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     Date : 19981006

     Dossier : IMM-3460-98

ENTRE

     JOSE EDUARDO PEREIRA,

     demandeur,

     et

     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

         défendeur.

     MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

         (Prononcés à l'audience, à Toronto (Ontario) le lundi 5 octobre 1998, tels que révisés)

LE JUGE EVANS

[1]          Il s'agit d'une requête en sursis à l'exécution du renvoi du demandeur au Portugal prévue pour le 6 octobre 1998. Une mesure d'expulsion a été prise contre le demandeur en avril 1998 par suite de sa condamnation, en 1995, pour trois infractions très graves, dont l'agression sexuelle sur son ex-femme à deux occasions en 1993. Il a été condamné à 2 ans d'emprisonnement moins un jour pour ces crimes. Le demandeur, citoyen portugais, est maintenant âgé de 36 ans et vit au Canada depuis l'âge de 12 ans.

[2]          Le demandeur a interjeté appel devant la section d'appel de l'immigration (S.A.I.) conformément à l'alinéa 70(1)b) de la Loi sur l'immigration, c'est-à-dire "le fait que, eu égard aux circonstances particulières de l'espèce, ils ne devraient pas être renvoyés du Canada". En mai 1998, la S.A.I. a rejeté l'appel.

[3]          Le demandeur s'est par la suite fondé sur le paragraphe 82.1(1) de la Loi sur l'immigration pour présenter une demande de contrôle judiciaire conformément à l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale. Il est prévu que, si l'autorisation en est accordée et que la demande de contrôle judiciaire soit accueillie, la S.A.I. sera saisie de l'affaire dans une période allant de 10 à 12 mois. Le demandeur sollicite un sursis à l'exécution de son renvoi en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation et, si l'autorisation est accordée, sur la demande de contrôle judiciaire elle-même.

[4]          Dans ses motifs de décision, la S.A.I. a fait savoir qu'elle avait tenu compte de tous les facteurs relevés dans l'affaire Ribic c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (S.A.I. T-84-9623; 20 août 1985) et qui se rapportaient à l'exercice du pouvoir discrétionnaire qu'elle tenait de l'alinéa 70(1)b). Toutefois, l'avocat du demandeur a prétendu que la S.A.I. s'était méprise sur certains éléments de preuve cruciaux, et qu'elle avait tiré des conclusions de fait erronées importantes de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait, et que sa décision était donc susceptible d'être annulée en application de l'alinéa 18.1(4)d) de la Loi sur la Cour fédérale.

[5]          Un sursis à l'exécution du renvoi peut être accordé, même lorsque, comme en l'espèce, la validité de la mesure d'expulsion n'est pas contestée, si le demandeur convainc la Cour que la demande de contrôle judiciaire soulève une question sérieuse à trancher, qu'un préjudice irréparable sera causé dans l'éventualité de son renvoi et que la prépondérance des inconvénients penche en faveur du maintien du statu quo en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation et la demande de contrôle judiciaire : Toth c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1988), Imm.L.R. (2d) 123 (C.A.F.).

[6]          Malgré l'hésitation de la Cour à intervenir dans l'exercice par la S.A.I du pouvoir discrétionnaire qu'elle tenait de l'alinéa 70(1)b), ou dans ses conclusions de fait, j'estime que le demandeur a soulevé une question sérieuse, celle de savoir si le rejet par la S.A.I. de son appel résistait au contrôle judiciaire sous le régime de l'alinéa 18.1(4)d). Par exemple, le traitement que la S.A.I. a réservé aux rapports psychiatriques sur le demandeur laisse entendre que des conclusions de fait concernant la question de la récidive ont été tirées sans tenir compte des éléments de preuve dont elle disposait. On peut soutenir que la commissaire a substitué son opinion à la preuve psychiatrique, qui n'a pas été contredite, sur l'explication des infractions commises par le demandeur et sur la raison pour laquelle il était très peu probable qu'elles soient répétées. De plus, à la lumière de l'affidavit de l'ex-femme du demandeur, des rapports du psychiatre et de l'interdiction judiciaire de toute communication entre le demandeur et son ex-femme, les conclusions de la S.A.I. concernant le défaut de remords montré par le demandeur et son omission de présenter des excuses à son ex-femme, et l'importance qu'elle y a attribuée, sont, on peut le soutenir, déraisonnables.

[7]          Quant à la question du préjudice irréparable, j'ai été très impressionné par l'affidavit établi par l'ex-femme du demandeur concernant le sérieux effet que le renvoi du demandeur peut avoir sur leur fils de huit ans, pour qui le demandeur demeure une très importante figure; même s'ils passent seulement une fin de semaine sur deux ensemble, ils se parlent au téléphone entre-temps. Interrompre la relation entre le demandeur et son fils avant qu'il ne soit statué sur la demande d'autorisation et la demande de contrôle judiciaire peut très bien causer un grave préjudice, bien que, comme l'a déclaré l'ex-femme du demandeur, si le demandeur est en fin de compte expulsé, ils doivent faire face à la situation.

[8]          En dernier lieu, je conclus que la prépondérance des inconvénients penche en faveur d'un sursis d'exécution, bien que l'intérêt public exige que les expulsés qui ont commis de graves infractions criminelles au Canada soient renvoyés sans délai indu conformément à l'obligation que la loi incombe au ministre. Toutefois, l'impact défavorable que le renvoi du demandeur peut avoir sur son fils avant qu'il soit statué sur sa demande de contrôle judiciaire qui pourrait être accueillie, la fin du versement de pension alimentaire à l'enfant du demandeur, la perte de son emploi et la situation de détresse créée par son renvoi du Canada où il vit depuis l'âge de 12 ans font, à mon avis, pencher la prépondérance des inconvénients en faveur d'un sursis d'exécution.

[9]          J'ai également examiné très soigneusement dans ce contexte si, au cas où il ne serait pas renvoyé rapidement, il est probable que le demandeur commette d'autres actes de violence contre son ex-femme, sa conjointe de fait actuelle ou contre toute autre personne. Les éléments de preuve dont je dispose, en particulier les rapports approfondis, minutieux et convaincants établis par le psychiatre, le Dr Ben-Aron, qui a observé le demandeur de temps à autre depuis son procès criminel, me convainquent qu'il existe un risque de récidive très bas. Je devrais insister sur le fait que ma conclusion repose uniquement sur les éléments de preuve dont je dispose en l'espèce, et ne peut nullement étayer la conclusion qui devrait être tirée dans une autre affaire où un sursis d'exécution est sollicité par une personne qui a été déclarée coupable de graves crimes de violence personnelle, que ces crimes soient commis dans un contexte domestique ou non.

Par ces motifs, il est sursis à l'exécution du renvoi du demandeur en attendant qu'il soit statué sur la demande d'autorisation présentée par le demandeur et, si l'autorisation en est accordée, sur sa demande de contrôle judiciaire.

     ORDONNANCE

         Il est sursis à l'exécution du renvoi du demandeur prévu pour le mardi 6 octobre 1998, à 17 h 50, jusqu'à ce que la Cour ait statué sur sa demande d'autorisation d'intenter une action en contrôle judiciaire et, si l'autorisation en est accordée, jusqu'à ce que la Cour ait entendu et définitivement tranché sa demande fondée sur l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale.

                             John M. Evans

                                     Juge

TORONTO (ONTARIO)

Le 6 octobre 1998

Traduction certifiée conforme

Tan, Trinh-viet

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     Avocats et procureurs inscrits au dossier

No DU GREFFE :                      IMM-3460-98
INTITULÉ DE LA CAUSE :              Jose Eduardo Pereira
                             et
                             Le ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration
DATE DE L'AUDIENCE :              Le lundi 5 octobre 1998

LIEU DE L'AUDIENCE :              Toronto (Ontario)

MOTIFS DE L'ORDONNANCE PAR :          le juge Evans

EN DATE DU                      mardi 6 octobre 1998

ONT COMPARU :

    Arlene Tinkler                      pour le demandeur
    Leena Jaakkimainen                  pour le défendeur

PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

    Arlene Tinkler
    Avocat
    Pièce 2000-393, av. University
    Toronto (Ontario)
    M5G 1E6                          pour le demandeur
    Morris Rosenberg
    Sous-procureur général du Canada
                                 pour le défendeur

:

                                                  COUR FÉDÉRALE DU CANADA
                                                  Date : 19981006
                                                  Dossier : IMM-3460-98
                                             ENTRE
                                                  JOSE EDUARDO PEREIRA,
                                                  demandeur,
                                                  et
                                                  LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,
                                                      défendeur.
                                            
                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET
                                                  ORDONNANCE
                                            
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