Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20050128

Dossier : T-2674-92

Référence : 2004 CF 115

ENTRE :

                                        LES ENTREPRISES A.B. RIMOUSKI INC.

                                                                            et

                                                           ALDÈGE BANVILLE

                                                                                                                                    Demandeurs

                                                                            et

                                                        SA MAJESTÉ LA REINE

                                                                                                                                  Défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LE JUGE LEMIEUX

INTRODUCTION


[1]                Par requête déposée au greffe de cette Cour le 19 décembre 2003, les Entreprises A.B. Rimouski Inc. ( « A.B.R. Inc. » ) et Aldège Banville (les « demandeurs » ), invoquant le paragraphe 399(2) des Règles de la Cour fédérale, 1998, (les « Règles » ), recherchent l'annulation ou une modification de l'ordonnance rendue le 9 octobre 1998 par l'honorable juge Pierre Denault, maintenant retraité, qui rejetait avec dépens l'action d'Aldège Banville en sa qualité de cessionnaire de A.B.R. Inc. M. Banville a personnellement plaidé cette requête.

[2]                Au centre du litige entre les parties est un contrat daté du 8 septembre 1989 conclu avec Travaux publics Canada par lequel A.B.R. Inc. s'engageait à démolir l'ancien quai commercial de Cap-Chat, Québec, et de nettoyer les lieux. Le 15 mai 1990, Travaux publics Canada mettait A.B.R. Inc. en défaut d'exécution au motif qu'il n'avait pas complété ses travaux selon les plans et devis. Travaux publics Canada a fait appel à la caution pour compléter le contrat.

[3]                Travaux publics Canada a retenu le solde contractuel impayé à cette date, somme que les demandeurs voulaient recouvrer par action contre Sa Majesté la Reine (le « Canada » ) intentée le 29 octobre 1992 mais modifiée le 15 août 1995. Le juge Denault rejette l'action le 11 octobre 1996.

[4]                Suite à un jugement de la Cour d'appel fédérale en 1998, le juge Denault devait ré-étudier certains chefs de réclamation soulevés par Aldège Banville en sa qualité de cessionnaire d'A.B.R. Inc. C'est le troisième chef de réclamation qui nous concerne.

[5]                Le 9 octobre 1998, le juge Denault a rejeté ce chef de réclamation pour les raisons suivantes:


[7]           Quant au chef de réclamation No 3, à savoir le solde retenu sur le contrat, après une étude minutieuse de la preuve, j'estime qu'en l'espèce, la défenderesse était justifiée de mettre la compagnie A.B. en défaut d'exécuter le contrat de démolition de Cap-Chat selon les plans et devis et d'aviser la compagnie de cautionnement de faire compléter les travaux.

[8]            En effet, les plans et devis décrivaient adéquatement à la fois les limites de démolition du quai, établies à partir du plan original du quai et du plan du quai tel que construit, et les limites d'excavation tant pour l'enlèvement du quai lui-même que pour l'enlèvement des vestiges à proximité de celui-ci.

[9]            La preuve a par ailleurs démontré 1) que la compagnie A.B. a sous-évalué lors de sa soumission la quantité de matériaux à excaver; 2) qu'elle n'avait pas l'équipement nécessaire - elle n'utilisait au début des travaux qu'une pelle John Deere 892 D-L-C - pour creuser à la profondeur voulue; et 3) la compagnie n'a pas remédié aux déficiences identifiées en cours d'exécution du contrat, bien que dûment avisée de le faire.

[10]         De plus, les rapports de plongée, les photos sous-marines, le vidéo tourné après que la compagnie A.B. eût quitté le chantier, de même que les nombreux vestiges que la firme Verreault Navigation, embauchée par la caution pour terminer le contrat, a retirés du fond marin, démontrent largement que la compagnie A..B. n'a pas exécuté tous les travaux prévus au contrat. Dans les circonstances, la défenderesse était justifiée de retenir le solde du contrat soit 218,122.25 $ et de s'adresser à la caution pour faire terminer les travaux.

[6]                Le 18 avril 2000, la Cour d'appel fédérale a rejeté sans frais l'appel du demandeur à l'encontre de l'ordonnance du juge Denault en date du 9 octobre 1998. Le juge Marc Noël écrit les motifs de cette Cour dans le dossier A-647-98, [2000] A.C.F. no 500.

[7]                Le paragraphe 5 des motifs du juge Marc Noël se lit:

¶ 5       Quant au reste, M. Banville dans une longue plaidoirie se dit en désaccord avec les conclusions de fait tirées par le juge de première instance. Il prétend essentiellement que le contrat qui liait A.B. Rimouski à la Couronne était déraisonnable, impossible d'exécution selon les plans et devis préparés par l'intimée et que, dans les circonstances, l'on ne peut reprocher à l'appelante de ne pas avoir exécuté les travaux prévus au contrat. [je souligne]

[8]                Le juge Noël cite textuellement les paragraphes 7, 8, 9, et 10 des motifs du juge Denault que j'ai cités plus haut. Le juge Noël conclut au paragraphe 7 de ses motifs comme suit:

¶ 7       M. Banville met en cause la compréhension que le juge de première instance a eu des faits ainsi que les conclusions qu'il en tire. Il est bien établi que les conclusions de fait tirées par le juge du procès ne peuvent être renversées en l'absence d'une erreur manifeste et dominante. Autant M. Banville a démontré qu'il avait une vision différente de la preuve présentée dans le cadre du procès, autant il n'a pas su démontrer que le premier juge a commis des erreurs manifestes dans son interprétation de la preuve.

[9]                Les demandeurs saisissent la Cour suprême du Canada d'une demande d'autorisation d'en appeler de la décision de la Cour d'appel fédérale. Le 29 mars 2001, cette Cour la rejette.

[10]            Qui plus est, la Cour suprême du Canada, le 11 juillet 2002, rejette la demande de ré-examen des demandeurs du refus antérieur de la Haute Cour de leur demande d'autorisation d'en appeler.

[11]            L'article 399 des Règles se lit comme suit:



399. (1) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier l'une des ordonnances suivantes, si la partie contre laquelle elle a été rendue présente une preuve prima facie démontrant pourquoi elle n'aurait pas dû être rendue :

a) toute ordonnance rendue sur requête ex parte;

b) toute ordonnance rendue en l'absence d'une partie qui n'a pas comparu par suite d'un événement fortuit ou d'une erreur ou à cause d'un avis insuffisant de l'instance.

Annulation399(2)

(2) La Cour peut, sur requête, annuler ou modifier une ordonnance dans l'un ou l'autre des cas suivants :

a) des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance a été rendue;

b) l'ordonnance a été obtenue par fraude.

Effet de l'ordonnance

399(3)

(3) Sauf ordonnance contraire de la Cour, l'annulation ou la modification d'une ordonnance en vertu des paragraphes (1) ou (2) ne porte pas atteinte à la validité ou à la nature des actes ou omissions antérieurs à cette annulation ou modification. [je souligne]

399. (1) On motion, the Court may set aside or vary an order that was made

(a) ex parte; or

(b) in the absence of a party who failed to appear by accident or mistake or by reason of insufficient notice of the proceeding,

if the party against whom the order is made discloses a prima facie case why the order should not have been made.

Setting aside or variance

399(2)

(2) On motion, the Court may set aside or vary an order

(a) by reason of a matter that arose or was discovered subsequent to the making of the order; or

(b) where the order was obtained by fraud.

Effect of order

399(3)

(3) Unless the Court orders otherwise, the setting aside or variance of an order under subsection (1) or (2) does not affect the validity or character of anything done or not done before the order was set aside or varied.


[12]            Les demandeurs fondent leur requête en annulation ou modification, sur les motifs suivants:

- Des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance du 9 octobre 1998 a été rendue;

- L'ordonnance du 9 octobre 1998 a été obtenue, frauduleusement sur la base de documents faux et incomplets;

- Sans restreindre la généralité de ce qui précède et sujet aux prétentions écrites de la partie requérante, l'ordonnance du 9 octobre 1998 a été rendue sur la base que les plans et devis décrivaient adéquatement les limites des travaux, établis à partir du plan original du quai et du plan de construction dudit quai et les limites d'excavation tant pour l'enlèvement du quai que de vestiges à proximité de celui-ci;

- De même, au paragraphe 9 de l'ordonnance, l'honorable juge Denault mentionne que la compagnie A..B. a sous évalué lors de sa soumission la quantité de matériaux à excaver;

- Enfin, l'honorable juge se fiant en outre aux rapports de plongée et aux nombreux vestiges que la firme Verreault Navigation, embauchée par la caution, a retiré du fond marin, conclue à l'inexécution des travaux par la compagnie A.B.;

- Or, de nombreux documents dont les plans du quai, découverts après l'ordonnance du 9 octobre 1998 démontrent l'inexactitude des plans d'exécution;


- De même, les plans et la table des marrées découverts depuis l'ordonnance d'octobre 1998, démontrent non seulement l'inexactitude du plan de soumission mais, également la fausseté des rapports de plongée, incluant les rapports 1,2,5,6,7 et les deux rapports 4;

- De plus, le plan de construction du quai portant le numéro 353 sur la foi duquel monsieur Onil Lévesque a témoigné et dont l'honorable juge Denault s'est inspiré pour tirer ses conclusions, est un document falsifié et incomplet, le document complet démontrant sans l'ombre d'un doute l'inexactitude du plan d'exécution, ledit plan portant le numéro 3532, découvert par le requérant postérieurement à l'ordonnance d'octobre 1998;

- Plus encore, la partie requérante a découvert postérieurement à l'ordonnance d'octobre 1998 que le procès verbal du 17 septembre 1990 impliquant le donneur d'ouvrage et la caution, faisait état de travaux d'excavation au bas des encaissements sous le plancher de charge alors qu'il était prévu au contrat l'excavation jusqu'au niveau du plancher de charge; [je souligne]

[13]            Parmi la preuve documentaire utilisée par Aldège Banville à l'audition de sa requête, on retrouve les documents suivants que les demandeurs disent avoir découverts après l'ordonnance du juge Denault:

- plan numéro 3532 (R-2);

- plan du quai 1939 (R-3 en liasse);

- plan du quai 1947, 1949 (R-3 en liasse);

- Plan de sondage 1941, ministère des Mines et Ressources (R-3 en liasse);

- Plans de sondage 1941-1986, 1920, 1986, Service hydrographique du Canada en liasse (R-3 en liasse);

- Procès verbal du 17 septembre 1990 (R-4);

- acceptation des travaux (R-5);

- rapport du 19 mai 1989 obtenu de la Commission d'accès à l'information (R-6);

- table des marées (R-7);

[14]            J'ajoute que le 11 mars 2003, Aldège Banville dépose à la Cour supérieure du Québec, District de Rimouski, une requête introductive d'instance nommant le Procureur général du Canada comme défendeur. Dans cette requête, les demandeurs prétendent avoir subi des dommages attribuables aux faux témoignages, aux faux rapports de plongée et à la fabrication des preuves par Travaux publics Canada devant le juge Denault.

[15]            Le 30 septembre 2003, le Canada présente devant la Cour supérieure une requête amendée en irrecevabilité au motif d'absence de fondement juridique. En octobre 2003, la Cour supérieure du Québec ordonnait la suspension des procédures vu l'intention des demandeurs de déposer la présente requête en modification de l'ordonnance du juge Denault, requête effectivement déposée le 17 novembre 2003.

Les principes d'interprétation de la Règle 399(2)

[16]            Je crois que la défenderesse, dans son dossier de réponse en l'espèce, a bien résumé les critères, découlant de la jurisprudence, qui doivent être rencontrés pour déclencher l'application du paragraphe 399(2), c'est-à-dire: des faits nouveaux sont survenus ou ont été découverts après que l'ordonnance ait été rendue. L'existence d'une fraude est une question distincte. Ces principes sont les suivants:

1)         la requête doit être présentée dans un délai raisonnable suivant la connaissance des nouveaux faits allégués ou de la fraude alléguée;


2)         le requérant doit établir que les faits ou la fraude allégués sont nouveaux, c'est-à-dire qu'ils ont été établis ou découverts après le prononcé de l'ordonnance;

3)         la partie qui plaide les faits nouveaux ou la fraude doit démontrer que ces faits ou cette fraude allégués n'auraient pu être découverts plus tôt en agissant avec toute la diligence raisonnable requise;

4)         il faut établir que le ou les faits nouveaux ou la fraude allégués sont d'une nature telle qu'ils auraient eu une incidence sur la décision de première instance.

[17]            Ces principes ont été élaborés dans la décision clé en l'espèce, celle de la Cour d'appel fédérale dans l'arrêt Saywack c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1986] 3 C.F. 189, où le juge Stone interprétait l'ancienne Règle 1733, au sujet de laquelle le savant juge écrit:

¶ 14       La Règle 1733 doit être considérée comme ayant un caractère exceptionnel. Elle vise, dans une action ou autre procédure, à permettre un redressement après que la Cour ait tranché la question de façon solennelle même si ce redressement marque un écart avec la décision rendue ou va totalement à l'encontre de celle-ci. La Cour peut cependant accorder un tel redressement lorsqu'il s'agit d'une demande. Il est évident que seule une question bien claire pourra inciter la Cour à appliquer cette Règle, sans quoi-et ce serait regrettable-les jugements risqueraient de perdre leur caractère définitif.

[18]            Je crois utile de citer l'extrait des motifs du juge Ferguson dans Dumble v. Cobourg and Peterborough R.W. Co. (1881), 29 Gr. 121 (Ch.), sur lequel le juge Stone s'est appuyé:


      [TRADUCTION] La demande tient de la requête civile fondée sur la découverte de nouveaux éléments de preuve. Il appert que l'arrêt Hoskin v. Terry ((1862) 15 Moore's P.C.C. 493, 8 Jur. N.S. 975) constitue un des arrêts de principe sinon le principal arrêt de principe sur cette question. Un appel avait été interjeté pour annuler une ordonnance prononcée par la Cour suprême de la colonie de New South Wales; lord Kingsdown, qui a prononcé le jugement de la Cour, a dit : "La règle qui se dégage des décisions citées dans le plaidoyer est la suivante : la partie qui demande la permission de déposer une requête civile sur le fondement de la découverte de nouveaux éléments de preuve doit démontrer qu'elle-même ou ses mandataires n'ont eu pour la première fois connaissance de ces nouveaux faits qu'une fois écoulée la période au cours de laquelle elle aurait pu les utiliser dans l'instance, et démontrer que ceux-ci n'auraient pu être découverts plus tôt si elle avait exercé une diligence raisonnable; en second lieu, elle doit démontrer que ces nouveaux faits ont un caractère tel que, s'ils avaient été mis en preuve dans l'action, le jugement aurait probablement été différent." Et, après avoir commenté la preuve présentée dans cette affaire, lord Kingsdown a cité des propos tenus par lord Eldon dans l'arrêt Young v. Keighly (16 Ves. 348), selon lesquels : "les éléments de preuve dont la découverte est censée fonder la demande en l'espèce sont très pertinents, et, bien que je rejette la demande du demandeur, je suis convaincu que celui-ci aurait peut-être pu, dans la présente affaire, plaider avec de bonnes chances de succès qu'il avait droit, étant donné la preuve, à la somme d'argent intégrale : la Cour, d'autre part, a l'obligation de s'assurer que la même question ne sera pas soumise à son appréciation à plusieurs reprises; elle doit également, pour que prennent fin les poursuites judiciaires, imposer aux parties l'obligation d'être raisonnablement actives et diligentes en première instance. La Cour ne doit donc pas se laisser convaincre, parce que le demandeur avait au départ des prétentions clairement recevables, d'écarter des règles établies pour la protection du public en général, même si certains justiciables devaient en souffrir". (le juge Stone souligne)

L'affidavit de M. Banville

[19]            Au soutien de sa requête que j'étudie, M. Banville joint son affidavit du 17 novembre 2003.

[20]            Quant à la portée de l'ouvrage contracté, il indique que le devis spécifiait:

- démolir complètement et évacuer du site les encaissements de bois du vieux quai existant d'une longueur totale de 187 200 mm, situés dans les limites de démolition et d'excavation indiquées au plan;


- enlever de chaque côté des encaissements toute la pierre de lest, les dalles de béton, les bases des lampadaires, les bornes d'amarrages et leurs bases, les pilastres de béton et autres débris qui sont au -dessus du fond naturel et normal du site de cette structure maritime ainsi que tout obstacle pouvant nuire à la réalisation des travaux, qu'ils soient apparent ou non, dans les limites indiquées au plan;

[21]            Le coeur de la présente requête se trouve aux paragraphes 4 [sic] à 12 de l'affidavit de M. Banville:

4.[sic]       Le plan d'exécution sur lequel l'honorable juge Denault s'est basé pour rendre jugement contenait des inexactitudes et des faussetés, connues de l'intimée, rendant son exécution impossible.

6.             En effet, les profondeurs mentionnées au plan de soumission excédaient largement les profondeurs réelles.

7.              Consciente de l'inexactitude du plan de soumission et son impossibilité d'exécution, l'intimée par son témoin Onil Lévesque a trompé le tribunal en produisant le plan portant le numéro 353 pour appuyer le plan de soumission, ledit plan 353 étant aux dires de l'intimée, le plan du quai approuvé en 1947;

8.             Or le plan produit par l'intimée portant le numéro 353 n'existe tout simplement pas et en ayant requis un exemplaire par la suite je me suis fait confirmer son inexistence;

9.             De fait, par mes recherches constantes, j'ai plusieurs années après l'audition et le prononcé de l'ordonnance, après m'être adressé à la Commission de l'accès à l'information, obtenu copie du plan original soit le plan portant le numéro 3532, celui-ci produit sous la cote R-2;

10.            Tel qu'il appert du document R-2, le plan 353 produit par l'intimée est non seulement faux en ce qui concerne le numéro mais il est également incomplet, une partie très importante étant manquante;

11.           En consultant le plan 3532 en son entier, il m'est apparu, en le comparant aux autres documents découverts après l'audition et aussi après l'ordonnance du juge Denault, que celui-ci était erroné;

12.           La production par l'intimée du plan 3532 en son entier m'aurait permis sans l'ombre d'un doute ainsi qu'à l'honorable juge Denault de constater des différences notoires au niveau entre autre des profondeurs; [je souligne]

[22]            Au paragraphe 13 de son affidavit, M. Banville nous avise que, dans la recherche de documents tendant à établir la fausseté des pièces et témoignages produits par l'intimée, il a « également obtenu plusieurs documents après l'audition et le prononcé de l'ordonnance, soit entre les années 2000 et 2002 . . . » .

[23]            M. Banville énumère ces documents en liasse sous la cote R-3, c'est-à-dire les documents que j'ai identifiés au paragraphe [13] de mes motifs. Au paragraphe 14 de son affidavit, M. Banville prétend que ces documents démontrent clairement l'inexactitude du plan de soumission et du plan 353 et au paragraphe 15, affirme que les documents sous la cote R-3 « démontrent spécialement que la profondeur inscrite au plan de soumission est de beaucoup supérieure à la profondeur réelle » . À titre d'exemple, au paragraphe 16, M. Banville indique, relativement au chaînage 70 du plan de soumission, que « la profondeur indiquée est de 19 pieds 4 pouces alors qu'en consultant l'ensemble des documents R-3, la profondeur réelle est de 13 pieds, une différence colossale » . Il cite d'autres exemples aux paragraphes 17 et 18 de son affidavit et conclut au paragraphe 19 comme suit:

19.            À la vue des documents R-2 et R-3, les contradictions de monsieur Onil Lévesque dans son témoignage ne sont que plus apparentes;


[24]            Aux paragraphes 20 à 24 de son affidavit, M. Banville décèle, selon lui, « une autre tromperie » découverte après ses recherches auprès de la Commission d'Accès à l'information en 2000 notamment, le procès-verbal daté du 17 septembre 1990, qu'il produit sous la cote R-4, ce qui lui a permis de le comparer au devis. Ensuite, il aborde le document R-5 et tire la conclusion suivante:

22.           Le contrat exécuté par A.B. l'avait été intégralement et l'intimée elle-même par son préposé et témoin principal par surcroît, l'avait affirmé, en fait foi l'acceptation intégrale produite sous la cote R-5;

23.           Malheureusement le document R-5 n'a pu être produit lors de l'audition et antérieurement au prononcé de l'ordonnance puisque ce document avait été égaré;

24.           Cependant, à l'audition, monsieur Onil Lévesque en a toujours nié l'existence et qui plus est, l'intimée avait refusé de m'en remettre une copie bien que je lui en eu fait la demande avant audition;

[25]            En l'an 2000, M. Banville obtient un autre document via l'accès à l'information, soit un rapport de plongée du 19 mai 1989 (R-6) qui, selon lui, révèle un « autre fait troublant » puisqu'il diffère de celui déposé lors de l'audition sous la cote D-8: le point zéro ne se situe pas au même endroit et le document D-8 indique la présence d'une dalle tandis que R-6 n'en faisait aucune mention.

[26]            De plus, M. Banville affirme que les plans qu'il a obtenus et produits sous la cote R-3 « contredisent radicalement le document D-8 et mettent en lumière la fausseté du témoignage de monsieur Deschamplain [sic] » .


[27]            L'affidavit de M. Banville soulève un autre problème, provenant, selon lui, de la comparaison entre les documents produits sous la cote R-2 et R-3, soit le plan daté de 1944 relatif à la construction du vieux quai, les plans de sondage et de nombreux rapports de plongée déposés par l'intimée à l'audience devant le juge Denault; une comparaison qui « démontre également la fausseté des rapports produits par l'intimée » .

[28]            À titre d'exemple, au paragraphe 29 de son affidavit, M. Banville soutient que le rapport 1, en date du 15 novembre 1989, fait état de 1.5 mètres de vestiges, « le rapport 2 daté du 28 novembre 1989, ironiquement, fait état de 3.5 mètres de vestiges » .

[29]            Selon M. Banville, « seules la découverte, la lecture et la vérification des profondeurs établies par les plans de sondage en 1920, 1941 et 1986 ont rendu possible la découverte de la fausseté des rapports » .

[30]            D'après M. Banville, au paragraphe 31 de son affidavit, les documents R-2 et R-3 « démontrent sans l'ombre d'un doute la fausseté du rapport 3 du 21 mars 1990 qui indique la présence de 6.4 mètres de vestiges alors qu'on peut lire aux documents R-3 qu'il y avait 3 mètres d'eau » .


[31]            M. Banville s'attaque au rapport 4 du 12 avril 1990 et au rapport du 3 mai 1990, qui concernent les photos produites, les vestiges et la profondeur; selon lui, « les documents découverts ont démontré des constatations aussi spectaculaires » . Comme exemple, il cite que le Canada avait démontré « dans sa preuve qu'au chaînage 219 (le plus profond), il y avait 8.3 mètres alors que les cartes R-3 démontrent clairement une profondeur de 5.5 à 6 mètres » . À ce qui précède, selon M. Banville, s'ajoutent « toutes les contradictions des témoins de l'intimée notamment: - au rapport 5, les photos prises 5 jours après la confection du rapport! - au rapport 4 du 12 avril 1990 les photos prises 16 jours après la confection du rapport! » .

[32]            M. Banville termine son affidavit par les paragraphes 36 et 37 que je cite:

36.           Plus encore, lors de l'audition, le rapport 7 produit en preuve fait état de plusieurs mètres de vestiges, fait totalement impossible tel qu'en fait foi la table des marées que j'ai obtenue en 2002 de l'école de la marine et produit sous la cote R-7;

37.           Les plans de sondage obtenus du requérant démontrent également l'impossibilité par Verreault Navigation d'avoir retiré des vestiges en plusieurs endroits en raison notamment et principalement de la présence de roc;

L'affidavit d'Onil Lévesque

[33]            Le Canada réplique au dossier de requête des demandeurs par l'affidavit d'Onil Lévesque, ingénieur, Travaux publics et Services gouvernementaux Canada, qui affirme que les allégations de fraude et de tromperie le concernant sont complètement erronées et que les faits dans le dossier de réponse du Canada sont vrais.

[34]            Dans son dossier de réponse, le Canada nous indique:

1.              Que le plan 3532 allégué comme « nouveau » est en fait un plan qui a été remis au demandeur en 1990 lors d'une réunion de chantier tel qu'il appert au procès verbal de la réunion de chantier tenue le 22 janvier 1990 et déposé lors de l'audition sous la cote D-1;

2.             De plus, ce même plan 3532 a été déposé par Sa Majesté la Reine lors de l'audition au fond sous la cote D-3;


3.             Les documents allégués comme « nouveaux » par les demandeurs n'auraient pas été susceptibles d'influer de quelque façon que soit sur la décision du juge Denault. Sa Majesté la Reine prétend que de nombreuses photos sous-marines, ainsi qu'un vidéo, démontrent une quantité importante de vestiges restants de l'ancien quai commercial de Cap-Chat que les demandeurs devaient évacués du site vers un lieu d'enfouissement terrestre;

4.             Ces photos se trouvent dans différents rapports qui ont été déposés en liasse sous la cote D-4 lors de l'audition au fond et que les demandeurs ont obtenu copie de ces pièces lors de l'audition.

Conclusions

[35]            À mon avis, cette requête doit être rejetée pour plusieurs raisons.

[36]            Avant d'exprimer mes motifs, je dois dire que la plaidoirie de M. Banville a créé beaucoup de difficultés pour la Cour et pour la défenderesse. À plusieurs reprises, la Cour a dû rappeler à M. Banville qu'il n'était pas un témoin et qu'il ne devait pas donner son interprétation sur la documentation qu'il a présentée et qui n'était pas précisée dans son affidavit.

[37]            Une deuxième remarque s'impose à la lecture des notes sténographiques. Plusieurs éléments de la plaidoirie de M. Banville débordent, à mon avis, le cadre de la Règle 399. Cette règle n'autorise pas M. Banville à faire de nouveau le procès qui aurait dû être fait devant le juge Denault.

[38]            Je souscris aux prétentions du procureur de la défenderesse selon lesquelles les demandeurs n'ont satisfait à aucune des exigences de l'arrêt Saywack, précité.

[39]            Premièrement, cette requête n'a pas été présentée dans un délai raisonnable. Les soi-disant nouveaux faits ont été découverts à la limite, entre 2000 et 2002, mais cette requête en annulation ne fut présentée qu'à la fin 2003.

[40]            Les demandeurs devaient agir avec célérité. Je cite deux décisions de la Cour d'appel fédérale: l'arrêt Rostamian c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration), [1991] A.C.F. no 525 et l'arrêt Moutisheva c. Canada (ministre de l'Emploi et de l'Immigration, [1993] A.C.F. no 988. Les demandeurs n'ont offert aucune explication pour le dépôt tardif de leur requête.

[41]            Il est évident que les plans de sondage (1920, 1941 et 1986), les plans de construction du vieux quai (1939, 1947 et 1949), l'acceptation des travaux, le rapport du 19 mai 1989 ainsi que le procès-verbal du 17 septembre 1990 existaient bien avant que le juge Denault préside au procès. Ces documents ou faits ne sont pas nouveaux et ne sont pas survenus après que le juge Denault rende jugement. Qui plus est, à mon avis, ces documents ou faits auraient pu être découverts par les demandeurs s'ils avaient agi avec diligence raisonnable, soit en faisant une recherche appropriée ou en envoyant au Procureur général du Canada un subpoena de production de documents.

[42]            J'estime, sans hésitation, que la nouvelle documentation produite par les demandeurs est dans l'unique but de refaire le procès qu'ils auraient pu faire devant le juge Denault. Cette tentative doit être écartée car elle viole un principe fondamental de notre système judiciaire, qui est, sauf exceptions précises, celui de la finalité des décisions.

[43]            En dernier lieu, cette documentation n'aurait, à mon avis, aucune incidence sur le résultat du litige que le juge Denault a prononcé. Les demandeurs n'ont pas réussi à me persuader que le Canada a monté une fraude contre eux et que Travaux publics Canada n'était pas justifiée de retenir le solde du contrat et de s'adresser à la caution pour faire terminer les travaux.

[44]            Je crois pertinent dans le contexte de l'allégation de fraude, de commenter sur quelques-uns des documents que M. Banville m'a présentés.

[45]            L'allégation que la défenderesse a trompé le tribunal en déposant au procès comme pièce D-3 le plan de construction du vieux quai 353 et non le plan 3532 doit être rejetée. Le plan 353 est le même que le plan 3532. Certes, on peut dégager quelques différences entre la photocopie du plan 353 que M. Banville m'a présentée et le plan 3532. Ces différences s'expliquent par la façon dont la photocopie du plan 353 a été faite.

[46]            M. Banville a attaché beaucoup d'importance au document R-5 intitulé « certificat provisoire d'achèvement » . M. Banville prétend que ce document atteste que les personnes responsables chez Travaux publics Canada ont conclu qu'A.B.R. Inc. avait respecté toutes les dispositions du contrat. M. Banville prétend aussi que ce document n'a pas pu être présenté devant le juge Denault parce qu'il l'avait perdu mais qu'il l'a subséquemment retrouvé en mettant de l'ordre dans ses documents. Je dois rejeter la prétention de M. Banville. La pièce R-5 que M. Banville a déposée est incomplète. On n'y retrouve pas la partie D qui énumère les défectuosités identifiées par Travaux publics Canada dans l'exécution des travaux faits par A.B.R. Inc., défectuosités qui se chiffraient à 218 122,55 $, soit le montant retenu.

[47]            Au procès, plusieurs rapports de plongée ont été déposés en preuve sous la cote D-4. Travaux publics Canada avait mandaté la firme Plongex Inc. de Matane pour effectuer des inspections relativement à l'enlèvement des vestiges de l'ancien quai de Cap-Chat afin de vérifier les accomplissements d'A.B.R. Inc. Pour exécuter l'inspection de l'enlèvement de ces vestiges, les plongeurs de Plongex ont procédé à des observations visuelles avec photos annexées à chaque rapport. M. Banville prétend que ces rapports sont faux. Selon lui, les plans de sondage démontrent la fausseté de ces rapports qui prouvent la présence de vestiges restant après le travail exécuté par A.B.R. Inc.

[48]            Je rejette cette prétention. Il est transparent que M. Banville veut refaire le procès. Ces rapports étaient devant le juge Denault. Ils ont fait l'objet du témoignage de M. Viateur de Champlain qui a été contre-interrogé. C'est suite à cette preuve, soupesée avec d'autres preuves au dossier, que le juge Denault est venu à la conclusion qu'A.B.R. Inc. n'avait pas enlevé les vestiges tels qu'exigé dans le contrat. De plus, la compagnie Plongex utilisait une différente méthode des lectures de profondeur, c'est-à-dire, avec l'aide d'un profondimètre.

[49]            M. Banville soulève une disparité au sujet du rapport du 19 mai 1989. Ce rapport a été déposé en preuve au procès sous la cote D-8. M. Banville produit ce rapport devant moi comme la pièce R-6. Le but de ce rapport par Plongex était d'effectuer une inspection du vieux quai afin d'identifier la nature et l'emplacement des vestiges. Ce rapport a été utilisé par Travaux publics Canada pour la préparation du plan de soumission. La pièce R-6 a été obtenue par M. Banville suite à sa demande d'accès à l'information. M. Banville maintient que les annexes des deux pièces D-8 et R-6 sont différentes, ce qui est vrai. Cependant, je suis convaincu que l'annexe du rapport R-6 reçue sous la Loi sur l'Accès à l'information a été mal photocopiée et a été confectionnée à partir d'une source étrangère, c'est-à-dire de certaines pièces se retrouvant devant la Cour d'appel fédérale. Cette constatation m'apparaît évidente du fait que les dessins à cette annexe proviennent de différents plans ou dessins (plans de localisation des photos et limites des vestiges) et sont mutuellement contradictoires à l'intérieur de la même annexe.


[50]            D'autre part, M. Banville n'a pu me démontrer comment le rapport R-6 a faussé le plan de soumission sur lequel A.B.R. Inc. a répondu à l'appel d'offre lancé par Travaux publics Canada.

[51]            Les demandeurs produisent devant moi la pièce R-4, soit le procès-verbal d'une réunion tenue le 17 septembre 1990 entre Travaux publics Canada, la caution, et Verreault Navigation qui a pris la relève d'A.B.R. Inc. Ce document n'a pas été déposé devant le juge Denault mais aurait pu l'être. Je n'accepte pas la prétention de M. Banville, selon laquelle l'absence du mot « niveau » à la page 3 de ce rapport contredit le devis du contrat.

[52]            M. Banville a prétendu que Verreault Navigation a enlevé les vestiges qui se trouvaient à l'extérieur des limites de l'excavation prévues au contrat. La preuve qu'il m'a apportée sur ce point était une preuve indirecte et peu convaincante. Encore une fois, cette preuve aurait pu être faite devant le juge Denault qui se dit convaincu qu'A.B.R. Inc. n'avait pas enlevé tous les vestiges prévus au contrat. L'allégué de fraude n'a pas été établi devant moi.


[53]            Pour tous ces motifs, la requête des demandeurs pour annulation de l'ordonnance du juge Denault est rejetée avec dépens.

« François Lemieux »

                                                                                     

                                                                                                  J u g e                       

Ottawa (Ontario)

le 28 janvier 2005


                                     COUR FÉDÉRALE

                                                     

NOMS DES AVOCATS ET DES AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

                                                                                                           

DOSSIER :                      T-2674-92

INTITULÉ :                     LES ENTREPRISES A B RIMOUSKI INC ET

ALDÈGE BANVILLE

c.

SA MAJESTÉ LA REINE

LIEU DE L'AUDIENCE :                                          RIMOUSKI (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                                        22 JUILLET 2004        

4 NOVEMBRE 2004

MOTIFS DE L'ORDONANCE:                               Le juge Lemieux

EN DATE DU :                le 28 janvier 2005

COMPARUTIONS :                                      M. ALDÈGE BANVILLE

POUR LES DEMANDEURS

Me DANIEL BEAULIEU

POUR LA DÉFENDERSSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :                                          

                                                     

Me DANIEL BEAULIEU

41, RUE DE L'ÉVÊCHÉ OUEST

C.P. 860

RIMOUSKI (QUÉBEC) G5L 7C9

POUR LA DÉFENDERESSE


 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.