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Date : 20201014


Dossiers : T-1449-18

T-413-18

Référence : 2020 CF 967

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 14 octobre 2020

En présence de madame la juge Roussel

ENTRE :

WESTERN TRANSLOADING CORPORATION

demanderesse

et

MICHAEL D. PETERSON ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeurs

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Nature de l’affaire

[1]  La présente procédure réunit deux demandes de contrôle judiciaire connexes.

[2]  Dans le dossier T‑413‑18, Western Transloading Corporation [Western] demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 31 janvier 2018 par une inspectrice du Programme du travail d’Emploi et Développement social Canada [l’inspectrice Dar], qui a conclu que Western est assujettie à la compétence fédérale en matière de travail.

[3]  Dans le dossier T‑1449‑18, Western demande le contrôle judiciaire d’une décision rendue le 3 juillet 2018 par une agente de santé et de sécurité [l’agente Chen] nommée au titre de la partie II du Code canadien du travail, LRC 1985, c L‑2 [le Code], qui a conclu qu’elle avait compétence pour procéder à une enquête au titre de la partie II du Code.

II.  Contexte

A.  Les parties

[4]  Western est une entreprise de transbordement qui mène ses activités uniquement en Colombie‑Britannique. Elle transfère des cultures spéciales, telles que des lentilles séchées, des pois et des graines d’un mode de transport à un autre, généralement depuis des wagons vers des conteneurs d’expédition.

[5]  Michael D. Peterson [M. Peterson] est un ancien employé de Western.

[6]  Le procureur général du Canada [le PGC] représente le Programme du travail en l’espèce. Le Programme du travail administre le Code, notamment dans le cadre d’enquêtes relatives à la santé et à la sécurité au titre de la partie II du Code et de litiges pécuniaires ou non pécuniaires entre employés et employeurs au titre de la partie III du Code.

B.  Historique des procédures

(1)  Dossier T‑413‑18

[7]  En février 2015, M. Peterson a déposé une plainte d’ordre pécuniaire à l’endroit de Western au titre de la partie III du Code. Le Programme du travail a confié l’enquête à l’inspectrice Dar.

[8]  Avant que le Programme du travail puisse se prononcer sur la plainte, l’inspectrice Dar devait d’abord déterminer si Western était assujettie à la compétence fédérale en matière de travail. Elle a demandé des renseignements auprès de Western, examiné les lois et la jurisprudence, effectué des recherches et discuté du dossier avec ses collègues.

[9]  Dans une lettre datée du 29 novembre 2017, l’inspectrice Dar a informé Western qu’elle avait achevé son enquête. Elle a déterminé que Western exploitait une installation de transbordement et que, par conséquent, la partie III du Code ne s’appliquait pas à Western. L’inspectrice a plutôt conclu que l’entreprise était assujettie aux lois provinciales sur le travail, parce que [traduction] « le transbordement des cargaisons en sac est une activité qui relève de la compétence provinciale, conformément à la Loi constitutionnelle de 1867 ». Elle a invité Western à communiquer avec le bureau local de la Direction des normes d’emploi de la Colombie-Britannique pour obtenir plus de renseignements au sujet des lois provinciales sur le travail.

[10]  Le 1er décembre 2017, l’inspectrice Dar a écrit à M. Peterson pour l’informer du rejet de sa plainte en vertu du sous-alinéa 251.05(1)a)(i) de la partie III du Code. Elle a expliqué que Western n’était pas assujettie à la compétence fédérale parce qu’elle exerçait des activités de transbordement et de logistique qui relèvent de la compétence provinciale et que, par conséquent, elle n’était pas une entreprise fédérale à laquelle le Code s’appliquait. L’inspectrice Dar a également informé M. Peterson de son droit de contester ses conclusions, à condition que son objection et ses documents soient présentés avant le 18 décembre 2017.

[11]  Par souci de commodité, j’appellerai cette décision la décision initiale de l’inspectrice Dar.

[12]  Le 31 janvier 2018, l’inspectrice Dar a écrit aux parties et les a avisées que sa décision précédente était incorrecte. Elle a expliqué que, après un examen plus approfondi des activités commerciales de Western, elle avait conclu que l’entreprise exploitait une installation ou un silo à grains, au sens du sous-alinéa (i) de l’alinéa a) de la définition du terme « installation ou silo », énoncée à l’article 2 de la Loi sur les grains du Canada, LRC 1985, c G‑10 [la LGC]. Elle a conclu que, à la lumière de l’alinéa h) de la définition du terme « entreprises fédérales » donnée à l’article 2 du Code, les activités de Western relèvent de la compétence fédérale, de sorte que l’entreprise est assujettie à la compétence fédérale en matière de travail. J’appellerai cette décision la nouvelle décision de l’inspectrice Dar.

[13]  Le 2 mars 2018, Western a déposé une demande de contrôle judiciaire de la nouvelle décision de l’inspectrice Dar.

[14]  Dans une lettre datée du 6 mars 2018, l’inspectrice Dar a informé M. Peterson que l’enquête sur sa plainte d’ordre pécuniaire était suspendue en attendant l’issue de la demande de contrôle judiciaire de Western.

[15]  À la suite d’une ordonnance rendue par la protonotaire Ring le 18 avril 2018, Western a modifié son avis de demande le 24 avril 2018 pour ajouter le PGC comme défendeur. M. Peterson n’a participé à aucune étape de la procédure.

(2)  Dossier T‑1449‑18

[16]  Le 29 juin 2018, un employé de Western a été blessé par un chariot élévateur à fourche sur son lieu de travail. Le lendemain, le Programme du travail a chargé l’agente Chen d’enquêter sur l’incident. Avant de procéder à son enquête, l’agente Chen s’est penchée sur la question de savoir si Western était assujettie à la compétence fédérale. Elle a visité les installations de Western et a constaté la nature de ses activités. Elle a également examiné les décisions connexes relatives à la compétence, la définition du terme « installation ou silo » qui figure à l’article 2 de la LGC, ainsi que le rapport établi par l’inspectrice Dar dans le contexte de sa nouvelle décision, et discuté avec un conseiller technique.

[17]  Le 3 juillet 2018, l’agente Chen a confirmé que Western relève de la compétence fédérale. Par conséquent, elle a avisé l’entreprise de son intention de procéder à une enquête [la décision relative à la compétence].

[18]  Le 30 juillet 2018, Western a déposé une demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la compétence rendue par l’agente Chen.

[19]  Le 9 janvier 2019, la protonotaire Ring a rendu une ordonnance réunissant les deux procédures.

III.  Questions en litige

[20]  Dans le cadre de ses demandes de contrôle judiciaire, Western soulève les questions en litige suivantes :

  1. Le Programme du travail avait‑il compétence pour rendre la nouvelle décision?

  2. À titre subsidiaire, le Programme du travail a‑t‑il commis une erreur susceptible de révision en concluant que Western exploitait une installation ou un silo à grains et, par conséquent, qu’elle relevait de la compétence fédérale en matière de travail et d’emploi?

  3. Également à titre subsidiaire, au moment de rendre la nouvelle décision, le Programme du travail a‑t‑il violé l’équité procédurale en permettant au conseiller technique d’orienter la décision définitive de l’inspectrice Dar et en ne donnant pas à Western la possibilité de connaître la preuve qui pesait contre elle ou de présenter des observations au moment de la réouverture de l’affaire?

[21]  En réponse, le PGC soutient que la principale question en litige dans la présente procédure réunie est d’établir si les activités de Western relèvent de la réglementation fédérale ou provinciale. De l’avis du PGC, Western constitue une « installation ou un silo » à grains au sens de l’article 2 de la LGC, de sorte qu’il s’agit d’un ouvrage à l’avantage général du Canada qui, par conséquent, est assujetti à la compétence fédérale en matière de travail au titre du Code.

[22]  Le PGC soutient également que les demandes de contrôle judiciaire présentées par Western sont prématurées, car une décision en matière de compétence rendue en faveur d’un employé, dans laquelle il est conclu que le décideur a compétence, n’est pas une décision définitive susceptible de révision par la Cour.

[23]  Comme la demande de Western n’abordait pas la question de la prématurité, j’ai émis une directive aux parties avant l’audience, demandant des observations écrites sur deux questions, dont celle de savoir si les demandes de contrôle judiciaire étaient prématurées à la lumière des principes énoncés dans l’arrêt Canada (Agence des services frontaliers) c C.B. Powell Limited, 2010 CAF 61 [C.B. Powell].

[24]  Dans ses observations écrites supplémentaires, Western a fait valoir que les demandes ne font pas intervenir le principe de la prématurité. Selon Western, la nouvelle décision était une décision définitive et, dans le cas contraire, les circonstances de l’espèce sont exceptionnelles et justifient une intervention judiciaire à ce stade de la procédure. Le PGC a réitéré sa position selon laquelle les demandes de contrôle judiciaire sont prématurées.

[25]  Pour les motifs exposés ci‑dessous, j’estime que les deux demandes de contrôle judiciaire ont été introduites prématurément. Toutefois, dans le cas de la demande de contrôle judiciaire de la nouvelle décision rendue par l’inspectrice Dar, il existe des circonstances exceptionnelles justifiant l’intervention de la Cour à ce stade précoce de la procédure. Je suis d’accord avec Western pour dire que, sur le fondement du principe du functus officio, l’inspectrice Dar n’avait pas la compétence pour revenir sur sa décision initiale. Pour ce motif, cette demande de contrôle judiciaire est accueillie.

[26]  Quant au contrôle judiciaire de la décision relative à la compétence rendue par l’agente Chen, il n’y a pas de telles circonstances exceptionnelles. Cette demande de contrôle judiciaire est donc rejetée.

IV.  Analyse

A.  La nouvelle décision rendue par l’inspectrice Dar

(1)  Le principe de la prématurité

[27]  Selon la règle générale, à défaut de circonstances exceptionnelles, les tribunaux n’interviendront pas dans les décisions interlocutoires tant que le processus administratif suit son cours et que tous les recours efficaces disponibles ne sont pas épuisés. Diverses appellations ont été utilisées pour désigner cette règle : la doctrine de l’épuisement des recours, la doctrine des autres voies de recours adéquates, la doctrine interdisant le fractionnement ou la division des procédures administratives, le principe interdisant le contrôle judiciaire interlocutoire et l’objection contre le contrôle judiciaire prématuré (C.B. Powell aux para 30-32). L’objectif sous‑jacent de cette règle consiste à empêcher le fractionnement du processus administratif et à réduire les coûts élevés et les délais importants entraînés par l’intervention prématurée des tribunaux, particulièrement lorsqu’une partie pourrait finir par avoir gain de cause au terme du processus administratif (C.B. Powell au para 32).

[28]  Ces principes ont été réitérés par la Cour suprême du Canada dans l’arrêt Halifax (Regional Municipality) c Nouvelle‑Écosse (Human Rights Commission), 2012 CSC 10 aux paragraphes 35 à 38, ainsi que par la CAF et par notre Cour (Constantinescu c Canada (Procureur général), 2019 CAF 315 au para 2; Agnaou c Canada (Procureur général), 2019 CAF 264; Alexion Pharmaceuticals Inc. c Canada (Procureur général), 2017 CAF 241 aux para 47-50, 53; Forner c Institut professionnel de la fonction publique du Canada, 2016 CAF 35 aux para 13‑16; Wilson c Énergie atomique du Canada limitée, 2015 CAF 17 aux para 28‑34 [Wilson]; Whalen c Première Nation no 468 de Fort McMurray, 2019 CF 732 aux para 16-18; Girouard c Comité d’examen constitué en vertu des procédures relatives à l’examen des plaintes déposées au conseil canadien de la magistrature au sujet de juges de nomination fédérale, 2014 CF 1175 aux para 18-19; Douglas c Canada (Procureur général), 2014 CF 299 au para 128).

[29]  Très peu de circonstances peuvent être qualifiées d’exceptionnelles, et le critère minimal permettant de qualifier des circonstances d’exceptionnelles est élevé (C.B. Powell au para 33). L’existence d’une question de compétence ou de nature constitutionnelle importante ou de préoccupations à l’égard de l’équité procédurale ne constitue pas des circonstances exceptionnelles (C.B. Powell aux para 33, 39-40, 45).

a)  La nouvelle décision rendue par l’inspectrice Dar était-elle une décision définitive?

[30]  Western soutient que la demande de contrôle judiciaire n’est pas prématurée puisque le Programme du travail du gouvernement fédéral traite la nouvelle décision comme une décision définitive dans laquelle il a été conclu que l’entreprise relevait de la compétence fédérale en matière de travail. Pour étayer sa position, Western s’appuie sur le fait que l’inspectrice Dar a ouvert un dossier distinct pour l’enquête relative à la compétence même si un dossier d’assignation était déjà en cours pour la plainte de M. Peterson. Western s’appuie également sur la formulation utilisée par l’inspectrice Dar dans sa lettre du 1er décembre 2017 adressée à M. Peterson, dans laquelle elle l’a informé de son droit de contester sa décision selon laquelle le Programme du travail n’avait pas compétence pour enquêter sur la plainte parce que Western était assujettie aux lois provinciales en matière de travail. En revanche, aucun droit de contestation n’a été communiqué à Western dans la nouvelle décision. Enfin, Western fait valoir que l’agente Chen s’est fortement appuyée sur la nouvelle décision de l’inspectrice Dar pour conclure qu’elle avait compétence pour procéder à une enquête au titre de la partie II du Code et qu’elle estimait être liée par la nouvelle décision de l’inspectrice Dar.

[31]  Je suis d’accord avec le PGC pour dire que la nouvelle décision ne constitue pas une décision définitive.

[32]  Lorsqu’un employé dépose une plainte auprès du Programme du travail selon laquelle l’employeur a enfreint une disposition de la partie III du Code (durée normale du travail, salaire, congés et jours fériés), un inspecteur doit d’abord établir si le Programme du travail a la compétence nécessaire pour enquêter et rendre une décision sur les questions touchant les relations de travail soulevées dans la plainte. Si l’inspecteur est convaincu qu’il n’a pas compétence à l’égard de l’employeur, il rejette la plainte en vertu du sous‑alinéa 251.05(1)a)(i) du Code. Les employés dont la plainte est rejetée à ce stade ont la possibilité, aux termes du paragraphe 251.05(3) du Code, de demander au ministre du Travail [le ministre] de réviser la décision de l’inspecteur. S’ils décident de ne pas le faire, ou si la demande de révision de la décision est rejetée, le processus devant le Programme du travail est terminé.

[33]  Toutefois, lorsqu’un inspecteur détermine qu’il a compétence pour statuer sur une plainte, il établit ensuite si la plainte est admissible et si les allégations sont justifiées. Le Code prévoit la possibilité pour la partie insatisfaite de demander la révision de cette décision définitive sur le fond par le ministre, qui peut confirmer, annuler ou modifier, en totalité ou en partie, la décision (Code, art 251.101(1) et 251.101(3)).

[34]  En déterminant que Western était assujettie à la compétence fédérale en matière de travail, l’inspectrice Dar a rendu une décision provisoire. Elle n’a pas encore rendu une décision définitive sur le fond de la plainte de M. Peterson, et le processus d’examen interne n’est pas encore terminé. La demande de contrôle judiciaire présentée par Western est donc prématurée.

b)  Existe-t-il des circonstances exceptionnelles qui justifient l’intervention de la Cour?

[35]  Western soutient, à titre subsidiaire, que les circonstances en l’espèce sont exceptionnelles et justifient une intervention judiciaire à ce stade de la procédure. Puisque le Code ne prévoit aucune possibilité de contester la nouvelle décision jusqu’à ce qu’il soit statué sur la plainte, rien n’empêche le Programme du travail de s’appuyer sur cette décision, comme l’agente Chen l’a fait dans la décision qu’elle a rendue au titre de la partie II du Code. Par conséquent, Western [traduction] « n’a pas d’autre recours adéquat pour freiner les effets de la nouvelle décision ». Si la Cour s’abstient de statuer sur la présente demande, Western serait obligée de procéder à de multiples examens administratifs et les litiges comme celui-ci proliféreraient, ce que la Cour devrait et peut éviter.

[36]  Western fait valoir en outre que les parties ne subiraient aucun préjudice si la Cour intervenait et rendait une décision sur le fond de la demande. Une intervention judiciaire précoce n’entraînerait aucun retard puisque l’inspectrice Dar a suspendu son jugement sur la plainte de M. Peterson en attendant l’issue de la demande de contrôle judiciaire. De plus, M. Peterson est injoignable depuis le début des procédures liées à la présente demande; il a notamment été injoignable pendant les six (6) mois durant lesquels l’affaire a été en suspens, à compter de juillet 2018. Il n’a participé à aucune étape de la demande. Le fait d’obliger Western à se défendre contre une plainte relative au salaire sans la participation de la partie adverse porterait préjudice à l’entreprise puisque, même si la plainte est jugée non fondée, la nouvelle décision de l’inspectrice Dar pourrait être invoquée de nouveau, comme l’a fait l’agente Chen.

[37]  Enfin, les deux parties souhaitent résoudre très rapidement le fond du litige sous-jacent afin d’éviter les effets cumulatifs de la nouvelle décision de l’inspectrice Dar et l’incertitude quant à la question de savoir si Western est assujettie à la réglementation provinciale ou fédérale en ce qui concerne le travail. Le dossier présenté à la Cour est complet, et c’est le moment le plus opportun pour celle‑ci d’examiner la question. Une décision quant à la demande sur le fond constituerait une utilisation efficace des ressources publiques.

[38]  Dans l’arrêt C.B. Powell, la Cour d’appel fédérale a clairement rejeté l’argument selon lequel la présence d’une question de compétence ou de nature constitutionnelle constitue une circonstance exceptionnelle justifiant un recours anticipé aux tribunaux (C.B. Powell aux para 33, 39‑40, 45). Elle a également conclu que « [le] fait que les toutes les parties ont accepté un recours anticipé aux tribunaux ne constitu[e] pas [une] circonstanc[e] exceptionnell[e] permettant aux parties de contourner le processus administratif dès lors que ce processus permet de soulever des questions et prévoit des réparations efficaces » (C.B. Powell au para 33).

[39]  Je ne veux pas spéculer sur l’issue de la plainte de M. Peterson. Bien que la dernière communication avec ce dernier ait eu lieu par téléphone le 13 mars 2015 et que personne ne sait où il se trouve actuellement, je ne peux pas conclure, à la lumière des éléments de preuve dont je dispose, qu’il ne souhaite pas poursuivre sa plainte. Il se pourrait très bien qu’il soit absent en ce moment parce que la question savoir si Western est assujettie ou non à la compétence fédérale ne l’intéresse pas. Une fois que la question de la compétence sera réglée, M. Peterson pourrait de nouveau décider de participer à la procédure.

[40]  Le Programme du travail pourrait également décider de poursuivre l’enquête en l’absence de M. Peterson s’il dispose de renseignements suffisants pour le faire. Une fois l’enquête terminée, Western pourrait décider de ne pas aller de l’avant avec la question de la compétence si elle obtient gain de cause sur le fond de la plainte. Toutefois, le Programme du travail pourrait considérer la plainte comme étant abandonnée. Dans ce cas, la nouvelle décision serait maintenue, et Western ne disposerait d’aucun recours adéquat pour la contester.

[41]  Compte tenu de cette dernière possibilité et du fait qu’un autre décideur s’est déjà appuyé sur la nouvelle décision, et que d’autres décideurs pourraient le faire à l’avenir, je suis prête à conclure que les circonstances de l’affaire répondent au critère élevé requis pour un recours anticipé aux tribunaux.

[42]  La conclusion à laquelle je suis parvenue concernant le pouvoir de l’inspectrice Dar de rendre la nouvelle décision, comme je l’explique ci‑dessous, influe aussi lourdement sur ma décision relative à la question de la prématurité.

(2)  Le principe du functus officio

[43]  Le premier motif invoqué par Western dans sa demande de contrôle judiciaire est que l’inspectrice Dar n’avait pas compétence pour rendre une nouvelle décision en raison du principe du functus officio. Essentiellement, Western soutient que, après avoir rendu sa décision initiale, l’inspectrice Dar n’avait pas le droit de revenir sur celle‑ci comme elle l’a fait.

[44]  En règle générale, le principe du functus officio veut que, lorsqu’une décision définitive a été rendue par un tribunal administratif agissant à titre de tribunal quasi judiciaire, le dossier est clos. Le tribunal ne peut pas revenir sur sa décision simplement parce qu’il a changé d’avis, parce qu’il a commis une erreur dans le cadre de sa compétence ou parce que les circonstances ont changé. Il ne peut le faire que si la loi le lui permet, lorsqu’un lapsus a été commis en rédigeant la décision ou qu’il y a eu une erreur dans l’expression de l’intention manifeste du tribunal, ou encore que la décision est nulle (Chandler c Alberta Association of Architects, [1989] 2 RCS 848 aux pages 860-861 [Chandler]).

[45]  Le PGC soutient que l’argument du functus officio doit être rejeté, étant donné la nature provisoire de la décision relative à la compétence. Selon lui, le principe du functus officio ne s’applique pas lorsqu’une question soumise à un décideur n’a pas encore fait l’objet d’une réponse. Un tribunal peut revoir toute décision en matière de procédure ou de preuve ou toute décision interlocutoire rendue pendant l’audience. Pour étayer sa position, le PGC fournit deux exemples : 1) une décision interne sur la procédure à suivre pour traiter une demande; et 2) des décisions provisoires rendues par un arbitre. Dans les deux cas, ces décisions ne seraient pas définitives. Le PGC fait valoir que, dans le cas de M. Peterson, il était nécessaire pour l’inspectrice Dar de réviser sa décision initiale afin de s’acquitter de sa fonction en vertu du Code, à savoir l’enquête sur la plainte de M. Peterson au titre de la partie III du Code.

[46]  Les éléments de preuve au dossier montrent que l’inspectrice Dar a estimé que sa décision initiale était définitive et décisive à l’égard de l’ensemble de la plainte de M. Peterson. Dans sa lettre adressée à Western le 29 novembre 2017, dont une copie a également été envoyée à M. Peterson, elle écrit ce qui suit :

[traduction]

La présente lettre a pour objet de vous informer que j’ai terminé mon enquête sur la compétence dont relève [Western].

Selon les renseignements qui m’ont été fournis, j’ai établi que [Western] exploite une installation de transbordement. Cela signifie que la partie III du [Code] ne s’applique pas à votre entreprise.

Par conséquent, les lois provinciales en matière de travail s’appliquent à votre entreprise, car le transbordement des cargaisons en sac est une activité qui relève de la compétence provinciale, conformément à la Loi constitutionnelle de 1867.

[Non souligné dans l’original.]

[47]  De même, dans sa lettre du 1er décembre 2017 adressée à M. Peterson, dont une copie a également été envoyée à Western, l’inspectrice Dar a écrit ce qui suit :

[traduction]

Votre ancien employeur, [Western], n’est pas une entreprise fédérale à laquelle le [Code] s’applique. [Western] n’est pas assujetti à la compétence fédérale en matière de travail parce qu’elle exerce des activités de transbordement et de logistiques qui relèvent de la compétence provinciale.

« L’inspecteur peut rejeter, en tout ou en partie, une plainte déposée en vertu de l’article 251.01 :

a) s’il est convaincu que, selon le cas :

(i) la plainte ne relève pas de sa compétence […] »

J’ai conclu que le Programme du travail n’a pas compétence pour enquêter sur votre plainte, car [Western] est assujettie aux lois provinciales en matière de travail. Par conséquent, votre plainte est rejetée en vertu du sous-alinéa 251.05(1)a)(i). Si ce n’est pas déjà fait, je vous recommande de communiquer avec le bureau local des normes du travail de la Colombie-Britannique qui est habilité à traiter la plainte et de déposer une plainte auprès de celui‑ci, car c’est lui qui a le pouvoir d’enquêter sur cette affaire.

[Non souligné dans l’original.]

[48]  En rejetant la plainte de M. Peterson, l’inspectrice Dar a effectivement mis un terme à la procédure administrative devant le Programme du travail.

[49]  Selon son journal d’activités, l’inspectrice Dar a clos son rapport d’assignation le 30 novembre 2017.

[50]  Je reconnais que, dans sa lettre du 1er décembre 2017 adressée à M. Peterson, l’inspectrice Dar utilise l’expression [traduction] « décision préliminaire » lorsqu’elle fait allusion à sa décision selon laquelle Western n’est pas assujettie à la compétence fédérale. Je note également qu’elle lui donne la possibilité de contester sa décision. Bien qu’elle qualifie sa décision de [TRADUCTION] « préliminaire », cela ne change rien au fait qu’elle avait conclu à l’époque que la plainte devait être rejetée parce que Western n’est pas assujettie à la compétence fédérale. Dans sa lettre, elle précise également qu’elle n’envisagera de modifier ses conclusions que si des éléments de preuve nouveaux et crédibles sont fournis avant le 18 décembre 2017. M. Peterson n’a pas contesté la décision et n’a pas soumis de nouveaux documents. Par conséquent, l’inspectrice Dar n’avait plus de décision à rendre après le 18 décembre 2017. Il convient également de mentionner que, dans sa lettre du 29 novembre 2017 adressée à Western, l’inspectrice Dar n’a pas qualifié sa décision de [traduction] « préliminaire ».

[51]  À l’audience, le PGC a également fait valoir que la décision initiale n’était pas définitive puisque l’avis de rejet mentionné dans la lettre de l’inspectrice Dar du 1er décembre 2017 n’avait pas encore été envoyé.

[52]  Le paragraphe 251.05(2) du Code prévoit que, s’il rejette la plainte, l’inspecteur en avise par écrit l’employé, motifs à l’appui. À mon avis, la lettre du 1er décembre 2017 répond aux critères de l’avis visé au paragraphe 251.05(2) du Code. La lettre informe M. Peterson du rejet de sa plainte et expose les motifs de ce rejet.

[53]  Le fait d’admettre le point de vue du PGC selon lequel la décision n’est pas définitive parce qu’un avis de rejet de la plainte n’a pas été envoyé signifierait que le décideur pourrait, de sa propre initiative et sans consulter les parties, parvenir à une conclusion différente plusieurs mois, voire plusieurs années plus tard, simplement parce que l’avis de rejet de la plainte n’a pas été envoyé. La décision est distincte de l’avis de rejet et, en l’absence de termes à l’effet contraire dans la loi, le caractère définitif de la décision ne dépend pas de la délivrance de l’avis de rejet.

[54]  Il est important de souligner que, en l’espèce, M. Peterson n’a pas soulevé d’objection quant à la décision relative à la compétence, et aucune des parties n’a demandé que cette décision soit réexaminée. Comme il ressort du rapport d’assignation que l’inspectrice Dar a rédigé après avoir rendu sa nouvelle décision, ce n’est qu’après avoir parlé à un conseiller technique qu’elle a revu sa décision antérieure et a conclu que Western relevait de la compétence fédérale en matière de travail et d’emploi parce que ses activités correspondaient à la définition du terme « installation ou silo » établie dans la LGC :

[traduction]

À la lumière des renseignements fournis par l’employeur et de la jurisprudence (Parrish & Heimbecker Ltd., Westnav Container Services Ltd.), j’ai établi que l’employeur relevait de la compétence fédérale. Après une discussion plus approfondie avec le conseiller technique, il a été déterminé que l’employeur exploite une installation ou un silo à grains, au sens de la Loi sur les grains du Canada. Aux termes de l’alinéa h) de la définition du terme « entreprises fédérales » énoncée à l’article 2 du Code canadien du travail, les activités de l’employeur sont considérées comme une entreprise fédérale.

[Non souligné dans l’original.]

[55]  Cela peut être comparé au rapport d’assignation que l’inspectrice Dar a préparé à la suite de sa décision initiale, dans lequel elle dit essentiellement la même chose, à l’exception du fait qu’elle n’avait pas d’abord consulté le conseiller technique. Elle écrit ce qui suit :

[traduction]

Outre l’examen des renseignements fournis par l’employeur et de la jurisprudence (Parrish & Heimbecker Ltd., Westnav Container Services Ltd.), j’ai établi que l’employeur relevait de la compétence provinciale en me fondant sur les facteurs suivants : l’employeur n’est pas autorisé à exploiter un silo à grains; les légumineuses appartiennent à un tiers; le produit n’est pas pesé, nettoyé ou classifié; et la cargaison n’est pas stockée dans un silo ou élevée dans un godet en vue d’être placée dans un conteneur destiné à l’expédition. Comme l’entreprise ne possède pas de flotte de véhicules de transport, elle fait appel à des entreprises de camionnage pour livrer les conteneurs au port aux fins d’exportation.

[56]  À titre subsidiaire, Western a soulevé l’argument selon lequel le Programme du travail a violé l’équité procédurale en permettant au conseiller technique d’orienter la décision définitive de l’inspectrice Dar et en ne donnant pas à Western la possibilité de connaître la preuve qui pesait contre elle ou de présenter des observations au moment de la réouverture de l’affaire. En réponse, le PGC fait valoir que l’inspectrice Dar n’a pas entravé l’exercice de son pouvoir discrétionnaire en consultant le conseiller technique. Bien que l’inspectrice consulte régulièrement d’autres personnes, la décision qu’elle rend demeure au final la sienne. En outre, Western a eu l’occasion de faire connaître à l’inspectrice Dar sa position sur la compétence pendant le processus d’enquête. Lorsque l’inspectrice Dar a réexaminé sa décision initiale, elle l’a fait en réexaminant les renseignements dont elle disposait déjà.

[57]  Comme je suis d’avis que l’inspectrice Dar n’était pas habilitée à rendre la nouvelle décision, il n’est pas nécessaire que je décide s’il y a eu violation de l’équité procédurale en l’espèce.

[58]  Même si le principe du functus officio doit être appliqué avec souplesse dans le contexte des tribunaux administratifs (Chandler à la p 861), il vise à conférer un caractère définitif aux décisions. Le PGC n’a pas démontré qu’une des exceptions au principe s’applique en l’espèce. Une fois qu’elle a déterminé que le Programme du travail n’avait pas compétence pour enquêter sur la plainte, l’inspectrice Dar n’avait plus de décision à rendre. Elle était functus officio lorsqu’elle a rendu la nouvelle décision et, par conséquent, celle-ci est nulle.

[59]  Compte tenu de ma conclusion ci-dessus, il n’est pas nécessaire pour moi de décider si Western est assujettie à la compétence fédérale ou provinciale en matière de travail et d’emploi.

B.  Décision relative à la compétence rendue par l’agente Chen

[60]  En me fondant sur les principes énoncés dans l’arrêt C.B. Powell, je suis d’avis que la demande de contrôle judiciaire a été introduite prématurément.

[61]  Les éléments de preuve démontrent que la décision de l’agente Chen, selon laquelle Western était assujettie à la compétence fédérale, a été rendue à titre d’étape préliminaire dans le cadre d’une enquête sur un incident de santé et de sécurité au travail. Dans son courriel du 3 juillet 2018 adressé à Western, l’agente Chen a avisé Western que, après avoir consulté un gestionnaire et un assistant technique, elle avait conclu que l’entreprise relevait de la compétence fédérale. Elle a également indiqué que la demande de contrôle judiciaire en cours présentée par Western n’entravait pas son enquête sur l’incident qui s’était produit sur le lieu de travail de l’entreprise. Elle a informé Western du fait qu’elle se rendrait sur les lieux le lendemain en compagnie d’un enquêteur principal pour poursuivre l’enquête sur l’incident. Elle a également demandé à Western de préparer un certain nombre de documents et l’a informée qu’elle et l’enquêteur principal mèneraient des entretiens avec toutes les personnes qui étaient présentes lors de l’incident ou qui en ont été témoins.

[62]  L’article 145 du Code prévoit que, à l’issue d’une enquête, le délégué du ministre peut donner des instructions à l’employeur ou à l’employé en cause, ou aux deux, s’il constate qu’il y a eu une contravention à une disposition de la partie II du Code. L’article 146 prévoit en outre que l’employeur, l’employé ou le syndicat qui se sent lésé par de telles instructions peut interjeter appel au Conseil canadien des relations industrielles [le Conseil]. Si un appel est interjeté en vertu de l’article 146, le Conseil examinera les circonstances des instructions et leurs motifs et pourra modifier, annuler ou confirmer les instructions et émettre les instructions qu’il juge appropriées.

[63]  Lorsqu’elle a déposé sa demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la compétence rendue par l’agente Chen, Western n’avait pas épuisé tous ses droits en vertu du présent processus administratif prévu par la loi. L’entreprise était tenue de le faire avant d’avoir recours à la Cour.

[64]  Western n’a formulé aucune observation particulière sur la question de la prématurité de la présente demande de contrôle judiciaire. L’essentiel de ses observations a toujours été que la nouvelle décision rendue par l’inspectrice Dar doit être annulée pour empêcher d’autres décideurs de s’y fier, comme l’a fait l’agente Chen dans sa décision relative à la compétence. Bien que Western ait soutenu qu’il y avait des circonstances exceptionnelles justifiant l’intervention de la Cour dans le cadre du premier contrôle judiciaire, elle ne l’a pas fait ici. Pour cette raison, je ne suis pas convaincue qu’il existe des circonstances exceptionnelles dans le cadre de la deuxième demande de contrôle judiciaire qui justifieraient que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire pour trancher la question de la compétence. Le contexte particulier de la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la compétence rendue par l’agente Chen, décrit ci‑dessous, renforce ma décision de ne pas le faire.

[65]  Pendant l’audience, les avocats m’ont informée que l’enquête de l’agente Chen était terminée et que des instructions [traduction] « auraient été données » à Western au titre de la partie II du Code le 13 juillet 2018. Ils n’ont pas informé la Cour du résultat de l’enquête ni des détails des instructions. J’ai demandé aux avocats de Western si la demande de contrôle judiciaire était théorique et si la Cour pouvait examiner une demande de contrôle judiciaire à l’égard d’une décision interlocutoire lorsque l’affaire sous-jacente était terminée et qu’aucune demande de contrôle judiciaire n’avait été introduite à l’égard de la décision ou des instructions ayant permis de trancher l’affaire.

[66]  Les avocats de Western ont tenté d’établir un parallèle avec la décision de la Cour d’appel fédérale dans l’affaire Wilson. La question de la prématurité dans cette affaire a été soulevée dans le contexte d’une demande de contrôle judiciaire de la décision d’un arbitre, selon laquelle le congédiement de M. Wilson était injuste. Après avoir déterminé que M. Wilson avait établi le bien-fondé de sa plainte pour congédiement injuste sous le régime du Code, l’arbitre a ajourné l’audience et demandé aux parties de discuter de la réparation appropriée dans l’espoir qu’elles réussissent à s’entendre. Il a indiqué que, en l’absence d’un règlement, il tiendrait une audience pour décider s’il y avait lieu d’accorder une réparation et, dans l’affirmative, pour déterminer cette réparation. L’employeur a présenté une demande de contrôle judiciaire de la décision de l’arbitre selon laquelle le congédiement était injuste. L’arbitre a donc décidé d’ajourner l’audience relative à la réparation jusqu’à ce qu’une décision définitive ait été rendue quant au contrôle judiciaire. M. Wilson soutenait que la demande de contrôle judiciaire était prématurée et que la décision rendue par l’arbitre sur le fond était raisonnable. La Cour fédérale a rejeté l’objection relative au caractère prématuré de la demande, mais a conclu que la décision rendue par l’arbitre était déraisonnable.

[67]  La Cour d’appel fédérale a confirmé les principes énoncés dans l’arrêt C.B. Powell. Elle a confirmé que les contrôles judiciaires prématurés sont interdits et rappelé que les exceptions à ce principe général sont rares. Elle a reconnu que, « dans de rares situations, les conséquences d’une décision interlocutoire pour le demandeur sont à ce point immédiates et radicales que le tribunal est amené à s’interroger sur le respect du principe de la primauté du droit » (Wilson au para 33). Elle a également souligné qu’il arrive parfois que les décideurs administratifs, à l’instar des tribunaux judiciaires, dissocient l’examen du fond de l’affaire de celui de la réparation et a conclu que ce type de fractionnement engendre peu fréquemment le type de difficultés signalées dans l’affaire C.B. Powell (Wilson au para 36). La Cour d’appel fédérale a conclu que, compte tenu des circonstances inusitées de l’affaire, la décision de l’arbitre de suspendre l’audience et de ne plus intervenir tant que le contrôle judiciaire était en cours constituait un choix procédural qui reposait sur une analyse des faits et des principes applicables et qui mérite le respect.

[68]  Contrairement à la situation dans l’affaire Wilson, l’agente Chen a choisi de ne pas suspendre son enquête bien qu’elle ait été informée que Western avait présenté une demande de contrôle judiciaire à l’encontre de la nouvelle décision de l’inspectrice Dar. De plus, en l’espèce, l’enquête est maintenant terminée, et il semble que des instructions ont été données à Western concernant l’incident de travail.

[69]  Quoi qu’il en soit, je n’ai pas l’intention de décider si la demande de contrôle judiciaire est théorique, car les parties n’ont pas eu la possibilité de débattre pleinement de cette question.

[70]  À mon avis, je ne dispose pas de renseignements suffisants pour déterminer les conséquences qu’une décision relative à la compétence aurait sur le résultat de l’enquête de l’agente Chen et sur les instructions qui auraient pu être données à la suite de celle‑ci. Je dois également prendre en considération le fait que Western n’a pas demandé le contrôle judiciaire d’une décision définitive ou d’une instruction.

[71]  En l’absence de circonstances exceptionnelles justifiant l’exercice du pouvoir discrétionnaire de la Cour, la demande de contrôle judiciaire est rejetée pour cause de prématurité.

V.  Conclusion

[72]  Je reconnais que, puisque la Cour s’abstient de décider si Western est assujettie à la compétence fédérale ou provinciale, le Programme du travail devra composer avec des décisions contradictoires. En effet, puisque la Cour a conclu que la nouvelle décision est nulle, la décision initiale selon laquelle Western est assujettie à la compétence provinciale est maintenue. Or, puisque la Cour a aussi conclu que la demande de contrôle judiciaire de la décision relative à la compétence rendue par l’agente Chen est prématurée, sa décision selon laquelle Western est assujettie à la compétence fédérale est maintenue.

[73]  Puisque la question est laissée en suspens, Western aura l’occasion, lorsque la situation se présentera de nouveau, de plaider la question de la compétence devant le Programme du travail et de formuler des observations appropriées sur la question de savoir si ses activités sont régies par la LGC. Le décideur sera en mesure d’examiner la nature des activités de Western, telles qu’elles étaient menées à ce moment‑là, d’étudier les lois et la jurisprudence applicables et de déterminer si, compte tenu des faits à sa disposition, la structure et les activités de l’entreprise correspondent à celles d’une installation ou d’un silo à grains. Comme l’a fait remarquer le PGC dans ses observations, rien ne garantit que Western continuera d’utiliser les mêmes processus et de mener les mêmes activités dans l’avenir.

[74]  Il ne fait aucun doute que les avocats des parties auraient préféré que j’exerce mon pouvoir discrétionnaire et que je tranche la question de savoir si Western relève effectivement de la compétence fédérale. Toutefois, il n’appartient pas à la Cour de donner des avis consultatifs, d’autant plus qu’il existe plusieurs autres motifs permettant de statuer sur la demande.

[75]  Compte tenu des résultats mitigés, chaque partie assume ses propres dépens.


JUGEMENT dans les dossiers T-1449-18 et T-413-18

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‑413‑18 est accueillie.

  2. La demande de contrôle judiciaire dans le dossier T‑1449‑18 est rejetée pour cause de prématurité.

  3. Une copie du présent jugement et motifs sera versé à chaque dossier.

  4. Chaque partie assume ses propres dépens.

« Sylvie E. Roussel »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIERS :

T‑1449‑18

T‑413‑18

INTITULÉ :

WESTERN TRANSLOADING CORPORATION c MICHAEL D. PETERSON ET LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

LIEU DE L’AUDIENCE :

VANCOUVER (COLOMBIE-BRITANNIQUE)

DATE DE L’AUDIENCE :

LE 24 FÉVRIER 2020

JUGEMENT ET MOTIFS :

LA JUGE ROUSSEL

DATE DES MOTIFS :

LE 14 OCTOBRE 2020

COMPARUTION :

Taryn Mackie

Dallan Poulin

POUR LA DEMANDERESSE

Jan Verspoor

Michele Charles

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Norton Rose Fulbright Canada S.E.N.C.R.L., s.r.l.

Avocats

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LA DEMANDERESSE

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie-Britannique)

POUR LE DÉFENDEUR

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

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