Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

Date : 20201008


Dossier : T-1973-19

Référence : 2020 CF 958

[TRADUCTION FRANÇAISE]

Ottawa (Ontario), le 8 octobre 2020

En présence de monsieur le juge Phelan

ENTRE :

PETER WOJCIK

demandeur

et

LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

défendeur

JUGEMENT ET MOTIFS

I.  Introduction

[1]  Le demandeur s’est vu refuser une habilitation de sécurité aux termes du paragraphe 53(1) du Règlement sur le cannabis, DORS/2018-144 [le Règlement], par le directeur général [le directeur], Direction générale des substances contrôlées et du cannabis, Santé Canada [la décision]. Le demandeur sollicite un contrôle judiciaire pour les motifs suivants : 1) manquement à l’équité procédurale; 2) caractère déraisonnable de la décision.

[2]  Le défendeur formule une objection préliminaire aux affidavits que le demandeur et son épouse ont déposés dans le cadre du présent contrôle judiciaire. Pour les motifs qui suivront plus loin, l’objection du défendeur est maintenue, et les affidavits sont jugés irrecevables. Ils seront radiés et écartés.

II.  Faits

[3]  En vertu de la Loi sur le cannabis, LC 2018, c 16 [la Loi], le ministre peut refuser d’accorder une habilitation de sécurité. L’octroi d’une habilitation de sécurité est prévu par le Règlement, dont les dispositions applicables sont les suivantes :

Vérifications

Checks

52 Le ministre peut, en tout temps, effectuer les vérifications nécessaires afin d’établir si le demandeur d’une habilitation de sécurité ou le titulaire d’une telle habilitation présente un risque pour la santé ou la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites; il peut notamment effectuer une vérification :

52 The Minister may, at any time, conduct checks that are necessary to determine whether an applicant for, or the holder of, a security clearance poses a risk to public health or public safety, including the risk of cannabis being diverted to an illicit market or activity. Such checks include

a) du casier judiciaire du demandeur ou du titulaire;

(a) a check of the applicant’s or holder’s criminal record; and

b) des dossiers pertinents — concernant le demandeur ou le titulaire — des organismes chargés d’assurer le respect des lois, notamment des renseignements recueillis pour assurer l’observation des lois.

(b) a check of the relevant files of law enforcement agencies that relate to the applicant or holder, including intelligence gathered for law enforcement purposes.

Délivrance de l’habilitation

Grant of security clearance

53 (1) Avant de délivrer une habilitation de sécurité, le ministre doit établir, en tenant compte de toute condition dont il assortit la licence en vertu du paragraphe 62(10) de la Loi, que le demandeur ne présente pas de risque inacceptable pour la santé ou la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites.

53 (1) Before granting a security clearance, the Minister must, taking into account any licence conditions that he or she imposes under subsection 62(10) of the Act, determine that the applicant does not pose an unacceptable risk to public health or public safety, including the risk of cannabis being diverted to an illicit market or activity.

Facteurs

Factors

(2) Afin d’établir le niveau de risque que présente le demandeur, il peut notamment prendre en considération les facteurs suivants :

(2) Factors that the Minister may consider to determine the level of risk posed by the applicant include

a) les circonstances, la gravité, le nombre et la fréquence de tout événement ou de toute condamnation pertinents, la date du dernier événement ou de la dernière condamnation, ainsi que toute peine et décision;

(a) the circumstances of any events or convictions that are relevant to the determination, the seriousness of those events or convictions, their number and frequency, the date of the most recent event or conviction and any sentence or other disposition;

b) la question de savoir s’il est connu — ou s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner — que le demandeur, selon le cas :

(b) whether it is known, or there are reasonable grounds to suspect, that the applicant

(i) participe ou contribue, ou a participé ou contribué, à des activités qui sont interdites par la section 1 de la partie 1 de la Loi ou qui contreviennent à l’une de ses dispositions, à l’exclusion des alinéas 8(1)a) à e), ou qui sont interdites par la sous-section E de la section 2 de la partie 1 de la Loi ou qui contreviennent à l’une de ses dispositions,

(i) is or has been involved in, or contributes or has contributed to, an activity that is prohibited by, or conducted in contravention of, any of the provisions of Division 1 of Part 1 of the Act — other than paragraphs 8(1)(a) to (e) — or Subdivision E of Division 2 of Part 1 of the Act,

(ii) participe ou contribue, ou a participé ou contribué, à des activités qui sont interdites par la partie I de la Loi réglementant certaines drogues et autres substances ou qui contreviennent à l’une de ses dispositions, à l’exclusion du paragraphe 4(1), ou qui sont interdites par les paragraphes 32(1) ou (2) de cette loi ou qui y contreviennent,

(ii) is or has been involved in, or contributes or has contributed to, an activity that is prohibited by, or conducted in contravention of, any of the provisions of Part I of the Controlled Drugs and Substances Act — other than subsection 4(1) — or subsection 32(1) or (2) of that Act,

(iii) participe ou contribue, ou a participé ou contribué, à des activités qui sont interdites par les dispositions du Code criminel relatives à la fraude, à la corruption de fonctionnaires, au financement du terrorisme, à la contrefaçon ou au recyclage des produits de la criminalité ou qui y contreviennent,

(iii) is or has been involved in, or contributes or has contributed to, an activity that is prohibited by, or conducted in contravention of, any provision of the Criminal Code relating to fraud, corruption of public officials, terrorism financing, counterfeiting or laundering the proceeds of crime,

(iv) participe ou contribue, ou a participé ou contribué, à la perpétration d’une infraction impliquant des actes de violence ou des menaces de violence,

(iv) is or has been involved in, or contributes or has contributed to, an offence involving an act of violence or the threat of violence,

(v) est ou a été membre d’une organisation criminelle au sens du paragraphe 467.1(1) du Code criminel ou participe ou contribue, ou a participé ou contribué, aux activités d’une telle organisation,

(v) is or has been a member of a criminal organization as defined in subsection 467.1(1) of the Criminal Code, or is or has been involved in, or contributes or has contributed to, the activities of such an organization,

(vi) est ou a été membre d’une organisation connue pour sa participation ou sa contribution, ou à l’égard de laquelle il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution, à des activités qui visent ou favorisent des actes de violence ou des menaces de violence, ou participe ou contribue, ou a participé ou a contribué, aux activités d’une telle organisation,

(vi) is or has been a member of an organization that is known to be involved in or to contribute to — or in respect of which there are reasonable grounds to suspect its involvement in or contribution to — activities directed toward, or in support of, acts of violence or the threat of violence, or is or has been involved in, or contributes or has contributed to, the activities of such an organization,

(vii) est ou a été associé à un individu qui, selon le cas :

(vii) is or has been associated with an individual who

(A) est connu pour sa participation ou sa contribution, ou à l’égard duquel il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution, à des activités visées aux sous-alinéas (i) à (iii),

(A) is known to be involved in or to contribute to — or in respect of whom there are reasonable grounds to suspect their involvement in or contribution to — activities referred to in subparagraphs (i) to (iii), or

(B) est membre d’une organisation visée aux sous-alinéas (v) ou (vi),

(B) is a member of an organization referred to in subparagraph (v) or (vi), or

(viii) a comploté en vue de commettre :

(viii) has conspired to commit

(A) une infraction à l’une des dispositions du Code criminel visées au sous-alinéa (iii),

(A) an offence under any of the provisions of the Criminal Code referred to in subparagraph (iii),

(B) une infraction visée au sous-alinéa (iv),

(B) an offence referred to in subparagraph (iv), or

(C) une infraction prévue à l’un des articles 467.11 à 467.13 du Code criminel;

(C) an offence under any of sections 467.11 to 467.13 of the Criminal Code;

c) la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur risque d’être incité à commettre un acte — ou à aider ou à encourager toute personne à commettre un acte — qui pourrait présenter un risque pour la santé ou la sécurité publiques;

(c) whether there are reasonable grounds to suspect that the applicant could be induced to commit an act — or to aid or abet any person to commit an act — that might constitute a risk to public health or public safety;

d) la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que les activités du demandeur, notamment les activités financières, présentent un risque pour l’intégrité du contrôle de la production et de la distribution du cannabis sous le régime de la Loi;

(d) whether there are reasonable grounds to believe that the applicant’s activities, including their financial activities, pose a risk to the integrity of the control of the production and distribution of cannabis under the Act;

e) la question de savoir si le demandeur a déjà été titulaire d’une habilitation de sécurité qui a été suspendue ou annulée;

(e) whether the applicant has had a security clearance suspended or cancelled;

f) la question de savoir s’il y a des motifs raisonnables de croire que le demandeur a fourni au ministre, à un moment quelconque, des renseignements faux ou trompeurs ou des documents faux ou falsifiés;

(f) whether there are reasonable grounds to believe the applicant has, now or in the past, submitted false or misleading information, or false or falsified documents, to the Minister; and

g) la question de savoir si une entité a refusé de délivrer une habilitation de sécurité au demandeur ou a suspendu ou annulé son habilitation, ainsi que les motifs de la décision.

(g) whether an entity has refused to issue a security clearance to the applicant — or has suspended or cancelled one — and the reason for the refusal, suspension or cancellation.

[…]

Refus de délivrer l’habilitation

Refusal to grant security clearance

55 (1) S’il a l’intention de refuser de délivrer l’habilitation de sécurité, le ministre en informe le demandeur par avis motivé qui indique le délai dans lequel ce dernier peut lui présenter par écrit ses observations. Le délai commence à courir à la date à laquelle l’avis est fourni et ne peut être inférieur à vingt jours.

55 (1) If the Minister intends to refuse to grant a security clearance, the Minister must provide the applicant with a notice that sets out the reason for the proposed refusal and that specifies the period of time within which they may make written representations to the Minister. The period must start on the day on which the notice is provided and must be not less than 20 days.

Avis de refus

Notice of refusal

(2) En cas de refus, le ministre en informe par avis écrit le demandeur ainsi que tout titulaire de licence ou demandeur de licence touché par cette décision.

(2) If the Minister refuses to grant the security clearance, the Minister must provide the applicant, and any affected holder of or applicant for a licence, with notice of the refusal in writing.

[Les parties en caractères gras sont les dispositions les plus pertinentes pour le présent contrôle judiciaire.]

[4]  Le demandeur est le directeur général et la personne responsable de WFS Pharmagreen Inc [Pharmagreen]. Pendant plusieurs années, il a détenu une licence de production à titre de personne désignée, grâce à laquelle il était un producteur autorisé de marijuana à des fins médicales pour des personnes nommées.

[5]  Pharmagreen avait demandé à Santé Canada diverses licences pour la production et la transformation du cannabis au titre de la Loi. Dans le cadre de ces demandes, le demandeur devait demander une habilitation de sécurité.

[6]  Huit mois après le dépôt de la demande de licence et après des changements au régime réglementaire qui n’avaient aucun effet important sur cette demande, le gestionnaire des opérations a conclu que, d’après les renseignements contenus dans la vérification des dossiers d’application de la loi [la VDAL] faite par la Gendarmerie royale du Canada [la GRC], il était plus probable que le contraire que le demandeur présente un risque inacceptable pour la santé et la sécurité publiques. Il a donc recommandé au directeur de rejeter la demande d’habilitation de sécurité du demandeur.

[7]  Le 19 février 2019, le directeur a écrit au demandeur pour l’informer de son intention de refuser de délivrer l’habilitation de sécurité, en raison de la VDAL, et pour lui donner un préavis de 30 jours pour présenter des observations écrites avant qu’une décision définitive ne soit rendue.

[8]  Dans cet avis d’intention (voir le paragraphe 55(1) du Règlement), le directeur a reconnu que le demandeur n’avait aucun casier judiciaire, mais a cité trois faits en sa défaveur :

  • En février 2011, la police a arrêté un véhicule, dans lequel se trouvaient le demandeur et le sujet A, et y a trouvé 1,5 lb de marijuana.

  • En mars 2011, la police a arrêté un véhicule conduit par le demandeur, mais immatriculé au nom du sujet A. Ce dernier était assis sur le siège du passager et n’avait pas de permis de conduire. Il a dit à la police qu’il résidait chez le demandeur.

  • Le 6 avril 2018, la GRC a intercepté un colis FedEx que le demandeur avait envoyé à une personne en Alberta. Le colis contenait 240 grammes de marijuana.

[9]  D’après la VDAL, le sujet A était un trafiquant de marijuana et était associé à la bande de motards des Outlaws [les Outlaws]. De plus, le destinataire du colis FedEx n’était pas une personne inscrite dans la licence de production du demandeur.

[10]  Dans sa réponse à l’avis, le demandeur a demandé le nom du sujet A et des renseignements détaillés sur le fait que le sujet A était un trafiquant de marijuana, qu’il était associé aux Outlaws et que le demandeur connaissait les antécédents du sujet A.

[11]  Cette demande a été refusée au motif que la GRC n’avait pas donné ces renseignements supplémentaires à Santé Canada, en raison de l’application de la Loi sur la protection des renseignements personnels, LRC 1985, c P-21.

[12]  Le 17 avril 2019, en réponse à l’avis, l’avocat du demandeur a envoyé ses observations, comportant aussi des lettres personnelles d’amis ou de membres de la famille du demandeur, et a demandé des renseignements plus précis. Cette correspondance semblait s’être égarée, et le directeur a avisé que l’habilitation de sécurité était refusée, au motif qu’aucune observation n’avait été reçue.

[13]  Après une nouvelle soumission des observations, le directeur a examiné la demande d’habilitation de sécurité.

[14]  L’affaire a été portée devant le Forum consultatif interministériel sur la sécurité [le FCIS] qui a recommandé le refus de l’habilitation de sécurité, parce que le demandeur présentait un risque inacceptable pour la santé et la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites. Le FCIS s’est appuyé sur les renseignements contenus dans la VDAL, notamment sur l’association du demandeur avec une personne connue pour être un trafiquant de marijuana et un associé d’un membre des Outlaws, et sur le fait que le demandeur avait posté 2,1 livres de cannabis à une personne pour laquelle il n’avait pas de licence de production de la marijuana.

[15]  Le FCIS a souligné que le demandeur n’avait pas contredit les renseignements ci-dessus, mais avait prétendu que l’envoi de cannabis par la poste était une erreur innocente et commise de bonne foi. Le demandeur avait également fait valoir que, si le sujet A était un certain M. Faulkner, celui-ci n’avait jamais habité avec lui, et qu’il n’était pas au courant de son casier judiciaire ni de son association avec les membres des Outlaws.

[16]  Le demandeur a de nouveau demandé plus de renseignements. Santé Canada a répété qu’elle n’en avait pas.

[17]  Le 28 octobre 2019, le directeur, au motif que le demandeur présentait un risque inacceptable pour la santé et la sécurité publiques, a rejeté la demande d’habilitation de sécurité. Pour ce faire, il s’est appuyé sur les recommandations du FCIS, les observations du demandeur et la VDAL. Les motifs de la décision citent le lien avec un trafiquant de marijuana présumé, à savoir le sujet A, et l’envoi par la poste de cannabis à une personne pour laquelle le demandeur n’avait pas de licence de production.

[18]  Il importe de préciser que, bien que le demandeur se concentre, dans le cadre du contrôle judiciaire, sur son affirmation selon laquelle le sujet A ne vivait pas avec lui, ce fait ne constituait pas un motif de refus, à l’instar de la question entourant l’association du sujet A avec un membre des Outlaws.

[19]  Les questions en litige dans le présent contrôle judiciaire sont énoncées au paragraphe 1.

III.  Analyse

A.  Les questions préliminaires

[20]  Les parties ont convenu qu’il faudrait retirer la référence à Todd Cain dans l’intitulé.

[21]  La question préliminaire la plus importante est l’admissibilité des affidavits du demandeur et de son épouse, Leona Wojcik. Le demandeur les a inclus dans son dossier. Le défendeur s’y oppose, au motif qu’ils ne figuraient pas dans le dossier de preuve présenté au décideur et qu’ils ne sont visés par aucune des exceptions reconnues à la règle générale selon laquelle le dossier de la preuve examiné au cours du contrôle judiciaire doit se limiter à celui dont disposait le décideur.

[22]  Comme il a été déclaré dans la décision Drew c Canada (Procureur général), 2018 CF 553 au para 14, pour les demandes de contrôle judiciaire, il existe des exceptions à la règle générale, notamment (1) lorsque la preuve comprend des informations générales qui sont susceptibles d’aider la Cour à comprendre les questions pertinentes; (2) lorsque des informations servent à démontrer des vices de procédure qu’on ne peut déceler dans le dossier du décideur; (3) lorsque la preuve fait ressortir l’absence totale de preuve dont disposait le décideur au moment de tirer ses conclusions. (Les instances relatives à un jugement déclaratoire peuvent exiger des considérations différentes.)

[23]  Les affidavits contiennent des documents qui complètent le dossier, portent sur le bien-fondé de la décision et comportent des arguments et des observations.

[24]  Dans son affidavit, le demandeur affirme que seule sa famille proche vivait dans sa maison, et aucune autre personne, qu’il n’avait jamais entendu M. Faulkner dire à la police qu’il vivait chez lui et que l’envoi de cannabis en Alberta était une erreur innocente et une violation purement technique. L’affidavit formule également des arguments de nature juridique, fait référence à une violation de l’article 7 de la Charte canadienne des droits et libertés et sollicite une divulgation plus détaillée.

[25]  L’affidavit de Leona Wojcik comporte des éléments de preuve ex post facto au sujet du bien-fondé de la décision.

[26]  À l’exception des documents présentés au directeur dans la demande d’habilitation de sécurité (qui sont redondants, car ils font partie du dossier du tribunal et se retrouvent maintenant dans l’affidavit), les affidavits sont inappropriés. Les deux affidavits traitent de la question de M. Faulkner, sur laquelle le demandeur a présenté des observations au directeur. Le directeur avait aussi eu l’explication sur l’envoi de cannabis par la poste.

[27]  Les éléments de preuve joints aux affidavits ont été ou auraient pu être présentés au décideur. Les parties de nature juridique de l’affidavit sont inappropriées pour un affidavit (article 81 des Règles), et elles sont les mêmes que celles contenues dans la réponse du demandeur à l’avis d’intention.

[28]  Les deux affidavits sont inappropriés, redondants et ne constituent pas une exception à la règle générale sur la preuve dans les instances de contrôle judiciaire. Par conséquent, ils sont inadmissibles et sont radiés du dossier. Ils ont été écartés pour les besoins de la présente décision.

B.  La norme de contrôle

[29]  Il est maintenant admis que la norme à appliquer dans le cadre d’une demande de contrôle judiciaire portant sur des questions d’équité procédurale est la décision correcte (voir Henri c Canada (Procureur général), 2016 CAF 38 au paragraphe 16).

[30]  Quant à la question du bien-fondé, il est déclaré dans l’arrêt Canada (Ministre de la Citoyenneté et de l’Immigration) c Vavilov 2019 CSC 65, qu’il y a une présomption d’application de la norme de la décision raisonnable. Rien dans la présente affaire, ni dans le régime législatif, ne réfute cette présomption. La décision doit être justifiée, eu égard aux faits et au droit. Compte tenu de la nature discrétionnaire de la décision, de l’objet de l’affaire et de l’expertise dans ce domaine, la Cour ne devrait pas s’ingérer indûment dans les fonctions du décideur.

C.  L’équité procédurale

[31]  Le demandeur fait valoir qu’en ce qui a trait à l’équité procédurale, il n’a pas eu assez de détails au sujet des allégations à l’appui des conclusions selon lesquelles le sujet A vivait avec le demandeur, était un trafiquant de marijuana ou était associé aux Outlaws. Par conséquent, le demandeur n’a pas eu un avis approprié ni une occasion suffisante de répondre à ces allégations.

[32]  Le demandeur avait insisté pour savoir le nom du sujet A qu’il a ensuite identifié. Il a donc retiré la plainte pour non-divulgation.

[33]  Les allégations relatives au sujet A figuraient dans la version caviardée de la VDAL. Ce document comporte un curieux avertissement qui est ainsi rédigé : [traduction« la GRC et les policiers concernés par les faits en cause ne peuvent pas confirmer l’exactitude de l’identité ou des renseignements contenus dans ces rapports ». Cet avertissement pourrait être pertinent dans d’autres affaires, mais il ne l’est pas en l’espèce.

[34]  Le demandeur a formulé une objection en soutenant que les renseignements caviardés pourraient être pertinents. Or, la GRC est à l’origine de la version caviardée, et ni Santé Canada ni le directeur ne disposaient de renseignements plus précis pour les besoins de la décision. Peu importe l’existence de lacunes, celles-ci faisaient parties du dossier soumis au directeur.

[35]  Dans Lum c Canada (Procureur général), 2020 CF 797 [Lum], la seule décision à ce jour qui porte sur l’habilitation de sécurité de titulaires de licences de cannabis, la juge Strickland a effectué une analyse approfondie du régime régissant ces habilitations. Je l’adopte en l’espèce. La décision Lum confirme que l’habilitation de sécurité est un privilège, et non pas un droit. Cette conclusion a une incidence sur la nature et le niveau de l’équité procédurale dont il faut faire preuve.

[36]  Comme il a été statué dans la décision Henri c Canada (Procureur général), 2014 CF 1141 [Henri CF], la nécessité d’assurer la sécurité nationale l’emporte sur les répercussions du refus d’une habilitation de sécurité sur l’emploi ou la vie personnelle d’une personne. Le niveau d’équité à assurer est jugé minimal (Varn c Canada (Procureur général), 2017 CF 1132; Singh Kailley c Canada (Transports), 2016 CF 52). Le paragraphe 67(1) de la Loi confère un pouvoir discrétionnaire important quant à la délivrance d’une habilitation de sécurité, ce qui étaye la conclusion que, dans ces cas, le niveau d’équité procédurale est peu élevé.

[37]  La Loi et le Règlement énoncent les facteurs de risque à prendre en considération ainsi que le processus à suivre en cas de refus d’une habilitation de sécurité. Le paragraphe 55(1) du Règlement exige qu’un demandeur reçoive un avis motivé et qu’il ait la possibilité d’y répondre par écrit.

[38]  Je conclus que le demandeur a reçu ce à quoi il avait droit. Il a été avisé de l’intention de refuser l’habilitation; il a été informé des préoccupations sur lesquelles le refus serait fondé; il a eu le temps de préparer des réponses détaillées, y compris une argumentation juridique; il les a présentées; elles ont été examinées avant qu’une décision finale soit rendue.

[39]  Le demandeur fait valoir que la décision était déraisonnable, mais ce principe n’a aucune incidence sur la question de l’équité procédurale. Il avait les mêmes renseignements que Santé Canada, quoique insuffisants, d’après ce qu’il affirme, et il a eu l’occasion de répondre aux préoccupations.

[40]  Je ne vois aucun manquement à l’équité procédurale dans ces circonstances. Le demandeur s’appuie sur des affaires qui mettent en cause la Commission nationale des libérations conditionnelles. Ces affaires peuvent être distinguées de la présente espèce, en particulier pour ce qui est de la question relative au niveau d’équité procédurale, puisqu’il s’agit de décisions qui touchaient à la liberté physique personnelle.

D.  Le caractère raisonnable

[41]  La présente affaire peut se résumer à déterminer si le fondement de la décision du directeur était raisonnable. La décision n’était pas fondée sur la question de la résidence du sujet A. Elle reposait sur les actes du demandeur, à savoir l’envoi de marijuana en Alberta et son lien avec un individu connu pour être un trafiquant de marijuana associé à une bande de motards.

[42]  La question est de savoir si ces actes constituaient un fondement raisonnable pour que le directeur croie, selon la prépondérance des probabilités, que le demandeur pouvait poser un risque inacceptable pour la santé et la sécurité publiques, notamment le risque que le cannabis soit détourné vers un marché ou pour une activité illicites.

[43]  Des éléments de preuve appuyaient cette conclusion. Sans se prononcer sur la question de savoir si le sujet A était effectivement un trafiquant de drogues, le directeur a souligné que le trafic de drogues rapporté dans la VDAL soulevait un soupçon raisonnable.

[44]  Aux termes du paragraphe 53(2) du Règlement, il suffit que le directeur conclue qu’il existe des motifs raisonnables de soupçonner que le demandeur était associé avec un individu à l’égard duquel il y a des motifs raisonnables de soupçonner sa participation ou sa contribution à des activités illégales.

[45]  Il est légitime que le directeur se base sur une VDAL qui est une source sur laquelle il peut s’appuyer, malgré l’avertissement (voir Lum et Henri CF).

[46]  La VDAL constituait un fondement raisonnable pour le type de décision que le directeur devait rendre. La VDAL comportait également des éléments de preuve sur l’envoi de cannabis à une adresse en Alberta, ce qui constituait, dans les meilleurs des cas, une infraction au Règlement. Le demandeur a affirmé qu’il s’agissait d’une erreur de bonne foi. Cela dit, cet envoi et les autres faits mentionnés dans la VDAL constituaient un fondement rationnel et transparent pour une décision selon laquelle le refus faisait partie des issues raisonnables que le directeur pouvait choisir.

[47]  Le demandeur fait erreur en s’appuyant sur la décision Britz c Canada (Procureur général), 2016 CF 1286 [Britz]. Dans Britz, des éléments de preuve très pertinents ont été écartés et n’ont pas par ailleurs été traités. Dans la présente affaire, il n’y a pas de libellé standard, et il existait un fondement factuel qui a été traité lors d’une analyse concise, certes, mais rationnelle.

[48]  Il était question de rendre une décision en ayant égard aux risques et à l’avenir. Il a fallu se demander si le demandeur pouvait être enclin à commettre des infractions à la Loi et au Règlement, ou à aider quelqu’un d’autre à le faire.

[49]  En raison de la nature de la décision, la Cour doit accorder au directeur une marge de manœuvre raisonnable pour l’acceptation ou le rejet de ce risque.

[50]  Dans ces circonstances, je conclus que la décision était raisonnable.

IV.  Conclusion

[51]  La demande de contrôle judiciaire sera rejetée avec dépens.

 


JUGEMENT dans le dossier T-1973-19

LA COUR ORDONNE :

  1. La demande de contrôle judiciaire est rejetée avec dépens.

  2. L’intitulé est modifié afin de supprimer le nom « Todd Cain ».

« Michael L. Phelan »

Juge


COUR FÉDÉRALE

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER


DOSSIER :

T-1973-19

 

INTITULÉ :

PETER WOJCIK c LE PROCUREUR GÉNÉRAL DU CANADA

 

LIEU DE L’AUDIENCE :

AUDIENCE Tenue par vidéoconférence à Vancouver (Colombie-Britannique)

 

DATE DE L’AUDIENCE :

Le 23 septembre 2020

 

JUGEMENT ET MOTIFS :

LE JUGE PHELAN

 

DATE DU JUGEMENT
ET DES MOTIFS :

Le 8 octobre 2020

 

COMPARUTIONS :

John W. Conroy, c.r.

Matthew Jackson

 

Pour le demandeur

 

Shaun Ramdin

 

Pour le défendeur

 

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conroy & Company

Avocats

Abbotsford (Colombie-Britannique)

 

Pour le demandeur

 

Procureur général du Canada

Vancouver (Colombie­Britannique)

Pour le défendeur

 

 

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.