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Date : 20201113


Dossier : IMM‑3333‑17

Référence : 2020 CF 1052

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Montréal (Québec), le 13 novembre 2020

En présence de madame la juge St‑Louis

ENTRE :

HERNAN DARIO NEIRA GIRALDO

HEIDY YELYTHZA GOMEZ MARTINEZ

demandeurs

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  M. Hernan Dario Neira Giraldo, le demandeur principal, et Mme Heidi Yelythza Gomez Martinez [collectivement les demandeurs] sollicitent le contrôle judiciaire de la décision datée du 27 juin 2017, par laquelle la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l’immigration et du statut de réfugié du Canada [la SPR] a conclu qu’ils n’avaient pas réfuté la présomption de la protection de l’État et qu’ils n’étaient ni des réfugiés au sens de la Convention ni des personnes à protéger, au titre de l’article 96 et du paragraphe 97(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la Loi].

[2]  Pour les motifs qui suivent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

II.  Le contexte factuel pertinent

[3]  Les demandeurs sont des citoyens colombiens. Le 21 mars 2017, ils ont quitté la Colombie pour se rendre aux États‑Unis, tous titulaires d’un visa de visiteur valide. Le 20 avril 2017, ils sont arrivés à la frontière terrestre du Canada et ont demandé l’asile.

[4]  Ils ont fondé leur demande sur la crainte de préjudice de la part des forces paramilitaires d’autodéfense Gaitanista de Colombie qui les menaçaient en raison de l’implication de M. Giraldo comme dentiste au sein de l’association colombienne des victimes du conflit interne [traduction« Chemin du rétablissement ».

III.  La décision de la SPR

[5]  Le 15 juin 2017, la SPR a entendu la demande et les dépositions des demandeurs. Quant à la question sur la protection de l’État, les demandeurs ont souligné que le demandeur principal avait contacté à cinq reprises les autorités, plus spécifiquement la police, la fiscalia et l’ombudsman, et précisé que, s’il a bénéficié de mesures de protection, les membres des forces ont tout de même continué à communiquer avec lui, à le cibler et à le menacer. Les demandeurs ont soutenu qu’il s’agissait d’une preuve selon laquelle la protection de l’État était déficiente en Colombie. Devant la SPR, les demandeurs se sont référés au cartable national de documentation pour la Colombie [CND] du 31 mai 2017 (titre 1.7) apparemment à l’appui de leur prétention selon laquelle la protection de l’État ne serait pas suffisante en raison de l’implication de ce groupe paramilitaire.

[6]  Dans sa décision, la SPR a fait remarquer que la question au cœur de la demande était celle de la protection de l’État. Elle a affirmé qu’« [i]l est présumé que l’État est capable de protéger les demandeurs d’asile. Il incombe au demandeur d’asile de réfuter cette présomption à l’aide d’une preuve claire et convaincante. Cette preuve peut comprendre des documents généraux sur le pays ainsi que des éléments de preuve propres aux demandeurs d’asile. »

[7]  La SPR a pris note du fait que les demandeurs se sont adressés aux autorités et que ces dernières ont pris des mesures en réponse. La SPR a constaté que la police avait assuré une surveillance et faisait signer au demandeur principal un document chaque fois qu’elle s’arrêtait à son domicile pour effectuer des rondes de sécurité. Le demandeur s’est vu remettre un numéro de téléphone pour joindre le poste de police si nécessaire et a été encouragé à modifier son itinéraire et ses heures de déplacement. La police avait également ouvert une enquête sur l’affaire. La SPR a aussi relevé que l’épouse du demandeur principal, qui était médecin, travaillait dans un établissement associé à la police et qu’elle avait reçu la confirmation selon laquelle les mesures prises étaient celles qui devaient être prises. Par conséquent, la SPR a conclu que, dans les circonstances propres aux demandeurs, les autorités sont intervenues rapidement en assurant une protection.

[8]  La SPR s’est référée aux documents du CND que les demandeurs ont cités dans leurs observations en faisant valoir que l’information sur ces questions variait et entre autres, que les problèmes touchant la protection de l’État en Colombie étaient avérés, mais n’étaient pas universels. Selon la SPR, les éléments de preuve sur le pays démontrent que des efforts importants ont été faits et continuent d’être faits en Colombie pour réformer et améliorer les secteurs de la police et de la justice. Ces efforts se reflètent dans les mesures prises par les autorités pour répondre à la crainte des demandeurs.

[9]  La SPR a affirmé qu’aucun gouvernement ne peut garantir la protection de chacun de ses citoyens en tout temps. Lorsqu’un État a le contrôle efficient de son territoire, qu’il possède des autorités militaires et civiles et une force policière établies, et qu’il fait de sérieux efforts pour protéger ses citoyens, le seul fait qu’il n’y réussit pas toujours ne permettra pas de réfuter la présomption de protection de l’État adéquate. La SPR a considéré que les demandeurs ont bénéficié d’une protection de l’État et a conclu qu’ils n’ont pas réfuté la présomption de protection de l’État. Ainsi, la SPR a estimé qu’il n’était pas nécessaire de trancher la question de la crédibilité des demandeurs qui avait été soulevée lors de l’audience.

[10]  La SPR a ainsi conclu que les demandeurs ne s’étaient pas acquittés du fardeau d’établir qu’il existe une possibilité sérieuse qu’ils soient persécutés pour l’un des motifs prévus dans la Convention (article 96 de la Loi) ou qu’ils soient personnellement exposés au risque de traitements ou peines cruels et inusités ou au risque d’être soumis à la torture s’ils sont renvoyés en Colombie (article 97 de la Loi). La SPR a par conséquent rejeté la demande d’asile des demandeurs.

IV.  La norme de contrôle

[11]  Comme mon collègue le juge Gascon l’a récemment confirmé au paragraphe 17 de la décision Burai v Canada (Citizenship and Immigration), 2020 FC 966 [Burai], la présomption de contrôle selon la décision raisonnable, tel qu’établi par la Cour Suprême du Canada dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 [Vavilov], s’applique à la question de la protection de l’État.

[12]  Le juge Gascon a également fait remarquer au paragraphe 19 de la décision Burai [traduction« [qu’]avant de pouvoir infirmer une décision pour le motif qu’elle est déraisonnable, la cour de révision doit être convaincue “qu’elle souffre de lacunes graves à un point tel qu’on ne peut pas dire qu’elle satisfait aux exigences de justification, d’intelligibilité et de transparence” (Vavilov, au para 100). L’évaluation du caractère raisonnable d’une décision doit être rigoureuse, tout en restant sensible et respectueuse à l’égard du décideur administratif (Vavilov, aux para 12‑13). Le contrôle selon la norme de la décision raisonnable est une approche ancrée dans le principe de la retenue judiciaire et dans le respect du rôle distinct et de l’expertise des décideurs administratifs (Vavilov, aux para 13, 75 et 93). En d’autres mots, l’approche que doit suivre la cour de révision est fondée sur la retenue, surtout en ce qui a trait aux conclusions de fait et à l’appréciation de la preuve. À moins de circonstances exceptionnelles, la cour de révision ne modifie pas les conclusions de fait du décideur administratif (Vavilov, aux para 125‑126). »

V.  Analyse

[13]  Les parties s’entendent pour dire quil existe une présomption que l’État est en mesure de protéger ses ressortissants, et que cette présomption ne peut être réfutée que par une preuve claire et convaincante de lincapacité de lÉtat à assurer une telle protection (Canada (Procureur général) c Ward, [1993] 2 RCS 689, aux p 724‑725; Carillo c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CAF 94). C’était donc aux demandeurs qu’il incombait de démontrer à la SPR que la protection de lÉtat en Colombie est insuffisante.

[14]  Les parties conviennent que l’évaluation du caractère adéquat de la protection de l’État nécessite un examen de l’efficacité concrète de cette dernière et que les déclarations concernant les bons efforts d’un État sont insuffisantes en l’absence de résultats réels (Vidak c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 976, au para 8; Mata c Canada (Immigration, Réfugiés et Citoyenneté), 2017 CF 1007, aux para 13‑14). Cependant, la jurisprudence a également établi que le fait que les résultats sur le plan opérationnel ne sont pas toujours concluants, ne permettra pas de réfuter la présomption de protection de l’État (Samuel c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 762, au para 13; Flores c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2008 CF 723, aux para 9‑11).

[15]  Les demandeurs font valoir que la décision de la SPR est déraisonnable. Ils soutiennent que les faits de l’affaire ne démontrent pas que les autorités ont agi rapidement et offert une protection adéquate. Ils affirment que les faits démontrent au contraire que les autorités nont pas été en mesure de mettre fin aux menaces et au danger qu’ils couraient, et que la protection offerte était donc inadéquate. Ils ajoutent que la preuve documentaire dont disposait la SPR comprenait des documents montrant que la protection de lÉtat en Colombie est inadéquate. Enfin, les demandeurs contestent le fait que la SPR nait pas mentionné les mots « efficacité » ou « caractère adéquat », utilisant plutôt le terme « efforts » à deux reprises, ce qui, selon eux, montre que la SPR na pas effectué une analyse adéquate de la protection de lÉtat.

[16]  Les demandeurs ne mont pas convaincue que la décision est déraisonnable. 

[17]  Bien quelle nait pas mentionné les mots « efficacité » ou « caractère adéquat », il est clair que la SPR a compris et appliqué le critère juridique approprié. La SPR na pas limité son analyse à lexamen des déclarations des bons efforts déployés par lÉtat pour assurer une protection, mais a évalué les nombreuses mesures de protection dont les demandeurs ont effectivement bénéficié.

[18]  Comme indiqué précédemment, le fait que la protection de l’État nait pas été entièrement couronnée de succès ne permet pas de réfuter la présomption de son caractère adéquat. Il incombait aux demandeurs de réfuter cette présomption, et ils ne mont pas convaincu quil était déraisonnable pour la SPR de conclure quils ne sétaient pas acquittés de ce fardeau compte tenu des principes juridiques applicables et de la preuve au dossier.

[19]  Enfin, devant la SPR, les demandeurs ont limité leur preuve relative à l’insuffisance de la protection de l’État à l’un des documents contenus dans le CND qui présentait des informations contradictoires, comme l’a fait remarquer la SPR. Or, cette dernière n’est pas tenue de rechercher elle‑même des éléments de preuve à l’appui des arguments et de la thèse des demandeurs. En tout état de cause, je suis convaincue que les autres documents présentent également des informations contradictoires, et que la SPR pouvait conclure comme elle l’a fait (Jean‑Baptiste c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2018 CF 285, au para 19 (« la Section de la protection des réfugiés [n’est] pas obligée de passer au peigne fin tous les documents énumérés dans le Cartable national de documentation dans l’espoir de trouver des passages susceptibles d’appuyer la demande du demandeur et de préciser pourquoi ils n’appuient en fait pas le demandeur »), raisonnement suivi dans les décisions Simolia c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 133, au para 22, et Magonza c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2019 CF 14, au para 79; Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12, au para 61; Anand c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 234, aux para 22‑25).

[20]  Je conclus que la SPR a appliqué le critère approprié. Compte tenu des circonstances propres aux demandeurs invoquées par la SPR pour justifier ses conclusions, je conclus également que lanalyse de cette dernière est intelligible et que sa décision est raisonnable.

[21]  La demande de contrôle judiciaire sera donc rejetée.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑3333‑17

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de révision judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée.

  3. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Martine St‑Louis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑3333‑17

 

INTITULÉ :

HERNAN DARIO NEIRA GIRALDO, HEIDY YELYTHZA GOMEZ MARTINEZ ET LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

MONTRÉAL (QUÉBEC) (PAR VIDÉOCONFÉRENCE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 9 NOVEMBRE 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ST‑LOUIS

DATE DES MOTIFS :

LE 13 NOVEMBRE 2020

COMPARUTIONS :

Terry S. Guerriero

POUR LES DEMANDEURS

John Loncar

POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Terry S. Guerriero, Cabinet d’avocats

Toronto (Ontario)

 

POUR LES DEMANDEURS

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

POUR LE DÉFENDEUR

 

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