Date : 20201007
Dossier : T-1013-20
Référence : 2020 CF 956
[TRADUCTION FRANÇAISE]
Vancouver (Colombie-Britannique), le 7 octobre 2020
En présence de monsieur le juge Bell
ENTRE :
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SHELLEY GAUTHIER, ROBIN EWASKOW ET TROY WOLF
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demandeurs
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et
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MERLITA DE GUZMAN (EN SA QUALITÉ DE DIRECTRICE DES OPÉRATIONS DE LA BANDE DES PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER), ET LE CONSEIL DE BANDE DES PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER, MARVIN YAHEY, SHERRY DOMINC ET WAYNE YAHEY
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défendeurs
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ORDONNANCE ET MOTIFS
[1]
Le 13 septembre 2020, les demandeurs ont présenté une requête conformément aux articles 369 et 373 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, par laquelle ils sollicitent :
a) une injonction interlocutoire enjoignant à Merlita De Guzman, en sa qualité de directrice des opérations de la bande des Premières Nations de Blueberry River (la directrice des opérations) et au conseil de bande des Premières Nations de Blueberry River (le conseil de bande) de prévoir, de convoquer en bonne et due forme et de tenir une réunion du conseil de bande dans les dix jours suivant l’ordonnance de la Cour;
b) une injonction provisoire exigeant que la directrice des opérations et le conseil de bande prévoient, convoquent en bonne et due forme et tiennent des réunions du conseil de bande au moins deux fois par mois jusqu’à ce qu’une décision soit rendue relativement à la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente;
c) les dépens afférents à la requête.
[2]
La présente requête visant à obtenir une injonction interlocutoire et une injonction provisoire s’inscrit dans un long litige qui oppose trois membres du conseil de bande – les demandeurs dans la présente affaire – à trois autres membres du même conseil – les défendeurs individuels Marvin Yahey, Sherry Dominic et Wayne Yahey. Marvin Yahey est le chef élu du conseil de bande.
[3]
La demande sous‑jacente, qui constitue le fondement de la présente requête, a été déposée le 28 août 2020. Les demandeurs cherchent à obtenir une ordonnance « enjoignant »
à la directrice des opérations du conseil de bande de tenir une réunion du conseil dans les dix jours suivant l’ordonnance de la Cour, puis au moins deux fois par mois par la suite jusqu’à ce qu’une [traduction] « décision soit rendue sur la demande de contrôle judiciaire sous‑jacente »
. Les demandeurs s’appuient en partie sur le fait qu’aucune réunion du conseil n’a été tenue entre avril 2020 et aujourd’hui, ainsi que sur l’article 142 du Blueberry River Custom Election By-Law adopté en 2017, selon lequel le conseil de bande doit se réunir au moins deux fois par mois.
[4]
Le 29 juin 2020, la juge en chef adjointe Gagné a rendu, dans le dossier de la Cour T‑648‑20, une ordonnance qui prévoit en partie ce qui suit :
ET VU le fait que la Cour a été informée que, depuis avril 2020, le conseil de bande n’a pas respecté son Code coutumier en tenant deux réunions régulières par mois;
ET VU la conclusion selon laquelle, dans ces circonstances, il est impératif qu’une réunion régulière du conseil de bande soit tenue dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, que les six membres du conseil de bande reçoivent l’ordre d’y participer, et que la pétition et le rapport fondé sur l’article 188 soient correctement inscrits à l’ordre du jour de la réunion.
LA COUR ORDONNE :
[…]
4. Le chef Marvin Yahey doit convoquer une réunion du conseil de bande, ou ordonner à la directrice des opérations de convoquer une réunion, qui devra avoir lieu dans les 30 jours suivant la présente ordonnance, et inscrire à l’ordre du jour de la réunion la pétition des membres de la bande et le rapport fondé sur l’article 188, qui seront dûment traités conformément au Blueberry River Custom Election By-law.
[…]
6. La soussignée demeure saisie de l’affaire jusqu’à la tenue de la prochaine réunion du conseil de bande ou jusqu’à ce que cette affaire soit réglée par la médiation ou autrement, selon la première éventualité.
[5]
Le défi auquel la Cour est confrontée est que les demandeurs en l’espèce (T‑1013‑20) sont les défendeurs dans le dossier de la Cour T‑648‑20 et que, à l’inverse, dans le dossier T-648-20, les trois demandeurs individuels sont trois des quatre défendeurs individuels nommés dans la présente requête (T‑1013‑20). En outre, la directrice des opérations de la bande, à qui la juge en chef adjointe Gagné a fait référence dans l’ordonnance rendue dans le dossier de la Cour T‑648‑20, est la dernière défenderesse individuelle dans la présente requête. Bien que les défendeurs dans le dossier T‑648‑20 aient retiré une partie des allégations formulées contre les demandeurs dans cette affaire, ils ne se sont jamais désistés de leur demande relative à la tenue d’une réunion du conseil de bande.
[6]
Les éléments suivants ne sont pas contestés : aucune réunion du conseil n’a été tenue depuis l’ordonnance de la juge en chef adjointe Gagné; les demandeurs dans la présente requête (T‑1013‑20) étaient les bénéficiaires directs de l’ordonnance rendue par la juge en chef adjointe Gagné dans le dossier de la Cour T‑648‑20 exigeant la tenue d’une réunion du conseil de bande dans les 30 jours suivant cette ordonnance; aucune procédure d’exécution n’a été engagée par les défendeurs dans le dossier T‑648‑20, que ce soit par la voie d’un outrage au tribunal, aux termes de l’article 466 des Règles des Cours fédérales, ou autrement. Je tiens également à souligner qu’aucun aspect de l’ordonnance rendue le 29 juin 2020 par la juge en chef adjointe Gagné n’a été porté en appel. Qui plus est, aucune partie n’a demandé qu’il soit sursis à cette ordonnance, en tout ou en partie, au titre de l’article 398 des Règles des Cours fédérales. En outre, les dossiers T‑648‑20 et T‑1013‑20 n’ont pas été réunis, comme le permet l’article 105 des Règles des Cours fédérales, et d’après une recherche au bureau du greffe, aucun effort n’a été déployé pour les réunir. Enfin, les défendeurs n’ont déposé aucun consentement à jugement dans le dossier T‑648‑20. Il découle de tout ce qui précède que le dossier la Cour T‑648‑20 n’a pas été abandonné, réglé ou autrement clos.
[7]
Je souligne ici que les défendeurs dans la présente requête consentent à une partie de l’ordonnance demandée, sous réserve d’un certain nombre de conditions. Étant donné ma décision, il n’est pas nécessaire que j’aborde les conditions que les défendeurs cherchent à faire imposer en échange de leur consentement.
[8]
J’exerce mon pouvoir discrétionnaire de ne pas accorder l’injonction interlocutoire ni l’injonction provisoire qui sont sollicitées par les demandeurs dans la présente requête. J’arrive à cette conclusion pour les deux motifs exposés ci‑dessous.
[9]
Premièrement, il convient que les juges fassent preuve, par courtoisie judiciaire, de respect et de retenue à l’égard des décisions et des ordonnances des autres juges qui siègent au même tribunal. Bien qu’elles ne portent pas sur ce sujet précisément, voir, à cet égard, les décisions Almrei c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2007 CF 1025 au para 61 et Canada Steamship Lines Ltd. v Minister of National Revenue, [1966] Ex CR 972 au para 10. En l’espèce, aucune partie n’a demandé que soit modifiée l’ordonnance de la juge en chef adjointe Gagné. La demande sous‑jacente dans le dossier T‑648‑20 concerne essentiellement les mêmes parties, et elle comprend au moins une question identique, à savoir le fait qu’il n’y a pas eu de réunion du conseil de bande et la requête en injonction découlant de ce manquement. Je suis d’avis que la courtoisie judiciaire m’oblige à faire preuve de retenue et de respect tant que l’ordonnance de la juge en chef adjointe Gagné demeure en vigueur et qu’elle n’est pas contestée. On ne devrait pas considérer que je modifie son ordonnance, laquelle concerne essentiellement les mêmes parties et portes expressément sur la principale réparation sollicitée par les demandeurs dans le cadre de la présente requête. Je dis « porte expressément sur la principale réparation sollicitée »
parce que la juge en chef adjointe Gagné parle de l’exigence pour le conseil de bande de se réunir deux fois par mois et ordonne la tenue d’une réunion.
[10]
Deuxièmement, l’arrêt RJR-MacDonald Inc. c Canada (Procureur général), [1994] 1 RCS 311 (CSC), établit un critère conjonctif en trois étapes pour déterminer si une injonction interlocutoire ou une injonction provisoire doit être prononcée. Les demandeurs doivent établir qu’il existe une question sérieuse à juger, qu’ils subiront un préjudice irréparable si l’injonction n’est pas accordée et que la prépondérance des inconvénients penche en faveur de l’octroi de l’injonction. Pour les besoins de mon analyse, je présumerai que les demandeurs ont démontré qu’il existe une question sérieuse à trancher. Cependant, la requête ne satisfait pas aux exigences relatives au préjudice irréparable et à la prépondérance des inconvénients. Je suis convaincu que, si les demandeurs avaient vraiment cru qu’ils subissaient un préjudice irréparable ou qu’un préjudice irréparable leur serait infligé, ils n’auraient pas négligé, depuis le 30 juillet 2020, soit la date limite à laquelle une réunion du conseil de bande aurait dû être tenue, de faire valoir les droits que la juge en chef adjointe Gagné leur a conférés. Le fait que les défendeurs dans ce dossier (les demandeurs en l’espèce) n’aient pas fait exécuter une ordonnance qui leur est favorable et qui leur accorde clairement et dans une large mesure ce qu’ils sollicitent devant moi ne fait pas pencher la balance en faveur de l’octroi de l’ordonnance demandée. La prépondérance des inconvénients ne joue pas non plus en faveur de l’octroi d’une injonction. Les demandeurs disposent déjà d’une ordonnance qui leur accorde une partie de ce qu’ils demandent. Il ne serait pas dans l’intérêt des demandeurs ni dans celui des défendeurs qu’une autre ordonnance soit prononcée par notre Cour; en effet, il pourrait y avoir des divergences d’opinions quant à l’interprétation de cette deuxième ordonnance et à l’échéancier qu’elle fixerait par rapport à ceux de l’ordonnance actuellement en vigueur. Par souci d’économie et d’efficacité judiciaires, il n’est pas nécessaire que je rende une autre ordonnance dont le principal objectif est d’exiger la tenue d’une réunion du conseil de bande. La prépondérance des inconvénients favorise le statu quo, ce qui comprend bien entendu l’ordonnance exécutoire de la juge en chef adjointe Gagné.
[11]
En conclusion, je tiens à souligner que je suis conscient des différences entre l’ordonnance demandée en l’espèce et celle rendue par la juge en chef adjointe Gagné. Je sais également que le chef peut ordonner la tenue d’une réunion spéciale du conseil de bande même si d’autres réunions sont régulièrement prévues. Toutefois, une réunion du conseil de bande serait tenue si l’ordonnance de la juge en chef adjointe Gagné était exécutée. À mon avis, le fait qu’il s’agisse d’une réunion spéciale convoquée par le chef ou d’une réunion régulière n’a aucune importance.
[12]
Pour les motifs qui précèdent, j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et je rejette la requête en injonction interlocutoire et en injonction provisoire, le tout sans dépens.
ORDONNANCE
LA COUR ORDONNE QUE la requête en injonction interlocutoire et en injonction provisoire est rejetée sans dépens.
« B. Richard Bell »
Juge
COUR FÉDÉRALE
AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER
DOSSIER :
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T-1013-20
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INTITULÉ :
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SHELLEY GAUTHIER, ROBIN EWASKOW ET TROY WOLF c MERLITA DE GUZMAN (EN SA QUALITÉ DE DIRECTRICE DES OPÉRATIONS DE LA BANDE DES PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER), ET LE CONSEIL DE BANDE DES PREMIÈRES NATIONS DE BLUEBERRY RIVER, MARVIN YAHEY, SHERRY DOMINC ET WAYNE YAHEY
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REQUÊTE JUGÉE SUR DOSSIER SANS COMPARUTION DES PARTIES
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ORDONNANCE ET MOTIFS :
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LE JUGE BELL
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DATE DES MOTIFS :
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Le 7 octobre 2020
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SUR DOSSIER :
Thomas Arbogast, Oliver Pulleyblank, Katherine Kirkpatrick
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POUR LES DEMANDEURS
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Mark G. Underhill, Caroline North
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POUR LES DÉFENDEURS
MARVIN YAHEY, SHERRY DOMINC et
WAYNE YAHEY
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Merlita de Guzman
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POUR SON PROPRE COMPTE
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AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :
Talaw
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LES DEMANDEURS
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Arvay Finlay LLP
Vancouver (Colombie‑Britannique)
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POUR LES DÉFENDEURS
MARVIN YAHEY, SHERRY DOMINC et
WAYNE YAHEY
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Merlita de Guzman
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POUR SON PROPRE COMPTE
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