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Date : 19990709


IMM-4594-97

OTTAWA (ONTARIO), LE 9 JUILLET 1999

EN PRÉSENCE DE MONSIEUR LE JUGE LEMIEUX


E n t r e :

     ZANE LING CHEN,

     demandeur,

     - et -


     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.




     ORDONNANCE


     Pour les motifs qui ont été exposés, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.


     " François Lemieux "

    

     J U G E



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.






     Date : 19990709

     IMM-4594-97


E n t r e :

     ZANE LING CHEN,

     demandeur,

     - et -


     MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION,

     défendeur.




     MOTIFS DE L'ORDONNANCE


LE JUGE LEMIEUX


GENÈSE DE L'INSTANCE



[1]      La Cour est saisie d'une demande de contrôle judiciaire présentée en vertu de l'article 18.1 de la Loi sur la Cour fédérale, L.R.C. (1985), ch. F-7, modifiée, par M. Zane Ling Chen (le demandeur) en vue de faire annuler une décision en date du 27 septembre 1997 par laquelle l'agent des visas Lisa Holliday (l'agent des visas) a refusé sa demande de résidence permanente en ce qui concerne la profession envisagée de CUISINIER DE PLATS EXOTIQUES (CCDP) 6121-126.


LES FAITS

[2]      Le demandeur est un citoyen de l'Inde né le 4 juillet 1975. En 1994, il s'est installé à New York, où il a commencé la même année à travailler dans un restaurant vietnamien appelé Song Vietnamese Restaurant à titre d'aide-cuisinier. Il a obtenu une promotion et, au moment de sa demande de résidence permanente, il occupait le poste de chef de cuisine.

[3]      Le 24 avril 1997, le demandeur a, avec l'aide de ses procureurs, présenté une demande de résidence permanente au Canada au Consulat général du Canada à Buffalo, dans l'État de New York. Il a présenté sa demande, où sa femme était désignée comme de personne à charge, dans la catégorie des immigrants indépendants, selon le paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, modifié (le Règlement).

[4]      Dans sa demande de résidence permanente (DRP), M. Chen précise qu'il a fréquenté l'école primaire (ou élémentaire) pendant sept années et qu'il a fréquenté pendant cinq ans l'école secondaire. Suivant la DRP, le demandeur n'a pas suivi d'études postsecondaires ou reçu de formation technique en cuisine. Sa DRP indique également qu'il a été sans travail entre avril 1987 et juin 1992 et qu'il a travaillé à son compte comme musicien de juin 1992 à juin 1994, alors qu'il a quitté l'Inde pour les États-Unis à l'âge de 19 ans.

[5]      M. Chen a joint à sa DRP une lettre adressée [TRADUCTION] " À qui de droit " et rédigée par le Song Vietnamese Restaurant. Voici les extraits de cette lettre qui nous intéressent en l'espèce :

[TRADUCTION]
M. Chen travaille à notre restaurant depuis le mois d'août 1994. Il a commencé à travailler à la cuisine comme aide-cuisinier et a fini par devenir chef de cuisine de notre restaurant, poste qu'il occupe toujours. Il exerce ses fonctions à titre professionnel et il travaille à temps plein chez nous.
Dans le cadre de ses attributions, M. Chen prépare des mets vietnamiens exotiques. Parmi les plats vietnamiens qu'il prépare, il y a lieu de mentionner diverses sortes de potages, de nouilles et de plats de résistance qui nécessitent l'utilisation de citronnelle, de sauces de poisson et de diverses herbes et épices qui sont traditionnellement utilisés dans la cuisine vietnamienne. Il prépare aussi la marinade utilisée pour les mets au poisson, au canard, au crabe, aux crevettes et aux huîtres. M. Chen choisit personnellement divers types et quantités de fruits de mer et d'ingrédients dans les marchés locaux et établit son menu en conséquence.
Parmi les autres fonctions que M. Chen exécute au restaurant, il y a lieu de mentionner les commandes quotidiennes d'approvisionnements pour le restaurant et d'alcool pour le bar. C'est également lui qui établit l'horaire de travail de ses collègues et du personnel de cuisine. Son horaire l'oblige à travailler toute la semaine. Il prend congé le dimanche.

[6]      Les procureurs du demandeur, dans la lettre d'accompagnement de la DRP du demandeur qu'ils ont fait parvenir au Consulat général canadien à Buffalo affirment notamment ce qui suit :

[TRADUCTION]
À son arrivée aux États-Unis en 1994, M. Chen a été engagé par le Song Vietnamese Restaurant où il a commencé à travailler comme aide-cuisinier. Après avoir fait ses preuves, M. Chen a obtenu une promotion et il occupe maintenant le poste de chef des cuisines.

DÉCISION DE L'AGENT DES VISAS

[7]      Par lettre en date du 1er octobre 1997, l'agent des visas a informé M. Chen, par l'entremise de ses procureurs, qu'il ne remplissait pas les conditions requises pour pouvoir immigrer au Canada. Voici l'extrait pertinent de cette lettre :

[TRADUCTION]
     J'ai attentivement évalué et examiné votre formation et votre expérience dans la profession susmentionnée à partir des renseignements que vous avez communiqués dans votre demande et j'en suis arrivée à la conclusion que vous ne remplissez pas les conditions requises pour pouvoir exercer cette profession au Canada, étant donné que vous ne possédez pas les compétences minimales exigées par la Classification canadienne descriptive des professions et par la Classification nationale des professions. J'en suis par conséquent arrivée à la conclusion que vous ne possédez pas les qualités requises pour pouvoir être admis comme cuisinier de plats exotiques.
     Je vous ai donc évalué comme commis de cuisine (CCDP 6121-134), métier pour lequel vous semblez posséder la formation et l'expérience nécessaires et que l'on pourrait raisonnablement s'attendre à ce que vous exerciez au Canada.
     Le paragraphe 11(2) du Règlement ne permet pas de délivrer un visa d'immigrant, dans la catégorie visée par votre demande, aux demandeurs qui ne recueillent aucun point d'appréciation pour le facteur de la profession. Or, le facteur de la profession qui est présentement attribué au métier d'aide-cuisinier est de zéro.
     Qui plus est, vous n'avez pas recueilli un nombre suffisant de points d'appréciation pour réunir les conditions exigées pour pouvoir immigrer au Canada. Le minimum requis est de 60 points, dont cinq points supplémentaires si vous présentez votre demande dans la catégorie des parents aidés.

[8]      Voici ce que l'agent des visas a ajouté au sujet de son évaluation de la demande selon la classification d'aide-cuisinier :

[TRADUCTION]
Je vous signale qu'aucun point d'appréciation ne vous a été attribué pour le facteur de la personnalité, étant donné que seul l'agent qui procède à une entrevue personnelle peut attribuer des points à ce chapitre. Dans le cas d'une entrevue, le nombre minimum de points exigé est de 70. Or, même si vous obteniez le maximum de dix points pour le facteur de la personnalité, vous ne recueillerez toujours pas le nombre minimal de points requis.
     Je tiens par ailleurs à vous souligner que, pour le cas où vous voudriez que nous examinions tout nouvel élément d'information, il vous faudrait soumettre une demande entièrement nouvelle et acquitter les droits de traitement prescrits.

[9]      Voici les points d'appréciation qui ont été attribués au demandeur pour le métier d'aide-cuisinier (CCDP 6121-134) :

     Âge "                                      10 points
     Profession "                                      0

     Préparation professionnelle spécifique (PPS)

     ou

     Études / Formation                                  3
     Expérience                                      2
     Emploi réservé                                  0
     Facteur démographique                              8
     Études                                      10

     Connaissance du français

     et de l'anglais                                  9
     Point suppl. pour parent aidé                          5
     Total                                          47

    

[10]      Les procureurs du demandeur ont demandé à l'agent des visas de motiver davantage son refus. Le 27 octobre 1997, l'agent des visas a envoyé la lettre suivante aux procureurs du demandeur :

[TRADUCTION]
Le demandeur n'a suivi aucune étude ou formation postsecondaire comme chef de cuisine. Suivant sa demande, il a travaillé comme aide-cuisinier. Suivant votre lettre, il serait devenu " chef de cuisine " peu de temps après. Or, la formation, les qualifications et l'expérience du demandeur ne s'accordent pas avec la préparation professionnelle spécifique de chef de cuisine.

LES AFFIDAVITS

[11]      Le demandeur affirme ce qui suit :

     a)      La lettre de son employeur, Song Vietnamese Restaurant, indique qu'il est chef de cuisine depuis plusieurs années ;
     b)      Il a accumulé près de trois années de formation en cours d'emploi, ce qui est de loin supérieur au minimum requis ;
     c)      Il possède trois ans d'expérience comme chef de cuisine dans un restaurant vietnamien ;
     d)      Il possède la formation et l'expérience nécessaires pour travailler dans la profession qu'il prévoit exercer au Canada.

[12]      L'agent des visas a témoigné pour le compte du défendeur. Elle a déclaré ce qui suit :

     a)      La DRP du demandeur indique qu'il a trouvé en août 1994 du travail au Song Vietnamese Restaurant où il travaille comme chef de cuisine ;
     b)      Suivant la lettre de recommandation non datée, le demandeur [TRADUCTION] " a commencé à travailler à la cuisine comme aide-cuisinier et a fini par devenir chef de cuisiner " ;
     c)      Le facteur de la préparation professionnelle spécifique exige, dans le cas d'un cuisinier de mets exotiques, que celui-ci possède plus de deux ans et jusqu'à quatre ans de formation professionnelle spécifique pour être considéré comme possédant les qualités requises pour exercer cette profession au Canada. L'agent des visas a conclu en déclarant :
     [TRADUCTION]
     Compte tenu de cet élément et des renseignements contenus dans la demande de résidence permanente, on ne m'a pas convaincue que le demandeur possède les qualités requises pour pouvoir exercer la profession de " cuisinier de plats exotiques " au Canada.

[13]      Pour ce qui est de l'offre d'entrevue au demandeur, l'agent des visas a fait remarquer que l'article 11.1 du Règlement n'exige pas la tenue d'une telle entrevue si le demandeur ne recueille pas au moins un point d'appréciation pour le facteur de l'" expérience " ou pour le facteur de la " profession ". Elle a déclaré :

[TRADUCTION]
     À cet égard, je suis d'avis que le demandeur n'a recueilli aucun point d'appréciation pour le facteur de l'expérience et j'estime en conséquence qu'il serait inutile de le convoquer à une entrevue.

LA QUESTION EN LITIGE

[14]      La question fondamentale que soulève le demandeur est celle de savoir si l'agent des visas a commis une erreur de droit en interprétant de façon erronée les facteurs de la PFS et de l'expérience que l'on trouve à l'annexe I du Règlement sur l'immigration. Plus précisément, c'est l'application que l'agent des visas a faite du facteur de la PFS qui l'a amenée à conclure que le demandeur ne possédait pas les qualités requises pour pouvoir travailler au Canada dans sa profession envisagée et qui s'est soldée par l'attribution d'aucun point d'appréciation pour le facteur de l'expérience, de sorte que l'entrevue personnelle devenait facultative. L'agent des visas n'a pas interprété comme tel le facteur de l'expérience. Une interprétation valable de ce facteur se dégage des observations écrites qui ont conduit à la présentation des observations postérieures à l'audience que la Cour a réclamées.

[15]      Le demandeur invoque également l'équité qui, en l'espèce, exigeait que l'agent des visas interroge le demandeur pour permettre à celui-ci de dissiper les doutes que l'agent des visas pouvait avoir.

NORME DE CONTRÔLE APPLICABLE

[16]      La Cour d'appel fédérale a exposé la norme de contrôle qui s'applique dans le cas des décisions d'un agent des visas dans l'arrêt Chiu Chee To, 22 mai 1996, A-172-93, dans lequel le juge Stone a déclaré ce qui suit, au nom de la Cour :

     En l'espèce, l'agente d'immigration n'était pas convaincue que l'appelant avait soit le sens des affaires soit les ressources pécuniaires personnelles nécessaires pour établir une entreprise au pays. Nous sommes d'accord avec le juge en chef Jerome qu'il n'est pas justifié que la Cour intervienne. Dans l'arrêt Maple Lodge Farms Limited c. Gouvernement du Canada et autre, [1982] 2 R.C.S. 2, aux pages 7 et 8, le juge McIntyre déclare ce qui suit au nom de la Cour :
     C'est aussi une règle bien établie que les cours ne doivent pas s'ingérer dans l'exercice qu'un organisme désigné par la loi fait d'un pouvoir discrétionnaire simplement parce que la Cour aurait exercé son pouvoir différemment si la responsabilité lui en avait incombé. Lorsque le pouvoir discrétionnaire accordé par la loi a été exercé de bonne foi et, si nécessaire, conformément aux principes de justice naturelle, si on ne s'est pas fondé sur des considérations inappropriées ou étrangères à l'objet de la loi, les cours ne devraient pas modifier la décision.

LE RÈGLEMENT SUR L'IMMIGRATION

[17]      Dans le cas des requérants qui entrent dans la catégorie des immigrants indépendants, le paragraphe 8(1) du Règlement sur l'immigration de 1978, DORS/78-172, (le Règlement) prévoit que, sous réserve de l'article 11.1, pour déterminer si un immigrant et les personnes à sa charge pourront réussir leur installation au Canada, l'agent des visas apprécie l'immigrant suivant chacun des facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I du Règlement.

[18]      Le paragraphe 8(2) du Règlement oblige l'agent des visas à attribuer à l'immigrant qui est apprécié suivant les facteurs énumérés à la colonne I de l'annexe I le nombre voulu de points d'appréciation pour chacun des facteurs conformément aux critères énumérés à la colonne II vis-à-vis de ce facteur en s'en tenant au maximum fixé à la colonne III vis-à-vis de ce facteur.

[19]      L'article 9 du Règlement précise que, dans le cas d'un immigrant se trouvant dans la situation du demandeur, l'agent des visas peut délivrer un visa d'immigrant au demandeur et à toute personne à charge qui l'accompagne si le demandeur obtient au moins 70 points d'appréciation.

[20]      L'annexe I du Règlement comporte trois colonnes : la colonne I énumère certains facteurs, comme les études, la formation professionnelle spécifique, l'expérience, la demande dans la profession, l'existence d'un emploi réservé, l'âge, la connaissance du français et de l'anglais, etc. La colonne II énumère les critères correspondant à chacun des facteurs, et la colonne III précise le nombre maximum de points pour chaque facteur.

[21]      Pour ce qui est de la demande dont je suis saisi, les facteurs pertinents sont la préparation professionnelle spécifique, l'expérience et la demande dans la profession. Les extraits suivants renvoient au texte de l'annexe I qui existait lorsque le système CCDP était en vigueur au moment de la DRP du demandeur. C'est maintenant la CNP qui s'applique.

[22]      La préparation professionnelle spécifique (PPS) était le facteur 2, lequel comportait un nombre maximal de dix-huit points. Voici en quels termes les critères applicables étaient exposés :

Être mesurée suivant la période de formation professionnelle, d'apprentissage, de formation en usine ou en cours d'emploi précisée dans la Classification canadienne descriptive des professions, imprimée par l'autorisation du Ministre, nécessaire pour acquérir les connaissances théoriques et les pratiques indispensables à l'exécution des tâches de l'emploi au regard duquel le requérant est apprécié d'après l'article 4 (demande dans la profession). Les points d'appréciation sont attribués de la façon suivante : Lorsque la période de formation nécessaire est de
     a) moins de trente et un jours, un point ;
     b) trente et un jours ou plus, mais inférieure à trois mois, trois points ;
     c) trois mois ou plus, mais inférieure à six mois, cinq points ;
     d) six mois ou plus, mais inférieure à douze mois, sept points ;
     e) douze mois ou plus, mais inférieure à deux ans, neuf points ;
     f) deux ans ou plus, mais inférieure à quatre ans, onze points ;
     g) quatre ans ou plus, mais inférieure à dix ans, treize point ;
     h) dix ans ou plus, quinze points.

[23]      L'expérience était le facteur 3 et le nombre maximal de points possible était de huit, sous réserve de certaines restrictions internes. Voici en quels termes les critères applicables au facteur de l'expérience étaient formulés dans le Règlement :

Des points d'appréciation sont attribués pour l'expérience acquise dans la profession au regard de laquelle le requérant est apprécié d'après l'article 4 [...] Ils sont attribués de la façon suivante ; Lorsque la période de préparation professionnelle spécifique nécessaire est de
     a) moins de trois mois, deux points pour la première année d'expérience ;
     b) trois mois ou plus, mais inférieure à douze mois, deux points pour chaque année d'expérience ne dépassant pas deux années ;
     c) un an ou plus, mais inférieure à quatre ans, deux points pour chaque année d'expérience ne dépassant pas trois années ; et
     d) quatre ans ou plus, deux points pour chaque année d'expérience.

[24]      La demande dans la profession était le facteur 4 et le nombre maximal de points était de dix. Voici les critères qui régissaient ce facteur :

Des points d'appréciation sont attribués en fonction des possibilités d'emploi au Canada offertes aux personnes exerçant la profession pour laquelle le requérant possède les compétences voulues et qu'il est prêt à exercer au Canada, ces possibilités étant déterminées en tenant compte de la demande tant nationale que régionale sur le marché du travail.

[25]      La CCDP est incorporée par renvoi au Règlement. Le demandeur a présenté sa demande en fonction de la profession de " cuisinier de plats exotiques " (CCDP 6121-126). Voici en quels termes la CCDP décrit cette profession :

Prépare et cuit les plats exotiques selon les recettes et les méthodes traditionnelles en vue de leur consommation dans des restaurants ;
Exécute des fonctions analogues à celles qui sont énoncées sous le titre 6121-111 CHEF CUISINIER GÉNÉRAL (rest. et logement), en utilisant les méthodes et les ustensiles de cuisine traditionnels. Commande les spécialités ou les ingrédients. Prépare et sert les mets spéciaux à la table des clients. Accomplit au besoin des tours d'adresse pour distraire les convives pendant la préparation des aliments. Surveille le travail des employés de cuisine.

[26]      L'article 11.1 du Règlement prévoit que l'agent des visas n'est pas obligé de tenir une entrevue sauf si l'immigrant, d'après l'étude de sa demande de visa et des documents à l'appui, se voit accorder au moins un point d'appréciation pour chacun des facteurs de l'expérience et de la demande dans la profession. Je souligne ce passage pour bien insister sur la nécessité pour les requérants de produire des documents complets à l'appui de leur demande. Ils doivent présenter la meilleure cause possible. Sinon, ils ne peuvent s'attendre à ce que l'agent des visas fasse le travail à leur place.

CONCLUSIONS

     a)      Le facteur de la PPS

[27]      Le facteur de la PPS est le facteur qui définit la période de formation nécessaire pour acquérir les connaissances ou les aptitudes requises pour exercer convenablement la profession envisagée. Selon la profession en cause, la période de formation requise peut exiger un diplôme universitaire, l'acquisition d'un permis professionnel, la fréquentation d'une école professionnelle ou technique, un stage d'apprentissage ou une formation " en cours d'emploi ". Chacune des professions énumérées dans la CCDP comporte une période de formation selon l'une ou l'autre des modalités susmentionnées.

[28]      La " formation en cours d'emploi " est définie dans les termes suivants à l'annexe B de la CCDP sous la rubrique " Préparation professionnelle spécifique " :

Elle comprend toute formation qu'un individu acquiert en cours d'emploi, à titre de débutant ou de stagiaire, sous la direction d'un employé compétent et en vue d'une fonction déterminée.

[29]      S'il ne répond pas aux critères relatifs à la période de formation, l'intéressé ne possède pas les compétences voulues pour la profession envisagée, pour reprendre le libellé du facteur 4, celui de la demande dans la profession.

[30]      En l'espèce, le demandeur n'a reçu aucune formation régulière dans une école culinaire. La formation qu'il a pu acquérir comme cuisinier de mets exotiques ne pouvait être qu'une formation en cours d'emploi.

[31]      Dans son affidavit, le demandeur s'est mépris au sujet de la période de formation exigée pour sa profession envisagée. Il croyait qu'il fallait normalement neuf ans de formation générale et trois mois de formation en cours d'emploi. Les procureurs du demandeur ont reconnu que l'agent des visas avait eu raison d'affirmer que la période de formation exigée dans le cas de la profession du demandeur variait entre deux et quatre ans. On trouve cette admission dans les observations écrites complémentaires que les procureurs du demandeur ont rédigées le 30 mars 1998.

[32]      Cette admission ne clôt cependant pas le débat. Les procureurs du demandeur ont, dans leur mémoire complémentaire, contesté deux affirmations faites par le procureur du défendeur dans son mémoire en réplique. Dans ce mémoire, le défendeur affirme en effet :

[TRADUCTION]
13.      Le demandeur avait tout au plus reçu une formation en cours d'emploi de cuisinier de moins de trois ans au moment où sa demande a été examinée par l'agent des visas.
14.      Contrairement à ce que le demandeur prétend au paragraphe 43 de son mémoire, la CCDP exige que le demandeur possède quatre ans de formation pour remplir les conditions exigées pour pouvoir être cuisinier ou chef.

[33]      Le procureur du demandeur réplique que son client n'était pas obligé de posséder quatre ans de formation. Le demandeur doit avoir au moins deux, mais pas quatre ans de formation, selon le facteur de la PPS. Le procureur du demandeur ajoute ce qui suit dans son mémoire complémentaire :

[TRADUCTION]
5.      Il ressort des références du demandeur et du formulaire IMM-008 que le demandeur travaille comme cuisinier au Song Vietnamese Restaurant depuis 1994. Au moment où l'agent des visas a étudié sa demande de résidence permanente, le demandeur travaillait comme cuisinier de plats exotiques depuis plus de trois ans.

[34]      À mon avis, aucun fait ne permettait au procureur du demandeur d'affirmer que le demandeur travaillait comme cuisinier de mets étrangers depuis 1994.

[35]      En premier lieu, l'agent des visas ne disposait pas de cet élément de preuve, qui ne pouvait donc pas être écarté suivant le principe posé dans le jugement Quintero c. Canada (M.E.I.), (1995), 90 F.T.R. 251 (C.F. 1re inst). En second lieu, le demandeur n'avait jamais travaillé comme cuisinier avant d'arriver à New York. Dans sa lettre de référence, il est précisé qu'il avait commencé comme aide-cuisinier et qu'il " a fini par devenir " chef de cuisine. À mon sens, il serait contraire à toute logique que le demandeur ait exercé la profession de cuisinier de plats exotiques dès son arrivée à New York en 1994, alors qu'il n'avait jamais travaillé comme cuisinier auparavant.

     b)      Le facteur de l'expérience

[36]      Deux questions se posent. Premièrement, une formation en cours d'emploi peut-elle être considérée comme de l'expérience acquise dans la profession envisagée ? En second lieu, même si l'on ne peut pas tenir compte de la formation en cours d'emploi, vu les faits de la présente affaire, ne devrait-on pas attribuer au demandeur des points au titre de l'expérience sur le fondement d'une période de formation minimale de deux ans en raison de son expérience de travail de trois ans ? En ce qui concerne la première question, le défendeur a fait remarquer, à titre préliminaire et à juste titre selon moi, que rien ne permet de penser que le demandeur a reçu une formation en cours d'emploi au Song Vietnamese Restaurant ou, s'il a reçu une telle formation, de savoir quelle est la durée de cette formation. J'estime que l'économie du Règlement exige un programme de formation professionnelle structuré dans lequel l'expérience, des connaissances et une formation théorique sont transmises dans un cadre structuré quelconque. Il ne suffit pas d'exercer un emploi.

[37]      Sur le fond, l'économie du Règlement favorise la thèse du défendeur. Le facteur de l'expérience renvoie au facteur 4 (demande dans la profession), où il est question d'évaluer le requérant en fonction de la profession pour laquelle il possède les compétences requises. À mon avis, pour l'application du Règlement sur l'immigration, une personne ne peut avoir accumulé des années d'expérience en exerçant une profession pour laquelle elle ne possède pas les compétences requises. Il s'ensuit que, tant qu'il n'a pas terminé sa formation professionnelle, l'intéressé n'accumule aucun point au titre de son expérience dans sa profession envisagée. À cet égard, je souscris à l'analyse que le juge MacKay a faite dans le jugement Yu c. Ministre de l'Emploi et de l'Immigration, 36 F.T.R. 296, où il déclare, à la page 301 :

[...] si la requérante n'est pas dûment qualifiée pour l'emploi qu'elle a l'intention d'occuper au Canada, aucun point d'appréciation ne sera attribué en vertu des facteurs 4 et 3 pour l'expérience, quelque soit la demande dans la profession au Canada.

[38]      Pour ce qui est du second argument, le procureur du demandeur n'a pu alléguer aucun fait précis pour étayer sa thèse. Bref, le dossier ne révèle pas que le demandeur a reçu une formation professionnelle, ne précise pas la durée de cette période et n'établit pas la date à laquelle il l'a terminée. Le demandeur ne s'est pas acquitté du fardeau que le Règlement lui imposait.

ÉQUITÉ

[39]      Le demandeur affirme que l'agent des visas était tenue de porter à son attention toute impression défavorable ou réserve qu'elle avait et de lui offrir la possibilité d'y répondre avant de rendre sa décision.

[40]      L'affidavit de l'agent des visas ne révèle pas qu'elle avait des impressions défavorables ou des réserves. Elle s'est contentée d'appliquer le Règlement à partir des éléments d'information livrés par le demandeur dans sa DRP. Dans le jugement Hajariwala c. Canada (M.E.I.), [1989] 2 C.F. 79, le juge en chef adjoint Jerome déclare que celui qui demande un visa ou la résidence permanente au Canada doit produire tous les documents sur lesquels il entend se fonder. Dans le jugement Lam c. Canada (M.E.I.), IMM-4458-97, 31 août 1998, le juge Rothstein a tenu les propos suivants dans une affaire qui ressemble fort à la présente :

     La demande de résidence permanente a été rejetée sans qu'il y ait eu une entrevue. Le demandeur soutient qu'il avait droit à une entrevue afin d'être en mesure de donner à l'agente des visas des éclaircissements sur sa formation et son expérience de chef cuisinier. Cependant, sa demande de résidence permanente est fort claire. Il indiquait comme profession envisagée celle de chef cuisinier, et il n'y a dans la demande ou les pièces à l'appui rien qui prouve une formation ou expérience dans cette profession. Autrement dit, il n'y avait rien à éclaircir.
     Au mieux, il doit vouloir dire que sa demande est ambiguë et que du moment qu'il indiquait, à titre d'antécédents professionnels, qu'il avait été gérant stagiaire et sous-directeur gérant chez McDonald's, l'agente des visas était tenue de vérifier, au moyen d'une entrevue, si ces emplois valaient formation et expérience de chef cuisinier. Pareil argument, s'il est fondé, donnerait l'avantage aux demandeurs de résidence permanente qui soumettent une demande ambiguë. Il ne saurait être acceptable.

[41]      Par ces motifs, la demande de contrôle judiciaire est rejetée.



     " Francois Lemieux "

    


     J U G E

OTTAWA (ONTARIO)

Le 9 JUILLET 1999



Traduction certifiée conforme


Martine Guay, LL.L.

     COUR FÉDÉRALE DU CANADA

     SECTION DE PREMIÈRE INSTANCE


     AVOCATS ET PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER


No DU GREFFE :              IMM-4594-97

INTITULÉ DE LA CAUSE :      ZANE LING CHEN c. MINISTRE DE LA CITOYENNETÉ ET DE L'IMMIGRATION


LIEU DE L'AUDIENCE :          TORONTO

DATE DE L'AUDIENCE :          31 MARS 1999


MOTIFS DE L'ORDONNANCE prononcés par le juge Lemieux le 9 juillet 1999



ONT COMPARU :

Me Chantal Desloges                                  pour le demandeur

Me Lori Hendricks                                  pour le défendeur


PROCUREURS INSCRITS AU DOSSIER :

Me Stephen W. Green                              pour le demandeur

Green & Spiegel

121, rue King Ouest, bureau 2200

C.P. 114

Toronto (Ontario) M5H 3T9


Me Morris Rosenberg                              pour le défendeur

Sous-procureur général du Canada

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