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                                                                                                                               Date : 20050117

                                                                                                                    Dossier : IMM-2113-04

                                                                                                                   Référence : 2005 CF 32

ENTRE :

                                                               ALI GONULCAN

                                                                                                                    Partie demanderesse

                                                                          - et -

                                            LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

                                                         ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                      Partie défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE TEITELBAUM

[1]         Il s'agit ici d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un agent (l'agent) chargé de l'examen des risques avant renvoi (ERAR) rendue le 28 janvier 2004 rejetant la demande du demandeur et stipulant que la mesure de renvoi prise à son endroit doit être exécutée.

[2]         Le demandeur cherche à faire casser cette décision, déclarer non exécutoire la mesure de renvoi et ordonner l'examen de novo de la preuve produite.


[3]         Le demandeur est un citoyen de la Turquie, mariéet père de quatre enfants. Toute sa famille est demeurée en Turquie.

[4]         Le demandeur est de religion alevie et fait partie du groupe social des Kurdes. Il allègue être une personne à protéger parce qu'il s'expose au risque de torture ainsi qu une menace à sa vie ou à des traitements cruels ou inusités s'il devait retourner en Turquie, du fait de son appartenance à ce groupe social et à ses croyances religieuses. Il allègue avoir subi, depuis sa jeunesse, des persécutions de la part des policiers qui l'ont menacé et frappé en raison de son origine kurde. Il allègue en outre avoir été arrêté au café où il travaille alors qu'il était regroupé avec une quinzaine d'autres personnes pour fonder un sous-groupe de l'association culturelle et religieuse Haci Bektas. Il soutient avoir été battu alors qu'il était en détention à un point tel que les policiers ont dû l'amener à l'hôpital. Il allègue enfin avoir été arrêté et battu encore une fois le 22 juin 2001.

[5]         Le 20 février 2002, il quitte la Turquie, transite par les États-Unis et arrive au Canada le 22 février 2002 au poste frontière de Lacolle, au Québec, où il revendique le statut de réfugié.

[6]         La Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission) rejette sa demande pour statut de réfugié le 17 décembre 2002. Le 18 novembre 2003, cette Cour accorde sa demande d'autorisation pour introduire une demande de contrôle judiciaire et fixe l'audience au 10 février 2004 (dossier IMM-209-03). Le 27 novembre 2003, l'ERAR lui est offert mais sa demande est rejetée le 28 janvier 2004. Enfin, le contrôle judiciaire de la décision de la Commission est rejeté le 18 mars 2004 par cette Cour (Gonulcan c. ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration, 2004 CF 392).


[7]         Tel que précédemment mentionné, la demande d'ERAR du demandeur a été rejetée en date du 28 janvier 2004 au motif que le demandeur ne risque pas dtre « torturé ou persécuté, de subir des traitements ou un châtiment cruels ou inhabituels ou de voir [sa] vie menacée advenant un renvoi vers [son] pays de nationalité ou de résidence habituelle. » On impose donc au demandeur de quitter le Canada et de confirmer son départ en raison du fait que la mesure de renvoi prise contre lui doit être exécutée.

[8]         L'agent d'ERAR, procédant à l'examen de la demande dans le cadre des considérations prévues aux articles 96 et 97 de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés, L.C. (2001), ch. 27, (la Loi) note que la Commission, statuant sur la demande de statut de réfugié, a jugé non crédible la revendication du demandeur en raison d'omissions et de contradictions truffant son témoignage.

[9]         Les documents déposés par le demandeur portant sur la situation qui prévaut en Turquie en ce qui a trait aux atteintes aux droits humains, ne sont pas, selon l'agent, uniquement reliés à la situation personnelle du demandeur. Or, l'agent souligne que le risque ne sera pas reconnu seulement sur la foi de la situation générale du pays d'origine mais bien sur la situation personnelle du demandeur quant à savoir s'il a une crainte justifiée de persécution, de torture, de menace à sa vie, ou de traitements ou de peines inusités. L'agent statue donc que le demandeur devait fournir de nouveaux éléments de preuve pour soutenir les risques allégués et démontrer que ces risques lui sont personnels, et ce, pour la raison suivante :

. . . Le rôle de lvaluation des risques ERAR n'a pas pour fin de réviser la décision rendue par la [Commission] mais de statuer sur les risques de retour en fonction de la nouvelle preuve et de la situation objective dans le pays de nationalité des demandeurs, la Turquie.


Ainsi, la demande est analysée en fonction des conditions actuelles en Turquie, plus particulièrement de la situation des Kurdes de religion alevie.

[10]       L'agent reconnaît qu'il existe, objectivement, des risques de traitements discriminatoires, de harcèlement ou de torture pour les gens, spécifiquement les personnalités publiques ou les partisans séparatistes, affirmant publiquement leur identité kurde. Cependant, l'agent conclut qu'en l'espèce le profil du demandeur ne concorde pas avec celui d'une personnalité publique ou d'une personne prônant le séparatisme.

[11]       En effet, l'agent souligne que repérer une personne kurde ou de religion alevie est particulièrement difficile en raison du fait que ces personnes constituent près du tiers de la population turque, n'ont pas de caractéristiques marquées, ne revêtent pas de vêtements traditionnels et portent souvent un nom turc. L'agent se fonde également sur la documentation objective consultée pour conclure que les Kurdes et les adeptes de la religion alevie ne sont pas persécutés; il n'y a pas d'oppression systématique à leur endroit. L'agent note également une amélioration sur le plan des restrictions auparavant imposées aux minorités en Turquie.

[12]       L'agent conclut de plus que la crainte de représailles du demandeur pour avoir quitté son pays et revendiqué le statut de réfugié n'est pas fondée parce qu'il n'est pas recherché par les autorités turques. L'agent rejette donc la demande en ces termes :

Considérant le profil du demandeur, considérant l'insuffisance de preuve pour établir un risque personnel et considérant la preuve objective sur les conditions actuelles en Turquie, j'en arrive à la conclusion que le demandeur ne m'a pas satisfaite qu'il ferait face à de la persécution, à de la torture, à des menaces à sa vie ou à des traitements ou peines cruels et inusités s'il devait retourner dans son pays.

[13]       Il est nécessaire de répondre aux questions en litige suivantes :


1)         L'agent a-t-elle erréen droit dans l'exercice de sa compétence en procédant à ltude de la demande d'ERAR?

2)         L'agent a-t-elle erréen faits en rejetant la demande d'ERAR?

          1)         L'agent a-t-elle erréen droit dans l'exercice de sa compétence en procédant à ltude de la demande d'ERAR?

[14]       Comme il s'agit d'une question de droit, je suis d'avis que la norme de contrôle applicable pour y répondre est celle de la décision correcte (voir Singh c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] 3 R.C.F. 323).

[15]       Le demandeur soutient qu'il y a eu un défaut de compétence. Il fait valoir que, lorsqu'une demande d'autorisation à l'encontre d'une décision de la Commission refusant le statut de réfugié est accueillie, elle emporte sursis de la mesure de renvoi jusqu ce qu'une décision défavorable de la Cour soit rendue, et ce, selon le paragraphe 231(b) du Règlement sur l'immigration et la protection des réfugiés, DORS/2002-227 (le Règlement) :


231. (1) Sous réserve des paragraphes (2) à (4), la demande d'autorisation de contrôle judiciaire faite conformément au paragraphe 72(1) de la Loi à lgard d'une décision rendue par la Section de la protection des réfugiés rejetant la demande d'asile emporte sursis de la mesure de renvoi jusqu'au premier en date des événements suivants :

[. . .]

b) la demande d'autorisation est accueillie et la demande de contrôle judiciaire est rejetée sans qu'une question soit certifiée pour la Cour fédérale d'appel;

231. (1) Subject to subsections (2) to (4), a removal order is stayed if the subject of the order has filed an application for leave for judicial review in accordance with subsection 72(1) of the Act with respect to a determination of the Refugee Protection Division to reject a claim for refugee protection, and the stay is effective until the earliest of the following:

[. . .]

(b) the application for leave is granted, the application for judicial review is refused and no question is certified for the Federal Court of Appeal,



[16]       Ainsi, selon le demandeur, le fait que la Cour ait accordé la demande d'autorisation de la décision de la Commission a eu pour effet d'emporter le sursis de la mesure de renvoi à son égard jusqu ce que la décision sur le contrôle judiciaire soit rendue, ce qui est survenu le 18 mars 2004.

[17]       Le demandeur argumente ensuite que l'article 112 de la Loi, concernant l'ERAR, stipule que, pour que l'examen soit effectué, il faut que la personne soit visée par une mesure ayant pris effet. Toutefois, il soumet qu'en l'espèce l'ERAR a été effectué trop tôt parce que la mesure n'avait pas encore pris effet vu que la décision de la Cour sur le contrôle judiciaire de la décision de la Commission n'avait pas encore été rendue. Plus précisément, la demande d'ERAR a été rejetée le 28 janvier 2004 et la décision de cette Cour relativement au contrôle judiciaire de la décision de la Commission a été rendue le 18 mars 2004. Le paragraphe 112(1) de la Loi se lit comme suit :


112. (1) La personne se trouvant au Canada et qui n'est pas visée au paragraphe 115(1) peut, conformément aux règlements, demander la protection au ministre si elle est visée par une mesure de renvoi ayant pris effet ou nommée au certificat visé au paragraphe 77(1).

112. (1) A person in Canada, other than a person referred to in subsection 115(1), may, in accordance with the regulations, apply to the Minister for protection if they are subject to a removal order that is in force or are named in a certificate described in subsection 77(1).


[18]       Le demandeur soutient que cette façon de procéder ne respecte pas les exigences de la Loi. En somme, le demandeur estime que l'agent d'ERAR s'est octroyée une compétence qu'elle n'avait pas au moment de ltude du dossier vu que l'on ne peut pas dire que la mesure de renvoi aurait pris effet vu que la demande d'autorisation de contrôle judiciaire a eu comme conséquence d'en emporter le sursis.


[19]       Pour sa part, le défendeur fait valoir que, même en acceptant l'argument du demandeur, l'erreur de l'agent ntait pas déterminante parce que la demande de contrôle judiciaire a été rejetée par le juge Pinard le 18 mars 2004. Il soutient en outre que le demandeur était visé par une mesure de renvoi ayant pris effet au sens du paragraphe 112(1) de la Loi. Enfin, le défendeur argumente que le paragraphe 49(2) de la Loi prévoit le moment où une mesure de renvoi prend effet et qu'en l'espèce elle avait déjà pris effet, et ce, malgré le fait que le demandeur avait déposé une demande d'autorisation de contrôle judiciaire.

[20]       Eu égard à cette question en litige, j'estime que la décision de l'agent est correcte. Je suis d'avis que l'agent avait compétence pour effectuer l'ERAR au moment où elle l'a fait. Je ne peux pas accepter l'argument du demandeur.

[21]       Il me paraît évident que l'article 112 de la Loi et l'article 231 du Règlement ne traitent pas de la même notion. D'une part, si j'examine le sens commun et généralement accepté de l'expression « prendre effet » , qui est prévue à l'article 112 de la Loi, cela signifie « devenir exécutoire » . D'autre part, si je me penche sur l'article 231 du Règlement où l'on parle du sursis de la mesure de renvoi, je constate que le verbe « surseoir » signifie « remettre pour un temps, différer, suspendre, attendre l'expiration d'un délai pour procéder » .

[22]       Il ressort clairement de ce retour aux bases des principes d'interprétation que l'on peut facilement dire qu'une mesure peut être mise en sursis mais qu'elle a tout de même pris effet. Ainsi, je suis d'avis que la mesure de renvoi a pris effet au moment où la décision de la Commission a été rendue mais qu'elle a été tout simplement placée en sursis par le dépôt de la demande d'autorisation de contrôle judiciaire. Il en ressort, conséquemment, que l'agent pouvait validement s'estimer compétente pour effectuer l'ERAR puisque la mesure de renvoi avait bel et bien pris effet, tel que l'exige l'article 112 de la Loi.

[23]       Comme les exigences de recevabilité pour traiter de l'ERAR ont été respectées, je suis d'avis que la décision de l'agent n'est pas entachée d'une erreur de droit relativement à sa compétence.


          2)         L'agent at-elle erréen faits en rejetant la demande d'ERAR?

[24]       Une controverse existe dans la jurisprudence quant à la norme de contrôle applicable à une décision suite à un ERAR. Certains avancent que la décision manifestement déraisonnable serait la norme appropriée alors que d'autres soutiennent que la décision raisonnable simpliciter est la norme à adopter (voir, entre autres, Babai c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1614 (QL), Khatoon c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 1408 (QL), Sidhu c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 30 (QL) et Dissanayakage c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2004] A.C.F. no 712 (QL)). Toutefois, la jurisprudence révèle que personne ne s'est définitivement prononcé sur cette question; on dit toujours qu'il n'est pas nécessaire ou approprié de le faire. À la lumière du dossier, je ne crois pas cependant que cela fasse une grande différence compte tenu du fait que la décision de l'agent est bien étayée et qu'elle est supportée par le dossier. Même une norme moins exigeante comme celle de la décision raisonnable simpliciter n'emporte pas une intervention de la Cour puisque la décision de l'agent est raisonnable et fondée sur une explication défendable (voir Canada (Directeur des enquêtes et recherches) c. Southam Inc., [1997] 1 R.C.S. 748, et Ryan c. Victoria (Ville), [1999] 1 R.C.S. 201).

[25]       Le demandeur soutient que sa situation devait être analysée selon les constats apparaissant au dossier d'immigration. Il soumet qu'objectivement sa situation est précaire compte tenu du fait que son passeport n'est plus valide ce qui le met à risque s'il devait retourner en Turquie. Le demandeur argumente que les conclusions de l'agent sont fondées sur de la spéculation.


[26]       Pour sa part, le défendeur avance que la décision de l'agent est fondée sur la preuve soumise par le demandeur et d'autres éléments plus récents quant à la situation qui prévaut en Turquie. Il suggère que la conclusion de l'agent à l'effet que la crainte du demandeur ntait pas fondée est raisonnable. Le défendeur fait également valoir qu'il est insuffisant pour un demandeur de faire état des conditions régnant dans son pays; il doit établir des liens avec sa situation personnelle particulière (Rahaman c. Canada (ministre de la Citoyennetéet de l'Immigration), [2002] 3 C.F. 537 (C.A.)).

[27]       Tel que l'agent l'a souligné, le but de l'ERAR n'est pas de servir de mécanisme de révision d'un rejet d'une demande de statut de réfugié par la Commission. Seuls les éléments de preuve survenus depuis le rejet de cette demande ou ceux qui ntaient alors pas raisonnablement accessibles peuvent être présentés (paragraphe 113a) de la Loi).

[28]       J'accepte l'argument du défendeur voulant qu'une retenue soit de mise face à la décision de l'agent et qu'en l'espèce il était raisonnable pour cette dernière de tirer les conclusions étayant la décision litigieuse. À la lumière de la considération de la décision rendue par l'agent, je ne peux conclure qu'elle est déraisonnable. Elle est fondée sur la preuve au dossier et l'interprétation qu'elle en fait est raisonnable. Cette décision n'est pas, selon moi, entachée d'une erreur justifiant l'intervention de cette Cour par le biais d'un contrôle judiciaire.

[29]       Pour toutes ces raisons, je suis satisfait que la demande de contrôle judiciaire doit être rejetée.


[30]       J'accorde à la partie demanderesse sept (7) jours à compter de la date des présents motifs pour soumettre une ou des questions pour certification avec représentations écrites. La partie défenderesse aura sept (7) jours, à compter de la date de réception des représentations du demandeur, pour répondre.

     "Max M. Teitelbaum"

                                                                    

       JUGE

OTTAWA (ONTARIO)

Le 17 janvier 2005


                                                              COUR FÉDÉRALE

                                               AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                                     IMM-2113-04

INTITULÉ :                                                       ALI GONULCAN c. LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                               Montréal (Québec)

DATE DE L'AUDIENCE :                             Le 1er novembre 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :                 Le juge Teitelbaum

DATE DES MOTIFS :                                   Le 17 janvier 2005    

COMPARUTIONS :

Me Michel Le Brun                                          POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Me Michel Pépin                                             POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Michel Le Brun                                               POUR LA PARTIE DEMANDERESSE

Montréal (Québec)

Morris Rosenberg                                          POUR LA PARTIE DÉFENDERESSE

Sous-procureur général du Canada

Montréal (Québec)


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