi de l’intérêt des enfants avant d’exécuter la mesure de renvoi (au para 50). Dans la même veine, dans l’arrêt Canada (Citoyenneté et Immigration) c Varga, 2006 CAF 394 il est expliqué que l’obligation de l’agent de renvoi, le cas échéant, de prendre en considération l’intérêt des enfants est minime contrairement à l’examen complet qui doit être mené dans le cadre d’une demande CH (au para 16).

[32]  Plus récemment, à la suite de l’arrêt Kanthasamy c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2015 CSC 61 de la Cour suprême du Canada [Kanthasamy], lequel abordait les conditions relatives à l’analyse de l’ISE dans le contexte d’une demande fondée sur des motifs d’ordre humanitaire, la Cour d’appel fédérale a examiné les conséquences de l’arrêt Kanthasamy lorsque des arguments relatifs à l’ISE sont avancés à l’appui d’une demande de report dans l’arrêt Lewis. L’arrêt Lewis a confirmé que l’agent d’exécution peut examiner l’intérêt supérieur à court terme des enfants lorsque leurs parents font l’objet d’un renvoi du Canada, mais il ne peut se livrer à une véritable analyse des motifs d’ordre humanitaire quand il s’agit de déterminer l’intérêt supérieur à long terme de ces enfants (aux para 61 et 74). Ces intérêts à court terme englobent des questions telles terminer l’année scolaire, maintenir l’accès à des soins médicaux spécialisés continus ou s’assurer qu’il y aura quelqu’un pour s’occuper de l’enfant après le renvoi d’un parent (au para 83).

[33]  À la lumière de ce contexte jurisprudentiel, je ne relève aucune erreur susceptible de contrôle dans l’analyse de l’ISE effectuée par l’agent. La décision démontre que l’agent a tenu compte des éléments de preuve et des arguments avancés par le demandeur quant à l’ISE, mais qu’il a conclu que, parce que les enfants demeureraient avec leur mère au Canada, leur intérêt ne justifiait pas le report du renvoi du demandeur.

[34]  De plus, le demandeur soutient que, pour tirer cette conclusion, l’agent a supposé que l’amour et le soutien de leur mère pourrait atténuer la période d’adaptation des enfants. Il prétend que cette analyse démontre que l’agent n’a pas tenu compte des éléments de preuve en sciences sociales révisés par des pairs qui ont été présentés avec la demande de report, qui faisaient état des effets néfastes de la séparation des enfants de leur père.

[35]  Le défendeur affirme que cet argument équivaut à demander une nouvelle appréciation des éléments de preuve, ce qui n’entre pas dans le rôle de la Cour dans le cadre d’un contrôle judiciaire. Je souscris à la position du défendeur sur cette question. Il est écrit dans la décision que l’agent a pris en compte les documents en sciences sociales qui ont été présentés par l’avocate du demandeur. Par conséquent, il n’est pas possible de conclure que l’agent n’a pas tenu compte de ces éléments de preuve.

VI.  Conclusion

[36]  Après avoir pris en compte les observations respectives des parties, rien ne me permet de conclure que la décision était déraisonnable. Aucune partie n’a proposé de question à certifier en vue d’un appel, et aucune ne sera énoncée.


JUGEMENT dans le dossier IMM-5709-19

LA COUR STATUE que la présente demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Richard F. Southcott »

Juge

Traduction certifiée conforme

Isabelle Mathieu, traductrice


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM-5709-19

INTITULÉ :

DERRICK WESLEY BERNARD

c LE MINISTRE DE LA SÉCURITÉ PUBLIQUE ET DE LA PROTECTION CIVILE

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE TENUE PAR VIDÉOCONFÉRENCE À PARTIR DE Toronto (Ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 29 OCTOBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE SOUTHCOTT

DATE DES MOTIFS :

LE 5 NOVEMBRE 2020

COMPARUTIONS:

Mary Jane Campigotto

POUR LE DEMANDEUR

Monmi Goswani

POUR LE DÉFENDEUR

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Campignotto Law Firm

Avocat

Windsor (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

 

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