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     T-1680-95

ENTRE:

     J. RONALD CARRIÈRE,

     Requérant,

     - et -

     SA MAJESTÉ LA REINE,

     Intimée,

     et -

     LE MINISTRE DE LA DÉFENSE NATIONALE,

     Mis en cause.

     MOTIFS D'ORDONNANCE

LE JUGE DUBÉ:

     Le requérant, par le biais de ce contrôle judiciaire, demande l'annulation d'une décision du ministre de la Défense nationale du Canada ("le ministre") en date du 7 juillet 1995 rejetant son recours au gouverneur en conseil comme dernier palier de grief au motif que, suite à la modification du règlement des griefs, ce septième et dernier palier a été supprimé.

     En l'espèce, le requérant s'est enrôlé dans les Forces canadiennes en 1981, a reçu un avertissement écrit en novembre 1983 et un rapport de mise en garde le 8 février 1984 pour rendement insuffisant et mauvaise attitude. À cette époque, les Ordonnances et Règlements royaux applicables aux Forces canadiennes ("les ORFC") (C.P. 1970 - 10/1494 en date du 9 septembre 1970) prévoyaient une procédure de grief comprenant, dans le cas du requérant, sept paliers. Le requérant s'est prévalu des six premiers paliers, soit à partir du commandant du premier commando jusqu'au ministre. Ses griefs ont été rejetés à chaque palier, excepté au sixième où le ministre a accordé en partie le grief du requérant.

     Par arrêté en conseil (C.P. 1994-1944, en date du 22 novembre 1994) entré en vigueur le 2 décembre 1994, les articles 19.26 et 19.27 des ORFC ont été abrogés et remplacés par une nouvelle procédure de griefs. C'est donc que le 7 juillet 1995 le requérant était avisé par une personne attachée au cabinet du ministre que son grief ne pouvait pas être acheminé au gouverneur en conseil.

     L'argumentation du requérant se limite à un point fondamental: vu que le règlement abolissant le dernier palier n'a pas été publié dans la Gazette du Canada mais seulement sur les bases militaires, il ne lui est pas opposable puisque, n'étant plus militaire à l'époque, il n'était pas au courant de la modification.

     La réponse à cette allégation nécessite une revue des différentes dispositions des lois et des règlements applicables. Dans un premier temps, la Loi sur les textes réglementaires (L.R.C. (1985), ch. S-22) stipule au paragraphe 11(1) que "sous réserve des règlements d'application de l'alinéa 20c), chaque règlement est publié dans la Gazette du Canada". Ledit alinéa 20c) prévoit que le gouverneur en conseil peut, par règlement, soustraire à l'application du paragraphe 11(1) les règlements dont il est convaincu qu'ils n'intéressent que peu de personnes et qu'ils ont fait l'objet de mesures raisonnables pour que les intéressés soient informés de leur teneur. L'article 7 du Règlement sur les textes réglementaires (C.R.C., ch. 1509) soustrait à l'enregistrement les règlements qui se classent dans certaines catégories, y compris à l'alinéa 7(a) les "règlements établis en vertu de l'article 12 de la Loi sur la Défense nationale" (L.R.C. (1985), ch. N-5). Ledit article 12 permet au gouverneur en conseil de prendre des règlements concernant la discipline des Forces canadiennes. L'article 29 de cette même Loi prévoit que le militaire qui s'estime lésé peut, de droit, en demander réparation auprès des autorités supérieures désignées par règlement du gouverneur en conseil, "selon les modalités qui y sont fixées".

     Le Règlement sur les textes réglementaires stipule au paragraphe 15(1) que "sont soustraites à la publication les catégories de règlements qui sont soustraites à l'enregistrement". Le paragraphe 51(1) de la Loi sur la Défense nationale précise qu'il suffit, pour que les règlements destinés aux Forces canadiennes soient considérés comme régulièrement notifiés, "qu'ils aient été publiés de la manière réglementaire, dans l'unité - ou tout autre élément - où sert l'intéressé". L'article 1.21 des ORFC intitulé Notification par réception des règlements, ordres et directives prévoit à l'alinéa 1.21a) que tous règlements émis aux Forces canadiennes sont censés avoir été publiés à toute personne intéressée si d'une part ils sont reçus à la base, l'unité ou l'élément où cette personne est en service.

     Le paragraphe 11(2) de la Loi sur les textes réglementaires stipule qu'un "règlement n'est pas invalide au seul motif qu'il n'a pas été publié dans la Gazette du Canada". Toutefois, ce paragraphe prévoit également que "personne ne peut être condamné pour violation d'un règlement qui, au moment du fait reproché, n'était pas publié", sauf dans le cas où selon l'alinéa 11(2)b) "des mesures raisonnables avaient été prises pour que les intéressés soient informés de la teneur du règlement". Il faut retenir cependant que cette dernière disposition n'avantage pas le requérant puisqu'il ne s'agit pas en l'espèce d'une condamnation mais d'un grief.

     Le requérant se replie également sur le paragraphe 51(2) de la Loi sur la Défense nationale, lequel stipule qu'il suffit, pour que les règlements intéressant un réserviste soient considérés comme lui ayant été régulièrement notifiés, qu'ils lui soient envoyés par courrier recommandé. Le requérant n'est pas un réserviste puisqu'il a été libéré des Forces canadiennes en 1984. Il n'y a aucune disposition statutaire ou réglementaire qui impose l'obligation d'informer les anciens militaires retournés à la vie civile de la teneur d'un nouveau règlement.

     Finalement, il faut retenir que le règlement en question comportait une disposition transitoire qui paraît à l'article 19.26(22) des ORFC et se lit comme suit:

     (22) Le présent article n'a pas pour effet de porter atteinte au droit qu'un officier ou militaire du rang pouvait exercer avant le 2 décembre 1994 pour obtenir une décision du gouverneur en conseil, si l'officier ou le militaire du rang a demandé que la plainte soit présentée au gouverneur en conseil avant cette date.         

     Il faut retenir en l'espèce que le requérant pouvait exercer son droit avant le 2 décembre 1994 mais n'a pas demandé que sa plainte soit présentée au gouverneur en conseil avant cette date.

     En conséquence, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.

O T T A W A

le 20 juin 1997

    

     Juge


COUR FEDERALE DU CANADA SECTION DE PREMIERE INSTANCE

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

N º DE LA COUR : T-1680-95

INTITULE : J. RONALD CARRIERE v.

SA MAJESTE LA REINE et al

LIEU DE L'AUDIENCE : MONTREAL (QUEBEC)

DATE DE L'AUDIENCE : LE 11 JUIN 1997

MOTIFS DU JUGEMENT DU JUGE DUBE

EN DATE DU 20 JUIN 1997

COMPARUTIONS

ME JEAN LAURIN POUR LE REQUERANT

ME NADINE PERRON POUR L'INTIME

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER:

GEORGE THOMSON POUR L'INTIME PROCUREUR GENERAL DU

CANADA

ME JEAN LAURIN POUR LE REQUERANT MONTREAL (QUEBEC)

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