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Date : 20050118

Dossier : IMM-3160-04

Référence : 2005 CF 35

Ottawa (Ontario), le 18 janvier 2005

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

                                                      MOHINDER PAUL SINGH

                                                                                                                                          demandeur

                                                                             et

                     LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

                                                                                                                                           défendeur

                                MOTIFS DE L'ORDONNANCE ET ORDONNANCE

INTRODUCTION

[1]                Agiter le spectre de la partialité, c'est sonner l'alarme qui prévient d'un danger. Une crainte raisonnable de partialité doit donc être invoquée dès que l'occasion s'en présente au cours de l'audience.


PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Le demandeur sollicite, en application du paragraphe 72(1) de la Loi sur l'immigration et la protection des réfugiés[1] (la LIPR), le contrôle judiciaire de la décision de la Section de la protection des réfugiés de la Commission de l'immigration et du statut de réfugié (la Commission), qui le 27 février 2004 refusait au demandeur la qualité de « réfugié » , définie par l'article 96, et aussi la qualité de « personne à protéger » , définie par le paragraphe 97(1) de la LIPR.

CONTEXTE

[3]                Le demandeur, M. Mohinder Paul Singh, un ressortissant indien, dit craindre avec raison d'être persécuté en raison de son appartenance à un groupe social et en raison des opinions politiques qu'on lui prête.


[4]                Le demandeur travaillait comme agent immobilier pour une société appelée Karwal. En 2001, il a loué une maison à quelqu'un qui s'est présenté à lui comme prêtre hindou. Le 13 juin 2001, ayant trouvé des armes et des munitions dans la maison qu'il avait louée au « prêtre hindou » , la police l'a arrêté, en l'accusant d'avoir aidé des militants. Le demandeur a été interrogé à propos des militants, torturé, puis relâché grâce à l'intervention de personnes influentes et après versement d'un pot-de-vin. Le 6 avril 2002, le demandeur était arrêté une seconde fois au moment où des militants du Cachemire, ainsi que des militants sikhs, se cachaient dans la région. Il fut encore une fois torturé, puis relâché deux jours plus tard, grâce à l'aide de personnes influentes et après versement d'un pot-de-vin. Durant la première semaine d'octobre 2002, la police s'est présentée à son domicile, mais il était absent. Elle a menacé son épouse et lui a ordonné de prendre les dispositions pour qu'il se présente au poste de police. La police disait que des militants musulmans et sikhs préparaient des attaques à la bombe au Penjab et à New Delhi. Elle soupçonnait le demandeur d'aider les militants à transporter des armes. Une fois informé de sa prétendue position précaire, le demandeur, après en avoir discuté avec sa famille, a décidé de quitter le Penjab. Il s'est rendu à Haryana, au domicile de ses beaux-parents, où il a appris que la police était retournée chez lui. Le demandeur a quitté l'Inde avec l'aide d'un passeur.

LA DÉCISION CONTESTÉE

[5]                La Commission a estimé que le demandeur n'était pas crédible et exposé plusieurs motifs à l'appui de cette conclusion.


POINTS LITIGIEUX

[6]                1. Était-il manifestement déraisonnable pour la Commission de dire que le demandeur n'était pas crédible?

2. Le demandeur a-t-il bénéficié d'une procédure équitable devant la Commission?

ANALYSE

1. Était-il manifestement déraisonnable pour la Commission de dire que le demandeur n'était pas crédible?

[7]                Lorsque la crédibilité est en cause, l'erreur de la Commission doit être manifestement déraisonnable avant que la Cour ne puisse intervenir [Aguebor c. Canada (Ministre de l'Emploi et de l'Immigration)[2], Pissareva c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[3], Mohinder Paul Singh c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[4]].


[8]                Ainsi que le révèle la décision, la Commission a relevé que les pièces d'identité du demandeur posaient un problème parce qu'elles ne précisaient pas la même date de naissance. D'ailleurs, sur la carte d'électeur du demandeur, on pouvait lire que le demandeur avait 39 ans le 1er janvier 1994. Toutefois, les autres documents déposés montrent que la date de naissance du demandeur est le 25 décembre 1959, de telle sorte qu'il aurait eu 34 ans le 1er janvier 1994. Interrogé par la Commission sur cette contradiction, le demandeur a expliqué qu'il s'agissait d'une erreur. Cependant, cette explication n'a pas convaincu la Commission étant donné que c'est le demandeur lui-même qui avait dit son âge lorsque sa carte d'électeur lui avait été délivrée. Il est invraisemblable que le demandeur se fût trompé de cinq ans sur son âge. La Cour relève que la Commission n'a pas dit si elle croyait que le demandeur avait ou non établi son identité -- ce qui en soit ne constituerait pas une erreur déterminante, s'il existait d'autres raisons justifiant le rejet de la revendication. Néanmoins, la contradiction a porté atteinte à la crédibilité du demandeur.


[9]                La Commission a constaté des contradictions entre le témoignage du demandeur et son Formulaire de renseignements personnels (FRP). Dans son FRP, le demandeur expliquait que la police avait arrêté un certain nombre de terroristes et que l'un d'eux l'avait dénoncé durant son interrogatoire. À la suite de cette dénonciation, la police avait arrêté le demandeur; cependant, devant la Commission, le demandeur avait déclaré que c'était à la suite de la dénonciation faite par son employeur que la police l'avait arrêté. Interrogé sur cette contradiction, le demandeur n'a pas donné d'explication. Le demandeur ne voyait là que des points secondaires, mais la Commission n'a pas partagé son avis, car il avait fondé sa revendication sur le fait qu'il avait à son insu loué une maison à un terroriste, après quoi il avait été arrêté et détenu. La contradiction concernant la personne qui l'avait dénoncé avait ici son importance.

[10]            La Commission a aussi exprimé de sérieux doutes sur les raisons qui auraient incité la police à arrêter le demandeur, puisque le demandeur a témoigné que son employeur et le propriétaire de la maison n'avaient pas été arrêtés. Puisque le demandeur n'a pas donné d'explication sur ce point, le problème subsiste.

[11]            De même, lorsque la Commission a prié le demandeur de dire pourquoi il avait continué de travailler pour son employeur qui l'avait dénoncé à la police, le demandeur a répondu qu'il avait cessé de travailler pour cet employeur après avoir été relâché. Cette réponse contredisait la déclaration qu'il avait faite dans son FRP. Interrogé par la Commission sur cette contradiction, le demandeur a dit qu'il ne se souvenait pas s'il avait cessé de travailler le 13 juin 2001, en avril 2002 ou en octobre 2002. Il a de nouveau indiqué que c'était là un aspect secondaire. La Cour ne partage pas l'avis du demandeur. Comme l'a clairement indiqué la Commission, après avoir été dénoncé par son employeur, le demandeur avait été détenu et torturé.


[12]            Par ailleurs, la Commission a estimé que le demandeur n'était pas crédible parce qu'il n'avait pu apporter la preuve qu'en réalité il se trouvait encore en Inde le 17 mars 2003 et qu'il était parti ce jour-là pour le Canada. Il était loisible à la Commission de prendre en compte, au moment d'évaluer sa crédibilité, le fait que le demandeur n'était pas en possession de documents de voyage adéquats, par exemple passeport et billets d'avion [Elazi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[5] et Museghe c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[6]].

[13]            La Commission n'a accordé aucun poids au certificat médical ni au rapport médical déposés par le demandeur pour confirmer le fait qu'il avait été torturé. Elle était fondée à décider ainsi et elle a expliqué pourquoi elle avait décidé ainsi. Le certificat médical précise qu'un médecin a traité le demandeur en juin 2001 et en avril 2002 pour des lacérations aux fesses et de multiples contusions au dos et aux cuisses, de même que pour des enflures, une douleur sur tout le corps et une mobilité restreinte. Le rapport médical indique que le demandeur a diverses cicatrices et qu'il ressent des douleurs dans certaines parties du corps. Dans ses motifs, la Commission a expliqué que, puisque selon elle le demandeur n'était pas crédible à propos de son arrestation et des tortures que lui aurait infligées la police, elle n'ajouterait pas foi aux documents médicaux [Danailov c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[7] et Sahi c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[8]].


[14]            Finalement, le demandeur fait valoir que la Commission n'a pas pris en compte la situation socio-politique qui a cours en Inde. Cette situation est décrite dans la preuve documentaire intitulée « India. : Break the cycle of impunity and torture in Punjab » ( « Inde : Rompre le cycle de l'impunité et de la torture au Penjab » ). Par ailleurs, la revendication particulière du demandeur ne peut être directement déduite de documents qui sont de nature générale. Un demandeur d'asile doit prouver qu'il existe un lien crédible entre ses épreuves personnelles et la situation générale qui a cours dans son pays d'origine [Rahaman c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[9] et Canada (Secrétaire d'État) c. Jules[10]]. En l'espèce, la version du demandeur a été jugée non crédible et aucun lien du genre n'a été établi.

[15]            La Cour est d'avis que la conclusion de la Commission selon laquelle le demandeur n'était pas crédible n'est pas manifestement déraisonnable.

2. Le demandeur a-t-il bénéficié d'une procédure équitable devant la Commission?

[16]            Le demandeur fait valoir que la Commission ne l'a pas entendu avec un esprit ouvert parce qu'elle l'a interrompu et interrogé constamment durant l'audience. Il dit aussi que personne ne lui a jamais demandé s'il souhaitait une audience en français. Finalement, il affirme que l'interprète était incapable de parler correctement le pendjabi.

[17]            Il n'apparaît pas que le demandeur a soulevé ces points. Ce n'est qu'aujourd'hui, au stade de la demande de contrôle judiciaire, qu'il le fait.

[18]            La jurisprudence est claire. Le fait pour un plaideur de ne pas alléguer une crainte raisonnable de partialité à la première occasion le prive de la possibilité de soulever ensuite devant la Cour un tel argument. Dans la décision Hernandez c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[11], le juge Pinard, s'appuyant sur la jurisprudence de la Cour, disait que la première occasion raisonnable était l'audience tenue devant la Commission :

Quant à l'argument du demandeur fondé sur la crainte raisonnable de partialité, il doit être écarté au motif que le demandeur aurait dû soulever cette question à la première opportunité raisonnable, c'est-à-dire lors de l'audience tenue devant la Section du statut de réfugié.

Par conséquent, la conduite adoptée par le demandeur devant la Commission constituait une renonciation implicite à prétendre plus tard qu'il y avait lieu de douter de l'impartialité de la Commission et qu'une audience équitable lui avait été refusée.


[19]            Par ailleurs, il convient de noter qu'une accusation de partialité est une accusation très grave et qu'elle doit être étayée (Bande de Sawridge c. Canada)[12]. Ce ne peut être une simple allégation, perception ou impression (Miglin c. Miglin)[13]. Par conséquent, les allégations et impressions du demandeur qui figurent dans son affidavit et dans son mémoire, ainsi que dans son analyse de la transcription, ne suffisent pas à établir une crainte de partialité. Après avoir lu la transcription et en avoir pris pleinement connaissance, la Cour ne peut constater une telle partialité. Les membres de la Commission ont le droit de poser des questions et d'interroger les demandeurs d'asile comme la Commission l'a fait ici.

[20]            S'agissant de la supposée difficulté causée par la qualité de l'interprétation, la Cour d'appel fédérale a jugé, dans l'arrêt Mohammadian c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration)[14], que le demandeur d'asile avait renoncé à son droit d'invoquer la mauvaise qualité de l'interprétation parce qu'il n'avait pas agi en ce sens à la première occasion, ce qui a été le cas ici devant la Commission. Par conséquent, puisque le demandeur ne s'est pas formellement plaint de la qualité de l'interprétation ni n'a demandé un nouvel interprète, mais a plutôt choisi de ne rien faire malgré ses doutes, sa conduite devant la Commission constituait une renonciation implicite.

[21]            Le demandeur n'a pas établi qu'une procédure équitable lui a été refusée.


DISPOSITIF

[22]            Pour ces motifs, la Cour répond par la négative à la première question et par l'affirmative à la seconde. Par conséquent, la demande de contrôle judiciaire sera rejetée.

                                                                ORDONNANCE

LA COUR ORDONNE :

Cette demande de contrôle judiciaire est rejetée. Aucune question n'est certifiée.

                                                                                                                          « Michel M.J. Shore »                  

                                                                                                                                                     Juge                                

Traduction certifiée conforme

Jacques Deschênes, LL.B.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         IMM-3160-04

INTITULÉ :                                        MOHINDER PAUL SINGH

c.

LE MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                LE 12 JANVIER 2005

MOTIFS DE L'ORDONNANCE

ET ORDONNANCE :                        LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                       LE 18 JANVIER 2005

COMPARUTIONS :

Stewart Istvanffy                                                                        POUR LE DEMANDEUR

Suzon Létourneau                                                                      POUR LE DÉFENDEUR

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

STEWART ISTVANFFY                                                         POUR LE DEMANDEUR

Montréal (Québec)

JOHN H. SIMS                                                                        POUR LE DÉFENDEUR

Sous-procureur général du Canada



[1] L.C. 2001, ch. 27.

[2] (1993) 160 N.R. 315 (C.A.F.), _1993_ A.C.F. no 732 (QL).

[3] (2001) 11 Imm. L.R. (3d) 233 (C.F. 1re inst.), _2000_ A.C.F. no 2001 (QL).

[4] (2000) 173 F.T.R. 280 (C.F. 1re inst.), _1999_ A.C.F. no 1283 (QL).

[5] [2000] A.C.F. no 212 (C.F. 1re inst.) (QL), aux paragraphes 12-19.

[6] 2001 CFPI 1117, [2001] A.C.F. no 1539 (QL).

[7] [1993] A.C.F. no 1019 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 2.

[8] 2001 CFPI 527, [2001] A.C.F. no 805 (QL), au paragraphe 19.

[9] 2002 CAF 89, [2002] 3 C.F. 537 (QL), au paragraphe 29.

[10] (1994) 84 F.T.R. 161 (C.F. 1re inst.), [1994] A.C.F. no 835 (QL), au paragraphe 24.

[11] [1999] A.C.F. no 607 (C.F. 1re inst.) (QL), au paragraphe 6. Sur ce point, voir aussi la décision Ranganathan c. Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l'Immigration), 2003 CF 1367, [2003] A.C.F. no 1741 (QL).

[12] [1997] 3 C.F. 580 (C.A.F.), [1997] A.C.F. no 794 (QL), aux pages 588-589.

[13] [2003] 1 R.C.S. 303 [2003] S.C.J. No. 21 (QL), au paragraphe 26.

[14] [2000] 3 C.F. 371 (C.A.), [2000] A.C.F. no 309 (QL), au paragraphe 27.


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