Décisions de la Cour fédérale

Informations sur la décision

Contenu de la décision

                                               

                                                                                                                                 Date : 20040716

Dossier : T-2196-03

Référence : 2004 CF 1001

Ottawa (Ontario), le 16 juillet 2004

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE SHORE

ENTRE :

CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE,

organisme administratif du Territoire des Mohawks de Kahnawake, dont le lieu d'affaires est situé à B.P. 720, Kahnawake (Québec), JOL 1BO

demandeur

et

DANNY LAHACHE, B.P. 931, Kahnawake

(Québec), JOL 1BO, a/s Me Sophie Matte, Rochefort & Associés, 1625, Sherbrooke ouest, Montréal (Québec),

H4H 1E2

intimé

                                         MOTIFS DU JUGEMENT ET JUGEMENT

INTRODUCTION


[1]                Peu importe les apparences que la conclusion d'une décision peut prendre, les fins de la décision d'un arbitre ne justifient pas nécessairement les moyens. La retenue est une fonction essentielle de l'exercice judiciaire. Non seulement faut-il s'en servir, mais encore faut-il que ce soit, avec raison, conformément au droit, à la jurisprudence et à la doctrine établie. La Cour seulement a le pouvoir d'appliquer des recours dans sa juridiction; lorsqu'elle n'a pas ce pouvoir, elle doit renvoyer l'affaire à sa source, car les moyens justifient également les fins.

PROCÉDURE JUDICIAIRE

[2]                Il s'agit d'une demande de contrôle judiciaire de la décision d'un arbitre rendue en vertu de l'article 240 du Code canadien du travail[1] et datée du 28 octobre 2003, qui mentionne que le plaignant, Danny Lahache (l'intimé) a été congédié injustement par le Conseil des Mohawks de Kahnawake (le demandeur).

[3]                Le Conseil des Mohawks de Kahnawake demande que la Cour accueille la demande, infirme la décision de l'arbitre, renvoie l'affaire à un autre arbitre et attribue les dépens au Conseil des Mohawks de Kahnawake.

[4]                M. Lahache réclame des dépens contre le Conseil des Mohawks de Kahnawake.


CONTEXTE

[5]                M. Lahache a été employé comme camionneur/manoeuvre par le demandeur, le Conseil des Mohawks de Kahnawake, pendant environ vingt ans. Il a obtenu des évaluations positives de son travail jusqu'en octobre 2001, et il a été félicité pour son dévouement durant la « tempête de verglas » de 1998.

[6]                Durant les douze premières années d'emploi, M. Lahache, tout comme ses collègues, n'a signé aucun contrat d'emploi avec le Conseil des Mohawks de Kahnawake. Après cette période, le Conseil des Mohawks de Kahnawake a commencé à engager son personnel selon des contrats d'un an. À la fin de 1999, les contrats sont passés à une durée de six mois.

[7]                En décembre 1999, une nouvelle personne a été nommée coordonnateur des Travaux publics (le coordonnateur). M. Lahache était employé dans une sous-unité des Travaux publics.

[8]                Il semble, d'après la preuve, que le coordonnateur était responsable de l'embauche du personnel à Travaux publics.

[9]                M. Lahache a été licencié durant l'hiver 2000, puis embauché de nouveau, il semble, au printemps 2001.

[10]            Le 26 octobre 2001 ou vers cette date, M. Lahache a été informé encore une fois qu'il serait licencié durant l'hiver.

[11]            Le 21 janvier 2002, M. Lahache a déposé une plainte de congédiement injuste contre le Conseil des Mohawks de Kahnawake en vertu de l'article 240 du CCT.

[12]            En janvier 2002, le Conseil des Mohawks de Kahnawake a examiné la situation d'emploi de M. Lahache afin de répondre à ses préoccupations concernant son licenciement.

[13]            Le 29 avril 2002, le Conseil des Mohawks de Kahnawake a offert à M. Lahache deux contrats possibles. Il les a refusés tous les deux, mentionnant qu'il désirait un contrat d'un an.

[14]            Le 30 avril 2002, le Conseil des Mohawks de Kahnawake a offert à M. Lahache un autre contrat d'emploi d'un an au service des Travaux publics. L'offre prévoyait que les vingt-six premières semaines seraient une période probatoire. En outre, l'offre était conditionnelle au retrait de la plainte de congédiement injuste déposée par M. Lahache, au retrait de la plainte au criminel de faux contre le coordonnateur, à l'issue positive d'un règlement extrajudiciaire des conflits avec le coordonnateur, ainsi qu'à d'autres conditions.

[15]            M. Lahache a accepté de signer le contrat avant de le voir, puis, à la date de signature fixée, il a décidé de ne pas le signer.


DÉCISION À L'EXAMEN

[16]            Au début de l'audience, le Conseil des Mohawks de Kahnawake a soulevé deux exceptions déclinatoires : le Conseil des Mohawks de Kahnawake a allégué que M. Lahache a démissionné de son poste en refusant une offre d'emploi en mai 2002. À titre subsidiaire, le Conseil des Mohawks de Kahnawake a soutenu que M. Lahache a été licencié en raison d'un manque de travail.

[17]            En ce qui concerne la première exception, l'arbitre a conclu que M. Lahache n'avait pas démissionné. Il a trouvé compréhensible que M. Lahache n'accepte pas le contrat qu'on lui a offert, car ce contrat lui demandait de ne pas exercer son droit légitime de porter plainte en vertu du CCT contre le Conseil des Mohawks de Kahnawake; également d'abandonner la plainte au criminel que M. Lahache a déposée contre le coordonnateur, et d'accepter de procéder à un règlement extrajudiciaire des conflits. Cette offre ne donnait aucune assurance à M. Lahache et, en fait, elle le plaçait en situation de probation, avec une forte connotation disciplinaire. En raison des conditions imposées à M. Lahache, l'arbitre a conclu que M. Lahache, en refusant de signer le contrat, n'a pas démissionné[2].

[18]            L'arbitre a aussi conclu que M. Lahache n'a pas été licencié en raison du manque de travail, mais qu'il a plutôt été congédié injustement. Il a observé que le fait que M. Lahache ait travaillé pour le Conseil des Mohawks de Kahnawake pendant environ 20 ans, et que jusqu'à la nomination d'un nouveau coordonnateur des Travaux Publics en 1999, il avait eu une fiche de travail impeccable[3].

[19]            L'arbitre a alors décrit le processus menant au congédiement injuste de M. Lahache, en commençant par la modification, par le coordonnateur, de l'évaluation du travail de M. Lahache. Il a déclaré :

[traduction]

Faisant preuve de mauvais jugement et d'une certaine intention à l'égard du plaignant [M. Lahache], [le coordonnateur] a modifié unilatéralement certaines évaluations du rendement cotées par le supérieur immédiat, Andrew Montour, de « satisfaisant » et « très satisfaisant » à « insatisfaisant » et a ajouté une feuille supplémentaire au formulaire d'évaluation du rendement des employés D-5.

Sur cette feuille supplémentaire, [le coordonnateur] a ajouté ses propres commentaires, qui :

a. sont à l'opposé des évaluations antérieures du plaignant,

b. sont carrément contradictoires avec l'évaluation du supérieur immédiat,

c. dénigrent beaucoup le rendement du plaignant,

d. ont une teneur personnelle inexplicable, étant donné qu'il n'est présumément plus responsable du travail quotidien du plaignant.

Parallèlement, [le coordonnateur] a choisi des employés pour l'hiver, excluant le plaignant qui compte une longue expérience au profit d'un autre qui n'avait aucune espèce d'expérience dans la conduite d'une charrue. Il affirme en cela : « les choix étaient fondés sur l'évaluation de chaque candidat et discutés en détail par le comité [...] les quatre employés [choisis] sont à contrat depuis le 30 avril 2001. Ils ont assumé leurs responsabilités de manière entièrement satisfaisante.


La note du [coordonnateur] ne peut être que vraie ou sincère parce qu'il avait noirci subrepticement, était sur le point ou tentait de noircir la fiche de travail impeccable de longue date du plaignant pour le défendeur.

[...]

En bref, il me semble que la preuve du défendeur [le Conseil des Mohawks de Kahnawake] concernant les machinations du [coordonnateur] en octobre 2001 pourrait appuyer la défense de son congédiement mais pas celui du plaignant [souligné dans l'original][4].

[20]            L'arbitre a ajouté que le Conseil des Mohawks de Kahnawake avait mentionné avant l'audience qu'il se fonderait sur une troisième exception déclinatoire, notamment que M. Lahache n'a pas été employé pendant une période continue de douze mois. Bien que le Conseil ait retiré cette exception, l'arbitre a brièvement examiné cette question et a conclu que M. Lahache avait travaillé pendant une période continue de douze mois ou plus[5].

[21]            Ayant conclu que les exceptions soulevées par le Conseil des Mohawks de Kahnawake ne s'appliquaient pas au cas exposé devant lui, l'arbitre a rendu une décision favorable à M. Lahache.

[22]            L'arbitre a ensuite ordonné que M. Lahache soit réintégré avec salaire rétroactif. Il s'est en outre réservé compétence : [traduction] « pour l'application d'un montant ou toute autre difficulté découlant de l'application de la présente décision. » [6].


QUESTIONS

[23]            L'affidavit déposé au nom du Conseil des Mohawks de Kahnawake est-il suffisant?

[24]            Les observations du Conseil des Mohawks de Kahnawake sont-elles plaidées adéquatement?

[25]            Le ministre a-t-il violé l'obligation d'équité en nommant l'arbitre trois mois après la fermeture supposée du dossier de M. Lahache en raison de l'inaction?

[26]            L'arbitre a-t-il commis une erreur en imposant le fardeau de la preuve au Conseil des Mohawks de Kahnawake?

[27]            L'arbitre a-t-il commis une erreur en autorisant le Conseil des Mohawks de Kahnawake à présenter des arguments relativement au recours approprié?

[28]            Les motifs de l'arbitre relativement à la réintégration sont-ils adéquats?


ANALYSE

L'affidavit déposé au nom du Conseil des Mohawks de Kahnawake est-il suffisant?

[29]            En vertu du paragraphe 80(3) des Règles de la Cour fédérale (1998)[7], lorsqu'un affidavit fait mention d'une pièce : « la désignation précise de celle-ci est inscrite sur la pièce même ou sur un certificat joint à celle-ci, suivie de la signature de la personne qui reçoit le serment » . Étant donné que le Conseil des Mohawks de Kahnawake n'a pas agit de cette façon, les pièces jointes à son affidavit ne sont pas admissibles.

Les observations du Conseil des Mohawks de Kahnawake sont-elles plaidées adéquatement?

[30]            Le Conseil des Mohawks de Kahnawake présente un certain nombre d'observations relativement aux erreurs commises par l'arbitre durant l'audience. Toutefois, le Conseil des Mohawks de Kahnawake n'atteste pas ces incidents, et il n'y a aucune preuve de ceux-ci au dossier. En conséquence, un certain nombre d'observations du Conseil des Mohawks de Kahnawake ne sont pas admissibles, étant donné qu'elles sont fondées sur des déclarations n'ayant aucune preuve à l'appui.


[31]            Les observations suivantes sont problématiques :

(a)    L'observation selon laquelle l'arbitre a commis une erreur en ne permettant pas au Conseil des Mohawks de Kahnawake de faire valoir que le congédiement de M. Lahache était juste n'est pas admissible. La représentante du Conseil des Mohawks de Kahnawake n'a pas mentionné dans son affidavit que l'arbitre n'a pas autorisé le Conseil des Mohawks de Kahnawake à présenter une preuve relativement à cette question. De plus, M. Lahache a déposé une lettre auprès de la Cour dans laquelle le Conseil des Mohawks de Kahnawake confirme qu'il avait présenté sa preuve[8]. Ceci contredit l'observation du Conseil des Mohawks de Kahnawake.

(b)    Le Conseil des Mohawks de Kahnawake soutient que l'arbitre a déclaré à tort que M. Lahache a travaillé de manière continue pour le Conseil des Mohawks de Kahnawake pendant environ vingt ans, malgré le propre témoignage de M. Lahache selon lequel il a été licencié occasionnellement durant son emploi. Cette allégation n'est pas attestée dans l'affidavit de la représentante du Conseil des Mohawks de Kahnawake et il n'y a aucune preuve à l'appui de cette allégation.


(c)      Le Conseil des Mohawks de Kahnawake soutient que l'arbitre a commis une erreur en ignorant le témoignage de M. Richard Jones. Toutefois, la Cour ne dispose d'aucune preuve des déclarations de M. Jones dans son témoignage.

[32]            Aucun de ces arguments n'a de fondement probatoire.

Le ministre a-t-il violé l'obligation d'équité en nommant l'arbitre trois mois après la fermeture supposée du dossier de M. Lahache en raison de l'inaction?

[33]            Le Conseil des Mohawks de Kahnawake soutient que l'arbitre a enfreint l'obligation d'équité qu'il avait à l'égard du Conseil des Mohawks de Kahnawake lorsqu'il a instruit l'affaire malgré le fait que le ministre l'avait désigné d'une manière entachée d'erreur ou contraire à la loi.

[34]            Le Conseil des Mohawks de Kahnawake soutient que le ministre a désigné l'arbitre d'une manière entachée d'erreur parce que le ministre l'a désigné trois mois après que l'inspecteur de Développement des ressources humaines Canada (DRHC) responsable du dossier a informé le Conseil des Mohawks de Kahnawake qu'il fermerait le dossier à moins que M. Lahache ne lui fasse part de ce qu'il prévoyait faire relativement au dossier. D'après le Conseil des Mohawks de Kahnawake, parce que le ministre a omis de tenir compte de l'échéance fixée par l'inspecteur, il a enfreint l'obligation d'équité qu'il avait à son égard.


[35]            La lettre à laquelle renvoie le Conseil des Mohawks de Kahnawake n'a pas été présentée correctement à la Cour et ainsi, cet argument peut être rejeté pour ce seul motif.

[36]            Toutefois, même si elle avait été présentée correctement à la Cour, la prétention du Conseil des Mohawks de Kahnawake est totalement injustifiée. Premièrement, c'est l'inspecteur lui-même qui a prorogé l'échéance, si bien que le ministre n'a pas omis de tenir compte de l'échéance fixée par l'inspecteur.

[37]            On ne peut conclure que l'inspecteur lui-même a enfreint l'obligation d'équité à l'égard du Conseil des Mohawks de Kahnawake, puisqu'un délai constitue une violation de l'obligation d'équité lorsque ce délai est injustifié et, par conséquent, empêche les parties de présenter leur cause adéquatement[9]. Il est improbable qu'un délai de trois mois aurait un effet préjudiciable inhérent sur le Conseil des Mohawks de Kahnawake. De plus, le Conseil des Mohawks de Kahnawake n'a pas décrit de quelle manière le délai avait eu un effet préjudiciable. Ainsi, il n'y a pas eu de violation de l'obligation d'équité.

[38]            Troisièmement, le Conseil des Mohawks de Kahnawake conteste en fait soit la décision de l'inspecteur, soit la décision du ministre. Cependant, la présente affaire est un contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre.


[39]            Enfin, comme le souligne M. Lahache, la raison pour laquelle il a demandé des prorogations était que, pendant une partie importante de cette période, il menait des négociations avec le Conseil des Mohawks de Kahnawake au sujet de son embauche par le Conseil. Par conséquent, le Conseil des Mohawks de Kahnawake aurait pu tirer avantage du délai. De plus, le Conseil a joué un rôle central pour ce qui est d'engendrer ce délai. Ainsi, il ne peut maintenant prétendre qu'il y a eu entorse à la justice naturelle.

L'arbitre a-t-il commis une erreur en imposant le fardeau de la preuve au Conseil des Mohawks de Kahnawake?


[40]            Au début de l'audience, le Conseil des Mohawks de Kahnawake a prétendu que l'arbitre n'était pas compétent à instruire l'affaire étant donné que soit M. Lahache avait démissionné de son poste, soit il a été mis à pied en raison d'un manque de travail. En exposant ces objections, l'arbitre a affirmé : [traduction] « En présentant ces exceptions d'incompétence, le défendeur [le Conseil des Mohawks de Kahnawake] a déplacé le fardeau de la preuve, se l'imposant à lui-même [...] » [10]. Le Conseil des Mohawks de Kahnawake soutient que, d'après la jurisprudence, le fardeau de la preuve incombe toujours au plaignant, même lorsque l'employeur prétend que le demandeur a démissionné. Le Conseil des Mohawks de Kahnawake fait valoir que l'arbitre a imposé le fardeau de la preuve au Conseil des Mohawks de Kahnawake, et qu'il a erré en prenant cette décision.

[41]            M. Lahache soutient qu'il faut tenir compte de la décision dans son ensemble. L'arbitre a entendu l'ensemble de la preuve avant de décider si les exceptions d'incompétence étaient pertinentes ou non. Ainsi, l'arbitre n'a pas imposé le fardeau de la preuve au Conseil des Mohawks de Kahnawake, et il n'a pas commis d'erreur.

[42]            La Cour est d'accord avec le Conseil des Mohawks de Kahnawake. Dans la décision Demangeon c. Serge Lemay Inc.[11], qui comportait des faits très similaires à ceux de la présente affaire pour ce qui est de la présente question, Monsieur le juge Pinard a affirmé :

À mon sens, l'arbitre a eu tort d'imposer au demandeur le fardeau de prouver que le défendeur avait démissionné. Le fait que la question de la compétence de l'arbitre ait été soulevée par voie d'objection préliminaire faite par le demandeur ne déplace pas pour autant le fardeau de la preuve imposé en droit au défendeur plaignant de prouver l'existence d'un congédiement, incluant au besoin l'absence de démission. Ce n'est que lorsque la personne qui se prétend injustement congédiée a fait la preuve du congédiement que l'employeur se voit alors charger du fardeau de prouver que ce congédiement était juste. La norme de contrôle judiciaire de la décision de l'arbitre sur sa compétence est l'absence d'erreur. [...][12].

Conformément à ce raisonnement, la Cour convient avec le Conseil des Mohawks de Kahnawake.

[43]            Dans la présente affaire, le fardeau aurait pu se déplacer à un certain moment de M. Lahache au Conseil des Mohawks de Kahnawake. Si M. Lahache avait présenté des preuves de son congédiement, à ce moment-là, le Conseil des Mohawks de Kahnawake aurait eu le fardeau de la preuve. Toutefois, l'arbitre, a conclu que le Conseil des Mohawks de Kahnawake était entièrement chargé du fardeau de la preuve. Il s'agit clairement d'une erreur qui aurait pu avoir une incidence sur l'issue de la décision.

L'arbitre a-t-il commis une erreur en autorisant le Conseil des Mohawks de Kahnawake à présenter des arguments relativement au recours approprié?

[44]            Le Conseil des Mohawks de Kahnawake soutient que, au terme de l'audience, M. Lahache, au moment où l'arbitre lui a demandé quel genre de redressement il souhaitait obtenir, a répondu qu'il souhaitait sa réintégration. D'après le Conseil des Mohawks de Kahnawake, il prenait connaissance de cette demande pour la première fois et il a tenté de formuler des observations à ce sujet. L'arbitre n'a pas permis la présentation de telles observations. Toutefois, dans sa décision, il a accordé à M. Lahache la réintégration demandée. En ne permettant pas d'observations sur cette question, l'arbitre a privé le Conseil des Mohawks de Kahnawake du droit d'être entendu.


[45]            M. Lahache soutient que l'arbitre est encore saisi de l'affaire, ayant déclaré dans sa décision :

[traduction]

POUR CES MOTIFS, LE TRIBUNAL :

réintègre le plaignant, à compter du 27 octobre 2001, avec versement rétroactif du salaire, comme s'il n'avait jamais cessé d'être un employé depuis cette date;

se réserve compétence pour l'application d'un montant ou toute autre difficulté découlant de l'application de la présente décision[13].

Ainsi, le Conseil des Mohawks de Kahnawake peut maintenant présenter les observations qu'il voulait soumettre à l'arbitre.

[46]            La Cour n'est pas d'accord avec M. Lahache. En lisant la décision elle-même, il est apparent que l'arbitre refusait de recevoir toute observation au sujet du genre de redressement à imposer, puisqu'il a réservé compétence uniquement quant à la manière dont la décision serait mise en application.


[47]            De plus, l'arbitre aurait commis une erreur s'il avait indiqué dans sa décision que, ayant accordé la réintégration à M. Lahache, il pouvait encore recevoir des observations et modifier sa décision, puisque l'arbitre était dessaisi. Dans la décision Murphy c. Canada (arbitre désigné en vertu du Code du travail)[14], la Cour d'appel fédérale a établi le critère permettant de décider si un arbitre est dessaisi : l'arbitre n'est dessaisi que lorsqu'il a tranché la plainte qui lui a été soumise[15]. Dans des causes subséquentes, on a appliqué ce principe de manière à ce que, lorsque l'arbitre se réserve compétence pour la mise en oeuvre de la décision, il n'est pas habilité à rouvrir la cause et à réexaminer le fond de l'affaire[16].

[48]            Le fond de l'affaire englobait la question de la pertinence de la réintégration. L'arbitre en est venu à une conclusion à ce sujet. Il ne lui aurait pas été possible de revenir sur cette conclusion à la demande de l'une ou de l'autre des parties. Ainsi, le Conseil des Mohawks de Kahnawake ne peut présenter d'observations au sujet de la pertinence de la décision de réintégrer l'intimé.


[49]            La Cour conclut que l'arbitre a erré en venant à cette conclusion à ce sujet. La Cour n'accepte pas les observations du Conseil des Mohawks de Kahnawake selon lesquelles c'est seulement au terme de l'audience qu'il a pris connaissance de la volonté de M. Lahache de demander sa réintégration. Dans une lettre en date du 17 septembre 2002, le Conseil des Mohawks de Kahnawake affirmait qu'on l'avait avisé que M. Lahache demandait la réintégration à son ancien poste et le salaire perdu[17]. Ainsi, il n'est pas possible que le Conseil des Mohawks de Kahnawake ait pris connaissance de cette demande de M. Lahache au terme de l'audience. Le Conseil des Mohawks de Kahnawake n'a pas été pris par surprise.

[50]            D'après la Cour, l'arbitre était libre de refuser la demande du Conseil des Mohawks de Kahnawake visant la présentation de preuves et d'observations sur cette question. Le Conseil des Mohawks de Kahnawake avait présenté sa cause en entier, et avait confirmé l'avoir fait[18]. S'il avait permis au Conseil des Mohawks de Kahnawake de présenter des observations additionnelles et de produire de nouvelles preuves, l'arbitre aurait permis au Conseil de fractionner sa cause. Toutefois, ce qui est problématique, c'est que l'arbitre n'a fait aucun renvoi à cette question dans sa décision. Pour que ses motifs soient adéquats, l'arbitre devait aborder les points majeurs liés à cette question, présenter sa conclusion et exposer son raisonnement[19]. L'arbitre n'a répondu à aucune de ces exigences en rejetant la demande du Conseil des Mohawks de Kahnawake qui souhaitait produire des preuves et présenter des observations sur la décision de réintégrer l'intimé. Ainsi, même si la décision de l'arbitre n'est pas nécessairement erronée, son silence total sur cette question dans la décision est une erreur susceptible de révision.


Les motifs de l'arbitre relativement à la réintégration sont-ils adéquats?

[51]            Dans une veine similaire, le Conseil des Mohawks de Kahnawake soutient que l'arbitre, en ordonnant la réintégration, n'a pas indiqué s'il avait examiné la pertinence de la réintégration, s'il avait tenu compte du principe de l'atténuation du préjudice et s'il avait établi le montant de la rémunération rétroactive.

[52]            La Cour convient avec le Conseil des Mohawks de Kahnawake que l'exposé des motifs par l'arbitre était insuffisant. La question de la réintégration au lieu de l'indemnisation est une question difficile, et compte tenu de l'animosité que semble avoir le coordonnateur à l'égard de M. Lahache, et que M. Lahache avait menacé le coordonnateur, il n'allait pas de soi que M. Lahache pouvait être réintégré dans son ancien milieu de travail. Quoi qu'il s'agisse, aux yeux de la Cour, d'un règlement équitable de ce différend, la Cour n'est pas habilitée à se substituer à l'arbitre; elle doit plutôt examiner l'affaire dans la perspective d'un contrôle judiciaire. Cela ne signifie aucunement que l'arbitre a eu tort d'ordonner la réintégration -- il s'agit d'une question que l'arbitre doit trancher; le fait que le Conseil des Mohawks de Kahnawake était disposé à offrir un poste à M. Lahache indique que le Conseil lui-même estimait que M. Lahache devrait être réintégré. L'arbitre, encore une fois, n'a présenté aucune analyse de la situation, ni aucun motif pour l'approbation de la demande de réintégration. Compte tenu de cette lacune, je suis d'avis que la décision de l'arbitre doit être annulée.


CONCLUSION

[53]            La Cour accueille la demande de contrôle judiciaire.

[54]            Compte tenu des circonstances, aucuns dépens ne sont adjugés.

                                                                   JUGEMENT

LE JUGEMENT DE LA COUR est que l'affaire sera renvoyée à un autre arbitre en vue d'un réexamen.

« Michel M. J. Shore »

                                                                                                                                                     Juge                          

Traduction certifiée conforme

Martine Guay, LL.L.


                                                             COUR FÉDÉRALE

                                              AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER

DOSSIER :                                         T-2196-03

INTITULÉ :                                        CONSEIL DES MOHAWKS DE KAHNAWAKE,

organisme administratif du Territoire des Mohawks de Kahnawake, dont le lieu d'affaires est situé à B.P. 720, Kahnawake (Québec), JOL 1BO

et

DANNY LAHACHE, B.P. 931, Kahnawake

(Québec), JOL 1BO, a/s Me Sophie Matte, Rochefort & Associés, 1625, Sherbrooke ouest, Montréal (Québec),

H4H 1E2

                                                                             

LIEU DE L'AUDIENCE :                  MONTRÉAL (QUÉBEC)

DATE DE L'AUDIENCE :                23 JUIN 2004

MOTIFS DU JUGEMENT

ET JUGEMENT :                               MONSIEUR LE JUGE SHORE

DATE DES MOTIFS :                       19 JUILLET 2004

COMPARUTIONS :

François Dandonneau                                        POUR LE DEMANDEUR

François Beauvais                                              POUR L'INTIMÉ

AVOCATS INSCRITS AU DOSSIER :

Conseil des Mohawks de Kahnawake               POUR LE DEMANDEUR

Services juridiques

Kahnawake (Québec)

Rochefort & Associés                                        POUR L'INTIMÉ

Montréal (Québec)


DISPOSITIONS LÉGISLATIVES

Les articles 240 à 242 du Code canadien du travail, L.R. 1985, ch. L-2, s'énoncent comme suit :



240. (1) Sous réserve des paragraphes (2) et 242(3.1), toute personne qui se croit injustement congédiée peut déposer une plainte écrite auprès d'un inspecteur si_:

a) d'une part, elle travaille sans interruption depuis au moins douze mois pour le même employeur;

b) d'autre part, elle ne fait pas partie d'un groupe d'employés régis par une convention collective.

      (2) Sous réserve du paragraphe (3), la plainte doit être déposée dans les quatre-vingt-dix jours qui suivent la date du congédiement.

      (3) Le ministre peut proroger le délai fixé au paragraphe (2) dans les cas où il est convaincu que l'intéressé a déposé sa plainte à temps mais auprès d'un fonctionnaire qu'il croyait, à tort, habilité à la recevoir.

241. (1) La personne congédiée visée au paragraphe 240(1) ou tout inspecteur peut demander par écrit à l'employeur de lui faire connaître les motifs du congédiement; le cas échéant, l'employeur est tenu de lui fournir une déclaration écrite à cet effet dans les quinze jours qui suivent la demande.

      (2) Dès réception de la plainte, l'inspecteur s'efforce de concilier les parties ou confie cette tâche à un autre inspecteur.

       (3) Si la conciliation n'aboutit pas dans un délai qu'il estime raisonnable en l'occurrence, l'inspecteur, sur demande écrite du plaignant à l'effet de saisir un arbitre du cas_:

a) fait rapport au ministre de l'échec de son intervention;

b) transmet au ministre la plainte, l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement et tous autres déclarations ou documents relatifs à la plainte.

240. (1) Subject to subsections (2) and 242(3.1), any person

(a) who has completed twelve consecutive months of continuous employment by an employer, and

(b) who is not a member of a group of employees subject to a collective agreement,

may make a complaint in writing to an inspector if the employee has been dismissed and considers the dismissal to be unjust.

      (2) Subject to subsection (3), a complaint under subsection (1) shall be made within ninety days from the date on which the person making the complaint was dismissed.

      (3) The Minister may extend the period of time referred to in subsection (2) where the Minister is satisfied that a complaint was made in that period to a government official who had no authority to deal with the complaint but that the person making the complaint believed the official had that authority.

241. (1) Where an employer dismisses a person described in subsection 240(1), the person who was dismissed or any inspector may make a request in writing to the employer to provide a written statement giving the reasons for the dismissal, and any employer who receives such a request shall provide the person who made the request with such a statement within fifteen days after the request is made.

        (2) On receipt of a complaint made under subsection 240(1), an inspector shall endeavour to assist the parties to the complaint to settle the complaint or cause another inspector to do so.

        (3) Where a complaint is not settled under subsection (2) within such period as the inspector endeavouring to assist the parties pursuant to that subsection considers to be reasonable in the circumstances, the inspector shall, on the written request of the person who made the complaint that the complaint be referred to an adjudicator under subsection 242(1),

(a) report to the Minister that the endeavour to assist the parties to settle the complaint has not succeeded; and

(b) deliver to the Minister the complaint made under subsection 240(1), any written statement giving the reasons for the dismissal provided pursuant to subsection (1) and any other statements or documents the inspector has that relate to the complaint.



242. (1) Sur réception du rapport visé au paragraphe 241(3), le ministre peut désigner en qualité d'arbitre la personne qu'il juge qualifiée pour entendre et trancher l'affaire et lui transmettre la plainte ainsi que l'éventuelle déclaration de l'employeur sur les motifs du congédiement.

(2) Pour l'examen du cas dont il est saisi, l'arbitre_:

a) dispose du délai fixé par règlement du gouverneur en conseil;

b) fixe lui-même sa procédure, sous réserve de la double obligation de donner à chaque partie toute possibilité de lui présenter des éléments de preuve et des observations, d'une part, et de tenir compte de l'information contenue dans le dossier, d'autre part;

c) est investi des pouvoirs conférés au Conseil canadien des relations industrielles par les alinéas 16a), b) et c).

       (3) Sous réserve du paragraphe (3.1), l'arbitre_:

a) décide si le congédiement était injuste;

b) transmet une copie de sa décision, motifs à l'appui, à chaque partie ainsi qu'au ministre.

       (3.1) L'arbitre ne peut procéder à l'instruction de la plainte dans l'un ou l'autre des cas suivants_:

a) le plaignant a été licencié en raison du manque de travail ou de la suppression d'un poste;

b) la présente loi ou une autre loi fédérale prévoit un autre recours.

       (4) S'il décide que le congédiement était injuste, l'arbitre peut, par ordonnance, enjoindre à l'employeur_:

a) de payer au plaignant une indemnité équivalant, au maximum, au salaire qu'il aurait normalement gagné s'il n'avait pas été congédié;

b) de réintégrer le plaignant dans son emploi;

c) de prendre toute autre mesure qu'il juge équitable de lui imposer et de nature à contrebalancer les effets du congédiement ou à y remédier.

242. (1) The Minister may, on receipt of a report pursuant to subsection 241(3), appoint any person that the Minister considers appropriate as an adjudicator to hear and adjudicate on the complaint in respect of which the report was made, and refer the complaint to the adjudicator along with any statement provided pursuant to subsection 241(1).

      (2) An adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1)

(a) shall consider the complaint within such time as the Governor in Council may by regulation prescribe;

(b) shall determine the procedure to be followed, but shall give full opportunity to the parties to the complaint to present evidence and make submissions to the adjudicator and shall consider the information relating to the complaint; and

(c) has, in relation to any complaint before the adjudicator, the powers conferred on the Canada Industrial Relations Board, in relation to any proceeding before the Board, under paragraphs 16(a), (b) and (c).

      (3) Subject to subsection (3.1), an adjudicator to whom a complaint has been referred under subsection (1) shall

(a) consider whether the dismissal of the person who made the complaint was unjust and render a decision thereon; and         

(b) send a copy of the decision with the reasons therefor to each party to the complaint and to the Minister.

       (3.1) No complaint shall be considered by an adjudicator under subsection (3) in respect of a person where

(a) that person has been laid off because of lack of work or because of the discontinuance of a function; or

(b) a procedure for redress has been provided elsewhere in or under this or any other Act of Parliament.

      (4) Where an adjudicator decides pursuant to subsection (3) that a person has been unjustly dismissed, the adjudicator may, by order, require the employer who dismissed the person to

(a) pay the person compensation not exceeding the amount of money that is equivalent to the remuneration that would, but for the dismissal, have been paid by the employer to the person;

(b) reinstate the person in his employ; and

(c) do any other like thing that it is equitable to require the employer to do in order to remedy or counteract any consequence of the dismissal.

                     



[1] L.R. 1985, ch. L-2 (le CCT).

[2] Dossier de la demande du demandeur, Décision de l'arbitre, pages 19 et 20.

[3] Supra, page 13.

[4]Supra, pages 14 et 15.

[5] Supra, page 20.

[6] Supra.

[7] DORS/98-106.

[8] Dossier de la demande de l'intimé, lettre de François Dandonneau à Sophie Matte, en date du 14 juillet 2003, page 32.

[9] Blencoe c. Colombie-Britannique (Human Rights Commission), [2000] 2 R.C.S. 307, [2000] A.C.S. no 43 (QL), par. 102.

[10] Dossier de la demande du demandeur, Décision de l'arbitre, page 13.

[11] [2001] A.C.F. no 93 (1re inst.) (QL).

[12] Supra, paragraphe 8.

[13] Dossier de la demande du demandeur, Décision de l'arbitre, page 20.

[14] [1993] A.C.F. no 1236 (C.A.) (QL).

[15] Supra, paragraphe 16.

[16] Première nation de Wolf Lake c. Young, [1997] A.C.F. no 514 , par. 29 (1re inst.) (QL); Grover c. Canada (Conseil national de recherches - CNR), [1994] A.C.F. no 1000, par. 33 (1re inst.) (QL).

[17] Dossier de l'intimé, Lettre de François Dandonneau à Michel Germain, agent du ministère du Travail, en date du 17 septembre 2002, page 15.

[18] Dossier de la demande de l'intimé, Lettre de François Dandonneau à Sophie Matte, en date du 14 juillet 2003, page 32.

[19] VIA Rail Canada Inc. c. Office national des transports, [2000] A.C.F. no 1685, par. 22 (C.A.) (QL).

 Vous allez être redirigé vers la version la plus récente de la loi, qui peut ne pas être la version considérée au moment où le jugement a été rendu.