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Date : 20201023


Dossier : 20‑T‑34

Référence : 2020 CF 1001

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Toronto (Ontario), le 23 octobre 2020

En présence de monsieur le juge A.D. Little

ENTRE :

DENNIS CYR

demandeur

et

PREMIÈRE NATION BATCHEWANA DES OJIBWAYS, RÉGIE DU LOGEMENT DE LA PREMIÈRE NATION BATCHEWANA

défenderesses

 

ORDONNANCE ET MOTIFS

[1]  Le demandeur demande une prorogation et l’autorisation de déposer une demande de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, LRC 1985, c F‑7. La présente requête a été tranchée par écrit au titre de l’article 369 des Règles des Cours fédérales, DORS/98‑106, sur la base de la preuve et des observations écrites déposées par les parties.

[2]  Une demande de contrôle judiciaire doit normalement être présentée dans les 30 jours qui suivent la décision contestée. Après ce délai, un demandeur doit demander une prorogation conformément à la Loi sur les Cours fédérales.

[3]  En juillet 2020, la Première nation a expulsé M. Cyr de celle qui avait été sa maison pendant 17 ans. Celui‑ci l’avait payé au complet avec un programme de bail avec option d’achat de la Première nation. L’expulsion représente le summum d’une série d’événements qui sont décrits ci‑dessous grâce aux éléments de preuve présentés dans le cadre de la présente requête. Le demandeur demande une prorogation du délai en cause afin de casser la décision de l’expulser. Les défenderesses se sont fermement opposées à la prorogation. Elles ont présenté quatre affidavits à l’appui de leur position, ainsi que des observations écrites.

[4]  L’avocat du demandeur de la présente affaire a sollicité la Cour pour qu’elle tranche cette requête en prorogation très rapidement, car le demandeur est actuellement sans abri et, ayant été expulsé de son logement, ses droits sont atteints chaque jour qu’il n’est pas à la maison. À cet égard, je fais remarquer que la présente requête ne résout pas ces problèmes. Même si la présente requête est accueillie, le demandeur n’aura pas le droit d’entrer de nouveau dans les lieux ou d’en prendre possession et cette issue ne constituera pas une conclusion implicite sur le fond quant à ses droits ou à ceux des défenderesses. La présente requête porte uniquement sur l’opportunité d’accorder une prorogation au demandeur afin qu’il puisse présenter une demande à la Cour. De plus, je souligne que le fait d’accueillir éventuellement la requête en prorogation ne sous‑entend pas qu’il sera fait droit à la demande de contrôle judiciaire.

[5]  Pour les motifs suivants, il est dans l’intérêt de la justice d’accorder une prorogation et d’autoriser le dépôt de la demande proposée. Le demandeur est autorisé à présenter une demande de contrôle judiciaire dans le cadre de cette affaire dans les 14 jours qui suivent la présente ordonnance.

I.  Événements ayant mené à la présente requête

[6]  Le demandeur, monsieur Dennis Cyr, est un membre inscrit de la Première Nation Batchewana des Ojibways, une des défenderesses. L’autre défenderesse est la régie du logement de la Première nation Batchewana. Je désignerai les deux défenderesses comme la « Première nation », à moins que le contexte exige autrement.

[7]  Les éléments de preuve relatifs à la présente requête décrivent les faits suivants.

[8]  Le 27 décembre 2002, les parties ont signé l’acte de vente d’un logement unifamilial situé au 68, rue August, dans la Première nation de Batchewana, près de Sault‑Sainte‑Marie en Ontario (acte de vente). L’acte de vente prévoyait un loyer avec option d’achat de la maison de 400 $ par mois, à payer par M. Cyr, pour un total de 72 000 $. Dans l’acte de vente, M. Cyr, à titre d’acheteur, a convenu, au paragraphe 3c, de maintenir les terrains et les lieux en bon état. Conformément au paragraphe 3, M. Cyr a convenu, au paragraphe 3a, de veiller à ce qu’il n’y ait pas de déchet sur le terrain et, au paragraphe 3g, de respecter les règlements qui sont généralement en vigueur de temps à autre concernant l’occupation des propriétés résidentielles dans le quartier. Il a également accepté de se conformer aux règlements figurant dans une annexe de l’acte de vente. L’annexe comprenait les obligations relatives à l’entretien des lieux, comme la collecte des ordures et l’entretien régulier de la cour.

[9]  Selon les éléments de preuve présentés dans le cadre de la présente requête, M. Cyr a souvent effectué les paiements mensuels requis en retard, contrevenant ainsi à l’acte de vente. La Première Nation a envoyé de nombreux avis de défaut de paiement qui font référence à des montants à payer à titre d’arrérages. Cela dit, le demandeur n’est plus dans ces situations où il doit des arrérages depuis quelques années. M. Cyr a déclaré qu’aux alentours de juin 2019, la Première nation lui a dit (par l’entremise d’une personne dont l’identité n’est pas confirmée) qu’il avait fait tous les paiements requis par l’acte de vente.

[10]  Cependant, la maison et la cour étaient toujours dans un état problématique. La Première nation a envoyé à M. Cyr jusqu’à 30 lettres d’avis officiel portant sur des plaintes au sujet de l’état de la cour. Certaines d’entre elles figurent dans le dossier de requête des défenderesses. Les avis mentionnent la présence de déchets et l’incurie du gazon qui sont des problèmes pour la santé et la sécurité, car ils attirent des animaux comme les rats et les ours. Les avis faisaient également référence à des violations de l’acte de vente, notamment des paragraphes de l’article 3 qui ont déjà été mentionnés.

[11]  D’après les éléments de preuve présentée dans le cadre de cette requête, les lieux étaient en très mauvais état, à l’intérieur et à l’extérieur, bien que le demandeur se soit opposé aux tentatives de la régie du logement, qui est défenderesse, d’inspecter l’intérieur. Dans la présente requête, les affidavits des défenderesses concordent sur le très mauvais état des lieux. Par exemple, le sergent Sayers du service de police de Batchewana a témoigné qu’il avait vu personnellement l’état de la maison à de nombreuses occasions à la suite d’appels de service à la résidence. Il a dit que la maison se trouvait [traduction« dans un état déplorable ». Il a déclaré que la cour est remplie depuis longtemps de vieux véhicules, d’ordures et de rongeurs. L’intérieur de la maison était [traduction« épouvantable ». Il y a vu des déchets empilés, des excréments d’animaux, des moisissures, des trous dans les cloisons sèches et divers dommages aux meubles et aux accessoires.

[12]  Le paragraphe 7 de l’affidavit de Mme Lambert, première dirigeante de la Première nation, et celui de Mme Lesage, gestionnaire pour le programme Niigaaniin de la Première nation, aux paragraphes 7 et 8, faisaient également état des mauvaises conditions dans lesquelles la maison et sa cour se trouvaient. Dans son affidavit, Mme Lesage a déclaré qu’en mars 2018, le programme Niigaaniin a assisté M. Cyr en envoyant des travailleurs pour l’aider à nettoyer la maison. Les travailleurs ont dû porter des combinaisons pour matières dangereuses pour entrer dans les lieux. Ils ont tenté d’enlever les ordures de la maison, mais M. Cyr et sa petite amie de l’époque s’y sont opposés. Mme Lesage a déclaré que, pour assurer la sécurité des travailleurs, elle leur a conseillé d’arrêter le travail.

[13]  Dans son témoignage, Mme Hewson, adjointe au logement de la Première nation, a décrit les mauvaises conditions dans lesquelles se trouvaient encore les lieux. Elle a en outre fait part de nombreuses plaintes verbales et écrites des membres de la communauté (aux paragraphes 16 à 19 de son affidavit). Elle a dit que le demandeur tentait parfois de nettoyer la cour et faire [traduction« moins que le strict nécessaire » pour nettoyer. Cela dit, les efforts du demandeur n’ont pas duré et, dans les propres mots de Mme Hewson, [traduction« la maison retournait à un état déplorable ». Elle a parlé d’une situation s’étalant sur plusieurs années au cours desquelles le demandeur a eu [traduction« plusieurs occasions de se conformer ».

[14]  Le processus d’expulsion a commencé en juillet 2019. Il n’est pas établi si un événement précis a déclenché l’expulsion, comme une plainte particulière ou une série de lettres demandant à M. Cyr de résoudre des problèmes dans les lieux. Le dossier de requête des défenderesses contient plusieurs lettres adressées à M. Cyr avant juillet 2019, mais la plus récente date de mai 2017. Les affidavits présentés par les défenderesses ne précisent pas d’événement déclencheur, le cas échéant, et ne font que faire référence de façon générale à l’ensemble de problèmes persistants au sujet de l’état des lieux. Je constate que les affidavits ne précisent pas les dates des inspections des lieux par les témoins, sauf celle de mars 2018 relative à la tentative de nettoyage de la maison. Les éléments de preuve font état de problèmes graves et persistants avec l’état de la maison et de la cour.

[15]  Au moyen d’une lettre du 29 juillet 2019, la Première nation a signifié à M. Cyr un avis d’expulsion de la maison. Elle a fait référence au défaut de M. Cyr de se conformer aux paragraphes 3a, 3d et 3g de l’acte de vente, notamment le défaut de paiement et le défaut de se conformer après avis écrit de la Première nation au sujet de la violation.

[16]  Voici ce dont l’avis d’expulsion du 29 juillet 2019 informait M. Cyr : [traduction« [il y a] 30 avis écrits dans votre dossier concernant l’état de votre cour. Votre inobservation et votre omission de corriger ce problème ont justifié cet avis final. » L’avis exigeait que M. Cyr remette en état la cour et la maison suivant les normes du Code national du bâtiment au plus tard le jeudi 29 août 2019. Faute de quoi, il aurait été expulsé le lendemain, le 30 août 2019.

[17]  Dans une lettre du 10 septembre 2019, la Première nation a informé M. Cyr que, lors d’une réunion tenue le 5 septembre, le conseil d’administration de la régie du logement lui a accordé une prolongation de 30 jours pour que la maison et la cour respectent la norme de qualité de vie prévue par la convention de vente. Il lui était exigé de remettre en état la cour et la maison suivant les normes du Code national du bâtiment au plus tard le 10 octobre 2019. La lettre mentionnait aussi qu’un spécialiste des infrastructures inspecterait les lieux le 10 octobre.

[18]  Aux alentours de cette date, M.Cyr est tombé malade et a été hospitalisé.

[19]  En octobre 2019, la sœur du demandeur s’est rendue au bureau des Premières nations pour les informer que M. Cyr était à l’hôpital. Elle a interjeté appel de l’expulsion de son frère. Elle a ensuite comparu devant le chef et le conseil. Elle leur a dit que M. Cyr était à l’hôpital, parce que la moisissure dans le sous‑sol des locaux l’avait rendu malade. Il souffrait d’une pneumonie. Sa sœur a déclaré que les murs du sous‑sol de la maison étaient [traduction« recouverts de moisissures ».

[20]  Le 19 novembre 2019, le chef et le conseil ont fait droit à l’appel par motion unanime. La motion adoptée par le chef et le conseil prévoyait une prorogation de six mois pour M. Cyr pendant laquelle [traduction« un plan de soutien doit être élaboré pour veiller à ce que les besoins du membre de la bande soient satisfaits, ainsi que ceux de la régie du logement ». Mme Lambert a déclaré que cette prorogation visait à permettre à M. Cyr de rendre sa résidence [traduction« conforme au code et de nettoyer la cour ».

[21]  M. Cyr a déclaré qu’à la fin de 2019, il a demandé aux défenderesses des documents relatifs à sa propriété. Il a déclaré que les défenderesses ont remis des documents qui étaient [traduction« incomplets, incohérents ou qui n’ont pas été remis d’une manière appropriée pour lui permettre de comprendre [leur] nature […] ».

[22]  En mars 2020, la police a accusé M. Cyr de certaines infractions criminelles liées aux drogues et aux armes. Pendant l’exécution d’un mandat de perquisition sur les lieux, les agents ont saisi de la cocaïne, de la méthamphétamine en cristaux et du fentanyl, ainsi qu’une arme de poing chargée.

[23]  À la fin de la prolongation de six mois accordée par le chef et le conseil, rien n’avait été fait pour rendre la résidence [traduction« conforme au code » ou pour nettoyer la cour.

[24]  La Première nation a signifié à M. Cyr un autre avis d’expulsion daté du 20 mai 2020. Cet avis décrit les mêmes infractions à l’acte de vente qui figuraient dans les avis de 2019. L’avis du 20 mai 2020 exigeait que M. Cyr prenne des dispositions pour qu’il n’y ait aucun de ses effets personnels, dans la cour et dans la maison, au plus tard le 29 mai 2020 (c.‑à‑d., neuf jours plus tard). La Première nation a précisé que les serrures seraient remplacées à cette date.

[25]  Je fais remarquer que cet avis d’expulsion ne mentionne pas les accusations criminelles portées à l’endroit de M. Cyr. Les témoins ne les ont pas non plus citées pour ce qui est de la décision d’expulser M. Cyr. De plus, aucun témoin ne s’est exprimé au sujet du plan de soutien envisagé dans la motion de novembre 2019 adoptée par le chef et le conseil.

[26]  M. Cyr a retenu les services d’un avocat à ce moment‑là. Le 29 mai 2020, les parties ont signé une entente de prorogation. Cette entente prévoyait que, à la lumière de l’avis favorable de la Première nation à une prorogation d’un mois pour permettre à M. Cyr d’habiter dans la maison, celui‑ci quitterait les lieux le lundi 29 juin 2020 au plus tard à 12 h HNE. L’entente de prorogation précisait que la Première nation acceptait la prorogation [traduction« de bonne foi », pour [traduction« permettre cette fois à Dennis Cyr de récupérer ses effets personnels et de mettre de l’ordre dans ses affaires ». Elle prévoyait que [traduction« Dennis Cyr quitterait les lieux à la date et à l’heure susmentionnées à l’amiable et de son propre gré ».

[27]  Au paragraphe 13 de son affidavit, Mme Lambert a déclaré que l’entente de prorogation accordait un peu de temps au demandeur pour qu’il récupère ses effets personnels et trouve un autre logement.

[28]  Par une lettre du 1er juin 2020, la Première nation a signifié un autre avis d’expulsion comportant un exemplaire de l’entente de prorogation qui confirme au demandeur qu’il avait accepté de quitter les lieux au plus tard le lundi 29 juin 2020. Cet avis d’expulsion a été signifié en le laissant au fils de M. Cyr à la maison.

[29]  Le 25 juin 2020, le demandeur a eu une conversation avec le sergent Sayers au poste de police de Batchewana. Le sergent Sayers a déclaré qu’il avait informé le demandeur des avis d’expulsion et du fait qu’il aurait été déclaré coupable d’intrusion s’il ne quittait pas la maison située au 68, rue August, le 29 juin. Le sergent Sayers a déclaré que le demandeur a confirmé verbalement qu’il comprenait que les avis d’expulsion l’obligeaient à quitter la maison le 29 juin. Le demandeur a également dit au sergent Sayers qu’il s’enchaînerait à la maison et que les policiers devraient le faire sortir de force s’ils tentaient de l’expulser.

[30]  M. Cyr n’a pas quitté les lieux le 29 juin 2020 et la police n’a pas tenté de l’expulser ce jour‑là.

[31]  Le 8 ou le 9 juillet 2020, des membres du personnel représentant la Première nation se sont rendus sur les lieux avec des agents d’application de la loi de la Police provinciale de l’Ontario et de la Police de Batchewana. À partir de ce moment, les témoignages divergent. M. Cyr a déclaré qu’à leur arrivée, il était dans la salle de bain, n’était pas prêt à partir et n’était pas habillé. Il a été expulsé des lieux contre son gré, restant debout à l’extérieur, en sous‑vêtements, bien en vue à partir de la rue. Après une demi‑heure, il a été autorisé à rentrer pour mettre des vêtements (en présence de policiers) et récupérer quelques effets personnels avant de partir. En revanche, le sergent Sayers a témoigné qu’un serrurier et lui ont tenté d’entrer dans les lieux, mais qu’ils n’avaient pas pu le faire, parce que M. Cyr tenait la porte fermée. Les policiers ont pu l’ouvrir et l’expulser de la maison. Le fils du demandeur a quitté les lieux sans encombre. Le sergent Sayers n’a pas dit que le demandeur était déshabillé.

[32]  Après l’expulsion de M. Cyr, le personnel des défenderesses l’a aidé à trouver un logement temporaire.

[33]  Un inspecteur a effectué une inspection d’évaluation conditionnelle des lieux le 25 août 2020 et a présenté un rapport dans une lettre du 2 septembre 2020. L’inspection a permis de constater que la structure du bâtiment était intacte, mais l’examen a relevé des problèmes comme des dommages superficiels à certaines parties de l’intérieur et des dommages graves à certains éléments de l’intérieur ou leur mauvais état. Il y avait des débris et des déchets dans la plupart des pièces. Il était possible de sauver le bâtiment, mais il aurait fallu probablement une remise en état totale de l’intérieur. Cependant, il était difficile d’avoir une évaluation exhaustive de l’état en raison de tous les effets personnels qui obstruaient la vue à l’intérieur. L’inspecteur a recommandé d’effectuer une autre évaluation du bâtiment qui sera plus correcte quant à l’état du bâtiment, une fois l’immeuble dégagé des effets personnels et des débris.

[34]  M. Cyr a déclaré que, depuis qu’il a quitté les lieux en juillet 2020, il a fait de son mieux pour trouver un avocat. Il a éprouvé des difficultés en ce que personne ne voulait s’occuper de son dossier. Ses finances sont limitées. Il a déclaré que son seul moyen de communication se constitue d’un téléphone pour lequel il paie en fonction de son utilisation; il n’a aucun accès à Internet ou à un ordinateur. (Les défenderesses ont fait remarquer qu’elles mettent une pièce individuelle de leur bureau avec un téléphone à la disposition des membres de la communauté et que le demandeur a déjà utilisé ce téléphone par le passé.)

[35]  M. Cyr a rencontré pour la première fois son avocat actuel le 6 août 2020 pour un mandat limité consistant à demander aux défenderesses des documents relatifs à la présente affaire. Dans son affidavit, M. Cyr a déclaré qu’il n’a reçu l’avis d’expulsion du 1er juin 2020 que le 25 août 2020, quelque temps après que son avocat le demande le 7 août 2020.

[36]  M. Cyr a retenu les services de son avocat actuel et de son avocat adjoint le 24 août 2020 afin d’obtenir de l’aide à présenter la présente requête et sa demande de contrôle judiciaire. Le 4 septembre 2020, son avocat a tenté de déposer des documents en vue d’une requête en prorogation pour le dépôt d’une demande de contrôle judiciaire au titre du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales. Il y a eu des problèmes techniques liés au dépôt. Le dossier de requête du demandeur a finalement été déposé environ deux semaines plus tard. Les défenderesses ont déposé leurs documents à la fin du mois de septembre.

[37]  Le demandeur a ensuite cherché à présenter des éléments de preuve supplémentaires à titre de réponse, mais la défenderesse s’y est opposée. Le 9 octobre 2020, un protonotaire de la Cour a informé les parties qu’une requête serait nécessaire pour déposer des éléments de preuve supplémentaires à titre de réponse. Le demandeur n’a pas présenté cette requête en autorisation et n’a pas non plus présenté des observations à titre de réponse dans la présente requête.

[38]  Le 16 octobre 2020, l’avocat du demandeur a écrit à la Cour pour lui demander de trancher la présente requête de toute urgence. La même lettre faisait référence à certains des facteurs pris en compte dans une requête en injonction interlocutoire et mentionnait aussi une injonction mandatoire. Cela dit, le demandeur n’a pas déposé d’avis de requête en vue d’obtenir une injonction interlocutoire ou une ordonnance de faire. Dans une lettre du 19 octobre 2020, l’avocat de la défenderesse a fait part de son opposition à la [traduction« requête » du demandeur. À mon avis, la lettre du 16 octobre de l’avocat du demandeur ne constituait pas une demande de mesure interlocutoire comme une injonction ou une ordonnance de faire.

II.  La requête en prorogation présentée au titre du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales

Le critère juridique

[39]  Selon le paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales, une demande de contrôle judiciaire doit être présentée dans les 30 jours qui suivent la communication de la décision ou de l’ordonnance à la partie concernée « ou dans le délai supplémentaire qu’un juge de la Cour fédérale peut, avant ou après l’expiration de ces 30 jours, fixer ou accorder ».

[40]  Le délai de présentation d’une demande court à partir du moment où le demandeur prend connaissance de la décision finale qui sera attaquée dans le cadre du contrôle judiciaire : Meeches c Assiniboine, 2017 CAF 123 (le juge Scott), au para 40. L’autorisation de déposer l’avis de demande est requise, sans quoi la demande est assujettie à un délai (Meeches, au para 41).

[41]  Les prorogations au titre du paragraphe 18.1(2) sont discrétionnaires; la Cour les accorde lorsqu’elles sont dans l’intérêt de la justice. Une fois une demande de contrôle judiciaire présentée, par un ou plusieurs demandeurs, quatre questions guident l’enquête de la Cour dans l’exercice de son pouvoir discrétionnaire :

1) Le demandeur a‑t‑il manifesté une intention constante de poursuivre sa demande?

2) La demande a‑t‑elle un certain fondement?

3) Le défendeur subit‑il un préjudice en raison du retard?

4) Le demandeur a‑t‑il une explication raisonnable pour justifier le retard?

Se reporter aux arrêts Thompson c Canada (Procureur général), 2018 CAF 212 au para 5; Wenham c Canada (Procureur général), 2018 CAF 199 au para 42; Canada (Procureur général) c Larkman, 2012 CAF 204 au para 61.

[42]  L’importance de chacun de ces quatre facteurs dépend des circonstances propres à chaque affaire. De plus, il n’est pas nécessaire que chacun de ces quatre facteurs soit en faveur du demandeur. Le poids élevé d’un facteur peut compenser la moindre importance d’un autre. La considération primordiale est celle de savoir si l’octroi d’une prorogation serait dans l’intérêt de la justice : Larkman, au para 63; Thompson, au para 9.

III.  Les positions des parties

[43]  Le demandeur soutient qu’il a toujours l’intention de présenter une demande à la Cour, que sa cause est défendable, qu’il n’y a pas de préjudice pour la Première nation et qu’il existe une explication raisonnable du retard dans le dépôt. Les arguments de droit invoqués par le demandeur portent sur la décision du juge Phelan de proroger le délai dans des circonstances qui seraient, à son avis, similaires à celles en l’espèce. Il s’agit de l’affaire Cottrell c Nation des Chippewas de Rama Mnjikaning, 2007 CF 269.

[44]  Dans ses observations, le demandeur soutient que la décision de l’expulser le 8 juillet 2020 (la date d’expulsion dans l’affidavit de M. Cyr) contrevenait [TRADUCTION« aux principes du droit administratif » et [traduction« aux politiques, aux procédures et aux pratiques » de la Première nation. Ses observations parlent de la [traduction« manière humiliante et démoralisante avec laquelle il a été expulsé de force de sa maison », ajoutant qu’il y a eu violation de ses droits garantis par la Charte et de son droit à [traduction« un avis, un appel et à l’équité procédurale ». Il a soutenu que la Première nation a commencé à [traduction« tenter constamment de faire de son mieux pour donner des amendes et émettre des avis d’expulsion arbitraires et erronés ». Le demandeur a souligné qu’il avait versé des paiements à la Première nation depuis 2002 et qu’il avait [traduction« terminé de payer » sa maison en juin 2019. Je remarque que dans son affidavit, Mme Hewson a confirmé qu’elle savait que M. Cyr avait payé [traduction« le solde en entier », même si ce n’est pas elle qui en a informé le demandeur.

[45]  L’avocat du demandeur a soutenu que M. Cyr ne comprenait pas la nature de l’entente de prorogation. M. Cyr a déclaré que la Première nation a demandé un paiement [traduction« non précisé » de 130 $ au printemps 2020, qui s’est avéré être destiné au nettoyage de sa cour. Le demandeur a précisé qu’en raison des contraintes de temps imposées par la Première nation qui a fixé l’échéance serrée de mai 2020, il n’a pas eu le temps d’obtenir des conseils juridiques indépendants satisfaisants avant de conclure l’entente de prorogation. Il affirme qu’à l’époque, son avocat (un avocat autre que celui qui le représente dans la présente instance) ne connaissait pas les politiques de la Première nation et n’a pas eu le temps de les examiner. Dans ses observations, le demandeur a invoqué une [traduction« attente légitime qu’une procédure particulière soit suivie » et s’est reporté à la politique des défenderesses sur le programme de bail résidentiel avec option d’achat qui est visée à l’article 15 : [traduction« Expulsion ».

[46]  Les défenderesses, quant à elles, ont expliqué que la Première nation a expulsé le demandeur de la maison à cause de ses manquements répétés aux dispositions de l’acte de vente. Les défenderesses ont fait valoir que dans la présente requête le demandeur n’a pas démontré qu’il a toujours l’intention d’aller de l’avant avec sa demande. En effet, selon elles, la preuve confirme le contraire : le demandeur a consenti à l’expulsion dans l’entente de prorogation qu’il a signée avec l’aide d’un avocat. Les défenderesses ont soutenu que la cause du demandeur n’est pas défendable. Elles ont mis l’accent sur le préjudice causé à la Première nation, comme il y a environ 200 membres en liste d’attente pour un logement. En contexte de pénurie de logements, chaque maison mise à la disposition des membres de la collectivité est cruciale.

[47]  De plus, les défenderesses ont souligné que M. Cyr a eu amplement le temps pour remédier aux problèmes de salubrité et de sécurité de la maison depuis qu’il a été informé de l’expulsion en juillet 2019. Pendant presque un an, il n’a pas réglé ces problèmes. La Première nation ajoute que M. Cyr a eu amplement le temps et l’occasion de retenir les services d’un avocat et qu’il aurait pu utiliser le téléphone situé dans la pièce privée des bureaux de la Première nation.

IV.  Analyse

[48]  Tout d’abord, il importe de se concentrer sur la décision qui ferait l’objet de l’éventuelle demande de contrôle judiciaire. Le demandeur a fait référence à la décision des défenderesses de l’expulser le 8 juillet 2020. Les défenderesses ont décrit la suite des événements depuis l’avis d’expulsion du 29 juillet 2019 jusqu’à l’exécution de la mesure d’expulsion, laquelle a finalement eu lieu le 9 juillet 2020. Comme la preuve des parties diffère pour ce qui est de la date, le 8 ou le 9 juillet, je me reporterai à la [traduction« date d’expulsion » ci‑dessous.

[49]  À mon avis, il faudrait se concentrer sur la dernière décision de fond des défenderesses d’expulser M. Cyr. Cette décision a dû être prise immédiatement avant l’avis d’expulsion du 20 mai 2020. Cette décision et l’avis qui a suivi ont été rendus après l’expiration de la prolongation de six mois que le chef et le conseil ont accordée au demandeur à la suite de son appel, en novembre 2019. Sinon, le demandeur pourrait aussi chercher à invalider l’avis d’expulsion du 1er juin 2020 ou, sur le plan de la preuve, la décision de fond de l’expulser qui a dû avoir été prise immédiatement avant l’avis d’expulsion du 20 mai 2020. Les quatre affidavits déposés par les défenderesses ne comportent aucun élément de preuve quant à la façon dont cette décision a été prise. Ils ne font que préciser qu’aucune mesure n’avait pas été prise pour résoudre les problèmes au cours de la prorogation de six mois.

[50]  Je constate aussi que, dans le cadre de la présente requête, aucune des parties n’a soulevé de question concernant la compétence de la Cour au titre du paragraphe 18(1) de la Loi sur les Cours fédérales, pour instruire et trancher une demande de contrôle judiciaire de la décision d’expulser le demandeur. Se reporter, par exemple, aux décisions Jimmie c Conseil de la Première Nation Squiala, 2018 CF 190 (le juge en chef Crampton) et Kaquitts c Conseil de la Première nation Chiniki, 2019 CF 498 (le juge Southcott).

[51]  Je vais maintenant traiter des quatre facteurs à considérer pour évaluer si la Cour devrait accorder une prorogation du délai.

[52]  Intention constante de poursuivre la demande Il n’est pas nécessaire que le demandeur démontre son intention de présenter précisément une demande de contrôle judiciaire à la Cour afin de respecter ce premier facteur. Aux fins d’une demande présentée au titre du paragraphe 18.1(2), il suffit de démontrer qu’on entend se prévaloir des recours judiciaires possibles pour obtenir réparation : se reporter à la décision Cottrell, au para 15, et aux décisions citées dans l’affaire Cob Roller Farms Ldt c 9072‑3636 Québec Inc. (Écocert Canada), 2020 CF 806 au para 33.

[53]  Les éléments de preuve sur l’intention constante du demandeur de faire valoir ses droits en justice sont contradictoires. Dans son affidavit, M. Cyr n’a pas expressément abordé ses intentions immédiatement après le 20 mai. Il a conclu l’entente de prorogation le 29 mai, dans laquelle il a accepté de quitter les lieux un mois plus tard, à l’amiable et de son propre chef. Cette entente donne à penser que le 29 mai, il n’avait pas l’intention de contester l’avis d’expulsion du 20 mai 2020. Je fais toutefois remarquer que M. Cyr a déclaré que l’avocat qu’il avait en mai ne connaissait pas les politiques et les procédures des défenderesses et qu’il n’avait pas eu le temps d’examiner les documents. Il est vrai que le demandeur avait déjà reçu plusieurs avis d’expulsion et avait eu une prolongation de six mois à compter de novembre 2019. Cela dit, selon sa déclaration, il n’avait pas reçu tous les documents qu’il avait demandés à la Première nation et ceux qu’il détenait [traduction« prêtaient à confusion et étaient incomplets ». Or, le libellé de l’entente de prorogation semble être clair : M. Cyr a accepté de partir de son plein gré avant le 29 juin. De plus, le fait que, au mois de mai, il ait demandé des conseils juridiques laisse entendre qu’il avait compris l’importance de l’avis d’expulsion du 20 mai.

[54]  Le 25 juin, le sergent Sayers l’a informé qu’il devait quitter les lieux, ce à quoi M. Cyr lui a répondu qu’il n’allait pas partir et qu’il allait s’enchaîner à la maison pour éviter l’expulsion. Le demandeur a également déclaré qu’il a tenté d’avoir recours aux services d’un avocat pour faire valoir ses droits après avoir quitté les lieux le jour de l’expulsion. Il aurait rencontré un avocat le 6 août et aurait retenu ses services pour la présente requête le 24 août. Ses tentatives de trouver un avocat témoignent d’une intention constante depuis son départ de la maison à la date d’expulsion.

[55]  En somme, il semblerait que, dans un premier temps, après la décision en mai de procéder à l’expulsion, M. Cyr n’avait pas l’intention d’intenter un recours en justice. Ensuite, à partir de la fin du mois de juin, ou du début de juillet, après l’expulsion, il a toujours eu l’intention de faire valoir ses droits. Il se peut que, après avoir signé l’entente de prolongation, M. Cyr ait changé d’avis quant au fait de partir à l’amiable. Il se peut également qu’après le 20 mai, peut‑être en mai, ou bien seulement après la conversation du 25 juin avec le sergent Sayers, M. Cyr se soit rendu compte que les défenderesses étaient sérieuses quant à l’exécution de l’avis d’expulsion. Il pourrait aussi y avoir d’autres explications des événements.

[56]  Or, ce facteur exige que la Cour examine les éléments de preuve sur l’intention constante. Il appert de ceux‑ci qu’il y a eu un moment où le demandeur ne semblait pas avoir l’intention d’intenter une action en justice. De ce fait, j’estime que ces éléments de preuve militent à l’encontre de la requête de prorogation du demander. L’importance du présent facteur est compensée par celle du facteur suivant.

[57]  Le bien‑fondé d’une éventuelle demande de contrôle judiciaire présentée par le demandeur Le demandeur soutient que la défenderesse a décidé de l’expulser à la date prévue pour cette mesure et qu’elle l’a fait en violant les principes du droit administratif, ainsi que les politiques, les procédures et les pratiques des défenderesses. Dans ses observations écrites, le demandeur cite l’équité procédurale et les attentes légitimes quant à la procédure à suivre, sans s’étendre sur le sujet. La seule référence précise dans les observations du demandeur portait sur l’article 15 de la politique sur le programme de bail résidentiel avec option d’achat.

[58]  Le paragraphe 15.3.1 de l’article 15.3 de cette politique, le processus d’expulsion, est ainsi rédigé :

[traduction]

L’expulsion aura lieu seulement 30 jours après la signification de l’avis d’expulsion à l’occupant et après que la régie du logement aura pris des mesures, consignées par écrit, pour rencontrer l’occupant et le conseiller en ce qui a trait aux conséquences du défaut de remédier au manquement. La mesure d’expulsion sera exécutée en dernier recours dans les cas où l’occupant ne corrige pas le manquement au bail avec option d’achat. Nous faisons tout ce qui est possible pour parvenir à un règlement et éviter d’expulser l’occupant.

[59]  L’article 15.3.2 prévoit que [traduction« l’avis écrit d’expulsion sera signifié à l’occupant 30 jours avant la date d’expulsion ». De plus, il explique la procédure pour le faire.

[60]  Comme il est mentionné ci‑dessus, l’avis d’expulsion du 20 mai 2020 laissait au demandeur 9 jours, jusqu’au 29 mai 2020, pour quitter les lieux. Cet avis précisait qu’à cette date, les serrures seraient changées, la résidence serait fermée et que toute tentative de la part du demandeur d’y entrer entraînerait des accusations criminelles à son endroit. C’est au cours de cette période de neuf jours que les parties ont conclu l’entente de prolongation du 29 mai 2020.

[61]  Le demandeur argumente que les défenderesses ont pris la décision de l’expulser immédiatement avant l’avis d’expulsion du 20 mai 2020. Cet avis lui donnait seulement 9 jours avant l’expulsion au lieu des 30 jours précisés comme exigence aux paragraphes 15.3.1 et 15.3.2 des politiques des défenderesses. Le demandeur avait le droit ou, peut‑être, l’attente légitime de recevoir un préavis de 30 jours et de recevoir les conseils connexes au sujet des conséquences d’un défaut de régler l’affaire pendant ces 30 jours, compte tenu de cette politique et du comportement des défenderesses qui lui ont déjà donné des avis écrits de 30 jours.

[62]  Les défenderesses ont répondu que le demandeur avait conclu l’entente de prolongation après avoir consulté son avocat. L’entente précisait qu’il devait quitter les lieux à l’amiable et volontairement un mois plus tard. Il n’avait pas droit à un avocat et n’a présenté aucun motif juridique ni aucun élément de preuve pour faire annuler l’entente de prorogation. De plus, les défenderesses ont signifié un autre avis d’expulsion le 1er juin, prévoyant l’exécution de cette mesure le 29 juin. Cette mesure n’a été exécutée qu’à la date d’expulsion en 2020, ce qui a donné au demandeur un préavis de 30 jours avant l’expulsion. Par conséquent, toutes les préoccupations au sujet de l’absence d’une période de 30 jours après l’avis d’exécution du 20 mai ont été réglées par la présence d’une période allant du 1er juin à la date d’expulsion.

[63]  Il convient de souligner que les éléments de preuve relatifs à la présente requête montrent clairement que le demandeur a remboursé la totalité de son solde prévu par l’acte de vente. Le motif de l’avis d’expulsion n’était pas le défaut de paiement, mais bien le long manquement aux alinéas 3a, 3d, 3g et de l’annexe de l’acte de vente en ce qui a trait à l’état des lieux. En l’absence de ces problèmes persistants, le demandeur aurait vraisemblablement eu le droit d’obtenir le titre de propriété des lieux qui lui ont été transférés et un certificat de possession au titre de l’article 2 de l’acte de vente. Toutefois, en cas de défaut de paiement, les conditions de l’acte de vente semblent donner un pouvoir contractuel considérable aux défenderesses et presque aucun au demandeur.

[64]  Aucune des parties n’a fait référence à des principes juridiques qui régissent les droits du demandeur dans les cas où la maison a été payée au complet. Les observations des défenderesses reposaient entièrement sur le respect de toutes les obligations en matière d’équité procédurale. Aucune des parties n’a mentionné la portée des obligations en matière d’équité procédurale prévues dans les circonstances par les principes énoncés dans l’arrêt Baker c Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration), [1999] 2 RCS 817.

[65]  À mon avis, la cause du défendeur a quelque fondement. L’avis d’expulsion du 20 mai 2020 en laissant 9 jours ne semble pas respecter la période de 30 jours exigée par la politique et accordée dans les avis précédents. Certaines circonstances au cours du mois de mai ont peut‑être influé sur sa décision de conclure l’entente de prorogation, ce qui pourrait avoir donné lieu à un manquement à l’équité procédurale au cours du processus d’expulsion au désavantage du demandeur. Il n’est pas possible, dans le cadre de la présente requête, de déterminer l’importance de cet éventuel manquement. Il est également possible que des événements postérieurs aient fait en sorte de le réparer. De plus, les éléments de preuve présentés dans le cadre de la présente requête n’expliquent pas les motifs qui ont sous‑tendu la décision de procéder à l’expulsion et se limitent à citer l’avis d’expulsion du 20 mai 2020. Les faits s’y rattachant sont traités superficiellement. Autrement dit, compte tenu de la preuve et des observations présentées dans le cadre de la présente requête, je ne suis pas prêt à conclure que les défenderesses auront nécessairement gain de cause dans leurs arguments selon lesquels leurs agissements envers le demandeur respectaient les principes d’équité procédurale, malgré la solidité apparente de leur position à cette étape.

[66]  En effet, à mon avis à titre préliminaire, la position du demandeur revêt au moins un certain fondement, même si, d’après la preuve que la Cour dispose en ce moment, il se peut que le critère juridique ne soit pas respecté.

[67]  Il y a deux aspects de la preuve dont je n’ai pas tenu compte dans la présente évaluation de l’éventuel bien‑fondé de la demande proposée. Le premier aspect se rattache aux éléments de preuve sur les défauts de paiement apparents de M. Cyr, il y a de nombreuses années. Il s’agit des paiements qui étaient prévus par l’acte de vente. Le deuxième aspect porte sur les accusations criminelles que la police a porté à l’endroit de M. Cyr en mars 2020 et à la saisie de drogues et d’une arme à son domicile. Bien que les éléments de preuve décrivent les accusations, il n’en était pas fait mention dans les avis d’expulsion, ni dans les motifs justifiant la décision d’expulser le demandeur donnés dans les affidavits ou dans les observations écrites des défenderesses. Ainsi, je ne les ai pas jugées pertinentes aux fins de l’évaluation de la solidité du bien‑fondé d’une éventuelle demande de contrôle judiciaire.

[68]  Ce troisième facteur milite en faveur de l’acceptation de la requête en prorogation.

[69]  Préjudice causé aux défenderesses par le retard Les défenderesses font valoir qu’elles subissent un préjudice puisqu’il y a une pénurie de logements dans leur communauté. Plus de 200 membres de la Première nation attendent un logement. Si la résidence située au 68, rue August était disponible et nettoyée pour la rendre habitable par de nouveaux résidents, des personnes pourraient avoir un logement plus tôt que si cette affaire devait faire l’objet d’une demande de contrôle judiciaire exhaustif portant sur le bien‑fondé.

[70]  Je ne veux pas réduire l’importance des problèmes de logement de cette communauté. Cela dit, à mon avis, le préjudice soulevé, selon les éléments de preuve à la disposition de la Cour, est un facteur neutre, et ce, pour les motifs suivants : (i) beaucoup de temps s’est écoulé depuis que les défenderesses ont amorcé le processus d’expulsion avec l’avis prévu à cet effet daté du 29 juillet 2020, ainsi qu’entre cette date et le 20 mai 2020; (ii) les problèmes relatifs à la santé et à la sécurité de la maison et de sa cour étaient présents depuis de nombreuses années et étaient de fait tolérés par les défenderesses, dans le sens qu’elles n’ont pas expulsé le demandeur plus tôt; (iii) il n’existe aucun élément de preuve quant au temps nécessaire pour la réparation et le nettoyage de la maison, ni sur la disponibilité d’entrepreneurs locaux qui pourraient mener ces travaux; (iv) comme le juge Phelan l’a fait remarquer dans la décision Cottrell, aux paragraphes 26 et 27, il s’agirait de présumer que la position juridique des défenderesses quant à l’expulsion est correcte.

[71]  Explication raisonnable du retard Je suis convaincu que le demandeur a donné des explications raisonnables quant à la plupart de ses retards dans la recherche d’un redressement : ses finances limitées et la difficulté à trouver un avocat après avoir quitté la maison en juillet 2020.

[72]  En raison des nombreuses [traduction« deuxièmes chances » données au demandeur pour qu’il règle les problèmes relatifs à la santé et à la sécurité précisés par les défenderesses, il se peut que celui‑ci n’ait pas tout de suite compris qu’elles étaient sérieuses quant à l’avis d’expulsion du 20 mai. Cela dit, cet aspect est à double tranchant. En effet, les défenderesses ont donné au demandeur beaucoup de chances de corriger la situation, à savoir, quasiment une année entière. Le demandeur se trouvait à l’hôpital pour une partie de cette période. Le chef et le conseil lui ont accordé à l’unanimité six mois de plus, de l’hiver jusqu’au printemps, pour qu’il puisse remettre la maison en état comme il le fallait.

[73]  À mon avis, pour ce qui est de l’exercice de mon pourvoir discrétionnaire d’accorder une prorogation, il s’agit d’un facteur neutre.

V.  Conclusion et décision

[74]  Compte tenu de toute l’analyse qui précède, j’estime qu’il est dans l’intérêt de la justice d’accorder au demandeur une prorogation pour déposer sa demande de contrôle judiciaire.

[75]  Par conséquent, il est fait droit à sa requête en vue de présenter une demande de contrôle judiciaire et les dépens suivront l’issue de l’affaire. Cette demande doit être déposée dans les 14 jours suivant la présente ordonnance.


ORDONNANCE dans le dossier 20‑T‑34

LA COUR ORDONNE :

  1. La requête en prorogation faite au titre du paragraphe 18.1(2) de la Loi sur les Cours fédérales est accueillie.
  2. Le demandeur est autorisé à déposer une demande de contrôle judiciaire dans les 14 jours suivant la présente ordonnance.
  3. Dépens à suivre l’issue de la cause.

[EN BLANC]

« Andrew D. Little »

[EN BLANC]

Juge

Traduction certifiée conforme

Claude Leclerc


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

20‑t‑34

 

INTITULÉ :

DENNIS CYR c PREMIÈRE NATION BATCHEWANA DES OJIBWAYS et al.

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (Ontario)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

PAR ÉCRIT

 

MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT :

Le juge A.D. LITTLE

 

DATE DES MOTIFS :

Le 23 octobre 2020

 

COMPARUTIONS :

[EN BLANC]

POUR LE DEMANDEUR

 

[EN BLANC]

POUR LES DÉFENDERESSES

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Naomi Sayers

POUR LE DEMANDEUR

 

Stacy R. Tijerina

Procureur général du Canada

 

POUR LES DÉFENDERESSES

 

 

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