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Date : 20040614

Dossier : IMM-3476-03

Référence : 2004 CF 847

Ottawa (Ontario), le 14 juin 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SIMON NOËL

ENTRE :

                                                MANIVANNAN SUBRAMANIAM

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

[1]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire d'une décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), datée du 24 avril 2003, dans laquelle on a refusé au demandeur le statut de réfugié au sens de la Convention et on a décidé qu'il n'était pas une personne à protéger.


LA NORME DE CONTRÔLE

[2]                Le principal moyen invoqué à l'appui de la présente demande est celui des conclusions de la Commission quant à la crédibilité et à la vraisemblance. La Commission a rejeté la demande d'asile du demandeur parce qu'elle a conclu que le témoignage donné par le demandeur n'était pas crédible ni vraisemblable. La Commission est un tribunal spécialisé dans l'examen des demandes d'asile, elle a entendu le témoignage du témoin et elle se trouve habituellement dans la meilleure position pour apprécier la crédibilité des témoins. Par conséquent, la norme pour contrôler les conclusions quant à la crédibilité tirées par la Commission est celle de la décision manifestement déraisonnable. Voyez l'arrêt Aguebor c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration (1993), 160 N.R. 315 (C.A.F.), dans lequel la Cour d'appel fédérale a déclaré :

[...] Qui, en effet, mieux que lui, est en mesure de jauger la crédibilité d'un récit et de tirer les inférences qui s'imposent? Dans la mesure où les inférences que le tribunal tire ne sont pas déraisonnables au point d'attirer notre intervention, ses conclusions sont à l'abri du contrôle judiciaire. [...]

[3]                Conformément à la décision Bains c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1998] A.C.F. no 1144, paragraphe 11, avant d'annuler une conclusion de la Commission quant à la crédibilité, il faut que l'un des critères suivants soit établi :

1.          la Commission n'a pas fourni de bonnes raisons de conclure qu'un demandeur manquait de crédibilité;

2.          les inférences tirées par la Commission reposent sur des conclusions d'invraisemblance qui, de l'avis de la Cour, ne sont simplement pas vraisemblables;

3.          la décision reposait sur des inférences qui n'étaient pas étayées par les éléments de preuve;


4.          la conclusion quant à la crédibilité reposait sur une conclusion de fait tirée de façon abusive ou arbitraire ou sans tenir compte des éléments de preuve.

[4]                Il faut donc faire preuve du degré le plus élevé de retenue à l'égard des conclusions de la Commission quant à la crédibilité et celles-ci ne devraient être annulées que conformément aux critères susmentionnés. En ce qui a trait à la crédibilité ou à la vraisemblance, la Cour ne devrait pas substituer son opinion à celle de la Commission, sauf dans les « cas les plus clairs » .

LES FAITS

[5]                Le demandeur est un citoyen du Sri Lanka qui allègue craindre d'être persécuté en raison de ses convictions politiques et de son appartenance à un groupe social, à savoir qu'il est un Tamoul du Nord sri-lankais. Le demandeur a quitté le Sri Lanka en 1994 et il a demandé l'asile en Allemagne. Sa demande d'asile a été rejetée en 1995 mais le demandeur est demeuré en Allemagne jusqu'en novembre 2001, alors qu'il s'est rendu aux États-Unis d'Amérique. À son arrivée aux États-Unis, il fut détenu pour avoir voyagé avec un faux passeport et on l'a libéré sous caution le 7 janvier 2002. Deux jours plus tard, il est arrivé au Canada et il a demandé l'asile. Le demandeur est marié et il a une fille. Ses frères et l'une de ses soeurs qui vivent à Toronto ont été acceptés en tant que réfugiés au Canada.


LA DÉCISION DE LA COMMISSION

[6]                La Commission a rejeté la demande du demandeur pour deux motifs. La Commission a d'abord conclu que, dans l'ensemble, le demandeur manquait de crédibilité et elle a donné plusieurs motifs, notamment :

a)          elle a estimé que, dans l'ensemble, le témoignage du demandeur était de piètre qualité. Elle a eu peine à obtenir des réponses conséquentes et cohérentes du demandeur, lequel n'avait pas tendance à répondre directement aux questions et il s'était montré enclin à répéter les principaux incidents décrits dans son exposé circonstancié même s'ils n'avaient rien à voir avec les questions posées;

b)          le témoignage du demandeur comportait des incompatibilités par rapport au compte rendu de son entrevue avec le Service d'immigration et de naturalisation (INS) des États-Unis au sujet de sa détention en 1994, de même que concernant son statut en Allemagne de l'Ouest entre septembre 1994 et novembre 2001;

c)          le demandeur a présenté des éléments de preuve contradictoires entre ses déclarations orales et celles contenues dans son Formulaire de renseignements personnels (FRP) concernant les raisons de son déménagement à Galle, dans le sud. La Commission a conclu que ces contradictions jetaient un doute sur les raisons qui ont motivé sa décision de quitter le Sri Lanka.


[7]                La Commission a également conclu que le demandeur n'avait pas raison de craindre d'être persécuté au Sri Lanka en ce que, selon la situation actuelle du pays établie par l'entremise de la preuve documentaire, il n'a pas démontré qu'il existait une possibilité sérieuse ou raisonnable qu'il soit persécuté s'il devait retourner au Sri Lanka.

ANALYSE

Crédibilité et invraisemblance


[8]                La question centrale de la présente demande est de savoir si oui ou non le demandeur est crédible. Pour me prononcer en l'espèce, ce sont les principes énoncés dans l'arrêt Maldonado c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1980] 2 C.F. 302 (C.A.) (Maldonado), à la page 305, qui me guident ainsi que ceux énoncés dans l'arrêt Rajaratnam c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 1271 (C.A.F.). Toutefois, il ressort clairement de l'arrêt Maldonado que la Commission doit avoir de bonnes raisons de conclure qu'un demandeur manque de crédibilité. Les arrêts Attakora c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1989), 99 N.R. 168 (C.A.F.), et Owusu-Ansah c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1990), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), sont deux affaires dans lesquelles les décisions ont été annulées parce que les inférences tirées par la Commission reposaient sur des conclusions d'invraisemblances qui n'étaient pas en soi de telle nature. Dans l'arrêt Frimpong c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration) (1980), 8 Imm. L.R. (2d) 106 (C.A.F.), une décision de la Commission a été annulée parce qu'elle reposait sur des inférences qui n'étaient pas étayées par les éléments de preuve. Comme il est déclaré dans la décision Bains, il en est ainsi parce qu'une cour de révision, selon la nature des invraisemblances alléguées, se trouve dans une position aussi bonne que celle dans laquelle se trouve la Commission pour apprécier la validité des invraisemblances alléguées.

Le rapport psychologique

[9]                En l'espèce, il y avait un doute en ce qui a trait à la crédibilité du demandeur ainsi qu'à la vraisemblance de sa demande et la Commission devait s'assurer, en se fondant sur les éléments de preuve présentés, qu'il existait des motifs pour étayer sa décision. À la page 4 des motifs de la décision, la Commission en est venue, pour l'essentiel, à la conclusion suivante :

Pour évaluer la crédibilité du revendicateur, le tribunal a tenu dûment compte du rapport psychologique. Toutefois, il a pu de visu constater que le revendicateur n'a eu aucune difficulté à relater les événements traumatisants durant son témoignage. Ce dernier a, en fait, fait allusion à maintes reprises aux événements pénibles qu'il aurait vécus au Sri Lanka, y compris les blessures que sa fille a subies, sa propre agression et sa détention par la police dans le sud du pays. En l'occurrence, la capacité du revendicateur à témoigner ne concorde pas avec le comportement qu'adoptent les personnes qui souffrent du SSPT, comme le mentionne [le rapport]. Le tribunal estime que les incohérences et contradictions qui caractérisent les déclarations du revendicateur dénotent davantage le manque de crédibilité que les problèmes psychologiques.


[2]                Après avoir examiné le rapport psychologique, la Commission a conclu que, bien que l'on tienne compte du profil psychologique du demandeur, son témoignage était incohérent, et également contradictoire, et que tout cela avait influé sur l'appréciation de sa crédibilité. Une telle approche démontre, comme ce fut le cas dans la décision Dekunle c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [2003] A.C.F. no 1403, que la Commission a lu et pris en considération le rapport psychologique mais qu'elle a conclu que le diagnostic n'avait rien changé à ses conclusions de fait :

[...] En l'occurrence, la Commission a pris en considération le rapport du psychologue et elle est arrivée à la conclusion que celui-ci n'avait pas d'incidence sur son analyse des faits. Si la Commission avait rejeté la demande [...] en se fondant uniquement sur le comportement de ce dernier ou sur son incapacité de se rappeler certains événements, le rapport aurait pu jouer un rôle plus décisif dans son évaluation de la preuve. Toutefois, la Commission a également constaté des contradictions et des invraisemblances importantes dans le témoignage [du demandeur]. Dans de telles circonstances, il était loisible à la Commission d'évaluer l'incidence du rapport à la lumière de l'ensemble de la preuve et de lui accorder peu de poids : Al-Kahtani c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1996] A.C.F. no 335 (QL) (C.F. 1re inst.); Canizalez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1997] A.C.F. no 1492 et Boateng c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), [1995] A.C.F. no 517 (QL) (C.F. 1re inst.).

Comme nous le verrons, la Commission a constaté des contradictions, des invraisemblances et des omissions pour lesquelles elle n'a pas reçu d'explication satisfaisante.

Le témoignage devant l'INS


[3]                En ce qui a trait à la conclusion selon laquelle le demandeur a rendu un témoignage contradictoire concernant sa détention de 1994, la Commission a noté des divergences entre ses déclarations orales faites devant elle et les notes prises au cours de son entrevue devant l'INS, aux États-Unis. Plus précisément, le rapport de l'INS fait remarquer que le demandeur prétend avoir été détenu par la police sri-lankaise en 1994, mais il ne fait aucunement mention de la brutalité dont le demandeur a fait état devant la Commission. La seule référence à de la violence physique dans le rapport de l'INS concerne les incidents mettant en cause les militaires, lesquels seraient survenus en 1990. Compte tenu des éléments de preuve dont disposait la Commission, j'estime que ce n'est pas là une conclusion manifestement déraisonnable.

Le FRP

[4]                La Commission a constaté une contradiction entre le témoignage du demandeur et son FRP en ce qui a trait à la raison de son déménagement dans la ville de Galle, au sud du Sri Lanka. Dans son témoignage, le demandeur a déclaré qu'il avait déménagé parce qu'il voulait trouver un endroit où vivre en sécurité avec sa famille. Dans son FRP, il avait déclaré que c'est pour travailler qu'il s'y était établi. La transcription révèle que la Commission a abordé cette question avec le demandeur et qu'elle lui a donné l'occasion de concilier les raisons contradictoires de son déménagement à Galle. Compte tenu des éléments de preuve qui ont été présentés, j'estime que, face à une telle contradiction, il n'était pas manifestement déraisonnable de la part de la Commission de tirer une conclusion défavorable quant à la crédibilité.

Le départ du Sri Lanka


[5]                La Commission a également constaté qu'il y avait une contradiction entre le témoignage du demandeur et la preuve documentaire en ce qui a trait à sa décision de quitter le Sri Lanka. Le demandeur a témoigné selon quoi il n'avait décidé de quitter le pays qu'après l'agression d'avril 1994 à Galle. Le demandeur avait toutefois déjà obtenu son passeport deux mois avant l'agression et il a fait valoir qu'il était raisonnable qu'il agisse ainsi en raison des troubles vécus antérieurement au Sri Lanka. Cependant, la Commission a rejeté cette explication parce que le demandeur avait témoigné précédemment selon quoi le but de son déménagement au sud, à Galle, était de réunir sa famille. La Commission a conclu, en se fondant sur les éléments de preuve présentés, que le fait de viser la réunion ne concordait pas avec celui de se préparer à quitter seul le pays. J'estime qu'une telle conclusion n'est pas manifestement déraisonnable.

Les six années en Allemagne

[6]                La Commission a également décidé que le témoignage du demandeur, en ce qui a trait à son statut de réfugié en Allemagne, n'était pas crédible. La Commission en est venue à cette conclusion en se fondant sur la politique allemande qui a établi un délai d'un mois pour le départ des demandeurs d'asile qui ont échoué et sur l'incapacité du demandeur à expliquer comment il avait réussi à demeurer en Allemagne plus de six ans après avoir essuyé un refus relativement à sa demande d'asile. Bien que la Commission n'ait pas remis en question le fait que le demandeur ait été en Allemagne entre 1995 et 2001, elle a tiré une conclusion défavorable quant à la crédibilité parce que le demandeur ne pouvait pas expliquer son statut pendant cette période ni donner une réponse satisfaisante quant à savoir comment il avait été en mesure de contourner le délai de départ d'un mois.

[7]                Toutefois, lorsqu'elle a tiré cette conclusion, la Commission n'avait pas pris connaissance d'une lettre provenant de l'ambassade de la République fédérale d'Allemagne, datée du 12 mai 2003, laquelle appuie le témoignage du demandeur. Cette lettre est arrivée trois semaines après que la Commission a rendu sa décision. Par conséquent, la Commission était dessaisie. Ces nouveaux renseignements ne modifient en rien ma conclusion générale puisque mon appréciation globale de la décision (à l'exception du statut du demandeur en Allemagne) est qu'il n'était pas manifestement déraisonnable que la Commission détermine que le demandeur n'était pas crédible.

COMMENTAIRE ADDITIONNEL

[8]                Par ailleurs, dans sa décision, la Commission conclut que le demandeur ne s'est pas déchargé du fardeau d'établir qu'il a raison de craindre d'être persécuté. La Commission a fait référence à la preuve documentaire qui a démontré que les Tamouls fuyant la persécution dans le nord peuvent, en général, trouver refuge au sud et elle a fait remarquer qu'un cessez-le-feu permanent était maintenant en vigueur entre le gouvernement sri-lankais et les Tigres tamouls. Le défendeur a en outre fait valoir que le demandeur n'avait pas abordé la question relative au fait que celui-ci n'avait pas raison de craindre d'être persécuté et il prétend que les articles de la BBC soumis par le demandeur donnent à penser que les niveaux de violence au Sri Lanka ont [traduction] « décliné d'une manière impressionnante depuis la signature du cessez-le-feu permanent » .


CONCLUSION

[9]                M'appuyant sur l'examen que j'ai effectué de la décision de la Commission, de la transcription des audiences, de même que des observations orales et écrites des parties, je suis d'avis que, avant de rendre sa décision, la Commission a pris en considération l'ensemble des éléments de preuve pertinents. En me fondant sur la norme de la décision manifestement déraisonnable, j'en viens donc à la conclusion que la Commission n'a commis aucune erreur.

[10]            Les parties n'ont formulé aucune question en vue de la certification.

                                        ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

-           La présente demande de contrôle judiciaire est rejetée et aucune question ne sera certifiée.

                    « Simon Noël »                    

     Juge

Traduction certifiée conforme

Christian Laroche, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3476-03

STYLE OF CAUSE:                           MANNIVANNAN SUBRAMANIAM

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET

DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                              TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L'AUDIENCE :                            LE 9 JUIN 2004

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                                    LE JUGE SIMON NOËL

DATE DES MOTIFS :                                   LE 14 JUIN 2004

COMPARUTIONS :

Krassina Kostadinov                             POUR LE DEMANDEUR

Jamie Todd                                           POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Lorne Waldman                                    POUR LE DEMANDEUR

Waldman & Associates

Toronto (Ontario)

Jamie Todd                                           POUR LE DÉFENDEUR

Ministère de la Justice

Toronto (Ontario)


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