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Date : 20200930


Dossier : IMM‑5499‑19

Référence : 2020 CF 940

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 30 septembre 2020

En présence de monsieur le juge Favel

ENTRE :

FAZAAL SHINA

ROSE OROMAIT AAILA

demanderesses

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ

ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Aperçu

[1]  La Cour est saisie, conformément au paragraphe 72(1) de la Loi sur l’immigration et la protection des réfugiés, LC 2001, c 27 [la LIPR], d’une demande de contrôle judiciaire d’une décision [la décision] prononcée par la Section d’appel des réfugiés [la SAR]. Dans sa décision, datée du 20 août 2019, la SAR confirmait la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR], selon laquelle les demanderesses n’avaient ni la qualité de réfugié ni celle de personne à protéger.

[2]  Pour les motifs qui suivent, je rejetterai la demande de contrôle judiciaire.

II.  Contexte

A.  Les faits

[3]  La demanderesse principale, Shina Fazaal [la DP], et son enfant mineur [la DM], sont citoyennes de l’Ouganda. Elles sont arrivées au Canada en mai 2014 et ont présenté une demande d’asile.

[4]  La demande d’asile de la DP est fondée sur deux motifs. Le premier concerne ses activités politiques en tant que membre et bénévole du Forum pour le changement démocratique [le FDC]. Le second concerne l’appartenance de la DP à la famille d’un militant pour les questions relatives aux lesbiennes, gais, bisexuels, transgenres et queers [LGBTQ] en Ouganda. Le militant LGBTQ en question est le frère de la DP. La demande d’asile de la DP et de la DM avait été jointe à celle du frère de la DP et de ses deux enfants.

[5]  La SPR a initialement rejeté la demande de la DP et de la DM, ainsi que celle du frère, en septembre 2014. Les demandeurs ont fait appel de la décision de la SPR devant la SAR. La SAR a séparé la demande de la DP et de la DM de celle du frère, a conclu à l’existence d’erreurs dans la décision de la SPR, et a renvoyé les demandes pour qu’une nouvelle décision soit rendue. Après réexamen, la SPR a accueilli la demande du frère, mais a rejeté celle de la DP et de la DM en février 2019.

[6]  Lors du nouvel examen, la SPR a rejeté la demande de la DP et de la DM pour trois motifs. Premièrement, elle a conclu que l’identité de la DM posait problème. De plus, la SPR a conclu que le récit de la DP concernant une agression survenue en 2011 et le fait que les autorités ougandaises l’auraient prise pour cible soulevait des problèmes de crédibilité. Enfin, la SPR a conclu à l’absence d’éléments de preuve objectifs quant au risque lié à son lien familial avec son frère et à l’engagement politique de ce dernier en tant que défenseur des droits des LGBTQ.

[7]  La DP a fait appel de la décision de février 2019, et la SAR a rejeté l’appel le 20 août 2019.

B.  La décision de la SAR

[8]  Voici un résumé des conclusions de la SAR.

  • (1) La SPR aurait dû apprécier le témoignage du frère, et ne pas écarter les éléments de preuve concernant les conséquences plus graves auxquelles sont exposées les personnes dont un membre de la famille est LGBTQ. Toutefois, après avoir examiné ce témoignage, la SAR a conclu qu’il ne modifiait aucune des conclusions de la SPR.

  • (2) La SPR a eu raison de conclure qu’il était possible que la DP subisse des mauvais traitements ou qu’elle soit victime de discrimination du fait de son appartenance à la famille d’une personne LBGTQ mais que, compte tenu de la situation de la DP, de telles situations ne constituaient pas de la persécution.

  • (3) La SPR a eu raison de conclure que la DP n’était pas exposée à un risque prospectif du fait de son appartenance au FDC. Selon la SAR, la SPR a pris en compte le rapport psychologique de la DP, et les conclusions de la SPR sur la crédibilité étaient correctes.

  • (4) La SPR a supposé à tort que la DP ne poursuivrait pas son travail avec le FDC si elle retournait en Ouganda.

  • (5) La SPR a eu raison de conclure que la DP ne présentait pas d’intérêt pour la police en raison de son appartenance au FDC. Selon la SAR, la SPR a reconnu que certains membres du FDC pouvaient être en danger, mais elle a eu raison de conclure que, compte tenu du profil de la DP en tant que « travailleuse de campagne auprès de la population », elle ne serait pas persécutée.

  • (6) La DM n’était pas exposée à un risque de préjudice ou de persécution en raison de ses croyances religieuses en tant que chrétienne.

[9]  Les conclusions de la SAR concernant la DM ne sont pas en cause dans le présent contrôle judiciaire, car les contestations ne concernent que les allégations de la DP.

III.  Questions en litiges

[10]  La DP soulève les trois questions suivantes :

  • (1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

  • (2) La SAR a‑t‑elle commis une erreur dans son appréciation des éléments de preuve relatifs au risque qu’elle court en tant que membre de la famille d’un militant LGBTQ connu?

  • (3) La SAR a‑t‑elle commis une erreur en concluant que les activités politiques de la demanderesse pour le compte du FDC ne seraient pas à l’origine d’actes de persécution à son égard?

[11]  Après avoir examiné les observations et les arguments oraux des parties, la Cour répondra aux deux questions suivantes :

  • (1) Quelle est la norme de contrôle applicable?

  • (2) La décision de la SAR était‑elle raisonnable?

IV.  Norme de contrôle

[12]  Conformément à la récente révision du cadre d’analyse applicable en droit administratif par la Cour suprême, il convient de présumer que la décision dans son ensemble doit être réexaminée selon la norme de la décision raisonnable. Je ne vois pas pourquoi cette présomption devrait être réfutée en l’espèce, puisqu’il ne s’agit pas d’une situation où une loi établit la norme de contrôle, ni d’une exception qui entraînerait l’application de la norme de la décision correcte (Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65 aux para 16–17).

[13]  Les parties conviennent que la norme de contrôle applicable est celle de la décision raisonnable.

V.  Analyse

A.  La décision de la SAR était‑elle raisonnable?

[14]  La DP fait valoir que la décision de la SAR était déraisonnable parce que la SAR ne s’est pas livrée à une évaluation indépendante des éléments de preuve objectifs concernant les membres de la famille des militants LGBTQ, et parce qu’elle a conclu à tort que les activités politiques de la DP n’entraîneraient pas un risque sérieux de persécution.

(1)  Y a‑t‑il eu une évaluation indépendante des éléments de preuve?

[15]  La DP soutient que la SAR, qui s’est appuyée sur les conclusions de la SPR au lieu de faire sa propre analyse, ne s’est pas livrée à une évaluation indépendante des éléments de preuve objectifs. Plus précisément, la DP soutient que la SAR a fait abstraction de la preuve documentaire qui décrivait la violence envers les membres de la famille des personnes LGBTQ en Ouganda.

[16]  Le défendeur fait valoir qu’une analyse indépendante n’empêche pas la SAR de confirmer les conclusions de la SPR et de les faire siennes. Il renvoie aux parties de la décision de la SAR qui font expressément référence aux éléments de preuve qu’elle a abordés dans son analyse.

[17]  Dans sa décision, la SAR a relevé plusieurs erreurs dans la façon dont la SPR a apprécié les éléments de preuve, notamment le fait qu’elle n’a pas tenu compte des preuves contradictoires sur la situation dans le pays. Aux paragraphes 21 à 23 de sa décision, la SAR a souligné les erreurs de la SPR et effectué sa propre analyse, mais elle a tout de même conclu que la DP n’était pas en danger puisqu’elle ne se trouvait pas dans une situation similaire à celle mentionnée dans la preuve relative à la situation dans le pays.

[18]  Je ne suis pas convaincu que la SAR ne s’est pas livrée à une évaluation indépendante des éléments de preuve. Je crois plutôt que la demanderesse n’a pas établi un lien entre la preuve documentaire générale et sa situation particulière, alors que ce fardeau lui incombait (Balogh c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 426 au para 19).

[19]  Même après avoir apprécié et analysé le témoignage du frère aux paragraphes 25 et 26, la SAR a néanmoins conclu que les motifs invoqués ne permettaient pas de réfuter les conclusions de la SPR. Il s’agissait d’une conclusion raisonnable.

(2)  Le risque de persécution a‑t‑il été sous‑estimé?

[20]  Selon la DP, la deuxième erreur de la SAR a été de conclure que ses activités politiques avec le FDC, en qualité de sympathisante peu influente, n’entraîneraient pas de risque sérieux de persécution. La DP souligne que la SAR, après avoir reconnu qu’elle avait été agressée lors de sa participation à une campagne électorale tenue en 2011 et qu’elle continuerait à participer à des activités politiques si elle retournait en Ouganda, a eu tort de conclure à l’absence d’un risque sérieux de persécution.

[21]  La DP soutient en outre que la SAR l’a indûment soumise à un critère plus rigoureux que celui auquel elle devait satisfaire, en exigeant la preuve d’une persécution antérieure pour établir sa crainte d’une persécution future. La DP invoque la décision Salibian c Canada (Ministre de l’Emploi et de l’Immigration), [1990] 3 CF 250 [Salibian], à l’appui de cet argument. Selon la DP, il lui suffisait de démontrer qu’elle craignait d’être victime d’actes répréhensibles commis ou susceptibles d’être commis contre des membres d’un groupe auquel elle appartenait.

[22]  Le défendeur soutient que la DP demande à la Cour de soupeser à nouveau les éléments de preuve, ce qui n’est pas l’objet d’un contrôle judiciaire (Meneses Arias c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2009 CF 604 au para 21). De plus, il fait valoir que la SAR a évalué les éléments de preuve qui lui ont été présentés dans leur intégralité et de manière approfondie, et que la SAR a conclu que rien dans la preuve n’établissait que la sœur de la DP en Ouganda faisait l’objet de persécution en raison du militantisme de leur frère.

[23]  L’interprétation que fait la DP de la décision Salibian ne me convainc pas. Dans cette décision, la Cour affirme ce qui suit, au para 21 :

Dans le cas présent, la section du statut s’est méprise sur la nature du fardeau que le requérant avait à rencontrer et elle a rejeté sa demande sur la base d’une absence de preuve de persécution personnelle dans le passé. Cette conclusion est doublement erronée; point n’est besoin, en effet, pour se réclamer du statut de réfugié au sens de la Convention, de démontrer ni que la persécution est personnelle ni qu’il y a eu persécution dans le passé.

[Non souligné dans l’original.]

[24]  Contrairement à ce que fait valoir la DP, je ne crois pas que la SAR lui ait imposé un critère plus rigoureux. La SAR n’a pas rejeté la demande de la DP « sur la base d’une absence de preuve de persécution personnelle dans le passé » (Salibian, au para 21), mais a plutôt apprécié et soupesé les éléments de preuve fournis au soutien des allégations de la DP, le témoignage de son frère, ainsi que la preuve de la situation dans le pays, y compris la preuve contraire concernant la situation dans le pays qui a échappé à la SPR. Après son nouvel examen de la preuve, la SAR a néanmoins conclu que la DP ne se trouvait pas dans une situation similaire. Autrement dit, aucun lien n’a été établi entre la persécution alléguée et les activités de son frère en tant que militant LGBTQ, ou l’implication de la DP dans le FDC. Il était raisonnable pour la SAR de tirer cette conclusion compte tenu de la preuve qui lui a été présentée.

[25]  De plus, la SAR s’est penchée sur les allégations de la DP et a relevé plusieurs incohérences dans la preuve, notamment en ce qui concerne ses interactions avec les autorités ougandaises. La SAR a conclu que la SPR avait analysé ces incohérences à la lumière du rapport psychologique concernant les problèmes de mémoire et les déclarations vagues sur la date des élections de 2011, et que l’effet cumulatif de ces incohérences étayait sa conclusion.

[26]  « La pondération de la preuve est au cœur de la compétence de la SAR » (Csoka c Canada (Citoyenneté et Immigration), 2016 CF 1220 au para 12). La SAR, un tribunal spécialisé et compétent, a fait une appréciation adéquate des éléments de preuve qui lui ont été présentés. Je conclus que son traitement de la preuve était raisonnable.

VI.  Conclusion

[27]  La décision de la SAR est raisonnable et les motifs qu’elle a invoqués sont intelligibles. La demande de contrôle judiciaire est rejetée. Les parties n’ont proposé aucune question à certifier, et la présente affaire n’en soulève aucune.


JUGEMENT dans le dossier IMM‑5499‑19

LA COUR ORDONNE que la demande de contrôle judiciaire soit rejetée. Il n’y a pas de question de portée générale à certifier et l’affaire n’en soulève aucune. Aucuns dépens ne sont adjugés.

« Paul Favel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

IMM‑5499‑19

INTITULÉ :

FAZAAL SHINA , ROSE OROMAIT AAILA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

par VIDéOCONFéRENCE entre toronto (ontario) et ottawa (ontario)

DATE DE L’AUDIENCE :

le 27 juillet 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

le juge FAVEL

DATE DES MOTIFS :

le 30 septembre 2020

COMPARUTIONS :

Adrienne Smith

pour les demanderesses

 

Monmi Goswami

pour le défendeur

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Battista Smith Migration Law Group

Avocats

Toronto (Ontario)

pour les demanderesses

 

Procureur général du Canada

Toronto (Ontario)

pour le défendeur

 

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