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Date : 20201021


Dossier : IMM‑4963‑19

Référence : 2020 CF 991

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 21 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Annis

ENTRE :

ABDULRASHEED OWOLABI SAKA

demandeur

et

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  La Cour est saisie d’une demande de contrôle judiciaire de la décision datée du 11 juillet 2019 [la décision], par laquelle un commissaire de la Section d’appel des réfugiés [la SAR] a rejeté la demande d’asile du demandeur nigérian au motif que la prétendue crainte de persécution de ce dernier en tant qu’homme bisexuel n’était pas crédible. Le demandeur avait interjeté appel de la décision de la Section de la protection des réfugiés [la SPR] qui avait à l’origine conclu à son manque de crédibilité, conclusion qui a été confirmée par la SAR, mais pour des raisons différentes.

[2]  L’appelant est un citoyen du Nigéria qui affirme qu’en mai 2016, alors qu’il rendait visite à un ami aux États‑Unis, son orientation sexuelle a été découverte et signalée à sa famille au Nigéria ainsi qu’au chef de leur communauté. À la suggestion d’un ami, et considérant la possibilité que Donald Trump devienne président des États‑Unis, il est arrivé au Canada et a présenté une demande d’asile.

[3]  La SAR n’a pas souscrit à l’inférence négative de la SPR qui écartait l’explication du demandeur quant à son retard de deux mois à quitter le Nigéria, ni à la conclusion d’incohérence concernant le moment où le demandeur a commencé à craindre la persécution en raison de son orientation sexuelle. Inversement, la SAR était d’accord avec la SPR sur trois éléments concernant le manque de crédibilité, sur lesquels repose la thèse du demandeur. Pour les motifs qui suivent, la demande est rejetée.

II.  Norme de contrôle judiciaire

[4]  Selon les principes révisés dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov, 2019 CSC 65, [2019] ACS no 65, au para 26 [Vavilov], la norme de la décision raisonnable est présumée s’appliquer à l’égard de tous les aspects de la décision. Aucune des exceptions décrites dans cet arrêt n’affecte cette présomption en l’espèce.

[5]  Une décision raisonnable exige un raisonnement intrinsèquement cohérent et doit être justifiée à la lumière des contraintes juridiques et factuelles qui ont une incidence sur la décision, de sorte que la décision dans son ensemble soit transparente, intelligible et justifiée. Par conséquent, « il ne suffit pas que la décision soit justifiable [...] le décideur doit également […] justifier sa décision » (Vavilov, aux para 15, 83 et 86). 

[6]  La cour de révision ne peut apprécier de nouveau la preuve examinée par le décideur, ni tirer des inférences de fait sur le fondement de la preuve primaire. Les demandeurs doivent démontrer qu’il existe des circonstances exceptionnelles autorisant la cour de révision à modifier les conclusions factuelles et les inférences de fait fondées sur la preuve ayant véritablement été soumise au décideur. Cela pourrait notamment se produire lorsque le décideur ne prend pas en compte la preuve versée au dossier ni la trame factuelle générale qui a une incidence sur la décision. Citons par exemple les cas où le processus logique par lequel le fait est déduit de la preuve est vicié, ou dans lesquels le décideur s’est fondamentalement mépris sur la preuve, ou il ne disposait pas d’une preuve pour appuyer un fait (Vavilov, aux para 77, 125 et 126, et citant Canada (Citoyenneté et Immigration) c Khosa, 2009 CSC 12 (CanLII), [2009] 1 RCS 339 au para 64; Housen c Nikolaisen, 2002 CSC 33 (CanLII), [2002] 2 RCS 235, aux para 15‑18, 22 et 23; Canada (Commission canadienne des droits de la personne) c Canada (Procureur général), 2018 CSC 31, [2018] 2 RCS 230, au para 55; Dr. Q. c Collège des médecins et chirurgiens de la Colombie‑Britannique, 2003 CSC 19 (CanLII), [2003] 1 RCS 226, aux para 41‑42).

III.  Analyse

[7]  La SAR a convenu avec la SPR que le témoignage du demandeur était incohérent et vague quant à savoir si celui‑ci était homosexuel, plutôt que bisexuel comme il le prétendait. La conclusion de la SAR est fondée sur plusieurs problèmes dans le témoignage du demandeur. Il s’agit notamment de l’affirmation du demandeur qui déclare [traduction] « avoir des relations sexuelles avec des homme » lorsqu’on lui pose des questions sur son orientation sexuelle; du fait que son partenaire présumé n’était pas certain à l’audience si le demandeur était bisexuel; de l’indication dans le formulaire Fondement de la demande d’asile, selon laquelle, lors d’une rencontre au Nigéria, des gens disaient qu’ils allaient [traduction] « piéger des hommes gais dans cet hôtel ». La SAR a également rejeté les allégations de confusion et d’inexactitudes involontaires concernant son orientation sexuelle, notant que le demandeur avait passé beaucoup de temps dans des espaces sûrs destinés aux personnes de diverses orientations sexuelles, comme le centre 519 et l’Église communautaire métropolitaine, et qu’il avait discuté de son orientation sexuelle avec un conseiller.

[8]  La SAR a de la même façon conclu que le témoignage du demandeur quant au deuxième élément controversé, concernant sa relation avec son ami/partenaire Ibrahim, était tellement incohérent et superficiel qu’il n’était pas du tout évident d’établir s’ils avaient déjà formé un couple. Plusieurs éléments de preuve du demandeur ont appuyé cette conclusion dont sa déclaration selon laquelle Ibrahim était un bon ami et la précision, seulement après beaucoup d’insistance, selon laquelle il était son partenaire, mais qu’ils traduction] « avaient » une relation, relation qu’il n’a pas été en mesure de clarifier lors de son interrogatoire par la SPR; son affirmation selon laquelle il n’avait jamais été chez Ibrahim, mais que ce dernier était déjà allé chez lui à une occasion; son assertion selon laquelle le seul aspect que les autres ignoraient peut‑être à propos d’Ibrahim était le fait qu’ils aient eu des relations sexuelles; sa déclaration selon laquelle il ne faisait pas confiance à Ibrahim et qu’il n’avait entretenu aucune bonne relation avec ce dernier depuis son arrivée au Canada. Ibrahim a déclaré sans équivoque qu’ils étaient des petits amis et qu’ils se fréquentaient depuis le mois d’août 2018.

[9]  L’observation du demandeur visait uniquement à convaincre la Cour qu’il [traduction] « ne se plaisait pas dans la relation ou que son partenaire se comportait de manière inconvenable ». Cela ne change pas le fait que la preuve présentée était à la fois vague et incohérente.

[10]  La SAR a également tiré des inférences négatives du défaut du demandeur de demander l’asile aux États‑Unis. Il est clairement établi que la SAR peut tirer des conclusions négatives quant à la crainte subjective du demandeur, lorsque ce dernier omet de demander la protection à la première occasion raisonnable.

Bobic c Canada (MICI), 2004 CF 1488 au para 6

Remedios c Canada (MCD), 2003 CFPI 437 aux para 23‑2

[11]  Malgré les allégations selon lesquelles il craignait pour sa sécurité personnelle au Nigéria en raison de l’incident survenu à l’hôtel en mai 2016, le demandeur n’a pas demandé l’asile lorsqu’il est arrivé aux États‑Unis. Le demandeur a plutôt affirmé qu’il avait l’intention de retourner au Nigéria. De plus, même une fois que ses relations intimes avec son partenaire de même sexe ont été dévoilées, le demandeur a néanmoins choisi de ne pas demander l’asile aux États‑Unis. Le demandeur est éventuellement arrivé au Canada en octobre 2016 et y a présenté une demande d’asile.

[12]  Il a témoigné avoir seulement quitté les États‑Unis lorsqu’un homme qu’il avait rencontré dans un club gay une semaine auparavant lui avait suggéré de demander l’asile au Canada. À ce sujet, la SAR a conclu qu’il était déraisonnable que le demandeur s’en remette au conseil d’un individu qui lui était pratiquement inconnu et parcourir des milliers de kilomètres vers un autre pays. L’argument du demandeur, selon lequel il n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis en raison de la position de l’administration Trump sur l’immigration, a été rejeté à juste titre par la SAR, puisque l’élection présidentielle américaine n’avait même pas encore eu lieu lorsque le demandeur est arrivé au Canada pour demander l’asile.

[13]  La SAR n’a pas non plus accepté l’argument du demandeur selon lequel il n’a pas demandé l’asile aux États‑Unis car il croyait avoir à dévoiler son orientation sexuelle pour faire sa demande. La SAR a conclu que cette explication contredisait celle donnée lors de l’audience devant la SPR, selon laquelle il avait l’intention de retourner au Nigéria lorsqu’il est arrivé aux États‑Unis, mais que peu après il a changé d’idée, car son orientation sexuelle avait été révélée et qu’il a décidé plutôt de tenter de prolonger son statut en tant qu’étudiant. Il a aussi été conclu que cette dernière affirmation n’était pas corroborée.

[14]  Le demandeur a prétendu que le tribunal s’est livré à des conjectures non fondées, mais a omis d’aborder les contradictions dans son témoignage et de contester la preuve sous‑jacente à l’appui des conclusions du tribunal.

[15]  Le demandeur se fonde sur la décision Gbemudu c Canada (Citoyenneté, Réfugiés et Immigration), 2018 CF 451 [Gbemudu]. Il s’agit d’une situation assez semblable dans laquelle un citoyen nigérian demeurant au Royaume‑Uni a ensuite immigré au Canada pour y faire une demande d’asile. Le demandeur a cité le paragraphe 74 de la décision :

[74] À mon sens, il n’était pas raisonnable de la part de la SAR de se baser sur le défaut du demandeur de demander l’asile au R.‑U. pour conclure que [TRADUCTION] « le fait que le demandeur n’a pas demandé l’asile plus tôt et dans un autre pays, et la raison correspondante avancée à cet effet remettent en cause sa crainte subjective et sa crédibilité générale, ainsi que la crédibilité de ses allégations de persécution. » Le statut de réfugié n’est pas accordé pour une persécution qui pourrait ne jamais se concrétiser et aucune preuve ne permet d’établir qu’il existe une probabilité ou une possibilité réelle que cela se concrétise.

Toutefois, dans la décision Gbemudu, le demandeur soutenait n’avoir pris connaissance du risque de persécution qu’après avoir quitté le Nigéria et être arrivé au Canada.

IV.  Conclusion

[16]  Le demandeur n’a établi aucune circonstance applicable qui permetttait à la Cour d’intervenir dans les conclusions factuelles tirées par la SAR. L’observation selon laquelle le commissaire a [traduction] « mal interprété » la preuve tout au long de la décision est simplement une tentative futile de réorienter l’évaluation défavorable détaillée quant à la crédibilité de la preuve du demandeur concernant son orientation sexuelle, fondée sur son propre témoignage et celui de son témoin. Le demandeur demande à la Cour de procéder à une révision inadmissible des inférences de fait tirées par le commissaire alors que celui‑ci a invoqué à l’appui de nombreux exemples de déclarations incohérentes et d’explications peu plausibles qui manquaient de logique ou de tout fondement probant tirés de la preuve primaire.

[17]  Par conséquent, la Cour conclut que la décision est justifiée sur la base d’une série d’analyses internes cohérentes et rationnelles, que l’issue de l’affaire peut se justifier au regard des contraintes juridiques et factuelles auxquelles l’agent est assujetti et que la décision possède les caractéristiques d’une décision raisonnable, soit la justification, la transparence et l’intelligibilité. La demande est rejetée et aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.


 

JUGEMENT dans le dossier IMM‑4963‑19

LA COUR STATUE que :

  1. La demande de révision judiciaire est rejetée.

  2. Aucune question n’est certifiée aux fins d’un appel.

« Peter Annis »

Juge

Traduction certifiée conforme

Semra Denise Omer


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


 

DOSSIER :

IMM‑4963‑19

 

INTITULÉ :

ABDULRASHEED OWOLABI SAKA c LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L’IMMIGRATION

LIEU DE L’AUDIENCE :

TORONTO (ONTARIO)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 15 JUIN 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

Le juge ANNIS

DATE DES MOTIFS :

lE 21 OCTOBRE 2020

COMPARUTIONS :

Rasaq Jimoh Ayanlola

POUR LE DEMANDEUR

 

Meva Motwani

POUR LE DÉFENDEUR

avocats INSCRITS au dossier :

Rasaq Jimoh Ayanlola

Avocat

Cabinet Rohi

Scarborough (Ontario)

POUR LE DEMANDEUR

 

Meva Motwani

Procureur général du Canada

POUR LE DÉFENDEUR

 

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