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Date : 20040910

Dossier : T-2151-01

Référence : 2004 CF 1237

ENTRE :

                                                         ANTHONY R. SUKDEO

                                                      faisant affaire sous le nom de

                                             TECHNOSOFT BUSINESS SYSTEMS

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                                                    GESTION TECHNOCAP INC.

                                                                                                                                      défenderesse

                                                  MOTIFS DE L'ORDONNANCE

LA JUGE SIMPSON

[1]                Le présent appel a été introduit en vertu de l'article 56 de la Loi sur les marques de commerce, L.R.C. 1985, ch. T-13 (la Loi). Il vise une décision de la Commission des oppositions des marques de commerce, en date du 9 octobre 2001, par laquelle l'agente d'audience de la Commission (la registraire) a, en qualité de déléguée du registraire des marques de commerce, rejeté la demande d'enregistrement de la marque de commerce TECHNOCORP du demandeur en liaison avec des marchandises et services liés à l'informatique.


LES PARTIES

[2]                En 1992, le demandeur a constitué, en Ontario, Technosoft Business Systems (Technosoft) en société morale. L'entreprise vend au détail des ordinateurs et des logiciels personnalisés et offre des services tels que l'installation de réseaux et le développement d'applications pour le Web. Le 23 mai 1996, le demandeur a produit la demande no 813261 (la demande) pour faire enregistrer la marque de commerce TECHNOCORP.

[3]                La défenderesse, Gestion TechnoCap Inc., est une société privée constituée en personne morale au Québec en juillet 1993. Elle était l'opposante à l'audience sur l'opposition à la marque de commerce et est désignée sous le nom d' « opposante » dans les présents motifs. L'opposante est une société d'investissement en capital de risque qui investit dans des entreprises privées spécialisées dans la technologie, qu'elle appelle collectivement ses « TechnoAffiliates » (les sociétés affiliées). Les sociétés affiliées sont des entreprises distinctes qui ont leurs propres noms. Leurs activités sont variées et incluent notamment la vente de logiciels et l'intégration et le développement de serveurs, ce qui comprend l'installation de réseaux informatiques et de systèmes de communications de données. L'opposante exploite également un site Web dont le nom de domaine est TECHNOCAFÉ.COM. Ce site, lancé en avril 1996, propose aux sociétés affiliées un lieu de rencontre virtuel.

[4]                TechnoCap Inc. est une entité distincte de l'opposante bien qu'elle entretienne avec celle-ci une relation d'affaires étroite. Elle gère le fonds de placement de l'opposante et offre aux sociétés affiliées des services de marketing et de vente.

[5]                Les deux associés de l'opposante (M. Balevi et M. Prytula) assistent à des salons professionnels - entre trente et quarante chaque année - pour découvrir de nouvelles gammes de produits et en faire part à leurs sociétés affiliées. Ils organisent aussi un événement semi-annuel, le Forum des Présidents, auquel assistent de 200 à 300 présidents d'entreprises spécialisées dans la technologie.

LES PROCÉDURES ENGAGÉES

[6]                Le 23 mai 1996, le demandeur a demandé l'enregistrement de TECHNOCORP. Il a décrit dans les termes suivants les marchandises et services associés à la marque :

a) MARCHANDISES : logiciels, nommément, logiciels pour la publicité de produits et services sur l'Internet, installation de sites Internet, développement et intégration de serveurs Web, intégration de systèmes informatiques, installation de réseaux informatiques et communication de données, développement d'applications personnalisées, gestion de biens et gestion de services, et applications de bases de données.

b) SERVICES : vente au détail de matériel informatique, de logiciels et d'accessoires; développement de logiciels; services d'Internet, nommément, installation de sites Internet et développement de serveurs Web et intégration avec des systèmes d'entreprise, intégration de systèmes informatiques, installation de réseaux informatiques et communication de données, développement d'applications personnalisées et maintenance de logiciels, gestion de biens et gestion de services, développement d'applications de bases de données, publicité de produits informatiques et services d'experts en informatique sur l'Internet.

[7]                L'opposante a déposé sa déclaration d'opposition le 6 juin 1997 (l'opposition). Le demandeur a produit et signifié une contre-déclaration. Le 16 mars 1998, l'opposante a demandé l'autorisation de modifier son opposition et on la lui a accordée le 30 avril 1998. Le 20 janvier 1999, l'opposante a demandé à nouveau l'autorisation de modifier son opposition, et elle lui a été donnée le 10 février 1999. Le 23 février 1999, le demandeur a demandé l'autorisation de modifier sa contre-déclaration et a obtenu l'autorisation demandée le 17 mars 1999.

[8]                L'opposante a déposé en preuve l'affidavit de Marc Balevi, souscrit le 13 mars 1998 (le premier affidavit de M. Balevi). M. Balevi est le vice-président tant de l'opposante que de TechnoCap Inc. Le demandeur a été autorisé à contre-interroger M. Balevi. La transcription de ce contre-interrogatoire, qui a eu lieu le 14 décembre 1999, ainsi que les réponses données aux engagements, faisaient partie du dossier soumis à la registraire.

[9]                Le demandeur n'a pas respecté la date limite prescrite pour le dépôt de sa preuve. Il n'a pas produit de preuve dans le délai prescrit ni dans le délai supplémentaire qu'on lui a accordé. Il a ensuite demandé l'autorisation de produire un affidavit, mais, le 2 mars 2000, cette autorisation lui a été refusée. Le 28 avril 2000, le demandeur a demandé un réexamen de la décision par laquelle on lui a refusé l'autorisation sollicitée, mais sa demande a été rejetée le 28 juillet 2000.

[10]            Tant le demandeur que l'opposante ont déposé des observations écrites et ils ont tous deux été représentés à l'audience tenue devant la registraire.

[11]            À l'audience, l'opposante a retiré son motif d'opposition fondé sur l'article 30 de la Loi. Ses motifs d'opposition ont ensuite été rédigés comme suit :

[traduction]

a)              retiré

b)              le requérant n'est pas la personne admise à l'enregistrement de la marque compte tenu des dispositions suivantes :

(i)             l'alinéa 16(3)a), en ce sens que, à la date de production de la demande, la marque créait de la confusion au sens des articles 2 et 6 avec au moins une marque de commerce antérieurement employée par une autre personne, plus précisément avec les marques de commerce TECHNOCAP, TECHNOCAP.COM et TECHNOCAFÉ de l'opposante, qui ont été employées au Canada depuis au moins le 31 juillet 1993 en liaison avec des « services Internet et intranet (internet privé), nommément sites Web ou postes publics offrant un service de courrier électronique entre sociétés membres, des forums privés, des services de marketing entre membres, des services de R et D, et des services d'information, nommément babillards électroniques, diffusion et diffusion générale sur un réseau d'ordinateurs mondial; communications à grande vitesse par câblodiffusion, par téléphonie numérique, par téléphonie classique, par satellite et par téléphonie cellulaire procurant aux utilisateurs un lieu de rencontre virtuel où ils peuvent notamment discuter de questions techniques (y compris de sujets touchant l'Internet, l'intranet, le multimédia, les ordinateurs, les logiciels et les communications à grande vitesse), se procurer des logiciels gratuits, prendre connaissance d'offres d'emploi et consulter un magazine sur les intranets » ;

(ii)            l'alinéa 16(3)b,) en ce sens que, à la date de production de la demande, la marque créait de la confusion au sens des articles 2 et 6 avec au moins une marque de commerce à l'égard de laquelle une demande d'enregistrement avait antérieurement été produite au Canada par une autre personne, plus précisément la demande d'enregistrement de la marque de commerce TECHNOCAFÉ produite par l'opposante le 8 mai 1996 sous le numéro 812,089 en liaison avec les services susmentionnés;


(iii)           l'alinéa 16(3)c), en ce sens que, à la date de production de la demande, la marque créait de la confusion au sens des articles 2 et 6 avec un nom commercial antérieurement employé au Canada par une autre personne, plus précisément avec le nom commercial GESTION TECHNOCAP INC. employé au Canada par l'opposante depuis au moins le 31 juillet 1993 en liaison avec les services susmentionnés;

c)              la marque n'est pas distinctive au sens de l'article 2 puisqu'elle ne distingue pas véritablement et n'est ni adaptée ni apte à distinguer les marchandises et services du requérant énoncés dans la demande des marchandises et services d'autres entreprises, plus précisément de ceux de l'opposante en liaison avec lesquels cette dernière a employé et emploie toujours au Canada ses marques de commerce TECHNOCAP, TECHNOCAP.COM et TECHNOCAFÉ et son nom commercial GESTION TECHNOCAP INC.

MARQUES DE COMMERCE ET NOMS COMMERCIAUX PERTINENTS

[12]            TECHNOCAFÉ est la seule marque de commerce déposée de l'opposante. Le site Web TECHNOCAFÉ.COM présente les entreprises des sociétés affiliées et affiche les postes offerts par celles-ci, informe ces dernières des nouveautés et leur offre un service de clavardage. Les sociétés affiliées ne sont pas titulaires d'une licence d'emploi de la marque de commerce TECHNOCAFÉ. Celle-ci a été enregistrée par l'opposante le 19 septembre 1997 et porte le numéro d'enregistrement LMC 482 675. L'opposante allègue qu'elle emploie également depuis 1993 les marques de commerce TECHNOCAP, TECHNOCAP.COM et TECHNOCAFÉ ainsi que le nom commercial GESTION TECHNOCAP INC.

[13]            Le contre-interrogatoire sur le premier affidavit de M. Balevi a révélé ce qui suit :


[traduction]

a)              La marque TECHNOCAP appartient à TechnoCap Inc. (et non à l'opposante) et l'opposante est l'administratrice du nom de domaine, TECHNOCAP.COM. Plus tard, contre-interrogé par son agent et en réponse à l'opposition de l'agent du requérant à ces questions subjectives, M. Balevi a déclaré que l'opposante était propriétaire des marques sur lesquelles elle s'est fondée dans la présente opposition;

b)              Le préfixe TECHNO est employé par des entreprises dans beaucoup de contextes et de situations;

c)              L'activité principale de TechnoCap Inc. est d'investir dans des sociétés de technologie privées et dans des sociétés publiques qui oeuvrent aussi dans le domaine de la technologie;

d)              La marque TECHNOCAFÉ est un lieu de rencontre virtuel pour les sociétés affiliées, les clients et autres;

e)              La marque TECHNOCAFÉ a été produite au nom de TechnoCap Inc. et cédée à l'opposante en juin 1997;

f)              Le site Web de l'opposante a été mis en ligne peu avant avril 1996.

LES DATES PERTINENTES

[14]            La date pertinente pour l'examen de la question de l'absence de caractère distinctif est la date de production de l'opposition. En l'espèce, cette date est le 6 juin 1997. La date du premier emploi de la marque TECHNOCORP par le demandeur est la date pertinente quant à la question de la confusion, mais la registraire ne disposait d'aucune preuve à cet égard.

LA DÉCISION DE LA REGISTRAIRE


[15]            La registraire a commencé par examiner le dernier motif d'opposition, à savoir l'absence de caractère distinctif de la marque TECHNOCORP du demandeur. Elle a à bon droit fait remarquer que pour que ce motif d'opposition soit accueilli, l'opposante devait démontrer que, à la date de production de son opposition, au moins une de ses marques de commerce ou son nom commercial était suffisamment connu pour faire disparaître le caractère distinctif de la marque TECHNOCORP.

[16]            Comme le demandeur n'a pas prouvé qu'il a employé la marque TECHNOCORP, la registraire a commencé par voir si l'opposante s'était acquittée de son fardeau de prouver son allégation que la marque de commerce du demandeur n'était pas distinctive en démontrant qu'elle avait elle-même employé ses marques de commerce et son nom commercial. La registraire a fait remarquer que l'opposante n'avait pas besoin de démontrer que les marques sur lesquelles elle se fonde permettaient réellement de distinguer son entreprise. Elle devait plutôt démontrer que, étant donné qu'elle employait des marques comportant le préfixe Techno, la marque TECHNOCORP du demandeur ne pouvait pas être apte à distinguer les marchandises et services de ce dernier.

[17]            Les conclusions de la registraire sont bien décrites au paragraphe 22 du mémoire des faits et du droit du demandeur, qui expose ce qui suit :

[traduction]

a)              Caractère distinctif inhérent - La registraire a conclu que ni TECHNOCAP ni TECHNOCORP ne sont des marques fortes de façon inhérente.


b)              Mesure dans laquelle les marques sont devenues connues - La registraire a fait remarquer qu'elle ne disposait pas de preuve que la marque du requérant avait été employée ou était devenue connue à une certaine date, mais elle avait la preuve que la marque TECHNOCAP de l'opposante était devenue dans une certaine mesure connue le 6 juin 1997 par l'entremise du site Web de l'opposante et par son emploi lors du salon tenu le 28 avril 1997.

c)              Période pendant laquelle les marques ont été en usage - La registraire a observé qu'elle ne disposait d'aucune preuve concernant l'emploi de la marque du requérant. Elle a fait remarquer que l'opposante invoquait un emploi de TECHNOCAP depuis 1993. Elle n'a pas conclu qu'il y avait une preuve à l'appui de cette prétention.

d)              Genre de marchandises, services et entreprises - La registraire a fait remarquer que M. Balevi avait fourni la preuve que les marchandises et services couverts par la demande du requérant étaient exactement les mêmes que les services associés à TECHNOCAP. La registraire a observé qu'elle ne disposait pas de preuve concernant l'entreprise et le commerce du requérant autre que l'état déclaratif des marchandises et services, mais qu'il paraissait que l'entreprise et le commerce du requérant étaient différents de ceux de l'opposante.

e)              Degré de ressemblance entre les marques - La registraire a estimé qu'il existait un degré élevé de ressemblance entre les marques TECHNOCAP et TECHNOCORP. Elle a indiqué que la Commission des oppositions ne disposait pas de preuve quant à la question de savoir si les idées suggérées par chaque marque étaient très différentes, et, en particulier, elle n'avait pas de preuve que le Canadien typique saurait que TECHNOCAP est l'abréviation de « technology capital » .

f)              Autres circonstances - La registraire a conclu qu'il existait d'autres entreprises qui employaient le préfixe TECHNO dans leurs marques de commerce. Elle a cependant affirmé que rien ne prouvait que les autres marques employaient un suffixe aussi semblable à CAP que le suffixe CORP. La registraire ne disposait pas de preuve de l'emploi par des tiers de marques de commerce ayant pour préfixe TECHNO dans un domaine d'affaires semblable ou apparenté à celui de l'opposante. La registraire a conclu que, dans la mesure où l'emploi par l'opposante de ses propres marques ayant le préfixe TECHNO joue en faveur de celle-ci, cet emploi pourrait faire en sorte que la marque du requérant distinguerait plus difficilement les marchandises et services qui lui sont liés des services de l'opposante.

[18]            La registraire a conclu que le demandeur n'avait pas démontré que sa marque de commerce TECHNOCORP était apte à distinguer les marchandises et services qui lui sont associés de ceux liés à la marque TECHNOCAP. Elle a affirmé ce qui suit, à la page 7 de la décision :


[traduction] Ma conclusion repose largement sur les similarités entre les marques ainsi que sur le lien entre les marchandises et services qui leur sont associés. Il m'est difficile, en raison de l'absence de preuve du requérant, de conclure qu'il s'est acquitté de son fardeau.

[19]            La registraire n'a pas examiné en détail les autres motifs, mais a conclu que l'opposition fondée sur la marque de commerce TECHNOCAFÉ avait une probabilité plus faible d'être accueillie que celle fondée sur les autres marques étant donné que la différence entre TECHNOCORP et TECHNOCAFÉ est plus grande.

[20]            La registraire a également conclu que les motifs d'opposition fondés sur l'article 16 de la Loi avaient une probabilité plus faible d'être accueillis que ceux fondés sur l'absence de caractère distinctif à cause, principalement, de l'emploi apparent des marques de commerce de l'opposante par d'autres entreprises, notamment par TechnoCap Inc. Selon la registraire, cela réduit l'étendue de la protection à laquelle les marques de l'opposante pourraient avoir droit.

LES QUESTIONS

Question 1: Quelle est la norme de contrôle applicable à la décision de la registraire?

[21]            Le juge Rothstein de la Cour d'appel a décrit, dans l'arrêt Brasseries Molson c. John Labatt Ltée., [2000] 3 C.F. 145 (C.A.F.), à la page 148, la norme de contrôle pour les appels interjetés en vertu de l'article 56 de la Loi :


Même si la Loi sur les marques de commerce prévoit expressément le droit d'appel devant la Cour fédérale, il a été reconnu que les connaissances spécialisées du registraire méritent une certaine déférence. En l'absence de preuve supplémentaire devant la Section de première instance, les décisions du registraire qui relèvent de son champ d'expertise, qu'elles soient fondées sur les faits, sur le droit ou qu'elles résultent de l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, devraient être révisées suivant la norme de la décision raisonnable simpliciter. Toutefois, lorsqu'une preuve additionnelle est déposée devant la Section de première instance et que cette preuve aurait pu avoir un effet sur les conclusions de fait du registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire, le juge doit en venir à ses propres conclusions en ce qui concerne l'exactitude de la décision du registraire.

[22]            Le paragraphe 56(5) de la Loi permet aux parties de présenter une nouvelle preuve lors d'un appel devant la Cour fédérale. Les parties l'ont fait en l'espèce. Le demandeur a produit l'affidavit d'Anthony R. Sukdeo, en date du 18 janvier 2002. L'opposante a déposé un deuxième affidavit de M. Balevi, daté du 28 février 2002. Ni M. Sukdeo ni M. Balevi n'a été contre-interrogé sur ces affidavits, que l'on désignera collectivement sous le nom de « nouvelle preuve » .

[23]            La nouvelle preuve fournit une description complète de l'entreprise du demandeur. Elle explique notamment la nature du commerce et des marchandises et l'emploi de la marque TECHNOCORP par le demandeur à partir de mai 1996. Elle clarifie aussi la relation d'affaires de l'opposante avec TECHNOCAP INC. et indique que le montant que TECHNOCAP INC. a payé à l'opposante pour des services de gestion comprenait un droit de licence à l'égard de la marque de commerce TECHNOCAP.

[24]            Dans ce contexte, il s'agit de savoir si la nouvelle preuve aurait eu une incidence importante sur les conclusions de fait de la registraire ou sur l'exercice de son pouvoir discrétionnaire.


[25]            Le demandeur répond affirmativement à cette question et fait valoir que la nouvelle preuve : a) établit que le demandeur a largement employé la marque TECHNOCORP en liaison avec les marchandises et services qui lui sont associés; b) clarifie le genre de marchandises et ses services et montre qu'ils sont complètement différents de ceux offerts par l'opposante; c) démontre qu'il n'y a pas eu de confusion réelle.

[26]            Pour sa part, l'opposante affirme que la nouvelle preuve n'invalide pas la décision de la registraire, mais qu'elle la renforce au contraire. On ne peut donc pas soutenir qu'elle a une « incidence importante » sur la décision.

[27]            À mon avis, la nouvelle preuve a eu une incidence importante sur les conclusions de fait de la registraire quant à trois des six facteurs examinés par elle, à savoir la période pendant laquelle les marques ont été en usage; la mesure dans laquelle elles sont devenues connues; le genre de marchandises, services et entreprises du demandeur. Pour cette raison, la Cour doit tirer sa propre conclusion quant au caractère correct de la décision de la registraire.

Question 2: La décision de la registraire était-elle correcte eu égard à la nouvelle preuve?


[28]            La registraire a restreint son analyse à la question de l'absence de caractère distinctif et a affirmé que les autres motifs d'opposition portant sur la confusion avaient une probabilité plus faible d'être accueillis. J'examinerai d'abord la question de l'absence de caractère distinctif eu égard à la nouvelle preuve, puis la question de la confusion.

[29]            Pour établir l'absence de caractère distinctif, l'opposante doit démontrer que, au moment où elle a produit son opposition, ses marques étaient suffisamment connues au Canada pour faire disparaître le caractère distinctif de la marque du demandeur : Motel 6, Inc. c. No. 6 Motel Ltd. et. al. (1981), 56 C.P.R. (2d) 44, à la page 58. L'opposante a prétendu que le critère est de savoir si la marque du demandeur est apte à distinguer ses marchandises et services compte tenu de la présence sur le marché des marques de l'opposante.

[30]            Le demandeur a mis l'accent sur le fait que rien ne prouvait qu'il y avait réellement eu confusion entre les marques TECHNOCORP et TECHNOCAP et a fourni à l'appui de sa prétention deux décisions de la Cour fédérale qui indiquent que l'absence de preuve d'une confusion réelle peut permettre d'inférer qu'il n'y a pas risque de confusion : Multiplicant Inc. c. Petit Bateau Valton S.A. (1994), 55 C.P.R. (3d) 372, à la page 379 (C.F. 1re inst.) et CompuLife Software Inc. c. CompOffice Software Inc., [2001] A.C.F. no 856; 2001 CFPI 559. En réponse, l'opposante a fait valoir que la règle générale est qu'une opposante à une marque de commerce n'a pas besoin de démontrer qu'il y a réellement eu confusion; c'est au contraire au demandeur qu'il incombe de démontrer qu'il n'existe pas de risque de confusion : Mitac Inc. c. Mita Industrial Co., [1992] A.C.F. no 9.

[31]            À mon avis, les décisions citées par les parties ne sont pas contradictoires. Une opposante n'a pas besoin de démontrer qu'il y a réellement eu confusion pour avoir gain de cause dans son opposition fondée sur l'absence de caractère distinctif. Cependant, le registraire ou la Cour peut, lors d'une nouvelle audition, inférer de la coexistence de deux marques et de l'absence de preuve de l'existence de confusion qu'il y a peu de risque de confusion entre ces marques. Il est bien sûr important d'examiner la durée pendant laquelle les marques ont coexisté. En l'espèce, on n'a pas prouvé l'existence d'une véritable confusion au cours de la période de six ans allant du premier emploi de la marque TECHNOCORP par le demandeur, en mai 1996, jusqu'à, au moins, la date du deuxième affidavit de M. Balevi. Par conséquent, il n'existe pas, selon moi, de risque de confusion et ce facteur joue donc en faveur du demandeur.

Le genre de marchandises, services ou entreprises et la nature du commerce

[32]            La preuve soumise par le demandeur dans le présent appel décrit comme suit le genre d'entreprise du demandeur :

[traduction]

4.              Les principales activités de Technosoft comprennent la vente de logiciels et le développement de systèmes personnalisés. Technosoft fournit également des services liés à l'Internet. Elle dessert avant tout des entreprises et des particuliers oeuvrant dans le secteur de l'informatique.


5.              J'ai commencé à employer la marque de commerce TECHNOCORP en mai 1996 en liaison avec la vente au détail de matériel informatique, de logiciels et d'accessoires; développement de logiciels; services d'Internet, nommément installation de sites Internet, développement de serveurs Web et intégration avec des systèmes d'entreprise, intégration de systèmes informatiques, installation de réseaux informatiques et communication de données, développement d'applications personnalisées et maintenance de logiciels, gestion de biens et gestion de services, développement d'applications de bases de données, publicité de produits informatiques et services d'experts en informatique sur l'Internet. La marque TECHNOCORP est associée à tous les produits et services de Technosoft.

[33]            Le demandeur fait valoir que la décision de la registraire reposait sur la supposition qu'il existait un lien entre les marchandises et services du demandeur et ceux de l'opposante. Cette supposition a cependant été faite en l'absence de preuve concernant l'entreprise du demandeur. Ce dernier soutient que l'affidavit de M. Sukdeo démontre maintenant que le genre de marchandises, services ou entreprise et la nature du commerce du demandeur sont très différents de ceux de l'opposante, en ce sens que :

1.         le demandeur vend du matériel informatique et des logiciels, alors que l'opposante est une société d'investissement en capital de risque;

2.         le demandeur offre des services spécialisés et techniques tels que l'installation de sites Web, le développement de serveurs Web, l'intégration de systèmes informatiques, le développement d'applications et de logiciels personnalisés, alors que l'opposante fournit des services d'exploitation et de gestion;            

3.         le demandeur facture tous ses services, alors que les services de l'opposante sont gratuits;

4.         le demandeur et l'opposante ont des clients différents dans des circuits commerciaux différents.


[34]            L'opposante soutient quant à elle que son entreprise fait affaire dans des secteurs liés à l'Internet, à la haute technologie, aux logiciels, au matériel informatique, au multimédia et aux télécommunications et que ces secteurs sont semblables ou identiques à ceux de l'entreprise ou du commerce du demandeur. L'entreprise de l'opposante n'est cependant qu'indirectement « liée » à ces secteurs commerciaux parce que ce sont les sociétés affiliées qui sont apparentées à l'entreprise du demandeur. Celle-ci vend du matériel informatique, conçoit et construit des sites Web et des logiciels personnalisés pour des clients hautement spécialisés, alors que l'opposante investit dans des entreprises spécialisées dans la technologie. Par conséquent, il n'y a pas de lien direct ou important entre les marchandises et services du demandeur et ceux de l'opposante.

[35]            L'opposante affirme que l'état déclaratif des marchandises et services du demandeur ne se limite pas à un commerce en particulier et que leurs commerces pourraient éventuellement se chevaucher. Elle fait valoir qu'elle est l'organisatrice d'un des plus grands salons professionnels au Canada dans le domaine de l'informatique et note que le demandeur fait la promotion de TECHNOCORP aux salons professionnels et aux conférences. Sur ce fondement, l'opposante affirme qu'il existe déjà une preuve que les deux parties visent les mêmes consommateurs.

[36]            Cependant, affirmer que les parties visent les mêmes consommateurs parce que le demandeur assiste à des salons professionnels équivaut à faire abstraction du fait que leurs objectifs aux salons professionnels sont complètement différents. Le demandeur essaie de vendre ses produits, alors que l'opposante est à la recherche de possibilités d'investissement et de produits susceptibles d'intéresser ses sociétés affiliées.

[37]            Selon l'opposante, la question est de savoir si les marchandises et services du demandeur et de l'opposante pourraient finir pas se trouver dans le même marché. Elle soutient que le consommateur moyen qui connaît la marque TECHNOCAP serait porté, dans les circonstances, à conclure que TECHNOCORP a un certain lien avec l'entreprise de l'opposante puisqu'il s'agit d'une question de souvenir imparfait et de première impression. À mon avis, cette prétention n'est pas réaliste étant donné la nature très différente des entreprises des parties et la haute spécialisation admise de ceux avec qui elles traitent.

Caractère distinctif inhérent

[38]            Il n'y a pas de preuve nouvelle à l'égard de ce facteur. Le demandeur prétend que le préfixe TECHNO est commun et qu'il est par conséquent approprié de se pencher sur le suffixe pour déterminer si la marque a un caractère distinctif inhérent. Le demandeur souligne les différentes significations associées à CAP ( « capital » ) et CORP ( « corporation » ) pour démontrer qu'il existe peu de risque de confusion. En réponse, l'opposante fait d'abord valoir que s'il est vrai que TECHNO est communément employé comme préfixe, le dossier ne contient aucun exemple d'emploi de suffixes aussi semblables que CAP et CORP. Ensuite, elle soutient que rien ne prouve que le Canadien typique saurait que TECHNOCAP est l'abréviation de « technology capital » .

[39]            La registraire a conclu, et la Cour l'accepte, que ni TECHNOCORP ni TECHNOCAP ne sont des marques fortes de façon inhérente.

Période pendant laquelle les marques ont été en usage et mesure dans laquelle elles sont devenues connues

[40]            L'affidavit de M. Sukdeo indique que le demandeur a commencé à employer le nom de domaine TECHNOCORP.COM le 23 avril 1996 et la marque TECHNOCORP en mai 1996. L'opposante a répondu, et la Cour est d'accord avec elle, que ce facteur joue en faveur de l'opposante puisque l'emploi de la marque TECHNOCAP par cette dernière, bien que minimal, remonte au 31 juillet 1993.

[41]            Il n'y a cependant aucun emploi important de la marque TECHNOCAP ni par l'opposante ni par sa licenciée TechnoCap Inc. jusqu'en mai 1996, soit jusqu'à la date où l'opposante a créé son site Web TECHNOCAFÉ.COM et a enregistré la marque TECHNOCAFÉ. Par conséquent, l'étendue de l'emploi ne favorise ni l'une ni l'autre partie.

[42]            La registraire a conclu que les marques TECHNOCAP et TECHNOCAFÉ ainsi que le nom Gestion TechnoCap Inc. étaient dans une certaine mesure connus au Canada le 6 juin 1997, date de production de la déclaration d'opposition. Il s'agit de la date pertinente en ce qui concerne l'absence de caractère distinctif.

[43]            À mon avis, la marque du demandeur était également dans une certaine mesure connue le 6 juin 1997. Le demandeur a commencé à employer la marque TECHNOCORP en mai 1996 et a fourni une copie des documents d'enregistrement du nom de domaine TECHNOCORP.COM établissant l'enregistrement à compter du 2 mai 1996. Il a également fourni de la correspondance portant en en-tête la marque TECHNOCORP ainsi que des factures, toutes datées de mai 1996. L'affidavit de M. Sukdeo, sur lequel ce dernier n'a pas été contre-interrogé, indique qu'il a dépensé environ 10 000 $ une année pour promouvoir son entreprise et que ses revenus annuels ont été de l'ordre de 68 000 $ au cours de la période de mai à décembre 1996. Le demandeur avait un contrat avec Nortel Networks Inc. pour développer un produit, appelé « Data Streaming Mechanism Evolution » , qui paraît avoir été mis au point avant le 6 juin 1997. Bref, le dossier contient une preuve dont ne disposait pas la registraire et cette preuve étaye la conclusion selon laquelle l'entreprise du demandeur avait une certaine notoriété au Canada à la date pertinente.

AUTRES MOTIFS

[44]            La dernière question est de savoir si la nouvelle preuve a des conséquences importantes sur l'un des motifs d'opposition fondés sur la confusion.


[45]            Ma réponse est négative. Rien dans la nouvelle preuve ne me fait douter du caractère correct de la conclusion de la registraire selon laquelle des motifs autres que ceux fondés sur l'absence de caractère distinctif avaient « une probabilité plus faible d'être accueillis » . Je conviens avec elle que les marques TECHNOCAP.COM et TECHNOCAFÉ sont très différentes des marques TECHNOCORP et TECHNOCAP et j'ajouterais que le nom commercial Gestion TechnoCap Inc. est de la même catégorie que ces marques. En l'absence de preuve de l'existence de confusion dans le deuxième affidavit de M. Balevi et étant donné que l'affidavit de M. Sukdeo décrit le commerce du demandeur et ses marchandises d'une façon qui rend improbable la confusion, je conclus que la nouvelle preuve ne me fait pas douter du caractère correct de la conclusion de la registraire.

CONCLUSION

[46]            La Cour est d'avis que les marchandises, services, entreprises et commerces des deux parties sont complètement différents. Par conséquent, le demandeur s'est acquitté de son fardeau de démontrer que sa marque est distinctive des marchandises et services malgré la preuve de la présence de la marque de l'opposante. Le demandeur m'a convaincue que l'appel devrait être accueilli et que sa demande d'enregistrement de la marque de commerce TECHNOCORP devrait également être accueillie.

« Sandra J. Simpson »

Juge

Ottawa (Ontario)

Le 10 septembre 2004

Traduction certifiée conforme

Sandra D. de Azevedo, LL.B.


                                     COUR FÉDÉRALE

                      AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                            T-2151-01

INTITULÉ :                           Anthony R. Sukdeo et al. c. Gestion TechnoCap Inc.

LIEU DE L'AUDIENCE :                Vancouver (Colombie-Britannique)

DATE DE L'AUDIENCE :               le 18 novembre 2003

MOTIFS DE L'ORDONNANCE :             Madame la juge Simpson

DATE DES MOTIFS ET

DE L'ORDONNANCE :                  le 10 septembre 2004

COMPARUTIONS :

Gordon Zimmerman                 POUR LE DEMANDEUR

Giovanna Spataro                    POUR LA DÉFENDERESSE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Borden Ladner Gervais LLP                POUR LE DEMANDEUR

Toronto (Ontario)                   

Lapointe Rosenstein                 POUR LA DÉFENDERESSE

Montréal (Québec)


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